James Connolly - Pour l’Irlande et le socialisme (08/06/2011)

Pâques 1916. L’Irlande, sous le joug du capitalisme anglais depuis le 17ème siècle, se soulève contre l’oppresseur. Le 24 avril, à Dublin, James Connolly, avec les principaux dirigeants nationalistes révolutionnaires de l’insurrection, proclame la République. Cet acte sera le symbole de la synthèse réussi du socialisme révolutionnaire fondé sur le principe de lutte des classes avec le nationalisme révolutionnaire. Une Union, qui reste encore aujourd’hui, indispensable à toute lutte de libération nationale.

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« La révolution est mon métier »

James Connolly naît en juin 1868 à Edimbourg en Ecosse. Sa famille irlandaise a fui la grande famine des années 1840 pour trouver la misère des bas-fonds réservés à l’immigration irlandaise.

A 14 ans il s’engage dans l’armée pour fuir cette misère. Affecté en Irlande, il découvre ses racines et constate l’exploitation de son peuple par le capitalisme anglais. Il se passionne pour la tradition et les textes nationalistes du mouvement clandestin fenian (1). Mais il n’adhère pas aveuglement à ce mouvement identitaire, car celui-ci n’avançait aucun programme social.

Désertant l’armée britannique et pour ne pas participer à la répression contre son peuple, il retourne à Edimbourg avec sa jeune femme, Lillie Reynolds, irlandaise d’origine protestante qui sera pour lui un soutien solide dans ses futurs combats. A peine arrivé en Ecosse, il se rapproche des cercles socialistes qui sont alors en pleine ébullition. Pendant sept ans, il approfondira ses connaissances sur le socialisme en se plongeant dans Marx et multipliera les rencontres, comme celles avec Léo Melliat, l’ancien communard exilé, et John Leslie, le premier théoricien marxiste irlandais qui sera pour lui un maître à penser et un précieux ami.

Connolly se rend indispensable à la cause révolutionnaire, propagandiste infatigable rien ne l’arrête. Son engagement socialiste lui fait perdre son poste d’employé municipal, et il doit songer à émigrer en Amérique du Sud pour pouvoir subvenir aux besoins de sa femme et de ses deux filles.

Mais ses camarades lancent un appel à la solidarité aux socialistes britanniques pour lui trouver un emploi qui lui permettrait de rester en Grande Bretagne. La réponse viendra de manière inattendue, d’Irlande, le cercle socialiste de Dublin recherchant un organisateur pour coordonner ses actions. Connolly est rempli de joie à l’idée de retourner dans l’île de ses ancêtres, véritable terre de mission pour le Socialisme.

 

L’Irish Republican Socialist Party

En 1897, il fonde l’Irish Republican Socialist Party qu’il dote d’un programme qui est une synthèse entre lutte de libération nationale et lutte des classes. Connolly insiste sur la complémentarité des deux luttes : «  la classe ouvrière doit s ‘émanciper et en s’émancipant elle doit par nécessité libérer le pays ». Pour lui, l’indépendance politique n’a pas de signification si elle ne s’accompagne pas de l’indépendance économique. Il faut abolir la domination du capitalisme en même temps que la domination de l’Angleterre. «  Si, dès demain, vous chassez l’armée anglaise et hissez le drapeau vert sur le château de Dublin, vos efforts s’avéreront vains si vous n’érigiez pas la république socialiste. L’Angleterre continuera de vous dominer. Elle vous dominera par l’intermédiaire de ses capitalistes, de ses propriétaires, de ses financiers, de toutes les institutions commerciales et individuelles qu’elle a implantées dans ce pays et arrosées des larmes de nos mères et du sang de nos martyrs ».  Bien que numériquement faible, la première organisation marxiste irlandaise fut en avance sur son temps et elle peut se targuer d’avoir ouvert pratiquement tous les nouveaux champs d’actions qui seront plus tard exploités par le mouvement républicain irlandais. L’IRSP était en grande partie composé par des prolétaires qui firent de nombreux sacrifices pour maintenir leur organisation à flot. Ainsi Connolly, tout secrétaire qu’il était ne recevait qu’irrégulièrement son salaire, de sorte qu’il devra travailler comme docker pour survivre.

En 1897, il publia sa première œuvre majeure, Erin’s Hope, dans laquelle il développe largement les rapports entre socialisme et nationalisme : « Il existe en Irlande à l’heure actuelle toute une série de forces qui font leur possible pour que continue à vivre le sentiment national dans le cœur des Irlandais. (…) Il existe un danger cependant : celui que ces forces, en s’en tenant trop rigoureusement à leurs méthodes de propagande actuelles, en négligeant en conséquence les problèmes vitaux de l’heure, en viennent à figer nos études historiques en une vénération du passé, à cristalliser le nationalisme en une simple tradition – glorieuse et héroïque, certes – mais rien qu’une tradition.

