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13/05/2008

Sur la situation libanaise : Entretien avec Georges Corm

Économiste, ancien ministre des Finances libanais, historien et auteur de nombreux ouvrages (1), Georges Corm analysait pour Rébellion  la  situation  du Liban dans le numéro 27 du journal ( Novembre-Décembre 2007 - toujours disponible) . 

 
R/ Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

 Je suis libanais et j’appartiens donc à une société plurielle qui a reçu des influences culturelles très nombreuses au cours de son histoire, en particulier au cours des deux derniers siècles. Cette société a été durant cinq siècles sous domination de l’Empire Ottoman, mais la France et les puissances européennes en ont fait un champ d’expérimentation de leurs politiques coloniales en Orient au cours du XIXè et XXè siècles. Les Libanais ont donc enduré toutes les formes de violences idéologiques et verbales que ces deux siècles ont produit. Cela m’a amené à une réflexion, développée dans divers ouvrages, sur le pluralisme et le nationalisme dans le cadre des rapports mouvementés et conflictuels de l’Europe et de l’Orient.

 R/ Existe-t-il une véritable unité nationale libanaise ? Sur quoi est-elle fondée ? Que reste-t- il des souvenirs de la terrible guerre civile des années 80 ?

L’unité nationale est un grand mythe de la modernité européenne. Il y a dans le réel vécu des peuples du sentiment national, du patriotisme, de l’appartenance à un terroir rural ou à une société urbaine complexe ; il n’y a pas d’unité nationale préexistante. Je ne sais d’ailleurs pas ce qu’est l’unité nationale, à moins que l’on parle de l’hégémonie politique forte d’un groupe culturel sur la vie de la société qui transforme ses membres en robots homogènes dans leurs comportements et leurs idées ou d’une agression externe qui cimente l’unité des diverses composantes d’une société.

Il n’y a pas de nation libanaise au sens classique et moderne du terme, mais il y a une société libanaise plurielle et complexe. La modernité sur le mode colonial qui s’est emparée du Liban à partir du début du XIXè siècle a transformé les communautés religieuses en appareils politiques redoutables, ce qu’elles n’étaient pas auparavant. Le système politique local qui était en vigueur du temps de la domination ottomane était, pour ce qui est des zones montagneuses du pays, celui d’un pouvoir fiscal attribué par l’Empire aux familles de notables ruraux qui ramassaient le tribut dû à Istanbul. Le système était totalement transcommunautaire et des paysans de toutes les communautés étaient soumis aux seigneurs dominants dans leurs localités et dont la confession religieuse était sans importance. Dans les grandes villes côtières, le système d’autonomie des communautés chrétiennes dans leurs affaires de statut personnel et d’institutions sociales était en vigueur, comme il l’était dans toutes provinces de l’Empire. Les querelles communautaires commencent avec l’arrivée des Anglais et des Français en Orient principalement, mais aussi des Russes et des Autrichiens, qui font entrer les communautés religieuses dans l’orbite de leur influence politique et culturelle, s’en servent pour étendre leur présence ; ce sont elles qui poussent à leur faire reconnaître des droits politiques qu’elles n’avaient pas eu jusque là.

 

R/ En Août 2006, l’armée israélienne envahissait le Liban. Au bout de plusieurs semaines de combat, elle devait se retirer face à la résistance du Hezbollah. Elle laisse derrière elle un champ de ruines et un pays ravagé. Quelles furent les raisons réelles de cette agression ? Quel est le sort réservé au Liban dans le plan de remodelage du Proche Orient promu par les néo-conservateurs américains et leurs alliés israéliens ?

Les Libanais ont réagi cette fois avec une grande unité nationale durant l’agression, la discorde s’étant surtout manifesté après. Comme à l’accoutumer, ils ont immédiatement repris leur vie quotidienne active avec courage pour surmonter ce nouveau choc. Les réfugiés sont revenus immédiatement dans leurs villages détruits.

Le Liban est le souffre douleur d’Israël, au même titre que les Palestiniens. Les agressions israéliennes et occupations de territoire et représailles massives et sanglantes ont commencé en 1968. Le pluralisme libanais, les modèles de convivialité communautaires entre chrétiens et musulmans contrarient son modèle d’un Etat bâti sur l’exclusivisme communautaire et non point la concorde, l’entente, la discussion, le débat.

