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22/12/2014

De quoi la Corée du Nord est-elle le nom ?

La Corée du Nord est l’enfer dont notre supermarché est le paradis

Ecrire sur la Corée du Nord c’est se confronter à l’Etat le plus étrange. En effet la République Démocratique et Populaire de Corée (RDPC) est, de loin, le régime le plus ubuesque de l’Histoire ! Chacun connaît quelque chose d’horrible concernant l’un des derniers Etats communistes : famine, camps de travail, menace nucléaire, dynastie régnante, liquidations inattendues, enlèvements… Tout est bon pour se faire peur ! Pour accréditer le tableau on cite régulièrement les témoignages de réfugiés encore épouvantés par l’enfer qu’ils ont quitté. Voilà pour le premier degrés. Au second degrés on sourit plutôt de la propagande de Pyongyang et ce sont les récits des rares visiteurs autorisés qui alimentent alors l’image d’une tyrannie complètement hors sol, d’un « royaume ermite » d’opérette où on meure littéralement de faim en écoutant la télé d’Etat gloser sur les authentiques miracles du « cher leader »… Dans toute légende noire il y a une part de vérité. Mais les crimes de Staline ou l’effondrement démographique du Cambodge des Khmers Rouges n’en n’ont pas moins des explications à défaut de justifications. La RDPC ne fait pas exception à la règle.

 

Vieille nation, jeunes Etats

Peu de nations sont aussi mal entourées. En effet la péninsule coréenne a de puissants empires comme voisins immédiats : outre la Chine, on trouve la Russie et surtout le Japon. A partir du XIX°s il faudra ajouter l’impérialisme occidental. Pour un petit pays cela fait beaucoup. Depuis le Moyen Age, la Corée alterne les périodes de relatif développement de l’Etat et les moments de complet chaos. Calamité souvent en rapport avec les ingérences extérieures, par exemple en 1592 le Japon envahit la Corée… il est rejeté mais le pays est littéralement ruiné pour des décennies ! Au XIXème, la monarchie régnante souhaite se moderniser, à la fois menacée et fascinée par un Occident qui a déjà mis à genoux les voisins chinois et japonais. La péninsule est alors figée dans un système féodal archi-rural où une très fine élite est profondément divisée en clans. Lettrés, commerçants et militaires se méprisent souverainement… L’économie se résume à la gestion des maigres surplus agricoles : quand ils existent un semblant de développement s’amorce, quand la production agricole baisse c’est le grand plongeon ! Une réalité qui se retrouvera plus tard en Corée du Nord. En Asie seul le Japon réussit à se moderniser (à partir de 1868 avec l’ère Meiji). Il devient même une puissance impérialiste de plus dans l’Asie du Nord-Est. Arriérées, la Mandchourie et la Corée deviennent vite ses vassaux… Proche géographiquement la Corée sera formellement annexée à l’empire japonais de 1910 à 1945. C’est là que commence l’histoire contemporaine coréenne. Adieu « pays du matin calme », antiques lettrés, monarchie céleste et autres traditions confucéennes ! Le XX°s bouleversera plus la péninsule que les siècles passés.

 

Géopolitique infernale

La Corée devient une sorte d’Algérie : la proximité de la « métropole » entraîne une industrialisation rapide de certains secteurs destinés uniquement à alimenter le capitalisme japonais (mines, acier, transport, riziculture)… Une petite partie de la population devient une bourgeoisie au service de l’occupant. Dans les campagnes ou les usines des intermédiaires entre les cadres japonais et la masse des travailleurs font figure de début de classe moyenne. Une myriade de petites entreprises prolifèrent à l’ombre du capitalisme colonial. Mais pour le reste des habitants le quotidien est rude : à l’exploitation de la main d’œuvre rurale et urbaine se rajoute l’humiliation d’être dominé, le coréen est vu comme un paysan inculte et corvéable, la coréenne comme une domestique soumise. Par exemple les Coréens de l’époque mangent peu de riz alors qu’ils en produisent d’importantes quantités. Pourquoi ? Le Japon achète ou détourne toute la production pour ses villes… Le sentiment national coréen naît de cette tension entre modernisation coloniale et horreur impérialiste. La répression sanglante de toute tentative souverainiste alimente cette tension. Ce sera le cas en 1919 quand deux millions de coréens manifestent pacifiquement dans le pays pour l’indépendance, la répression fera plus de 7 000 morts ! Temporairement écrasée mais aussi relativement modernisée la nation coréenne s’arme de patience et de détermination. La résistance prendra des formes violentes, mais sera aussi culturelle et littéraire… Plus prosaïquement des millions de gens ordinaires quittent le pays pour la Chine, la Russie ou même le Japon ! Ces diasporas existent encore aujourd’hui. Par exemple un tiers des 600 000 coréens du Japon sont encartés dans une association ouvertement pro-Pyongyang.

