Universités : Privatisation d’un service public (02/10/2013)

En général, on parle peu des universités françaises. Dans les grands médias, c’est le black-out total. Excepté lors des micros-grèves à caractère quelque peu folklorique, tout va bien dans le meilleur des mondes universitaires. L’institution se porte à merveille. Les professeurs transmettent leur savoir dans des conditions idéales. Les étudiants boivent leurs paroles et prennent des notes en silence. Les conditions de travail sont excellentes, les résultats aux examens plus que satisfaisants et les débouchés dans le monde du travail nombreux et divers.

Balayons immédiatement et d’un grand revers de main toutes ces images d’Epinal. L’université française est plongée dans un coma profond depuis déjà de longues années. Son acte de décès, rédigé à la hâte par quelques sociaux-traîtres, est quant à lui fin prêt à être placardé aux frontons de toutes les mairies de France et de Navarre. Comment en est-on arrivé là ? Début de réponses.

Il faut savoir qu’au fil des ans, l’université est peu à peu devenu le grand déversoir post-baccalauréat. Une place en fac, c’est un droit. Le trop fameux slogan de l’UNEF a fait des ravages. Ainsi, on trouve de tout à l’université et particulièrement des étudiants qui ne savent même pas pourquoi ils sont là. La conséquence directe du taux faramineux de 80 % de réussite au bac, c’est la saturation des bancs de première année. La sélection a désormais lieu en Master II, c’est-à-dire au niveau bac plus cinq. Copinage et brigandage sont les deux mamelles de l’accession à un Master II.. Et que dire des étudiants en thèse ? Plus aucun étudiant quelque peu sain d’esprit ne souhaite s’aventurer sur les chemins tortueux d’une thèse. Car en France, un doctorat ne vaut malheureusement plus rien. Il n’y a pas de travail au bout de ces cinq années de labeur. Lorsqu’on sait le privilège dont jouissent les docteurs outre-Rhin, cela laisse songeur.

Parallèlement à la destruction de l’enseignement universitaire par tous les moyens inimaginables, on assiste à une privatisation rampante des universités. Il n’y a plus d’argent, tel est le credo mille fois répété des autorités universitaires. Ainsi, les postes des futurs retraités ne sont plus reconduits. On est passé en une dizaine d’années de pléthore de personnel à une pénurie complète et totale. L’université se gère désormais comme une entreprise privée : à flux tendu. Les congés, les maladies sont désormais du passé. Un absent et c’est toute la chaîne de travail qui est remise en cause. Toute journée de grève équivaut à un retrait immédiat sur salaire. Tout arrêt maladie doit être dûment justifié. Au bout de trois jours de maladie, le fonctionnaire connaît un retrait sur salaire.

Plus grave encore. Il faut savoir que l’université n’embauche plus de fonctionnaires. Tous les nouveaux arrivants sont recrutés par contrat. Ces contrats sont soit de trois mois, soit de dix mois (pour Paris II). Ils sont reconductibles au bon vouloir des autorités. Tout ce petit personnel corvéable à merci ne connaît plus les joies élémentaires des congés payés. Lorsque l’université ferme ses portes en été, la paye ne tombe plus. Une faute grave et le contractuel est mis immédiatement à la porte. Dans les universités, les conditions de travail sont si précaires et les salaires sont tellement bas qu’il n’a plus que les étudiants sans moyens pour encore postuler. Professeurs et étudiants se demandent pourquoi le service n’est plus assuré correctement. Ils ne comprennent pas le mal dont souffrent les universités : un réel manque de moyens logistiques et humains.

Parallèlement à ces économies drastiques de personnel, on communique à tout va. Comme dans toutes boites privées, les services de communication prolifèrent tout autour de la Présidence de l’Université : l’image de l’institution avant tout. Partout, la forme occulte le fond, symptôme classique de la perte des repères dans nos sociétés. La rechercher du profit a pris le pouvoir. Aucune vaste Politique n’est jamais envisagée. 

Et que dire du service informatique, véritable gouffre financier. La nouvelle Classe Universitaire refuse d’être à la traîne technologique. Conséquences : On achète à tout va et sans aucune restriction des petits bijoux de technologies dont, bien entendu, personne ne sait se servir. Les ordinateurs sont remplacés sans compter. On commande des caméras sophistiquées pour photographier le sourire béat des étudiants que l’on accolera à leur carte, on enregistre les cours de messieurs les grands professeurs sur des machines perfectionnées, on filme les magnifiques colloques où tout le monde doit se présenter en costumes flambant neuf, on visionne le tout sur des écrans plasma hallucinants. En bref, on danse au milieu des ruines. Tout ce petit cinéma a un coût forcément démentiel. La technique supplante l’homme et finit par le broyer. En favorisant la machine, on en oublie les hommes qui l’utilisent. Le petit personnel est prié de souffrir en silence et surtout de la boucler.

Tout autour des guirlandes électriques, c’est le chaos. Et personne pour s’en apercevoir. Le président trinque, une coupe de champagne millésimé à la main, dans ses appartements privés avec ses glorieux collègues et ses prestigieux invités. Après moi, le déluge ! comme disait ce brave Mitterrand. Réceptions, petits-fours, voyages d’échange se multiplient pour la Nouvelle Classe Universitaire dont aucun fonctionnaire n’a jamais vu la couleur… Ne vous inquiétez pas nous dit-on. Les grandes entreprises privées mettront bientôt leur gros nez là-dedans. L’avenir est au « sponsoring ». Bientôt le personnel se baladera dans les couloirs déguisés en homme-sandwich : macdo sur les manches, axa sur le cœur, cap gemini dans le dos.

Pour être en phase avec le monde qui bouge, l’université doit comme l’école s’ouvrir sur le monde extérieur. Le vent du quartier d’affaires de la Défense doit pénétrer les salles de cours. Fini les cours magistraux, rances et vieux jeu, voici les séminaires fournis clés en main : intervenants extérieurs payer à prix d’or, petits-fours, champagnes, congratulations. Le tout évidemment pour un résultat plus que mitigé. Finis aussi les bons vieux DEA et autres DESS, voici les Masters II à l’américaine co-financé par de grandes entreprises privées. Finis d’user ses frusques sur les bancs tagués des amphis, les étudiants doivent faire des stages en entreprises afin de rester en phase avec le monde qui les entoure. Ainsi on formera à coup sûr de futurs bons petits soldats du CAC 40, bien dociles et surtout pas des gens qui auraient l’audace pour ne pas dire l’inconscience de vouloir penser par eux-mêmes. Car l’université est à vendre. Au plus offrant bien sûr. Les frais d’inscriptions seront bientôt revus à la hausse. Chaque université essaiera ainsi d’obtenir le statut de grande école comme le fit en son temps Paris-Dauphine. On créera des sections d’élites réservées exclusivement au fils de’. C’est tout ça et encore bien d’autres surprises l’autonomie des universités dont la trop fameuse Unef-id fut la grande promotrice.

Que reste t-il à faire me direz-vous ? Et bien comme d’habitude, il faut se battre. Il faut lutter jusqu’à la mort pour que l’Université Française reste un bastion du savoir, ouvert et accessible à tous, une école d'esprit libre où naissent les rêves les plus fous et les futures rébellions…

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