L’immigration : un piège capitaliste (01/09/2015)

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Article paru dans le numéro 26 (Septembre/Octobre 2007).

La question de l’immigration fut longtemps un sujet sensible qu’il n’était pas bon d’aborder hors des sentiers balisés du politiquement correct. En effet, il était mal vu de rappeler ses conséquences néfastes, sous peine de se voir accuser de faire le jeu du Front National (qui en avait fait son juteux fonds de commerce, sans jamais en évoquer les causes réelles) et de se faire traiter de raciste. En même temps, le fait de rappeler la nature capitaliste du phénomène vous valait d’être désigné de tiers-mondiste cosmopolite dont le seul but était de saper les fondements de l’Occident Blanc.

Aujourd’hui, les choses ont sensiblement changé. Devant l’aggravation de la situation globale de la société occidentale (où les problèmes nés de l’immigration ne sont que des symptômes d’une crise plus importante), le discours officiel a nettement évolué. La reprise de la thématique lepéniste par Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle, dans le but de récupérer une partie de l’électorat du vieux leader, ne fut pas qu’un habile coup de main politique. Il fut permis par un glissement des mentalités vers un racisme « soft et chic », promu par l’intelligentsia au service de l’oligarchie. Cette droite décomplexée qui méprise autant le prolo de « souche » que celui venu d’ « ailleurs », érige ses valeurs mercantiles (« Démocratie » de Marché et « Liberté » de Consommation) en lois universelles. Alimentée par la vague d’islamophobie véhiculée par les émules hexagonaux des néo-conservateurs, cette nouvelle idéologie a rapidement trouvé des adeptes à droite comme à gauche de l’échiquier politique. Avec pour toile de fond les émeutes des banlieues et la guerre américano-sioniste contre le terrorisme, elle alimente en fantasmes, les médias.

On peut s’interroger sur la raison du durcissement de son discours, de la part du système. Alors qu’il avait dénigré et réprimé toutes les réactions populaires produites par les conséquences néfastes du phénomène (aussi bien le vote populaire pour le FN, que les tentatives des mairies PCF de contenir la dégradation de la situation des banlieues dans les années 70-80), il affiche aujourd’hui une fermeté apparente. Mais comment pourrait-il résoudre un problème qu’il a volontairement déclenché ? Le gouvernement de Nicolas Sarkozy a beau faire des déclarations fracassantes, il reste prisonnier des limites que lui impose sa soumission à la domination ultra-libérale.

La question de l’immigration porte un éclairage sur le fonctionnement même du système (ce que ni les « gauchistes » ni les « droitistes » n’ont jamais compris, enfermés qu’ils sont dans une grille de lecture soit angélique soit racialiste ; deux explications aussi fausses l’une que l’autre). On est face à un des nombreux paradoxes du capitalisme, une de ses contradictions permanentes qu’il est condamné à entretenir par sa nature même.

« Immigration choisie » et « Immigration sauvage »

Le maintien du capitalisme implique que les tensions qu’il génère n’aboutissent pas à l’éclatement de la société qui le fait vivre. Rongé de l’intérieur, le monde occidental subit les conséquences du règne d’un système parasite. Pour gérer au mieux le chaos qu’il produit, il doit adopter un nouveau visage, plus autoritaire et tourné vers le « maintien de l’ordre ». Nous sommes entrés dans une phase de renforcement du contrôle social, c'est-à-dire qu’il est désormais décidé de contenir dans certaines zones le désordre et de garantir la tranquillité à l’oligarchie. C’est le mythe de la « Forteresse Europe », un espace sous surveillance totale aux frontières étanches. Mais cela est de la théorie, car en pratique, l’Union Européenne et le gouvernement français savent qu’ils doivent gérer un équilibre instable. Certaines voies doivent rester ouvertes, pour que les patrons puissent faire leur marché de main-d’œuvre.

Car dans le même temps, le capitalisme a besoin de l’immigration pour s’alimenter en force vive. A cause du vieillissement de la population occidentale et de l’échec du renouvellement social (1), il doit faire appel à un contingent important de nouveaux travailleurs. La mondialisation est synonyme de libre circulation des capitaux et des marchandises, elle ne peut donc pas prétendre bloquer la circulation de la marchandise dont dépend toutes les autres : la force de travail. C’est la chosification de l’homme. Selon le modèle nord-américain, l’ « immigration choisie » et l’établissement de « quotas » doivent permettre le contrôle par les Etat occidentaux des flux migratoires. Ils recherchent une main d’œuvre qualifiée et instruite, c'est-à-dire déjà acquise aux valeurs et aux modes de vie occidentaux (2). C’est par exemple, le cas des informaticiens indiens ou pakistanais qui peuplent désormais la Sillicon Valley. Des expériences similaires furent mises en place en Allemagne et dans les pays du Nord de l’Europe. Dans le cas de la France, Nicolas Sarkozy veut promouvoir ce type d’échange de compétences avec l’Afrique.

