Les femmes face au Capitalisme (28/10/2005)

[Rébellion n°4 Janvier/Février 2004]

Au moment où s’ouvre un nouveau débat sur la parité homme/femme dans le monde du travail, il nous paraît important de nous pencher sur l’originalité du travail féminin dans la logique capitaliste d’exploitation. Loin des stéréotypes machistes et de la propagande féministe, il faut bien dire que la situation des femmes dans l’entreprise est complexe, le capitalisme leur réserve une place à part dans son enfer. En fait, c'est en premier lieu sur les femmes travailleuses que les capitalistes font peser les diverses démarches de précarisation, pour les généraliser ensuite à l'ensemble du salariat. Le capitalisme prend appui sur l’ancienne domination sociale des femmes pour les utiliser comme champ d’application de sa logique néo-libérale. Le but du capital est de briser la révolte populaire en divisant encore davantage les classes laborieuses. L’émancipation des femmes passe donc par une prise de conscience de la logique du capital, par le dépassement des faux clivages et une lutte commune et complémentaire avec les hommes contre le Système.

Et le capitalisme créa le « travail féminin »

C’est durant la période d’industrialisation de l’Europe que les femmes des classes populaires commencèrent à quitter le monde domestique pour celui de la manufacture. Jusque là, les femmes assumaient déjà la charge de travail importante de la gestion du foyer et participaient activement à la vie de la communauté.

Fait significatif, les productions spécifiquement féminines seront dès cette époque rémunérées plus faiblement que celles des hommes, cela étant basé sur la reproduction par le capitalisme naissant de la domination sociale exercée par les hommes dans les sociétés traditionnelles sur les femmes.

La mécanisation a rendu les travaux les plus pénibles accessibles aux femmes. Le regroupement au sein des fabriques de la main-d’œuvre féminine permit une concentration de la production. Mais surtout le coût peu élevé du travail des femmes et des enfants (la moitié du salaire d’un homme) permit au patronat de dégager un plus grand profit. Au milieu du 19ème siècle, on vit ainsi se dessiner une division du travail entre les sexes, renforcée par la tendance du capitalisme à remplacer la main-d’œuvre masculine dotée d’un fort savoir-faire et de connaissances par des femmes jugées dociles et sans formation professionnelle.

La Première Guerre Mondiale accéléra le processus d’intégration des femmes au marché du travail. Mais c’est avec le développement des activités tertiaires et du salariat que les femmes se verront participer à la mise en place d’une division par sexe des tâches qui aboutira à la constitution de secteurs quasiment réservés au travail féminin. Les « Trente Glorieuses » continuent le processus en l’amplifiant. Il ne sera remis en cause qu’avec la crise économique des années 80.

La dégradation du marché du travail a créé des inégalités nouvelles entre les sexes : en terme d’accès au marché du travail et de type d’emploi. La flexibilité du travail s’impose ( emplois « aidés » par l’Etat, intérim, CDD, temps partiel). Les femmes , et en particulier les moins formées, sont touchées de plein fouet par le chômage, l’instabilité et le sous-emploi.

Selon la sociologue Chantal Nicole-Drancourt : «  la féminisation des emplois atypiques ( emplois précaires) apparaît comme le moyen efficace du passage progressif, et surtout sans obstacle, d’une économie industrielle de croissance basée sur le plein emploi à une économie tertiaire avec emploi flexible et chômage de croissance ». Comme l’analyse très justement Françoise Battagliola (1), le capitalisme en transformation utilise, comme au 19ème siècle, la main d’œuvre féminine comme champ d’application de nouvelles modalités d’emploi. Il utilise le chantage au licenciement pour dominer une main-d’œuvre très peu syndiquée. Il en ressort alors une dégradation croissante des conditions des travailleurs et des travailleuses.

On retrouve quoi qu’il en soit, le discours hypocrite du capitalisme. Ainsi l’aménagement du temps de travail des femmes par le développement du travail à mi-temps. Bien loin d’être un choix individuel qui pourrait bénéficier à l’épanouissement de la personne et de sa famille, il est la mesure imposée qui développe un sous-emploi féminin.

 

Les Conditions de travail des femmes

Si on observe les statistiques sur le marché du travail, on observe une distribution inégale des emplois, avec une division entre secteurs principalement masculins ou féminins.

