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06/04/2008

L'engrenage en Afghanistan

Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, Pascal Boniface, rappelle dans un entretien au journal l'Humanité que Sarkozy plaidait en 2007 pour le retrait de la France.

 

Faut-il voir dans l’envoi de troupes françaises supplémentaires en Afghanistan, conformément à une promesse de Nicolas Sarkozy faite au président Bush, un nouveau signe de l’alignement atlantiste de la France ?

Pascal Boniface. C’est un signe supplémentaire, en effet. Un signe d’autant plus remarquable que ce qui est fait aujourd’hui est l’exact inverse de ce qui a été dit pendant la campagne présidentielle. Rappelons que Nicolas Sarkozy avait plaidé, au printemps dernier, pour un retrait des troupes françaises d’Afghanistan. Là, plus question de retrait, ni même du maintien, en l’état, de la présence française, mais bien d’une nette augmentation des forces déployées dans la zone. Il est certain qu’un retrait aurait conduit à une crise dans les relations franco-américaines, perspective que Nicolas Sarkozy a voulu éviter. Ce renforcement de la présence militaire française a donc autant à voir avec les relations franco-américaines qu’avec la situation stratégique sur place, en Afghanistan.

 

Dans le même mouvement, la perspective d’un retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN correspond-elle à un tournant stratégique ?

Pascal Boniface. Nous sommes face à une succession de signes, qui vont tous dans le même sens. Reste à savoir combien de signes seront nécessaires pour que les virages pris en direction des États-Unis se muent en véritable rupture. Tout dépend des évolutions futures de l’OTAN. Va-t-on vers « l’européanisation » de l’OTAN ? Pour l’instant, on ne connaît pas précisément les conditions posées par la France pour décider de son retour dans l’OTAN. C’est cela qui suscite le doute. Si des garanties sont données sur le fait que l’OTAN devienne plus européenne, alors le jeu en vaut peut-être la chandelle. Mais si de telles garanties ne se concrétisent pas, ce jeu pourrait devenir dangereux.

Le retour annoncé dans les organes militaires intégrés de l’OTAN est plus spectaculaire, mais serait moins lourd de conséquences, dans la perspective d’une véritable européanisation, que le renforcement de la présence militaire française en Afghanistan. L’envoi de troupes supplémentaires, présenté comme la suite naturelle de décisions déjà prises, présente, en fait, le risque très concret de nous engager dans un engrenage dont on ne voit pas, aujourd’hui, toutes les conséquences.

 

Alors que le traité de Lisbonne place la défense européenne sous la supervision de l’OTAN, cette intégration plus poussée dans l’Alliance est-elle compatible avec l’émergence d’une défense autonome de l’UE ?

Pascal Boniface. Le débat ne se pose pas en termes de supervision. Il porte sur l’alternative suivante : soit le pilier de la défense européenne est parallèle à l’OTAN et peut être autonome, soit il est imbriqué dans l’OTAN, donc dépendant d’elle. S’il s’agit simplement de faire en sorte que les pays européens augmentent leurs dépenses militaires pour être plus opérationnels au sein de l’OTAN, c’est effectivement une impasse. S’il s’agit de créer des possibilités de défense autonomes et parallèles à l’OTAN, cela peut être une piste intéressante. L’inconnue reste l’attitude, à l’avenir, des autres pays européens et surtout des États-Unis.

 

Les appels récurrents en faveur d’une rénovation de l’OTAN sont ils le symptôme d’une crise de l’organisation ?

Pascal Boniface. Ce débat sur la rénovation est presque aussi vieux que l’OTAN elle-même. Avec la chute de l’Union soviétique, la raison d’être de l’OTAN s’est effondrée. Depuis, la redéfinition de son rôle est en débat. D’où ces appels répétés à sa rénovation.

 

Vous mettiez en garde, il y a quelques mois, contre la tentation de faire de l’OTAN une sorte de gendarme du monde, habilité à intervenir partout au gré des crises. Cette tentation reste-t-elle prégnante ?

Pascal Boniface. Cette tentation demeure bien vivante dans certains cercles. En témoigne le texte publié récemment par cinq anciens chefs d’état-major d’armées européennes demandant un alignement total sur les États-Unis. Ce texte prévoit la possibilité, pour l’OTAN, de déclencher des conflits de façon dite « préventive », c’est-à-dire de se livrer à des agressions. Il envisage aussi la possibilité de recourir à des frappes nucléaires préventives pour empêcher la prolifération. Ce document, non officiel, est extrêmement inquiétant.

Certains cénacles nourrissent l’idée de faire de l’OTAN le bras armé d’un monde occidental qui devrait se défendre contre des ennemis contestant sa suprématie. C’est une vision extrêmement dangereuse, ignorante des réalités internationales nouvelles. Dans un monde désormais multipolaire, une telle vision, loin d’assurer la « suprématie occidentale », pourrait au contraire accélérer le déclin contre lequel on prétend vouloir lutter.

 

Quelles peuvent être les conséquences d’un élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie ?

Pascal Boniface. Lors de la réunification allemande, les pays occidentaux s’étaient engagés, verbalement, à ne pas élargir l’OTAN. Au gré des élargissements successifs de l’OTAN, des signaux de manquements à ces engagements pris à la sortie de la guerre froide ont été envoyés à la Russie. Cela a contribué à tendre les relations entre la Russie et le monde occidental et à développer un discours nationaliste toujours plus ferme en Russie.

Il y a une contradiction à se plaindre d’un raidissement de la Russie tout en conduisant une politique qui vient, au moins partiellement, le provoquer et nourrir un sentiment d’encerclement. Peut-être la Russie exagère-t-elle le danger. Mais il faut tenir compte de ses perceptions si l’on veut avancer de manière raisonnable.

 

 

Dernier ouvrage paru : Pascal Boniface et Hubert Védrine, Atlas du monde global, Armand Colin, 128 pages, 19,50 euros.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

Source : http://www.humanite.fr/

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