C’est un grand pillage des « cerveaux » qui s’opère à l’échelle mondiale, privant les pays pauvres de leurs diplômés et de leurs techniciens. Ces élites désormais nomades et sans attaches, sont à l’image du cadre idéal valorisé par les manageurs des multinationales. L’assurance d’un bon salaire et d’une situation sociale confortable, devant les inciter à être particulièrement performants. Avant tout, ils doivent être rentables pour le capitalisme et ne pas poser de problèmes au système (3).

Accaparant des spécialistes qu’il renonce à former lui-même, l’Occident provoque un déséquilibre dangereux dans les sociétés les plus fragiles. Ainsi, il y a aujourd’hui plus de médecins béninois dans la région parisienne que dans leur propre pays. Privant les états pauvres de toute capacité de développement, « l’immigration choisie » est le creuset de l’immigration clandestine.

Une « immigration sauvage » qui déborde largement la gestion étatique occidentale. Fuyant la misère, les guerres ou simplement aveuglée par le mirage de l’eldorado occidental (que véhiculent sans vergogne les médias mondialistes), une immense masse se presse sur les frontières des pays « riches ». Pour les institutions internationales, le nombre de migrants a doublé dans le monde en 25 ans. Passant de 100 à 200 millions dont 30 millions d’illégaux (7 millions en Europe). Ces chiffres officiels récents sont déjà dépassés. Le réservoir est loin d’être épuisé…

L’exploitation et la misère n’ont plus de frontière grâce à la globalisation économique : des travailleurs du Bangladesh sont traités comme des esclaves dans les Emirats du Golfe, des prostituées slaves en sont réduites à se vendre dans les bordels de Tel Aviv, des centaines d’anciens paysans chinois devenus ouvriers remplacent les autochtones, partis chercher fortune ailleurs, en Roumanie et en Algérie…

L’Europe de l’Ouest reste l’objectif principal. Ils sont chaque jour plus nombreux à vouloir l’atteindre. A l’Est, ils se pressent contre un nouveau « rideau de fer ». Au Sud, ils franchissent la Méditerranée par tous les moyens. Au passage, ils enrichissent les maffias locales des passeurs. Mais à la différence considérable de l’immigration des années 60-70, la majorité d’entre eux « resteront inemployables, surtout ceux qui, sans qualification, se dirigent vers une Europe acharnée à expédier ses industries consommatrices de main d’œuvre …. vers les pays d’où proviennent ces migrants » (4) . Livrés à eux-mêmes, il ne leur restera que le travail clandestin ou la survie par les allocations publiques. Définitivement déracinés, leurs chances de retour dans leurs pays sont maigres et leur intégration impossible. Relégués dans des ghettos, ils connaîtront le même sort que celui de nombre de travailleurs européens ou d’origine étrangère : l’exclusion sociale.

Un problème né du capitalisme…

Il nous apparaît bon de rappeler quelques évidences, qui ne le sont pas pour beaucoup. Aujourd’hui, l’immigration est un phénomène lié à la phase de mondialisation du capitalisme. Dans les années 90, Alain de Benoist avait bien situé le problème : « La logique du bouc émissaire m’est insupportable. Laisser entendre que l’essentiel des problèmes auxquels notre société se trouve aujourd’hui confrontée a pour cause la présence d’immigrés sur le sol national est tout simplement grotesque. S’il n’y avait pas un seul immigré en France, nous connaîtrions exactement les mêmes problèmes. Enrayer l’immigration implique à la fois de critiquer en profondeur la logique capitaliste et d’aider les pays du Tiers monde à rompre avec les mirages du développement tel que le conçoivent la Banque Mondiale et le FMI. Cela implique, surtout, de reconnaître que les premières victimes de l’immigration sont les immigrés, et que c’est d’abord leur identité qui se trouve aujourd’hui menacée ». Il ajoutait : « En vérité, ce n’est pas parce qu’il y a des immigrés que la France perd son Identité. C’est plutôt parce qu’elle a perdu son identité qu’elle n’est plus en mesure de faire face et à résoudre le problème de l’immigration ».

