Pour « Rébellion », le socialisme est toujours une idée neuve (04/01/2010)

Chronique de Pierre Le Vigan dans la revue Eléments (N° 132 juillet/septembre 2009) sur le livre manifeste de Rébellion.

 

Rébellion. C’est le nom d’un groupe et d’une revue. C’est maintenant un livre, présenté par Louis Alexandre et Jean Galié. Qui sont-ils : de jeunes gens qui réfléchissent au-delà des clivages partisans, qui refusent de se laisser enfermer dans les catégories de gauche et de droite instrumentalisées par l’hyperclasse mondialiste pour que rien ne change vraiment. Que veulent-ils : lutter contre le despotisme du capital, sortir de l’aliénation capitaliste et salariale. Sortir d’un monde à la fois monoforme et unipolaire. Ecrire pour cela ? Précisément, face au capital, il est subversif de continuer à penser et à écrire, même si on ne saurait se limiter à cela : il faut passer d’une critique théorique à une pratique critique. « Tout progrès vient de la pensée et il faut donner d'abord aux travailleurs le temps et la force de penser » disait Jean Jaurès en octobre 1889. Penser reste le premier acte d’émancipation sociale : c’est d’ailleurs pour cela que la pensée même est criminalisée de plus en plus souvent.

La revue Rébellion du groupe éponyme a publié des entretiens avec des intellectuels comme Georges Corm, Alain Soral, Claude Karnoouh, André Bellon ou encore Alain de Benoist. C’est ce dernier qui a préfacé, en fin analyste des catégories politiques et des mouvements d’idées, le livre Rébellion, sans cacher sa sympathie pour la perspective socialiste révolutionnaire de cette jeune équipe. L’idéal du groupe Rébellion est celui d’une communauté militante, ce qui évoque à la fois Ernst Jünger dans les années 20 et le bolchévisme. Qu’est-ce que le socialisme pour Rébellion ? On pourrait répondre que c’est l’esprit de révolte. C’est cela mais pas seulement. C’est un régime où la satisfaction des besoins prime sur la recherche du profit. Pour être classique, cette définition reste sans doute indépassable, sachant bien sûr que les besoins ne sont pas seulement matériels mais relèvent de la nature de l’homme : besoin de liens, besoin de chaleur, de reconnaissance, etc. L’homme n’a pas seulement besoin de pain et d’un toit.

Les auteurs ont compris l’importance de se situer dans une continuité historique du socialisme, et d’identifier certaines figures majeures et fondatrices. Parmi celles-ci se situe Pierre-Joseph Proudhon, mutualiste et fédéraliste, et Marx bien sûr, dont la critique de Proudhon a d’ailleurs été plus nuancée qu’on ne le dit en général.

Il y a aussi des événements emblématiques. C’est le cas de la Commune de Paris, avec Eugène Varlin, Louise Michel, Benoit Malon, Edouard Vaillant ou encore l’officier Louis Rossel. Les auteurs soulignent à juste titre que tout un courant socialiste, avec Bakounine, mais avec Marx lui-même, a défendu le principe de l’autonomie ouvrière et populaire qui était celui de la Commune de Paris comme une pratique révolutionnaire profondément nécessaire. Elle n’était au demeurant pas spécifique à Paris puisqu’il y eut des ébauches de Communes à Lyon, Marseille, Limoges, Toulouse, Narbonne, le Creusot, … La Commune est pour Marx une première ébauche de dépassement de l’Etat comme structure parasite de la société, au service de la domination bourgeoise.

Pour Rébellion, le socialisme est aussi une figure morale. C’est pourquoi un portrait est consacré à la belle figure panthéiste, libre et socialiste de Jack London, ou encore à l’irlandais James Connolly, indissociablement socialiste et combattant d’un nationalisme de libération. Les portraits les plus inattendus sont sans doute ceux de Heinrich Laufenberg et de Fritz Wolffheim. Ce sont des socialistes révolutionnaires ou encore des nationaux communistes bien plus que des « nationaux bolchéviks ». Bolchevik, un mot qui signifie « majorité », n’a de sens précis que pour désigner une fraction, d’ailleurs minoritaire, qui était celle de Lénine, du Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie avant 1914 (social démocrate ne voulait alors pas du tout dire « socialiste réformiste »).

Dés 1917, Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim défendent l’idée des conseils ouvriers. Ce doit être pour eux la source nouvelle du pouvoir exécutif. Hostiles à la guerre et à l’Union sacrée, qui se met en place en Allemagne comme en France, ils ne désertent toutefois pas. Ils développent avec les socialistes de Hambourg les thèses d’une « révolution par le bas », décentralisatrice, à l’opposé du léninisme bolchevik. Ils appellent à l’unité des classes laborieuses à l’exception de la grande bourgeoisie et appellent à l’appropriation de l’idée nationale par les travailleurs dans le cadre de la construction d’une « Nation socialiste ».

