Une mise en abîme : L’ étrange Knut Hamsun de Jean Parvulesc (07/04/2010)
Chronique parue dans Rébellion 32 – Septembre/Octobre 2008
Le propos de Jean Parvulesco s’inscrit dans la ligne de réapparition de l’oeuvre de l’écrivain norvégien Knut Hamsun sur lequel la revue Nouvelle Ecole de 2006 avait fait paraître un numéro et dans lequel Michel d’Urance, auteur d’un essai récent sur l’ancien prix Nobel de Littérature aux éditions Pardès, avait déjà produit un article révélant « l’oeuvre métaphysique » de celui-ci, d’après l’interprétation qu’en donne aujourd’hui Jean Parvulesco. Ce dernier s’attache dans une nouvelle brochure à déchiffrer, s’appuyant sur le travail d’essai biographique de Michel d’Urance, le noyau ultime, la matrice profonde de l’oeuvre hamsunien. Il s’agit donc d’une mise en abîme du travail de Michel d’Urance, grâce à laquelle se révèlent la profondeur cachée et l’étrangeté d’Hamsun. Jean Parvulesco rend opératoire le décryptage de celui-ci au moyen du concept « géopolitique fondamental de l’ « ancien sentier européen » évoqué par Michel d’Urance, initialement dans Nouvelle Ecole. Que révèle cet « ancien sentier européen » ? « La clef opérative de toute ouverture ontologique de la situation politico-historique et civilisationnelle qui est, dramatiquement, celle du «Grand Continent» eurasiatique, et plus particulièrement de la plus Grande Europe continentale à l’heure actuelle ». Voilà de quoi justifier l’intérêt porté à la signification de l’existence des héros hamsuniens.
Jean Parvulesco évoque fort poétiquement le destin de ces derniers, authentiques « vagabonds mystiques » errant, semble-t-il aveuglément, vers leur lieu, leur centre, de prédestination ontologique. Il insiste sur le fait que Michel d’Urance met en avant le processus de « différenciation du héros à l’épreuve de la conquête de soi-même ». Il y aurait là un présage littéraire adressé à tous les Européens auquel ces derniers –nos contemporains- feraient bien de prêter attention, car il n’y a pas d’autre issue au gouffre sur lequel nous sommes penchés et qui est celui de la béance ouverte entre l’être et l’existence. Où la littérature s’élève au niveau du « travail philosophique ». En effet, ne doit-on pas se poser la question de ce que signifie une « vie accomplie » ? Jean Parvulesco parle de « reliance » de l’être à l’existence, de « projection de l’être hors de lui-même » qui va se configurer sous une « certaine forme de destin ». Mais cette configuration sera assumée par les « vagabonds mystiques » chargés, alors, d’une « mission spéciale » ; assumée et donc différenciée. De sorte que toute existence en action est ainsi fondée originellement et non pas suspendue dans le vide du néant, cher à l’existentialisme sartrien. Raymond Abellio, lui-même, avait critiqué fort judicieusement la désespérance de la philosophie sartrienne, en montrant que de la néantisation du monde donné (en soi) par la conscience (pour soi) ne pouvait surgir une véritable communauté des consciences (la rencontre d’autrui est toujours réificatrice dans l’Etre et le Néant). Ce type d’existentialisme s’éloigne au plus haut point de l’ancien sentier européen, étrangement désocculté en revanche par Knut Hamsun. De sorte, que la vie de celui-ci, apparaît comme étant une « percée de l’être ». En regard de laquelle percée, les contingences historiques, politico-historiques, vécues par le norvégien, acquièrent un sens plus profond qu’une historiographie superficielle ne pourait le laisser penser. Son soutien indéfectible à Adolf Hitler n’était-il pas plutôt un « engagement final avec l’Allemagne » mais comme en « étranger parallèle » au nazisme ? C’est là que Knut Hamsun nous révèlerait, en fait, son secret d’après Jean Parvulesco : « l’idée d’une Grande Allemagne continentale, centre polaire de l’Europe et du «Grand Continent» eurasiatique ». Il va sans dire que cela ne pouvait satisfaire la vulgate nationale socialiste. Hamsun avait perçu dans un contexte fort peu favorable les lignes de force d’une géopolitique hostile au capitalisme et en particulier à l’Angleterre et aux Etats-Unis, porteurs d’un « anti-destin matérialiste » évidemment aux antipodes de la vision boréale et eurasiatique du grand écrivain. Actualisant le propos, Jean Parvulesco écrit : « Le plus grand péril pour la Nouvelle Europe, pour la plus Grande Europe continentale, «hyperboréenne», c’était l’impérialisme matérialiste de la conjuration politique anglo-américaine en cours d’affirmation planétaire, tout comme aujourd’hui. Il s’agissait –il s’agit- de la confrontation finale de deux mondes apocalyptiquement antagonistes : un seul de ces deux mondes sera amené à survivre ».
Sûrement par d’autres voies, les peuples européens seront appelés à résoudre cette alternative, s’ils veulent surmonter « la déréliction européenne ». Ce qu’il y a également, d’irréductiblement européen chez Knut Hamsun est son évocation de l’amour et du soubassement mystérieux, mystique de la féminité ouvrant à la passion le chemin de la transfiguration de l’existence dans des expériences limites.
En dernier lieu, la portée ontologique de l’oeuvre hamsunien se dévoile dans la figure ultime du héros, pas si fictif que cela, chez lequel la vie est scandée par ce mouvement de reprise et d’ascension conduit par le « Je transcendantal » se dépouillant progressivement de ses oripeaux successifs, et au terme duquel, il atteint son identité finale. Jean Parvulesco pose alors la question : « ce «je» se posant au-delà de toute attache ne serait-il pas, aussi, une figuration apaisante de «Dieu»? » En conséquence, ne vaut-il pas la peine d’emprunter le chemin nous conduisant vers l’ancien sentier européen ?<
L’étrange Knut Hamsun.
Jean Parvulesco. Ed. DVX.
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