Historiquement, l’immigration massive commence à l’initiative du patronat français. Dès le milieu du XIX° siècle, la bourgeoisie français fera appel à une main d’œuvre bon marché venue des régions pauvres de l’Europe. C’est d’abord les grands propriétaires terriens du Sud- Est qui font venir des travailleurs agricoles italiens ou espagnols. Dans le Nord, les industriels n’hésitent pas à faire appel aux belges ou aux polonais. En cas de conflit avec les ouvriers français, le patronat n’hésite pas à recruter à l’étranger des « briseurs de grèves ». L’Association Internationale des Travailleurs, la première Internationale, avait dénoncé cette pratique et appelé à créer des liens de solidarité entre les travailleurs européens. D’autant que des tensions très fortes naissaient. La « chasse aux italiens », à la suite des « Vêpres marseillaises » de juin 1881, fut une des premières expressions de ce que le capital peut créer comme haine ; les journaux et le patronat, alimentant un conflit entre ouvriers pour diviser les travailleurs européens. Le cas n’est pas isolé, les irlandais connurent la même situation en Angleterre ou aux Etats-Unis. Le capitalisme a toujours divisé pour régner. Avec l’apparition des empires coloniaux, le champ de recrutement s’élargit à l’Afrique et à l’Asie. Des groupements patronaux français, surtout après la saignée de 14-18, lanceront leurs agents recruteurs sur les villages africains. Le boum économique des « Trente Glorieuses » va accentuer le phénomène. Après la seconde guerre mondiale, « Le transport, le logement et la surveillance de centaines de milliers d’hommes « importés d’Afrique du Nord étaient devenus une véritable industrie encadrée par l’Etat » (4). L’invention du regroupement familial, dans les années 70, par le gouvernement Giscard, devait permettre de fixer les travailleurs immigrés. On pensait que la présence de leurs familles, freinerait la combativité sociale et les prémisses de la marginalisation de cette couche mouvante de la population ouvrière. Mais la crise économique vint bouleverser les choses.

Pour un patron français, la venue d’immigrés est toujours positive. Surtout si elle est clandestine. Elle accentue la pression sur les salaires et procure une main d’œuvre docile (la menace de décentes policière faisant tenir tranquilles les clandestins). Même les grandes multinationales et certains chantiers publics font appel à ce type de main d’œuvre. Mais cette «  stratégie de la tension » connaît ses limites dans une société en crise : « Dresser un groupe contre l’autre, constituer chacun en « communauté » rivale de sa voisine, porte atteinte à l’équilibre social et politique, surtout à l’heure où, sous les pressions mondialisatrices, les flux migratoires échappent aux capacités régulatrices des Etats » (4).La décomposition de la société en cours, entraînant à terme une situation ingérable pour le capitalisme.

Dans les périodes de relative prospérité économique, les immigrés avaient la possibilité de sortir des ghettos et de prendre part à la vie de la communauté nationale. A terme, ils finissaient pas s’assimiler. En particulier, s’ils étaient d’origine européenne ou qu’ils avaient la maîtrise de la langue française (comme les anciens « indigènes » des colonies). Le modèle jacobin et laïque imposait, à tous, les mêmes normes républicaines (5). Il fallait en accepter les règles sans discuter. Pour les deuxièmes générations, ce processus était favorisé par l’Education Nationale, qui donnait des références et des valeurs communes sans distinction d’origine. Ce modèle n’était pas parfait et il appartient au passé, mais il permettait l’assimilation des anciens étrangers « par le haut », à la communauté nationale. Elle n’aurait pas était possible sans un autre élément décisif : le creuset de la classe ouvrière.

Totalement occulté aujourd’hui, cet aspect gêne la représentation idéologique que l’ont veut donner des prolétaires européens. Eux qui seraient une horde de beaufs racistes, des Dupont Lajoye en puissance, auraient barré la route à l’intégration des immigrés en restant attachés à la pureté de leur classe. « Il n’y a pas plus ni moins de racisme spontané et d’amour universel innée chez les prolétaires que parmi les être humains en général (….) Le racisme n’est pas un facteur en soi : il ne joue de rôle que par rapport à une situation générale qui le fait exister ou non » (4). Dans les années 70, des luttes communes, dans les usines, étaient possibles avec des travailleurs français, algériens, portugais, africains, italiens… Au delà des préjugés et des méfiances qui existaient réellement, il y avait une « fraternité » (au sens de « lien social) née du travail sur un même lieu. On ne peut que respecter celui qui peine de la même façon que soi, même si après on ne comprend pas vraiment sa culture ou son mode de vie. Cette « fraternité » disparut quand le lieu et l’environnement qui l’avaient vu naître furent détruits au nom de la rentabilité. Lorsque dominent le chômage et la précarité, les tensions entre groupes d’origines différentes sont difficilement évitables. Comment pouvoir offrir aux nouveaux arrivants une situation décente, alors même, que les travailleurs européens n’ont aucune garantie d’avenir ?

