Editorial du numéro 49 de Rébellion : L'Eté meurtrier (26/07/2011)

Editorial du numéro disponible prochainement .

 

  Le chiffre croissant de la criminalité n'est plus un mystère dans la société capitaliste où la perte de référence humaine, morale, constitue le meilleur mode d'être pour l'autoreproduction du modèle de la globalisation en marche. Toutes les déviances sont ainsi exploitables de diverses manières et dans des intentions multiples par les autorités du pouvoir oligarchique en place. Ce dernier ne manque pas lui-même d'appliquer les recettes des voyous afin de perpétuer son règne. Ainsi avons-nous récemment assisté, d'une part, à une gigantesque tentative de braquage à Tripoli de la part des pays intervenant militairement contre le pouvoir de Kaddafi et qui s'il réussissait serait probablement le casse du siècle et d'autre part, à un carnage en Norvège attribué à un jeune et riche franc-maçon classé à l'extrême droite politique, qui tel un "Rambo" aurait à lui seul fait exploser un bâtiment public puis doué d'un sens aiguisé de la mobilité aurait ensuite mitraillé quelques dizaines de malheureux jeunes de ses compatriotes. A chaque évènement de ce type, des flots de désinformations viennent obnubiler les consciences déjà passablement engourdies de nos contemporains afin de donner une version officielle de justification et d'interprétation erronée de la réalité.

 

   Sans prétendre posséder toutes les clefs de lecture du réel, il ne nous paraît pas impossible de démonter les rouages essentiels de la mascarade médiatique commise par l'idéologie dominante. Sur fond de manipulation de réseaux islamistes formés par la CIA, il y a longtemps que les Etats-Unis favorisent la sécession de la Cyrénaïque aux dépens de Tripoli. Avec les soubresauts récents en Egypte et le renversement du régime de Moubarak et face à une situation que l'armée égyptienne ne pourrait peut-être pas à long terme maintenir, il s'agirait de "sécuriser" la frontière du côté de la Lybie avec un appui potentiel du fameux CNT, ce qui permettrait aux Etats-Unis d'avoir un pied supplémentaire au niveau stratégique dans la région, au titre de protecteur d'Israël. Par ailleurs, bien évidemment, la question du contrôle des ressources pétrolières lybiennes n'est pas étrangère à l'intervention otanesque en cours et permettrait de contrer la Chine qui commençait à beaucoup investir dans le pays. La France elle-même se trouve avec "Total" directement en concurrence avec les compagnies italiennes, ce qui peut expliquer la prudence du gouvernement italien au sujet de l'agression militaire en Lybie. Au-delà, il faut surtout souligner l'indépendance de la politique de Kaddafi sur le continent africain. Kaddafi "initia un mouvement destiné à refuser le dollar et l'euro, et appela les nations arabes et africaines à utiliser à la place une nouvelle monnaie, le dinar or. Kadhafi suggéra d'établir un continent africain uni, avec ses 200 millions de personnes utilisant cette monnaie commune... Cette initiative était perçue négativement par les Etats-Unis et l'Union Européenne, le Président français Nicolas Sarkozy qualifiant la Lybie de menace pour la sécurité financière de l'humanité." (1). De cette façon se verrait mis en cause le système des pétrodollars garantissant la domination de l'économie étasunienne malgré les hausses du prix du pétrole demandés par l'OPEP. Ensuite, ce que l'on nous a présenté comme le gel des avoirs de Kaddafi n'est en fait que la mainmise sur les 30 milliards de dollars de la banque de Lybie auxquels les Etas-Unis avaient accès. A cela s'ajoute la décision d'Obama de viser tout ce qui appartient au gouvernement lybien en sus de la Banque Centrale de Lybie. Pure rapine! Ajoutons que ces sommes avaient été affectées par la Lybie à des projets importants en Afrique. (2). A partir du moment où la Banque Centrale Africaine sise à Abuja au Nigeria imprimerait de l'argent africain, cela mettrait également fin à la prédominance du franc CFA. Fureur du capitalisme français et de son commis de Président! Aux armes, il faut monter au braquage! Quel scandale que l'existence de cette Banque centrale lybienne, société nationale à 100% et au service d'une régulation financière adossée aux exigences de croissance économique et de stabilité financière d'un pays souverain. Cela aurait pourtant dû séduire tous les moralisateurs de la finance internationale et aurait pu être envisagé comme modèle vertueux... Mais enfin la tentation est trop grande pour la maffia oligarchique, d'autant que "selon le FMI, sa banque centrale renferme environ 144 tonnes d'or dans ses coffres" (3), ce qui évidemment pousse à une urgente "intervention humanitaire". (4).                                                                                         