Un temps membre du parti communiste allemand (KPD), H. Laufenberg et F. Wolffheim en sont exclus et créent le parti communiste ouvrier allemand (KAPD) où se retrouvent notamment Otto Rühle et Paul Mattick, ce dernier étant une autre figure inspiratrice du groupe Rébellion. Le KPD reprendra l’orientation très « nationale » du KAPD mais bien entendu pas du tout la critique du « capitalisme bureaucratique d’Etat » qui tint lieu de socialisme en URSS.

Une autre figure majeure pour nos auteurs est Georg Orwell, engagé pendant la Guerre d’Espagne dans le POUM, Parti ouvrier d’unification marxiste, liquidé par les communistes staliniens. Orwell dénonça ensuite tous les totalitarismes, y compris celui des sociétés dites « libérales », le totalitarisme de l’homme machinal. Orwell disait que le socialisme, c’est de se demander : « Qu’est-ce qui rend l’homme plus humain ? », ce qui suppose d’avoir une idée juste de l’homme et de ne le réduire ni à un producteur ni à un consommateur. Les auteurs s’attachent aussi aux figures de Hans et Sophie Scholl, et Christoph Probst, de la Rose Blanche, résistants au nazisme et patriotes allemands qui furent guillotinés en 1943.

Les parties philosophiques et théoriques du livre ne sont pas moins riches. Outre une belle synthèse de la philosophie politique, qui prend parti pour Althusius contre Jean Bodin, en une opposition frontale qui gagnerait à être nuancée, le portrait philosophique de Lucian Blaga permet de découvrir un auteur roumain peu connu. Pour L. Blaga, c’est la compréhension des horizons éthiques et esthétiques qui transforme la vie en destin. Critique du racialisme biologique, Lucian Blaga développe l’idée d’une « matrice stylistique » qui donne vie et sens aux individus et aux peuples. Ainsi l’homme n’est pas « citoyen du monde » - qu’il ne le soit pas ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas d’enjeux planétaires - mais l’homme est au contraire inscrit dans un paysage, d’où l’importance du thème du village chez L. Blaga, thème évidemment un peu daté.

L’article « Orientations nationales-bolchéviques » a l’inconvénient de reprendre un terme ambigu, très marqué par la fascination pour les méthodes léninistes dont il est prouvé qu’elles ont servi d’exemple à Hitler lui-même (Ernst Nolte). Mais c’est bien sûr à Ernst Niekisch qu’il est fait référence, avec le lien entre conscience de classe et libération nationale. E. Niekisch tenta d’influencer le SPD de l’intérieur vers le nationalisme après la défaite allemande de 1918, puis fonda ses propres groupes « nationaux bolchéviques » notamment en lien avec Karl-Otto Paetel. Il fut constamment hostile au régime hitlérien.

Compte tenu de l’absence en France de quelque chose comme le « national bolchévisme », il est heureux que les équipes de Rébéllion se définissent non comme « nationaux bolchéviques » mais comme « communistes nationaux » (p. 174 et 175). Ce communisme national postule l’analyse de classe et la lutte de classe, c’est pourquoi il se distingue des nationaux-socialistes de gauche antihitlériens du type le Front Noir d’Otto Strasser et des divers « fascistes de gauche ». La nation est, pour le groupe Rébellion, un point d’appui pour la défense des intérêts des travailleurs et pour la construction d’une Patrie socialiste.

Presque un siècle après la Commune de Paris, Mai 68 n’a certes pas été sanglant mais son importance est considérable. Les auteurs notent l’ambivalence du phénomène : d’un coté il y a le déploiement et la victoire de l’hédonisme et de l’idéologie libérale-libertaire, bien analysée par Michel Clouscard (et ensuite par Alain Soral), d’un autre coté il y a une tentative d’instaurer une autonomie ouvrière qui est le meilleur du socialisme même si ce n’est pas tout le socialisme. Ce dernier aspect est la constitution des travailleurs comme sujet historique au-delà de l’identification à un parti politique, le PCF. C’est « l’insurrection de l’être » (Francis Cousin) face à la Forme-Capital.

L’article sur les syndicats appelle une remarque : la constitution de SUD n’est pas un échec par rapport à l’apparition de nouveaux rapports de force dans le paysage syndical, et SUD ne peut être mis sur le même plan que les embryons de syndicats FN qui n’ont jamais été une tentative sérieuse pour une raison simple : si pendant 10 ans le FN a été le premier parti ouvrier en terme de vote de cette catégorie sociale pour lui, il n’a jamais cherché à donner une place aux ouvriers ni dans ses instances dirigeantes ni dans son programme (a-t-il jamais proposé des interventions ouvrières dans la gestion des entreprises ?).