Dans certaines élites on rêve d’indépendance bien sûr mais aussi du communisme qui apparaît comme une autre façon d’être moderne sans injustices sociales ni colonialisme… Encore aujourd’hui le discours idéologique de la RDPC est plus nationaliste que communiste. Les idées du « juche » (l’idéologie officielle) ont pour essence le nationalisme parfois le plus affirmé. L’armée nord-coréenne et ses armes nucléaires ne sont que l’aboutissement de cette volonté de ne plus jamais être dominé. Pour comprendre l’obsession militaire de la Corée du Nord, il faut imaginer pour la France une occupation allemande de plusieurs décennies !

Avant 1945 le pays est même encore plus franchement saigné. L’exemple des coréennes prostituées de force dans l’armée impériale n’est qu’un exemple parmi d’autres du sort sinistre des colonisés : des millions d’hommes sont victimes du STO nippon et plus de 70 000 d’entre eux périront dans les bombardements atomiques de l’été 45… L’effondrement de l’empire japonais propulse alors la Corée dans le grand jeu des puissances mondiales.

La péninsule est libérée par les Soviétiques au nord et l’Us army au sud. Que faire de la Corée où les idées communistes sont présentes au delà des militants encartés ? A l’époque le communisme stalinien représente davantage que l’intégration à un bloc. C’est plutôt l’adieu définitif au vieux monde qui a donné les deux guerres mondiales, le racisme colonial et son capitalisme avide. Très vite la guerre froide qui se prépare fige les positions : les USA recyclent les coréens collaborateurs des Japonais et les Soviétiques poussent un de leurs alliés, Kim Il-sung, à agréger tous les communistes de la péninsule.

S’accusant réciproquement de subversion, les deux camps prennent acte des temps nouveaux et fondent deux Etats en 1948. Comme en Allemagne, une nation est séparée par la géopolitique post-1945. Là aussi, le passé du pays nous montre que la division de la péninsule a été fréquente. Conséquence de la guerre froide la division sur le 38° parallèle s’inscrit aussi dans l’histoire ancienne du pays.La terrrible guerre de Corée (1950-53) ne fait que figer durablement les positions. Pour chaque camp l’autre est un ennemi à abattre. En interne, des dictatures émergent.

On a oublié qu’à cette époque la Corée du Nord prend de l’avance sur le plan économique ! Jusque dans les années 1960, le pays est devant la Corée du Sud voir devant le Japon : la planification permet de reconstruire et de développer le pays. La croissance est d’autant plus forte que le pays partait de très bas. Le logiciel socialiste fonctionne : alphabétisation, mise en valeur du territoire et défense nationale sortent le pays du sous-développement. Même la collectivisation des terres passe dans la mesure où les ruraux n’ont jamais été propriétaires. L’écart avec le sud est si grand que certains sud-coréens migrent au nord sans imaginer que le pays va péricliter. Kim Il-sung travaille aussi à se tenir relativement à l’écart du Bloc de l’Est ou des frictions sino-soviétiques. Il sait que les puissances communistes restent des puissances. Il obtient même le retrait des forces chinoises et soviétiques en 1958. La RDPC milite encore aujourd’hui dans le mouvement des pays non alignés.

Pour Kim Il-sung, la priorité reste la réunification et les tentatives de déstabilisation du sud vont se multiplier tout au long des années 1960-80. Des commandos armés seront infiltrés, des enlèvements viseront des sud-coréens et des japonais et l’un des dictateurs militaires du sud échappera de justesse à un attentat en Birmanie. L’année qui précède les JO de Séoul (1988) un boeing sud-coréen explose même en vol ! Pour furieuse que paraissent ces actions, il faut rappeler que les Etats-Unis vont faire en Corée du sud la même chose qu’au Vietnam : ils vont laisser des élites corrompues et violentes tenir le pays. Avant 1992 (où un opposant libéral remporte la présidentielle), le pays est une sorte d’Egypte où l’armée, les « services » et des milices répriment toute opposition. La KCIA (CIA sud-coréenne) abattra même un des chefs de l’Etat pourtant fidèle serviteur des Etats-Unis (40 000 soldats sur place) ! Les élections sont des farces que le tyran du moment remporte aisément tandis que le pays vit sous perfusion de l’aide des Etats-Unis. En 1960, on compare les pays d’Afrique les plus mal partis à la Corée du Sud !