… Une solution qui ne peut venir que d’une rupture socialiste révolutionnaire

L’Occident ne peut pas proposer de solution viable à la question de l’Immigration. Dirigé par la logique capitaliste, il se décompose de l’intérieur et s’enferme dans une course vers le vide. Les immigrés comme les travailleurs européens sont victimes du même système, ils ont donc un intérêt commun à le voir disparaître. Il ne sert à rien de chercher des boucs émissaires, les véritables responsables sont bien identifiés.

En tant que français et européens, nous sommes devant la nécessité de construire une alternative au capitalisme. Nous pensons que la voie du socialisme révolutionnaire peut permettre de mettre fin à sa domination et fonder un autre type de société. Avec « une socialisation » de la société, le problème de l’immigration ne se poserait donc plus sous sa forme actuelle. Son caractère économique et massif serait aboli, par le simple fait que ce ne serait plus la loi du profit qui dirigerait les choix économiques.

Dans le même temps, l’émancipation de la France et de l’Europe du joug capitaliste aurait une portée importante sur la situation internationale. Une solidarité active se mettrait naturellement en place avec les autres peuples en lutte contre l’impérialisme et la globalisation. Utopie ? L’Amérique Latine nous donne l’exemple des réalisations d’une révolution en marche.

La fin de l’immigration, c’est d’abord l’amorce d’une renaissance africaine. Actuellement, l’Afrique est principalement la source des flux migratoires. Sortant des modèles de développement imposés par les institutions mondialistes - dont le bilan est éloquent : le Produit Intérieur Brut par habitant est inférieur à celui de 1960 – et du pillage de ses ressources naturelles, ce continent doit d’abord trouver en lui-même la forme de développement qui lui convient. La libéralisation exigée des marchés et l’hostilité manifestée par les institutions financières internationales à toute politique économique indépendante des Etats africains a abouti à la ruine de nombres secteurs. Ainsi l’agriculture est actuellement exsangue, alors que la pression démographique ne cesse d’augmenter la demande. La désertification des campagnes et l’urbanisation galopante, créent des villes champignons au bord de l’explosion sociale. Perdant son lien avec la terre et son identité propre, c’est toute une génération qui a bâti son univers culturel via les stéréotypes de la culture de masse occidentale. Nombreux sont les jeunes qui, impatients de consommer, n’en peuvent plus d’attendre et partent vers l’Europe. De jeunes intellectuels africains refusent cette situation. L’économiste sénégalais, Cheikh Tidiane Diop, pose ainsi les « logiques culturelles comme dimensions essentielles du développement ». Il dresse un tableau de la situation africaine dans son livre, qui pourrait être celui de la situation européenne : « Nulle part, la mondialisation ne procède à l’égalisation des chances et des économies. Au contraire, partout elle creuse et polarise les écarts (…) Les formes traditionnelles d’organisation sociale ont toutes été vaincues par ce rouleau compresseur acculturant de l’économie. Les communautés de solidarité de base se sont dissoutes à mesure que le marché étend son emprise à toutes les sphères de l’organisation sociale en s’immisçant dans la vie quotidienne des populations. La question sociale alimentée par la misère culturelle et des inégalités inédites est devenue brûlante. Dans un tel contexte, l’Afrique est sommée de se ressaisir et de commencer à compter sur ses propres forces » (5).

 

Notes :

  1. La fin de la circulation sociale, qui permettait de fournir aux secteurs de production des personnels formés, est la conséquence directe du démantèlement de l’Education. A l’heure actuelle des pays émergeants, comme la Chine et l’Inde, ont des systèmes éducatifs plus performants dans certains domaines que ceux en crise des Etats occidentaux.

  2. Au début des années 90, les anciens pays du bloc soviétique connurent un démarchage agressif de leurs scientifiques et informaticiens par des entreprises américaines. Ironie de l’histoire, on voyait le vainqueur capitaliste faire appel à des personnes formées à l’école du socialisme. Dans le cas de la Russie, un certain patriotisme et une reprise en mains des secteurs de la recherche par l’Etat permit d’arrêter l’hémorragie.

  3. Il arrive pourtant que certains d’entre eux dérapent. Etre formé sur le modèle occidental, n’implique pas forcément une adhésion sans limite à ses valeurs. Le cas de « cadres » musulmans ralliant les courants les plus archaïques de l’islamisme en est une preuve.

  4. Gilles Dauvé, Karl Nesic, Demain, Orage, Essai sur une crise qui vient, Troloin, 2007. Disponible gratuitement sur le site http : troploin.fr.

  5. Cheikh Tidiane Diop, l’Afrique en attente ? L’Harmattan, 2007. Voir aussi l’article d’Augusta Conghiglia, l’Afrique au delà des idées reçues, dans le Monde Diplomatique de Juillet 2007.

 

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