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08/12/2008

Envers du rêve américain

Article paru dans le numéro 30 ( épuisé) de Rébellion 

 

Rébellion n’a jamais fait la confusion, dans son opposition à l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain, entre le peuple américain et son gouvernement. Beaucoup d’américains savent que lorsque leurs politiciens et leurs médias évoquent l’intérêt « national » des Etats-Unis,  il s’agit de l’intérêt de ceux qui dominent, contrôlent, possèdent et  influencent l’économie américaine et que la plupart des conflits provoqués, depuis deux siècles,  par les dirigeants des Etats-Unis le furent pour asseoir et sauvegarder la position  dominante du système capitaliste, le discours officiel légitimant cette politique d’agression au nom de la défense de la liberté et de la démocratie n’étant que du vent.

 

Société du capitalisme triomphant, l’histoire des Etats-Unis offre l’exemple le plus parfait de la réalité de la lutte de classes : un combat entre les puissances de l’argent et les classes populaires. L’accaparement par une minorité oligarchique des richesses d’une nation pour son seul profit. On connaît l’histoire du génocide indien et de l’esclavage, mais on parle peu de la longue lutte des petits paysans expropriés par les riches compagnies et des ouvriers exploités. Rares sont ceux, qui en Europe, connaissent la longue lutte des syndicalistes révolutionnaires américains ou des populistes agrariens pour arracher aux financiers des conditions de vie et de travail décentes. Et comment ses mouvements furent réprimés – souvent dans le sang- par le gouvernement américain. L’American Way of life que l’on a vendu à la terre entière n’est qu’un mirage qui ne résiste pas à l’éclairage de l’histoire.

 

 

 

Il est vain d’entreprendre la caractérisation précise d’une société en quelques lignes, et a  fortiori celle de la société américaine. A la démesure des échelles du continent nord-américain vient s’ajouter la diversité d’un peuplement issu de vagues d’immigration successives. Quelques traits essentiels sont communs à l’ensemble de l’Amérique en raison de l’uniformisation culturelle, intellectuelle et émotionnelle dont sont responsables les médias.

 Le plus frappant en arrivant aux Etats-Unis, et en particulier à Los Angeles, est l’impression de déjà vu qui vient à l’esprit : sensation à la fois irréelle de se déplacer dans un décor de cinéma mais aussi tellement banale car le moindre signe fait déjà partie intégrante de l’univers dans lequel nous baignons. La ville américaine, à l’exception de quelques grandes métropoles comme New York, Washington ou San Francisco, imbrication de pavillons individuels semblables, de centres commerciaux et autres stations-service, est la parfaite illustration de cette monotonie et de cette banalité. La société américaine est à son image : terriblement ennuyeuse. Si l’Américain moyen est en général souriant et sympathique, il est en revanche privé de toute originalité et spontanéité. Chez lui, tout est planifié jusqu’au plus infime détail. Ce conformisme, inscrit dans la mentalité puritaine américaine, auquel s’ajoute le contrôle permanent des faits et gestes des individus – watching neighborhoods, dénonciation des infractions aux autorités, contrôle strict des ventes de tabac et d’alcool avec vérification d’identité obligatoire (Selling alcohol (tobacco) to any person under 21 (18) is a federal crime), interdiction de fumer dans les lieux publics s’accompagnant d’une ostracisation des fumeurs… - donnent l’impression de vivre dans une société oppressive. Les aéroports, avec leur litanie de messages coercitifs Smoking is prohibited, Unattended vehicles will be towed away at owner’s expense,…, et la multiplication des procédures de contrôle des passagers, procédures qui se sont considérablement renforcées ces dernières années suite au 11 septembre 2001,  en sont l’expression paroxystique. Il y a finalement peu de liberté au pays de la liberté, hormis celle d’entreprendre (et de posséder des armes). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Américains, dans leur grande majorité, sont favorables à cette surveillance. Pour eux, ces dispositifs de contrôle sont synonymes de sécurité et sont le prix à payer pour une grande liberté au sein d’espaces sécurisés.

 

  La société américaine est en effet dans l’ensemble craintive car l’Amérique ne fait plus figure de sanctuaire suite aux attentats du 11 septembre, que nombre d’Américains considèrent comme la plus grande catastrophe de l’histoire de l’humanité (sic), qu’elle est le pays du déchaînement de la violence, dont les carnages dans les universités et plus généralement le nombre de morts par arme à feu sont les aspects les plus visibles, et de l’insécurité sociale - licenciements sans préavis, absence de couverture sociale et médicale, coût des soins prohibitif… « Si les Américains ont gardé un sens aigu de l’intérêt individuel, ils ne semblent pas avoir préservé le sens qui pourrait être donné collectivement à leurs entreprises (1)». D’où l’individualisme exacerbé qui se manifeste à tous les échelons de la société, renforcé par la distinction entre élus et non élus issue de la doctrine puritaine de la prédestination, sentiments conduisant à considérer que les plus démunis (36 millions d’américains, soit 10,5 % de la population, vivaient sous le seuil de pauvreté en 2006 (2)) sont responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent.

