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17/04/2010

Retour sur la grève générale en Guadeloupe

Article publié dans le numéro 37 de Rébellion Juillet/Août 2009

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gua01.jpgCe premier article est très largement inspiré d'un témoignage de Sadi Sainton, étudiant à l'université Antilles Guyane en Guadeloupe paru sur le site HNS info qui nous a aimablement autorisé de prendre un certain nombre d'extraits utiles à l'écriture de cet article. Il nous a paru important de revenir sur l'immense mouvement populaire qu’a connu la Guadeloupe à la fin de l’hiver dernier à travers une grève générale contre les profits abusifs (que cessent ceux qui ne parlent que de grève contre la vie chère car il ne s’agit pas tout à fait de cela).

Pourquoi ? Parce que les informations qui sont parvenues sur nos petits écrans de télévision furent forcément quelques peu partielles (et partiales). Parce qu'il peut y avoir méprise.

Une grève contre la vie chère ? Pas vraiment

Le collectif qui a mené la grève était un ensemble de 49 associations syndicales, politiques, associations de consommateurs et associations culturelles. Elle a déposé (un mois avant le début de la grève générale, et personne n’a jugé bon de s’en préoccuper) un cahier de 146 revendications réparties sur 10 chapitres. Parmi ces chapitres, un (un seul !) concerne la vie chère. Mais alors qu'est-ce que cette grève ? Le collectif qui a été à l’initiative de cette grève s’appelle le LKP : Lyannaj kont pwofitasyon (en français : alliance contre le vol et les profits abusifs). Une mobilisation sans précédant. Le LKP parle de 100 000 personnes dans les rues (sur une population de 460 000, soit près du quart de la population). Au delà de la bataille des chiffres, une chose est sûre : c’est historique. Ce fut la plus grande mobilisation de l’histoire de la Guadeloupe et chaque sortie du LKP créa chaque fois un nouveau record. La Martinique emboîta le pas, puis La Réunion, et enfin la Guyane.

Il ne faut pas traduire pwofitasyon par "profit " au sens littéral du terme, mais bien par profit abusif, désignant l’abus de pouvoir qu’un puissant exerce sur quelqu’un dont il sait déjà qu’il est plus faible que lui, pour le rendre encore plus subordonné.

Le constat est le suivant. En Guadeloupe, les prix sont beaucoup plus élevés qu’en France et donc parmi les plus élevés d’Europe et du monde. On constate (pour les mêmes enseignes et les mêmes produits) des écarts de plus de 100% que l’éloignement (voyez par cette expression le transport) n’explique pas (exemple : 84% sur les pâtes alimentaires). Selon tous les experts, après analyse de la chaîne, de la production au caddie du consommateur, en passant par le transport, le surcoût par rapport à l’hexagone ne devrait pas dépasser 10%. Les différences de prix constatées ressemblent donc fortement à.... du vol organisé.

Quelques exemples de pwofitasyon dénoncés par le LKP :

Le LKP a présenté à l’Etat son expertise des méthodes de fixation des prix, résultat : tout le monde fit le même constat : les prix sont anormaux (même aux yeux de ceux qui étaient contre la grève générale comme forme choisie pour les dénoncer). Le malaise ayant pris une extraordinaire envolée médiatique, Yves Jego, secrétaire d'Etat aux DOM, dut se résoudre à annoncer une action en justice de l’Etat contre la SARA(1) - dont l’actionnaire principal (70%) n'est autre que TOTAL - s'il était démontré après enquête que la SARA eût perçu des sommes indues, sommes qui devraient alors être remises aux Guadeloupéens sous la forme d’un fond pour la formation professionnelle.
Autre détail intéressant. Parmi les revendications portant sur le coût de la vie, il y a eu celle concernant la baisse des tarifs des prestations bancaires. Et que s’est-il passé ? Dès que les banques en Guadeloupe (pourtant les mêmes que dans l’hexagone) ont pris connaissance des revendications les concernant, avant même que cette question ait été négociée, celles-ci ont adopté une baisse de leurs tarifs! Est-ce que cela ne signifie pas de manière évidente que ces tarifs étaient abusifs ?