Au Nord, on se fige autour d’une dynastie, celle de Kim Il-sung qui prépare son fils Kim Jong-il à devenir le prochain maître du pays. Loin du modèle communiste, la RDPC dérive lentement vers une monarchie confucéenne où la famille, l’autorité et l’obéissance sont synonymes de civilisation et de paix. Là aussi l’histoire de la Corée est coutumière de ces tentatives dynastiques dans un contexte d’ingérences et de menaces extérieures. Cette version extrême de la « mentalité asiatique » ainsi que la puissance de la volonté d’indépendance expliquent la durabilité du régime au delà de son caractère autoritaire. Le repli sur soit est un classique des régimes coréens encerclés et en difficulté. Dans ce contexte la mémoire de la guerre de Corée façonne encore davantage cette mentalité de citadelle assiégée : le Nord fut détruit à 80 % car les USA utilisèrent contre la RDPC autant de bombes que pendant toute la guerre du Pacifique ! Certains soldats us se rendirent aussi coupables d’atrocités comme au Vietnam plus tard… L’opposition aux Etats-Unis (réactivée par le discours sur « l’axe du mal » de G. Bush) est donc un classique du discours de la RDPC. Au Sud, l’installation d’une démocratie de marché permet au moins de digérer le passé des dictatures militaires pro-us.

 

La « dure marche » et ses suites

L’avance de la RDPC fond à partir des années 1980. En effet, connectée au vaste marché des Etats-Unis et aidé par une diaspora qui a fait son trou outre Pacifique la Corée du Sud devient un « dragon asiatique ». Piloté par un appareil d’Etat protectionniste le pays émerge du sous-développement. La faiblesse volontaire de la monnaie et les faibles salaires dopent les exportations. Cette modernisation est lente, chaotique, politiquement brutale… mais elle fonctionne ! De plus le régime militaire est sous le feu de sa bourgeoisie libérale qui digère de moins en moins les crimes du régime. Les mouvements sociaux et étudiants y sont massifs et surtout non communistes. Dans les années 1980 le consensus autoritaire n’est plus possible. Un dialogue constructif avec le Nord va-t-il pouvoir démarrer ?

La RDPC traverse alors une crise qui ira dix ans plus tard jusqu’à la famine ! En effet, très endettée pour avoir acheté quantité de matériel, le pays cesse de rembourser ses dettes à partir de 1980. Privées de nouveaux crédits les capacités productives vieillissent dans un pays où elles ont toujours plus ou moins manqué… La croissance basée sur l’augmentation de la quantité rate le virage de la qualité. Capable de produire ses camions, ses voitures, ses locomotives, la RDPC est incapable de renouveler et améliorer son matériel. A part ses armes ses produits sont peu exportables. Equipée en machines d’Europe de l’Est et en engrais chimiques, l’agriculture arrive pourtant à peine à couvrir les besoins : le pays est montagneux et seule l’irrigation généralisée des parcelles entretient une productivité tout juste moyenne. Organisée en vaste fermes d’Etat l’agriculture collectivisée n’a pas permis les économies d’échelles escomptées. Comme en URSS seul le lopin de terre familial console… La fin de l’URSS et la pénurie de pétrole qui suit vont faire tomber l’économie comme un fruit mûr. Le juché (autosuffisance) ne fut jamais qu’un mythe nationaliste. Toutes les faiblesses (sous-financement, matériel vieillissant, faiblesse agricole) vont plonger le pays dans la pire crise qu’ai jamais connu la RDPC. Des inondations catastrophiques en 1996 ravagent l’agriculture déjà sous-équipée et moins bien irriguée. Durant une décennie les plus faibles vont mourir faute de médicaments ou de denrées de base, les coupures d’électricité vont se généraliser et les villes moyennes vont se vider de leur population. Les réseaux de transport, eux, périclitent complètement !