C’est à juste titre, par contre, que Rébellion défend la place du politique. Les Conseils ouvriers ne peuvent exister durablement que dans le cadre d’une République sociale, et non d’une république bourgeoise. De même notent-ils à propos que la « société de l’indifférence » (Alain-Gérard Slama) laisse le champ libre à la fois au tribalisme et au totalitarisme technicien des sociétés hypermodernes de contrôle total. L’indifférence alimente la transparence qui permet le contrôle total. « L’opéra mythologique mondialiste des grandes machineries financières et terroristes ne va pas cesser de tenter d’intensifier le contrôle technique et policier de la planète à mesure qu’il va perdre de plus en plus la capacité de se contrôler lui-même. » écrit de son coté Gustave Lefrançais. Mais il y a bien sûr des soulèvements qui laissent penser que l’indifférence a peut être atteint ses limites.

Quand les auteurs s’interrogent sur la ville, c’est avec une même justesse. L’hypermodernité produit la ségrégation dans la ville et la segmentation de la ville, la paix sociale est achetée par l’argent public, des zones de non droit, de délinquance, de ghettos, de chômage, de laideur et d’isolement sont délibérement sacrifiées. Les auteurs proposent un urbanisme inspiré de Michel Ragon et de Michel de Sablet (mais ne semblent pas avoir lu Le Vigan !), avec un désengorgement des grandes villes.

L’approche de l’écologie est complémentaire. Elle ne nie pas la nécessité d’un développement social, tout différent du productivisme économique. Les auteurs opposent à un courant de l’ « écologie profonde » anti-humaine, une écologie sociale inspirée de Murray Bookchin, un communiste libertaire américain, et de Pierre Kropotkine. Selon Rébellion, la décroissance est un antidote illusoire à la « course aveugle à la croissance » : ce n’est pas parce que les classes dirigeantes font croire que plus est toujours mieux qu’il est judicieux de théoriser que mieux, c’est toujours moins. Le développement durable, dit l’équipe de Rébellion, ne doit pas être abandonné à ses récupérateurs. Ouvrant une parenthèse personnelle, je soutiens que le développement durable poussé jusqu’au bout est un développement social de tout l’homme et de tout dans l’homme. Il revêt une dimension profondément transformatrice et révolutionnaire, tandis que la théorie de la décroissance court le risque d’être assimilée à une valorisation de la récession et de son cortège de souffrances sociales accrues.

L’immigration est un sujet majeur qu’il fallait aborder. Du point de vue libéral, l’homme est une marchandise et même la première des marchandises. Or, le libéralisme veut la libre circulation des marchandises et donc des hommes. Il la veut à son profit. L’immigration participe de la chosification de l’homme tout comme de la destruction des nations et des identités. L’immigration dite « choisie » - par le grand capital – vide les pays du tiers monde de leurs élites, et tend à accroître l’immigration de la misère et l’immigration de peuplement, notamment l’immigration clandestine souvent supérieure à 10 % de l’immigration légale. Ces transfusions de populations, cette allogénisation est masquée par le fait que les naturalisations massives par le droit du sol maintiennent le nombre apparent d’étrangers à un pourcentage à peu près stable malgré environ 200 000 entrées légales en France par an.

Les auteurs remarquent justement que le regroupement familial de 1975 a été voulu, alors que les travailleurs immigrés s’engageaient de plus en plus dans les luttes sociales, comme le moyen de les « stabiliser » et de freiner leurs ardeurs combatives en leur donnant une famille à faire vivre. Bien entendu, le chômage de masse a changé la donne très vite. Il n’en reste pas moins, à mon avis, que l’immigration continue de peser à la baisse sur les salaires, mais aussi de diviser la classe ouvrière, en opposant les « petits blancs » qui se lèvent tôt, aux assistés, soit par manque de qualifications, ou de motivation, ou décalage culturel. De fait, les immigrés ayant perdu leurs repères culturels d’origine sans en avoir acquis de nouveau, sont sans tradition de lutte sociale à l’européenne.

Immigrés non assimilés et Français déracinés dans des quartiers qui perdent leur francité, qui subissent un néo-tribalisme violent et une libanisation-ghettoisation de notre société tendent tous deux à devenir de véritables machines à consommer et/ou à déprimer (ce n’est pas incompatible, bien au contraire), zombies d’une société machinale qui a très exactement besoin de ce type humain (français ou immigrés) qui ne pensera jamais et ne pourra jamais « faire la révolution ».

Mais justement, quel cadre adopter pour cette révolution sociale ? Si le groupe Rébellion est pour l’unité politique de l’Europe, c’est parce que la France seule est impuissante et parce que le régionalisme n’a pas d’avenir s’il est un séparatisme. L’Europe fédérale du peuple et du travail est la nouvelle patrie de Rébellion. C’est Jean Jaurès, qui n’était pas précisément un socialiste révolutionnaire, qui disait : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, c'est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques » (1903). C’est un précepte plus actuel que jamais

 

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