 

Israël a déjà tenté de pulvériser le Liban lors de son invasion et occupation de 1982 à 1985. Cet Etat rêve d’une désintégration du Moyen-Orient sur des bases ethniques et religieuses qui donnerait enfin une légitimité existentielle à son modèle d’exclusivisme communautaire. Je pense que les néo-conservateurs américains partagent tout à fait ce point de vue.

 

R/ Le Hezbollah paraît avoir été le grand vainqueur du conflit. Quelle est la nature réelle de cette organisation ? Son orientation politique ? Son projet pour le Liban ?

 

Militairement, le Hezbollah est le grand vainqueur, mais politiquement il est en butte à un encerclement qui prend la forme d’une tenaille entre les forces internes libanaises qui lui sont hostiles et les puissances occidentales à l’extérieur qui se prévalent des résolutions de l’ONU pour réclamer son désarmement, sans parler des pays arabes qui lui sont hostiles, comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et la Jordanie. Il y a une opération d’isolement du parti et une coalition impressionnante qui semble décidée à la confrontation, si la question de l’armement du parti ne trouve pas de solution. Il serait trop long de décrire l’évolution du Hezbollah qui a été créé en 1982 dans le sillage de la seconde invasion israélienne du Liban. Très soumis à l’influence iranienne dans les années quatre vingt, le parti s’est « libanisé » en s’intégrant au jeu parlementaire local dans les années quatre vingt dix, sans toutefois s’y impliquer pleinement tant que la résistance à l’occupation israélienne au sud du pays, qui a perduré jusqu’en 2000, était sa préoccupation principale. Aujourd’hui, comme on le voit, il est au centre de la politique interne libanaise et des pressions internationales qui s’exercent sur le Liban. Il peut être considéré comme l’équivalent des grands partis communistes européens à la sortie de la Seconde Guerre mondiale qui étaient auréolés de leur très grande résistance à l’occupant allemand, mais avaient une source d’inspiration idéologique hors de leur pays. Mais au Liban, ils ne sont pas les seuls à avoir des sources d’inspiration et des soutiens externes. L’Arabie saoudite, les Etats-Unis, la France sont très présents à travers leurs liens avec d’autres communautés et les partis politiques qui en sont issus.

 

R/ Les chrétiens sont aujourd’hui divisés entre les partisans du général Aoun et ceux d’Amine Gemayel. Le clivage est-il profond au sein de cette communauté ?

 

Oui, le clivage est très profond et il est très vieux. Depuis des siècles, notamment depuis les Croisades, les Chrétiens du Liban sont divisés entre deux attitudes par rapport à l’Occident: ceux qui par affinité religieuse entendent participer à ses projets politiques en Orient et ceux qui, au contraires, considèrent qu’il faut les combattre et rester solidaires de la majorité de la population de la région qui résiste à toute domination ou projet de domination de la part de l’Occident. Mais avec le Général Aoun, c’est la première fois qu’une personnalité chrétienne prend un profil aussi haut et réussit à polariser autour d’elle, dans cette attitude courageuse et juste, une grande partie de l’opinion chrétienne. Il a eu beaucoup de courage et c’est grâce à lui, largement, que s’est réalisée l’unité nationale lors de l’agression israélienne de juillet 2006.

 

R/ Le gouvernement pro-occidental de M. Foaud Siniora fait face à une opposition dominée par le Hezbollah  et le parti du général Aoun. Certains observent que la grille de lecture confessionnelle ne suffit plus à expliquer les différences au sein de la société libanaise. On remarque de fortes inégalités sociales entre une bourgeoisie occidentalisée et les classes populaires. Comment est vécue cette situation par les libanais ? Se reflète-t-elle dans l’actuelle situation politique ?

 

La grille de lecture confessionnelle n’a jamais rien expliqué au Liban, sinon pour les propagandistes et les amateurs de simplifications. Le clivage profond de l’opinion libanaise, aujourd’hui, est tout à fait transcommunautaire. Cependant, certains observateurs engagés et peu objectifs veulent en faire un clivage entre sunnites et chiites, car la propagande occidentale et celles des régimes arabes soumis à l’Occident est de faire croire que le Hezbollah est une incarnation d’un danger chiite au Moyen-Orient dont l’Iran (qui n’est pas un pays arabe, mais qui est à dominante chiite) et la Syrie (qui est un pays arabe) seraient la source. Il y aurait, selon eux, un danger de subversion contre l’ordre établi et la présence occidentale et israélienne dans la région. Or le danger contre l’ordre établi se trouve dans la profonde injustice et les souffrances que supportent les populations de cette région du monde depuis des décades.