Des milliers de coréens vont errer sur les routes, le petit commerce de survie va se généraliser tandis que la frontière avec la Chine va s’entrouvrir… Replié sur la capitale et assurant les seules priorités militaires, l’Etat s’évapore dans les régions les plus reculées où la survie règne. Cette « dure marche » accélère encore la dégradation de toutes les infrastructures. Le retard en la matière est aujourd’hui considérable !

Un peu soutenue par l’aide alimentaire internationale, la RDPC va néanmoins réussir à acquérir l’arme atomique (2006) ce qui va relancer les tensions avec Tokyo, Séoul et Washington mais aussi propulser le pays au rang de pays invulnérable aux attaques extérieures. C’est aussi un avantage énorme pour le jour de la réunification. La Corée du futur jouera enfin jeu égal avec ses voisins. Même la Chine apprécie peu de ne plus être la seule puissance atomique de l’Asie de l’est… Mao avait d’ailleurs refusé d’aider Kim Il-sung à maîtriser l’atome.

Vis-à-vis du Sud, une alternance de dialogues et de tensions tient lieu d’échanges. Une zone économique recevant des entreprises du sud ouvre au nord en 2004 (la zone de Kaesong avec pas moins de 40 000 travailleurs). Par la suite la RDPC multiplie les zones de ce genre imitant prudemment Chinois et Vietnamiens qui attirent localement le capitalisme mondialisé pour moderniser leurs industries et trouver les fonds nécessaires à l’innovation. Kim Jong-il aux affaires à partir de 1994 tente le grand écart entre le modèle chinois et un pays mobilisé pour sa seule armée.

Officiellement la RDPC mise aussi sur l’économie du savoir. On oriente les meilleurs étudiants vers le commerce international ainsi que dans la filière informatique : le pays développe ses logiciels et ses portables. Toutes choses égales par ailleurs la RDPC de Kim Jong-un (aux affaires depuis 2011) suit la route de la Corée du sud des années 1960 : c’est à dire avec un exécutif fort connectant le pays à la mondialisation en évitant toute révolution sociale. Les travailleurs nord-coréens sont les plus qualifiés et les moins chers d’Asie ! Dès lors de communisme nord-coréen n’est plus qu’une coquille vide. Le Parti n’est plus un appareil idéologique mais bien un système d’encadrement dont le seul avantage est d’éviter un chaos post-soviétique. Le Parti du Travail de Corée ne s’impliquera jamais beaucoup dans le mouvement communiste international sinon pour tenter d’exporter -sans succès- le « juche ». Les discours tendant à déifier littéralement Kim Il-sung (mort et embaumé en 1994) vont plus dans le sens d’une religion confucéenne que d’un avatar du marxisme. Plus que le Parti c’est l’armée qui influence l’avenir du pays. Par ailleurs, la faim de devises pousse la RDPC a vendre n’importe quelle arme à n’importe quel pays : Israël bombardera, en 2007, un site nucléaire syrien monté par la Corée du Nord. Dans un autre genre, le secte Moon (originaire de Corée du sud) ou le groupe Huyndai investiront directement en RDPC ! Dès à présent les recettes de développement libérales décuplent les inégalités en concentrant les capitaux entre Pyongyang et le port de Nempo. Une proto couche moyenne émerge à la périphérie des dix-huit Z.E.S. en contact avec le reste de l’Asie. Mais la marche vers un capitalisme asiatique standard n’est pas si simple. La Corée est peut-être le pays du « matin calme » mais pas celui du libéralisme tranquille : les rivalités impériales sont toujours aux portes de la RDPC. Au sud, la vieille garde conservatrice refuse tout dialogue tandis qu’au nord on sait que seule « l’occupation américaine » justifie un secteur militaro-industriel surdimensionné. Des deux côtés du 38° parallèle une normalisation réelle ruinerait l’économie et le parti de la guerre.

De plus le saut qualitatif à faire pour moderniser vraiment le pays reste énorme : par exemple les véhicules à moteur ne sont que quelques milliers et seuls 15 % des routes sont goudronnées ! L’agriculture reste plus que fragile, puisqu’en 2014 l’ONU estime inférieure au nécessaire la ration alimentaire moyenne des nord-coréens. La RDPC est donc sorti de son coma des années 1990-2000 mais le nouveau dragon titube encore, du feu nucléaire plein la gueule.

TEROUGA

 

 

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