Les travailleuses se retrouvent dans la plupart des cas dans des emplois qui sont censés exiger peu de qualification et qui sont de bas prestige. Les salaires sont inférieurs, les conditions de travail plus pénibles et précaires en comparaison avec les hommes. Ces emplois typiquement féminins nous les connaissons tous : secrétaire, infirmière, caissière, vendeuse, serveuse… Jugés ennuyeux par les intéressées elles-mêmes, ils sont extrêmement contrôlés et structurés par la hiérarchie patronale.

Le cas le plus concret est celui des caissières de supermarché. Considérées comme des machines vivantes par les directions. Placées sous la surveillance constante des caméras, on leur « conseille » de passer plus de 20 articles à la minute, avec au bout de la route pour les moins productives la culpabilisation, le harcèlement moral des petits chefs et le licenciement pour faute. La grande distribution a logiquement développé la précarité des emplois dans sa guerre commerciale entre enseignes. Et ce sont ces employés qui paient l’addition.

Selon une enquête sur la « santé mentale dans la grande distribution » , menée par des médecins du travail dans l’Indre et Loire en 2000-2001, 92 % des caissières se plaignent de « souffrance mentale ». Les auteurs précisent que « ce métier est souvent une impasse, elles ne s’y épanouissent pas et n’ont aucune perspective de carrière ». Les médecins révèlent que 61 % des femmes interrogées n’ont pas choisi ce métier, 71 % ont un contrat à temps partiel imposé et 7% gagnent moins de 760 euros par mois.

Dans le domaine du discours sur les risques du travail, on rencontre une certaine réticence à reconnaître les exigences propres aux femmes. Le travail des femmes est le plus souvent considéré comme exigeant peu d’efforts et comme une extension du travail domestique ne présentant pas de risques pour la santé. La représentation sociale du travail dangereux s’est calquée sur l’image du travail masculin ( taux élevés d’accidents aux effets immédiats et aux séquelles physiques visibles). Dans le cas des femmes travaillant dans les secteurs liés au tertiaire, on ignore les effets lents des contraintes psychologiques et morales. La dépression étant une des marques des pathologies liées aux conditions du travail féminin.

Mais ces conditions de travail peuvent perdurer à cause d’une autre spécificité du travail féminin : le fort taux de chômage et de précarité. Dès la sortie de leurs études, les jeunes femmes rencontrent plus de difficultés d’insertion dans le monde du travail que celui des hommes du même âge. Les taux de chômage des femmes sont toujours plus élevés, que l’on considère l’âge, le diplôme ou la catégorie professionnelle. En 1998, plus d’un chômeur sur deux était une chômeuse alors que les femmes représentent seulement 44% de la population active.

 

Travail de nuit des femmes : l’égalité à rebours

Le 30 novembre 2001, le gouvernement a fait adopter par l’Assemblée Nationale un texte mettant fin à l’interdiction du travail de nuit pour les femmes dans l’industrie. Ce texte a pris pour prétexte la mise en conformité du droit français avec le droit européen sur l’égalité entre les sexes. En effet, voila plus de 20 ans, une directive européenne levait l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, sous prétexte d’égalité. En 1987, une brèche est ouverte par la loi Séguin sur "l’aménagement du temps de travail" qui comporte une clause sur le travail de nuit.

En 1997, la Cour européenne de justice met en demeure la France d’accorder son droit national au droit européen. Pas d’exception dans l’Europe capitaliste de Bruxelles. Cette mesure d’ aggravation des conditions de travail nous la devons au gouvernement Jospin. Sous couvert de respecter l’égalité, on nivelle par le bas. Et ce sont les patrons qui se frottent les mains, encore une fois.

On connaît déjà les ravages que provoque le travail en équipe chez les hommes (diminution de la durée de vie, perturbation du rythme biologique, fatigue accrue donc insécurité accrue sur les lieux de travail). On imagine ce que cela veut dire pour les femmes. Car celles-ci, contrairement à la plupart des travailleurs hommes, ne rentrent pas chez elles le matin pour se coucher mais bien pour emmener les enfants à l’école et remplir les tâches domestiques. Sans oublier qu’un poste qui se féminise est un poste qui se dévalorise, le travail de nuit va subir une banalisation et devenir non pas un "choix" pour ramener plus d’argent, mais une contrainte pour garder un emploi.