   Certes, cela n'est guère nouveau : "est-ce que le marché mondial aurait jamais vu le jour sans crimes nationaux? Et les nations mêmes se seraient-elles formées?" (5) K. Marx. Il est donc possible d'envisager le crime sur le plan de la division sociale du travail comme le fit Marx. Ce que ce dernier ne pouvait entrevoir est l'utilisation du terrorisme à plus ou moins grande échelle avec effet médiatique garantie, manipulation de l'opinion publique, afin de couvrir les pires exactions des puissances oligarchiques en train d'unifier un monde unipolaire. On utilise ainsi l'extrême droite, l'extrême gauche, les islamistes, des individus plus ou moins instables, on retourne tout ce beau monde dans tous les sens à en donner le tournis et plus personne n'y voit goutte. Il suffit alors de faire surgir de la situation le message recherché. Ne serait-ce pas le cas dans l'affaire du meurtrier norvégien évoqué au début de notre éditorial? Ce descendant des vikings, adepte semble-t-il, de rites fort peu odiniques tombe à point pour lancer une nouvelle campagne contre un "fascisme" scandinave entrant en concurrence avec le terrorisme "islamiste" tout aussi meurtrier. "Le criminel produit un effet tantôt moral, tantôt tragique, c'est selon ; ainsi rend-il 'service' aux sentiments moraux et esthétiques du public." (6). Ici, bien sûr, l'indignation du public mais aussi l'interrogation sur la possibilité pour un tel pays, indépendant de l'Otan, de l'UE, critique de la politique israélienne, favorable à la création d'un Etat palestinien, de couver en son sein l'existence d'un tel psychopathe, graphomane sur Internet et digne d'Erostrate dans sa folie criminelle. Car de nos jours le meurtrier terroriste utilise Internet, il y fignole son discours, fait part de sa "doctrine" sous l'oeil vigilant de toutes les polices. Qui ne voit que toutes les forgeries en deviennent possibles?

 

   Lorsque le système spectaculaire est intéressée à la chose, il prône la théorie du complot (le fascisme, l'islamisme, l'antisémitisme, le spectre du communisme arrangés à diverses sauces menaçant la démocratie) tout en distillant l'idée que ceux qui essaient de déjouer ses manoeuvres obscures sont victimes de l'illusion complotiste. En conséquence toute compréhension critique du réel s'en trouve verrouillée. Il nous semble utile de dire que ce phénomène s'inscrit dans l'opacité produite par l'incapacité dans laquelle la conscience aliénée se trouve d'expliquer un monde lui étant hostile, étranger. Au stade du capital absolu, l'idéologie produite schizophréniquement tend à cristalliser une représentation totalisante, uniforme de l'histoire humaine dans la globalisation des pratiques et des consciences. Ce schéma de justification de la réalité s'avère simpliste et monolithique dans sa présentation spectaculaire au public. Aussi peut-on croire y voir à l'oeuvre la présence sous-jacente d'un seul déterminisme agissant : la main invisible d'un complot quelconque (dans l'esprit du psychopathe norvégien c'était, semble-t-il, l'islamisme et le marxisme). Ce dont ne se privent pas les personnalités instables, utilisables alors à souhait pour des opérations de déstabilisation effectuées par des services aux visées tactiques et stratégiques rationnellement calculées.

 

   Pour sortir de cette nasse mentale déréalisante, l'effort minimum nécessite de s'inscrire dans une démarche de critique et de rejet du capitalisme, y compris de ses fausses alternatives ayant la vie dure (réformisme social-démocrate,  dichotomie droite/gauche, marxisme idéologisée, gauchisme, nationalisme nostalgique, etc.)  critique dont les sources sont déjà anciennes tout en tenant compte des nouveaux aspects de celui-ci à mettre à jour. Toute autre analyse débouche sur une scotomisation du réel (processus faisant disparaître du champ de la conscience certains aspects de celui-ci). C'est la tâche que nous essayons de mener à bien.

 

NOTES

1> Peter Dale Scott. Article reproduit dans Les dossiers du BIP. N° 142. Cit. p. 17. Ed. Démocrite, 6, rue du Haras, 61140 Juvigny s/s Andaine.

2> Ibidem. p.18.

3> Ibidem. p.18.

4> Mais celle-ci ne s'adresse pas à tous. Selon la fédération internationale des ligues de droits de l'homme (FIDH) au sujet de la guerre en Lybie : "les exactions à caractère raciste - assassinats, viols, lynchages, pillages - commises à l'encontre des Tchadiens, Nigériens, Soudanais, Nigérians dans la zone libérée par les rebelles du Conseil national de transition (CNT) sont à ce point 'massives et systématiques' qu'elles peuvent être qualifiées de 'crimes de guerre relevant de la Cour pénale internationale (CPI)'. En cause : l'assimilation mortelle Noir = mercenaire de Kaddafi, mais aussi, en filigrane, le rejet viscéral du tropisme africain du 'Guide' honni." C'est le très consensuel Jeune Afrique, n° 2634, p.6,  qui l'écrit à propos des charmants garçons que le gouvernement français arme et soutient fébrilement comme il l'avait fait pour les sbires de Ouattara en Côte d'Ivoire avec l'approbation unanime de notre courageuse "gauche" et l'absolution de B-H-L...

5> Marx. Oeuvres. Economie. Tome II, p. 400. Ed. Gallimard.

6> Ibidem, p. 400.

 

 

 

 

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