Revendications

Elles traversèrent TOUS les domaines de la société. Vraiment tout. Les 9 autres chapitres : Education, formation professionnelle, emploi, droits syndicaux et libertés syndicales, services publics, aménagement du territoire et infrastructures, culture, et enfin "pwofitasyon" (il s’agit de réclamer des mesures pour contrôler les prix). Ce fut un véritable mouvement sociétal, touchant l’ensemble des acteurs de la société. Rappelons que ces revendications étaient au nombre de 146 et que le LKP en définit 19 à négocier immédiatement, puis d’autres demandant des réponses plus purement politiques voire institutionnelles, qui devront être débattues à long et moyen terme.

Mais alors pourquoi les médias n'ont-ils parlé que de ces foutus 200€ que le LKP demandait ? Parce que c'est sur ce point - comme tout le monde s’y attendait – qu’ont achoppé les négociations. Le LKP n’en démordit pas. Le patronat non plus. Les positions se radicalisèrent logiquement.

Guadeloupe asphyxiée ? Les guadeloupéens morts de faim ?

Laissons plutôt parler le camarade Saiton : " Un ami métropolitain m’a appelé pour me demander si on tenait le coup. Au début j’ai commencé à répondre que malgré la durée du conflit, la mobilisation était toujours de mise. Il me coupe : non, je voulais dire...Arrivez-vous à remplir le réfrigérateur ?"

Certes, la Guadeloupe était en grève générale. Les hyper marchés et super marchés étaient fermés. En revanche, les petits commerces de proximités étaient ouverts, mais les rayons des magasins de plus en plus vides...

Néanmoins: la Guadeloupe s’est organisée. L’UPG (Union des Producteurs Guadeloupéens) ainsi que les pêcheurs font parti du LKP. Les poissons n'étaient pas en grève : les pêcheurs ont continué à pêcher et à vendre leur poisson. Les animaux n'étaient pas non plus en grève : les éleveurs ont continué à s’occuper de leurs bêtes et à vendre leur viande. La terre n’était pas non plus en grève : les cultivateurs ont continué à travailler dans leurs exploitations et à vendre leur denrées. Les réfrigérateurs n’ont jamais été aussi pleins. Les hyper marchés étaient fermés, mais les marchés étaient ouverts. Il y a mieux : des marchés populaires se sont mis en place devant les piquets de grève et un peu partout. Les producteurs y vendaient leurs denrées au prix auxquels ils ont l’habitude de les vendre aux super marchés. Conséquence : ils n'ont pas perdu leur récolte ni leur revenus, et le portefeuille du consommateur a apprécié puisque les marges exorbitantes de la grande distribution étaient supprimées. Les Guadeloupéens ont mangé à leur faim et - fait intéressant- ils n'ont jamais autant consommé local !

"Je n’ai pas de purée mousseline, je n’ai plus de pâtes panzani... et alors ? J’ai des tubercules, des légumes, de la viande, du poisson, des fruits frais, des fruits secs, des fruits de mer... Et ça coûte moins cher que d’habitude. En fait, je crois que je n’avais jamais mangé aussi équilibré de ma vie. Si vous n’avez jamais entendu tout ça, est-ce que la presse nationale fait de la désinformation ? Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on vous ment. Disons que parmi tout ce que les envoyés spéciaux des médias nationaux voient, ils choisissent 5%, et le choisissent d’une manière assez surprenante.

La première semaine, ils n’en parlaient pas. La deuxième semaine, ils n’ont montré que des images de touristes dont les vacances ont été gâchées par cette grève (je suis sincèrement désolé pour eux, mais c’est la vie). Ils ont montré des rayons de super marchés vides et ont semblé vouloir dire que la rupture des stocks créait le plus grand désarroi... Ils ont fustigé une grève qui - dit-on - pénaliserait de manière irrémédiable l’économie Guadeloupéenne. Puis Le secrétaire d’Etat aux DOM est arrivé en Guadeloupe. Il y a carrément déplacé son cabinet et son staff. La presse ne pouvait plus se contenter des mini sujets bâclés. Ils ont commencé à en parler un peu plus. Aujourd’hui, l’information que vous recevez est de plus en plus conforme à ce qui se passe. Les "vrais" reportages font leur apparition. France Inter a fait une longue émission dessus, j’ai pu voir un long article sur Elie Domota, porte parole du LKP dans je journal Le Monde. Libération a publié un long texte d’Ernest Pépin (écrivain Guadeloupéen)... Ca commence à changer. "

Lycéens et étudiants, ne voulant pas être en reste, se sont aussi organisés :"J’étais à Paris VI lors de la grève contre le CPE et sur les 12 semaines prévues du semestre, on a pu faire 11 semaines (moyennant le sacrifice des vacances scolaires). Il y a fort à parier que nous ferons la même chose. Tout le monde est prêt à voir disparaître les vacances de Pâques, Pentecôte et les jours fériés. D’ailleurs les cours sont mis en ligne par les enseignants dans de nombreux établissement. Et RFO (2), va bientôt commencer à diffuser des cours faits par des enseignants sur les plateaux de télévision."