 

Non, le travail de nuit pour les femmes n’est pas un progrès de l’égalité des sexes. C’est un retour au XIXème siècle, quand les filles de la classe ouvrière s’étiolaient dans les filatures. La mode est à la rentabilité immédiate, les patrons se soucient peu que les femmes qui travaillent puissent conjuguer vie professionnelle et familiale. La seule façon réellement progressiste d’envisager la question est d’interdire le travail de nuit, pour les femmes comme pour les hommes. Seuls certains secteurs ont besoin de personnel de nuit comme la santé ou les transports, mais certainement pas la production capitaliste ! C’est aux travailleurs et aux travailleuses de décider des modalités de fonctionnement de ces secteurs, de manière collective et en prenant en compte des conditions sociales, familiales et matérielles de chacun. Chaque cas doit être étudié pour savoir si la présence de nuit s’avère nécessaire et si des systèmes automatisés peuvent être mis en place pour éviter la présence humaine.

Cette mesure de la reprise du travail de nuit des femmes dans l’industrie, vient rappeler le rôle de la main d’œuvre féminine dans la production industrielle actuelle. Des « petites mains » de LIP aux travailleuses de Moulinex, les femmes sont toujours présentes dans les usines. Elles sont victimes, comme les hommes, des délocalisations de notre industrie vers le Tiers-Monde. Elles sont aussi les premières à lutter contre la logique capitaliste de destruction de la classe ouvrière européenne !

 

La perspective socialiste d’émancipation de la femme

L’objectif du socialisme européen est de créer une société harmonieuse qui garantisse l’épanouissement de chaque élément qui la constitue dans l’intérêt général de la communauté.

L’objectif du socialisme européen est de créer une société harmonieuse qui garantisse l’épanouissement de chaque élément qui la constitue dans l’intérêt général de la communauté.

Pour cela, les justes revendications des femmes ne doivent pas être enfermées dans le ghetto féministe, ni dédaigneusement traitées par certains éléments machistes. Elles devront être prises en compte, intégrées au programme d’un mouvement révolutionnaire large qui transcende les artificiels clivages du Capital (homme/femme, vieux/jeunes…). La participation des femmes à l’élaboration d’une société socialiste est donc indispensable, leur approche différente de certains problèmes étant enrichissante pour tous.

Comme le rappelle justement Alain de Benoist, la complémentarité des sexes est fondamentale, l’homme a besoin de la femme autant que la femme a besoin de l’homme, non seulement d’un point de vue sexuel, mais aussi d’un point de vue psychologique et spirituel, pour se bâtir par antagonisme, en se confrontant à la différence élémentaire, qui est le signe le plus visible de la division universelle. C’est cette complémentarité dialectique fructueuse, dont l’enfant est le produit, qui fonde affectivement le besoin de la différence mutuelle.

Cette complémentarité doit se retrouver dès maintenant dans le combat pour le socialiste européen. L’émancipation des travailleuses passe par la lutte commune, la solidarité avec les travailleurs contre les exploiteurs. Le féminisme est né dans les marges de la bourgeoisie progressiste et bien pensante avec la complaisance du pouvoir économique avide de stratégies de leurres, qui a substitué à la réelle lutte des classes une lutte des sexes fantasmatique comme l’a clairement montré Alain Soral.

Combattre les inégalités de statut et de salaire entre femmes et hommes répond à un évident objectif de justice sociale, en accord avec le principe «  à travail égal, salaire égal ». Mais c'est aussi attaquer le cœur de l'organisation sociale, par des revendications dont le caractère est immédiatement anti-capitaliste : viser l'égalité des revenus, indépendamment du sexe et à qualification identique, accroître massivement le temps libre, de façon à répartir l'emploi, mais aussi le travail domestique et éducatif, reconnaître la valeur du travail ménager.

Les femmes, salariées ou non, qui ne travaillent pas moins durement chez elles ne voient pas ce travail considéré comme tel dans une société où le capitalisme ne reconnaît que le travail rémunéré. Contre cet état de fait, nous imposerons une reconnaissance de ce travail par un salaire social qui sera mis en place pour celui des deux époux qui accomplit des tâches domestiques et se consacre à l’éducation des enfants. De la même manière, nous impulserons des initiatives qui garantiront l’égalité des droits et le respect social des mères célibataires, en étendant pour elles une couverture sociale de caractère spécial adaptée à leur condition.

L’objectif du socialisme européen est de créer une société harmonieuse qui garantisse l’épanouissement de chaque élément qui la constitue dans l’intérêt général de la communauté.

 

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