 

R/ Depuis cinquante ans, les ingérences étrangères sont constantes dans la vie politique libanaise, pour le plus grand mal du Pays des Cèdres.  Quelle est actuellement le rôle de la France et des Etats-Unis d’un côté, et de la Syrie et de l’Iran de l’autre, dans la crise de gouvernement que traverse le Liban ?

 

J’ai souvent décrit le Liban comme un Etat tampon, expression qui désigne des entités qui accèdent à l’ordre international pour servir d’instrument aux mains de puissances régionales et internationales. Cela évidemment ne veut pas dire que le Liban ne mérite pas d’accéder au statut d’Etat indépendant, mais que les conditions de sa naissance ont été profondément marquées par les rivalités coloniales en Orient et par le heurt des puissances européennes avec l’Empire ottoman dont il était partie. Par la suite malheureusement, après l’indépendance en 1943 par rapport à la France qui avait été nommée puissance mandataire à la fin de la Première Guerre mondiale, la classe politique libanaise n’a pas su dépasser les conditions qui font du Liban un Etat tampon.

 

Ceci peut s’expliquer par plusieurs raisons, mais notamment par le fait que la région est restée soumise à des tensions fortes, notamment durant la Guerre froide du fait de la rivalité américano-soviétique, puis aujourd’hui avec la politique agressive américaine qui suscite un front d’opposition. Je considère sur ce plan que les Etats-Unis et la France ont eu un rôle très négatif au cours des dernières années en utilisant à nouveau le pays comme plateforme pour déstabiliser le régime syrien, après avoir permis durant trois décades que le pays soit livré à un condominium syro-saoudien en récompense de l’attitude syrienne qui avait accepté de participer à la guerre de libération du Koweit que l’Irak avait envahi en août 1990. Aujourd’hui, la politique américano-française est de tenter d’obtenir que le régime syrien s’aligne sur sa politique régionale et se coupe de son allié iranien. Je ne pense pas que ce régime le fera, à moins qu’il y voit une possibilité de récupérer le Golan qu’occupe l’Etat d’Israël depuis 1967 et qu’il a officiellement annexé en 1981. Mais cette hypothèse n’est pas non plus très réaliste, car d’un côté les Israéliens ne donnent guère l’impression qu’ils sont prêts à rendre ce territoire stratégique et riche en eaux ; de l’autre, on voit mal aussi le régime syrien brader les droits palestiniens, car cela aussi pourrait mettre en danger sa stabilité.

 

R/ On a parlé de « Révolution Orange » pour évoquer la tentative de l’opposition anti-syrienne de mobiliser la population de Beyrouth. Des ONG, du type de celles qui agissent dans les pays de l’ex-bloc soviétique, sont-elles implantées et à l’oeuvre au Liban ?

 

Le scénario au Liban a été exactement le même qu’en Ukraine, avec le même théâtre médiatique et la même manie des médias occidentaux et de beaucoup de médias arabes de diaboliser une partie de la population. Au Liban, comme en Ukraine, on suppose qu’il y a des démocrates pro-occidentaux « gentils » et qu’il faut soutenir et des « méchants » anti-démocratiques pro-syriens dans le premier cas, pro-russes dans le second. C’est un manichéisme de mauvais goût et des moyens de propagande grossière, indigne de pays qui se disent démocratiques. C’est aussi humilier des catégories entières de population qui sont présentées ainsi de façon négative et c’est aider une autre catégorie de la population au détriment de la première.

 

R/ Quelle est la place des réfugiés palestiniens dans la société libanaise ? Quelle est la situation politique de cette importante minorité ? Que s’est-il passé avec le Fath el Islam et le camp de Nahr el Bared ?