Or, les traditions peuvent constituer une base suffisante – et c’est ce qui se passe fréquemment – pour pousser un peuple à marcher vers un glorieux martyre, mais elles ne peuvent jamais être assez puissantes pour guider l’assaut d’une révolution victorieuse. Si le mouvement national contemporain ne veut pas se contenter de rééditer les anciennes tragédies amères de notre histoire passée, il doit se montrer capable de s’élever au niveau des exigences de l’heure présente. Il doit fournir la preuve au peuple d’Irlande que notre nationalisme ne consiste pas en une simple idéalisation morbide du passé mais est aussi en mesure de fournir une réponse claire et précise aux problèmes actuels ainsi qu’une doctrine politique et économique adaptée aux exigences de l’avenir. (…) Les socialistes qui s’attacheraient à détruire de fond en comble le système de civilisation grossièrement matérialiste tout entier que nous avons adopté comme notre bien propre est, à mon avis, un ennemi beaucoup plus mortel de la domination et de la tutelle anglaise que le penseur superficiel qui s’imagine pouvoir réconcilier la liberté irlandaise avec les formes insidieuses mais funestes de la sujétion économique que sont la tyrannie des grands propriétaires, la fraude capitaliste et l’usure malpropre.(…) Envisager le nationalisme sans le socialisme – sans réorganisation de la société sur la base d’une forme plus vaste et plus développée de la propriété commune, semblable à celle qui supportait l’organisation sociale de l’ancienne Erin – ne relève que d’une mentalité de capitulation nationaliste.

Cela reviendrait à reconnaître publiquement que nos oppresseurs seraient ainsi parvenus à nous inoculer leurs conceptions perverties de la justice et de la moralité, que nous aurions finalement décidé d’assumer ces conceptions comme les nôtres propres et n’aurions plus besoin d’une armée étrangère pour nous les imposer.

En tant que socialiste, je suis prêt à faire tout ce dont un homme est capable pour permettre à notre patrie de conquérir son héritage légitime : l’indépendance. Mais si vous me demandez d’en rabattre d’une miette, d’un iota en ce qui concerne les revendications de justice sociale, dans le but de conciliation des classes privilégiées, alors mon devoir est de m’y refuser. Accepter serait malhonnête et inadmissible. N’oublions pas que celui qui fait un seul pas avec le diable n’atteint jamais le Paradis ; proclamons ouvertement notre foi ; la logique des événements est avec nous ! ».

Son organisation se lance dans l’activisme le plus débridé, elle coordonne les actions contre le jubilé de la reine Victoria et contre l’impérialisme britannique durant la guerre des Boers. Au niveau social, l’ISRP tente de s’implanter dans la toute jeune classe ouvrière irlandaise et apporte son soutien à la lutte des petits paysans contre les grands propriétaires. Connolly lance dans la foulée de ses actions, The Worker’s Republic (« la République des Travailleurs ») qui sera un forum d’échanges et de débats pour l’ensemble des sociaux patriotes. Ecrasé de dettes, l’hebdo ne survivra que par la volonté de son fondateur : il écrivait, corrigeait, composait, imprimait sur une petite presse d’occasion, et vendait son précieux journal ; pour le faire, il dut abandonner tout emploi, et la situation financière de sa famille devint insupportable. Il était profondément seul, engagé dans un travail de titan avec quelques dizaines de jeunes militants dévoués. « Je crois que le mouvement socialiste révolutionnaire sera toujours numériquement faible, jusqu’à ce que l’heure de la révolution arrive, alors il sera facile de recruter des adhérents par milliers, comme nous en recrutons aujourd’hui quelques poignées». Le programme politique de l’ISRP était en avance de plusieurs années sur l’évolution du rapport de forces en Irlande. Acculé financièrement et conscient de la situation, Connolly dut se résigner en 1903 à émigrer aux Etats-Unis. Il s’engagea immédiatement dans les combats de la classe ouvrière américaine, les éléments les plus combatifs étant les masses de travailleurs irlandais exploités. Il participa à la fondation de l’Industriel Workers of the World (IWW) organisation syndicaliste révolutionnaire qui mènera la vie dure aux grands patrons. Pendant ce temps, les choses bougeaient considérablement en Irlande et les camarades de Connolly le pressèrent de revenir leur prêter main forte.

 

Insurrection !