 

L’autre conséquence est la solitude dans laquelle vivent de nombreux Américains. Comme le décrit très bien Jean Baudrillard, « c’est la scène au monde la plus triste, plus triste que la misère, plus triste que l’homme qui mendie est l’homme qui mange seul en public (3)». Il est ici monnaie courante de voir la majorité des tables des fast-foods occupées par des personnes seules. Envers du rêve américain.

 

  Autre valeur capitale pour comprendre la société américaine est la notion de destinée manifeste des Etats-Unis, c’est-à-dire que la nation américaine ait pour mission divine de répandre la démocratie et la civilisation, initialement vers l’Ouest et désormais à la Terre entière. Elle se traduit, au niveau de la société américaine, par une absence de recul face à l’histoire et une certitude d’être toujours dans son bon droit. Ce qui exclut tout remords et même le moindre questionnement historique. Symptomatique est cette réflexion d’Ann Coulter, célèbre polémiste outre-Atlantique, au sujet des islamistes: « Autrefois, les Japonais nous détestaient, eux aussi. Quelques bombes nucléaires bien ajustées, et maintenant ils sont doux comme des agneaux (4) ». Cet exemple, bien qu’extrême, ne doit pas apparaître comme un cas isolé. En effet, dans un sondage réalisé en juillet 2005 par l’institut Gallup, 57% des Américains interrogés approuvaient l’usage de la bombe atomique contre le Japon (5). Pour un Américain, l’histoire des Etats-Unis est irréprochable. D’où l’amnésie au sujet du génocide indien, même au Smithsonian National Museum of the American Indian (6). Alors que les ennemis de l’Amérique sont considérés « comme des incarnations du mal (7)». C’est pour cela que les critiques concernant la politique du président Bush sont le plus souvent mal interprétées par les Européens : elles ne visent pas à remettre en cause « la guerre juste menée par les Américains contre le terrorisme, God bless America » mais à sanctionner l’échec militaire de cette administration et le ternissement de l’image de l’Amérique dans le monde. Les opposants au terrorisme d’Etat américain (improprement qualifié de guerre) s’insurgent contre la mort des GI’s américains (Bring our boys home), mais se désintéressent complètement du sort de la population irakienne (y a-t-il eu des protestations contre l’odieux chantage pétrole contre nourriture imposé à l’Irak durant 10 ans et ayant causé la mort d’un million d’Irakiens dont la moitié d’enfants, ou beaucoup de manifestations pour dénoncer les victimes civiles des bombardements US ?), voire critiquent « l’incapacité » des forces de police irakienne à maintenir l’ordre et à assurer la sécurité des troupes américaines présentes en Irak (sic). Leur seconde principale critique est liée à la perception de l’Amérique à l’étranger, « une Amérique narcissique, agitée et agressive [qui] a remplacé, en quelques mois, celle de la nation blessée, sympathique et indispensable à notre équilibre (8) ». Pas de remise en cause d’une guerre perçue comme légitime, mais critique d’un loser qui, au contraire de son père lors de la première guerre d’Irak, n’a pu fédérer une large coalition internationale fournissant aide militaire et financière pour le plus grand profit des Etats-Unis.

 

  Il est certain, comme le rappelle très justement Alain de Benoist, que « dans le domaine des idées, [aux] Etats-Unis, malgré le « politiquement correct », règne une liberté d’expression que nous ne connaissons pas (ou plus), [et qu’] on y est également frappé de la qualité des débats d’idées (9)». Malheureusement ces idées ne sont que peu connues hors des cercles universitaires « car la multiplication des chaînes de télévision […] contribue paradoxalement à homogénéiser l’offre (10)» et non à diffuser des idées non conformes à l’idéologie dominante.

 

Frédéric

 

Note :

(1) Jean Baudrillard, Amérique, p. 215, Ed. Grasset.

(2) http://www.census.gov/hhes/www/poverty/histpov/hstpov2.html

(3) Jean Baudrillard, Amérique, p.35, Ed. Grasset.

(4) Citation d'Ann Coulter rapportée par Silvia Grilli pour le magazine Panorama, traduite et publiée dans le numéro 628 de Courrier International du 14 novembre 2002.

(5) http://www.pollingreport.com/news.htm#Hiroshima

(6) http://www.truthdig.com/arts_culture/item/20071005_the_great_forgetting/

(7) Romolo Gobbi, Un grand peuple élu : Messianisme et anti-européanisme aux États-Unis des origines à nos jours, p.18, Ed. Parangon/Vs.

(8) Emmanuel Todd, Après l’Empire : Essai sur la décomposition du système américain, p.17, Folio Actuel.

(9) Robert de Herte, L’Amérique qu’on aime, Editorial du numéro 116 d’Eléments, avril 2005.

(10) Pascal Riutort, Le résistible quatrième pouvoir, in l’Exception américaine, Collectif sous la direction de Pascal Gauchon, p. 125, Ed. PUF.

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