 

Le Liban a reçu en 1948 une nombre disproportionné de réfugiés palestiniens par rapport à sa population, à son territoire et ses ressources ; tout comme cela a été le cas avec la Jordanie. Mais cette dernière a eu en gestion la Cisjordanie jusqu’en 1967 et a toujours reçu énormément d’aide internationale, pour faire face au poids des réfugiés, ce qui n’a pas été le cas du Liban. L’afflux de réfugiés a augmenté entre 1968 et 1982, après l’occupation de la Cisjordanie par Israël en 1967, puis les évènements de septembre noir (1969) en Jordanie, lorsque l’armée de ce pays a supprimé par la force les mouvements armés palestiniens. La déstabilisation du Liban à partir de 1975 et l’implication des mouvements armés palestiniens a aggravé la condition des réfugiés. En 1982, avec l’invasion d’Israël dont l’armée arrive jusqu’à Beyrouth, ce sera la sortie des combattants palestiniens et de leurs familles, mais aussi les massacres de Sabra et de Chatila, qui vont rendre la condition palestinienne encore plus misérable au Liban.

 

La question est d’autant plus compliquée que les pays occidentaux souhaitent que le Liban implante définitivement ses Palestiniens et leur accorde la nationalité libanaise afin de rendre inutile le principe du droit au retour stipulé dans les résolutions des Nations Unies en matière de conflit israélo-palestinien. Or cette question est très délicate au Liban en raison de la complexité des équilibres entre communautés religieuses et pas seulement entre communautés chrétiennes et musulmanes, mais aussi entre sunnites et chiites, car les Palestiniens sont massivement sunnites. Sous le règne de Rafik Hariri des essais d’implantation avaient été tentés, mais les protestations avaient été trop fortes pour pouvoir continuer.

 

Les camps palestiniens posent aussi le problème de la multiplicité des organisations qui y sont présentes, dont beaucoup sont armées et qui sont hostiles les unes aux autres, ce qui traduit le clivage profond qui existe au sein même de la scène politique palestinienne à Gaza et en Cisjordanie. Nous avons vu ce qui pouvait arriver quand une organisation, d’ailleurs très peu palestinienne, le Fath el Islam qui est un mouvement radical d’inspiration ben ladeniste et qui comprend des membres de diverses nationalités arabes, s’en prend à l’armée libanaise et lui résiste durant trois mois et demi, dans le dédale de ruelles et de souterrains d’un camp.

 

Le très respecté journaliste américain, Seymour Hersh, avait annoncé dès le mois de mars 2007 que les services occidentaux et certains pays arabes favorisaient, avec la complicité du chef du gouvernement, le développement des réseaux islamistes d’obédience radicale sur le mode ben ladeniste. Ces prédictions se sont révélées tout à fait exactes. Le ministère de l’intérieur a, récemment, autorisé l’implantation au Liban d’un autre parti sunnite radical, le Parti de la libération islamique, interdit dans de nombreux pays arabes, et qui a pu ainsi tenir son congrès annuel à Beyrouth sous le thème du rétablissement du Califat ! Tous ces mouvements ultra-radicaux sont largement manipulés dans le contexte des conflits de la géopolitique régionale. Aujourd’hui, il s’agit d’implanter des milices anti-chiites sous prétexte d’éliminer le Hezbollah et toute influence iranienne dans les pays arabes qui ont des minorités chiites. Tout cela c’est jouer avec le feu, mais c’est une tendance lourde depuis l’instrumentalisation des trois monothéismes (juif, musulman et chrétien) dans la lutte contre le communisme ; aujourd’hui le jeu continue pour permettre eux Etats-Unis de prétendre avoir un ennemi redoutable qui justifie son expansion impériale et impérialiste dans le monde de l’après-Guerre froide.

 

R/ Dans un récent livre collectif auquel vous avez participé, vous indiquiez que la fin de l’URSS avait été un coup très dur porté aux états arabes indépendants du Proche-Orient. Quel rôle avait l’Union soviétique dans le monde arabe et quelles furent les répercutions de sa chute sur l’équilibre de la régions.