A son retour en 1910, l’influence du syndicalisme révolutionnaire le pousse à tenter de créer un syndicat d’action directe sur le modèle de l’IWW. Le climat social agité se prêtait à l’expérience. Le pays connaît une agitation sociale sans précèdent. Les grèves insurrectionnelles se multiplient et Connolly est arrêté à la suite d’une manifestation qui dégénère en combat de rue contre les troupes d’occupation. La bourgeoisie irlandaise et le clergé applaudissent la répression britannique contre les grévistes. Face à la violence policière les socialistes révolutionnaires décident de créer l’Irish Citizen Army (ICA — Armée citoyenne irlandaise) forte de 1000 militants. Véritable milice populaire, son but est de défendre les grévistes contre les attaques des nervis des patrons et de la police ; une fois la grève retombée, son activité principale devient l’entraînement militaire des adhérents, comme noyau de la future armée populaire. Durant cette période, certains militants identitaires membres de l’IRB, comme Patrick Pearse et Joseph Plunkett, amorcent un rapprochement avec le chef socialiste.

En 1914, Connolly s’engage vigoureusement dans une campagne contre la guerre et dénonce la trahison des leaders de la social-démocratie européenne qui se sont ralliés à la folie du capitalisme. Mais en parallèle, il perçoit parfaitement le rôle des événements dans l’évolution vers la Révolution. Il envisage l’Irlande comme le levier qui pourrait provoquer la chute de l’empire britannique et par conséquent celle du capitalisme. C’est pourquoi, le mot d’ordre affiché sur la maison des syndicats de Dublin est clair : «  Nous ne servons ni roi ni Kaiser, mais l’Irlande ! ». Le rapprochement avec les membres les plus radicaux de l’IRB aboutit à l’idée d’une fusion entre l’ICA et l’IRB. Cela était tout à fait logique dans le contexte de la préparation d’une insurrection nationale. Connolly, le socialiste, était prêt à faire un front unique avec les nationalistes révolutionnaires de l’IRB afin de battre l’impérialisme britannique. Pendant l’année 1915, Connolly multiplia des appels à l’insurrection. A tel point que son impatience fit même peur à l’IRB : il semble qu’au début de 1916 il fut "enlevé" pendant quelques jours pour empêcher toute action intempestive de sa part et dans le but de le convaincre d’attendre le soulèvement programmé pour le mois d’avril. Connolly accepta de devenir membre du Conseil militaire de l’IRB, dont la tâche était de planifier l’insurrection. Une "usine à bombes" fut créée dans le local du syndicat dirigé par Connolly et, sept jours avant le soulèvement, Connolly hissa le drapeau vert — symbole traditionnel des républicains irlandais — au dessus du bâtiment et expliqua aux militants de son Irish Citizen Army que les combats allaient bientôt commencer.

Le lundi de Pâques, Connolly prit le titre de commandant en chef des forces républicaines à Dublin et lança l’insurrection. La Poste centrale fut le quartier général du soulèvement. La suite est connue, si dans un premier temps les révolutionnaires purent contrôler le centre de Dublin, ils durent faire face à une contre offensive éclair des forces britanniques. La répression fut sans pitié, L’un après l’autre, les principaux dirigeants de l’insurrection furent exécutés, le dernier étant Connolly, le 12 mai.

Blessé lors des combats, il sera exécuté sur une chaise. Jusqu’à sa dernière heure, il saura rester digne et il mourra en sachant qu’il avait fait son devoir à l’égard du peuple irlandais.

En Irlande, Connolly reste une figure emblématique du mouvement républicain. Aujourd’hui, encore dans la lutte pour la réunification de l’Irlande, les militants de l’Irish Republican Army (IRA — Armée républicaine irlandaise), se veulent les héritiers de Connolly et de 1916 en poursuivant la résistance à l’impérialisme britannique sur les mêmes bases socialistes et patriotiques.

 

> Notes

Le terme de « fenian » désigne les membres du mouvement révolutionnaire irlandais en lutte pour l’indépendance de l’île, depuis les années 1840, regroupés au sein de l’Irish Republican Brotherhood ("Fraternité républicaine irlandaise"). L’IRB, fondée en 1907, était une organisation clandestine et conspiratrice dont l’objectif était une insurrection en vue d’arracher l’indépendance et qui perpétuait la tradition d’utilisation de la « force physique" des indépendantistes du 19ème et du 18ème siècles, similaire à celle de la révolution américaine de 1776 ou de la révolution française de 1789.

> Bibliographie :

Roger Faligot, James Connolly et le mouvement révolutionnaire irlandais, Éditions Terre de Brume, Rennes, 1997.

[Article paru dans le numéro 5 du journal Rébellion]

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