 

L’URSS soutenait les luttes de libération nationale. Après avoir crû qu’Israël serait un ferment de révolution en Orient (erreur majeur de Staline qui a fait une mauvaise lecture du sionisme), l’URSS s’est rendue compte du danger que lui faisait courir cet Etat au Moyen-Orient. D’où le soutien multiforme accordé aux régimes politiques arabes anti-impérialistes, soutien concrétisé par des aides économiques majeures, notamment le financement des grands barrages hydrauliques et la construction d’aciéries pour accélérer l’industrialisation, mais aussi les aides militaires. L’aventure de l’invasion de l’Afghanistan a, toutefois, décrédibilisé la politique soviétique et l’idéologie progressiste en Orient. L’idéologie de la révolution khomeiniste en Iran a su habilement reprendre le flambeau de la résistance et de l’anti-impérialisme dans un vocabulaire islamique plus familier aux masses paysannes ou aux sous-prolétariats urbains au Moyen-Orient, d’où son succès.

 

R/ Comment est perçu le processus de mondialisation capitaliste dans le monde arabe ? Existe-t-il une réflexion propre pour proposer des alternatives  à ce phénomène ?

 

C’est un bien long sujet. Il y a des classes montantes grâce à elle et des perdants. Mais il n’y a pas d’élite anti-globalisation suffisamment structurée.

 

R/ L’islamisme salafiste  travaille les masses musulmanes. Comment jugez-vous le rôle de cette idéologie messianique et archaïque dans l’évolution des sociétés arabes ?

 

Le kaléidoscope islamique est très vaste et le terme salafiste n’est pas vraiment significatif. Il y a un problème identitaire très grave qui affecte les peuples arabes et la religion sert de bricolage à une identité malmenée, introuvable, manipulée depuis la fin du nassérisme et l’effondrement de l’idée nationaliste arabe unitaire à coloration laïque (mais nullement anti-religieuse comme le prétendent certains). J’ai essayé de décrire les convulsions identitaires du monde arabe dans mon ouvrage « Le Proche-Orient éclaté » (paru dans la collection Folio/histoire de Gallimard et qui vient d’être rééditée cet été avec mise à jour). En particulier, dans les chapitres introductifs et en fin de l’ouvrage, je me penche sur ce mal être identitaire et le rôle du marqueur islamique qui aggrave encore plus la crise d’identité.

 

R/ Les anciennes forces « progressistes » arabes,  socialistes ou  nationalistes révolutionnaires, sont-elles encore présentes ?  Comment ont-elles évolué durant les quinze dernières années ? Dans le cas du Liban, le Parti communiste représente-t-il encore une force importante ?

 

Elles sont sûrement en état de siège total, étranglées physiquement et moralement par l’invasion du religieux kaléidoscopique d’un côté et par les nouveaux libéraux à la mode américaine d’un autre côté. Le parti communiste a connu plusieurs scissions, beaucoup d’anciens, au Liban comme ailleurs, sont devenus des propagandistes de la politique américaine. Nous venons de créer, en revanche, un Centre d’initiative civile, constituée de plusieurs personnalités indépendantes, pour faire avancer l’idée de la suppression du système communautaire et des modalités pour y parvenir, car le système communautaire et constitutionnel libanais est au bord de l’implosion.

 

R/ L’avenir du Liban et du Proche-Orient s’annonce-t-il sombre à vos yeux? Quelle voie garantirait  la paix dans cette région ?

 

Bien sûr, nous n’avons aucun élément positif dans les courants qui agitent cette région du monde et les  conflits de source interne et externe se sont multipliés au cours des années. L’invasion de l’Irak a été une catastrophe, la situation en Palestine occupée est inadmissible par les souffrances grandissantes de la population, le Liban est au bord de l’implosion, la plupart des pays occidentaux se taisent ou s’alignent sur la politique israélo-américaine. C’est donc une longue et douloureuse marche devant nous avant que les tendances négatives lourdes puissent éventuellement être renversées, que les Israéliens fassent le même parcours que la population blanche d’Afrique du Sud, ce qui permettrait l’émergence d’un Etat où tous les habitants vivraient sur pied d’égalité ; enfin, il y a un problème iranien, gonflé par l’agressivité des Etats-Unis et amplifié par la désunion des régimes arabes et leur incapacité à sortir de l’orbite américaine.

 Evidemment, il ne faut pas exclure les bonnes surprises qui pourraient venir d’Europe ou de l’intérieur des Etats-Unis, de même que la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Mais tout cela reste très dangereux.

 

Note : (1) Le Proche Orient éclaté, Gallimard, 2005 ; Orient-Occident, la fracture imaginaire, La Découverte, 2004 ; la Question religieuse au XXIe siècle, La Découverte, 2006.

 

 

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