La polémique sur la question ethnique

"La Gwadloup sé tan-nou, la Gwadloup sé pa ta yo. Yo péké fè sa yo vlé, adan péyi an-nou! " Traduction littérale : " La Guadeloupe est à nous, La Guadeloupe n’est pas à eux. Ils ne feront pas ce qu’ils veulent dans notre pays! " Tel fut le slogan repris à l'unisson par les milliers de manifestants depuis le 20 janvier dernier, d'où l'interrogation et l'inquiétude de certains : Mais qu'est-ce que ces "nous"? Les Noirs ? et ces "eux" ? Les Blancs ? Et si oui, lesquels ? Les blancs ordinaires, ou plutôt ces "békés", ces descendants des maîtres d’esclaves qui ont conservé leur domination économique et d’influence grâce aux héritages de génération en génération depuis l’époque esclavagiste, et ce jusqu’à aujourd'hui ? Pour Sadi Sainton, il ne s'agit pas de cela. "Moi qui vis ce mouvement de l’intérieur, moi qui reprends ce refrain avec joie depuis 4 semaines, je n’ai jamais désigné le blanc par ce "eux" et tous les gens de mon entourage sans exception sont du même avis." Mais qui alors ?

"Les responsables de la pwofitasyon. La Guadeloupe n’est pas un simple tube digestif, une sorte de terre de consommation, un simple marché où tout le monde peut venir faire ce qu’il veut, comme dans une zone de non droit. Or les "pwofitasyon" révélées par ce collectif, et que plus personne ne conteste donne bien l’impression que c’est le cas depuis déjà trop longtemps. Avec la complicité de l’État Français. (....)On en est à une situation où il a fallu qu’un collectif de 49 associations déclenche une grève générale et les plus grandes manifestations de l’histoire de la Guadeloupe pour que l’Etat, joue enfin son rôle d’arbitre et de répression des fraudes. De nombreuses voix en Guadeloupe avaient déjà dénoncé ces faits, mais de manières isolées et sans réel résultat. Aujourd’hui, la tendance semble s’inverser. C’est ce "eux" là que nous dénonçons depuis 4 semaines. Quant au "nous", il est prometteur de quelque chose de tout à fait nouveau, qui peut être enfin dépassera les clivages de race (ou en tous cas tendra vers ça). La première personne à m’avoir envoyé un sms pour me dire de venir en meeting est une Guadeloupéenne ...blanche !

(...)Pour moi, un Guadeloupéen est quelqu’un qui lie son destin à celui de la Guadeloupe. Il est souvent noir (question de chiffre), mais il est aussi blanc, indien (de nombreux indiens ont débarqué en Guadeloupe après l’abolition de l’esclavage). Il pourrait même être vert pomme que cela ne dérangerait pas les dizaines de milliers de manifestants qui chantent ce slogan. Surtout, nous ne sommes pas prêts à échanger sous prétexte de la race, une pwofitasyon blanche contre une pwofitasyon noire. Ce Nous-Eux est moral, bien plus que racial. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème de racisme en Guadeloupe. Il est clair que la société est pyramidale et que plus on monte vers le sommet de la pyramide, plus les peaux sont claires. (...) Le poids de l’histoire esclavagiste et coloniale est palpable. Nous voilà avec ce mouvement face à un formidable défi qui consiste à poser les problèmes tels qu’ils sont, pour les régler, et les dépasser. Permettez-moi d’ajouter que je suis assez optimiste sur cette question".

Évolution statutaire ?

La question mérite d'être posée. Quoi qu'il en soit, le débat est ranimé. Le mouvement s’est exprimé principalement sous forme de grève mais la densité du cahier de revendications montre clairement que tous les fondements de la société ont été remis en question.

Parmi les meneurs du LKP, nombreux sont ceux qui sont "au moins" autonomistes. Pourtant, après plusieurs semaines, aucun membre (sans exception) n’avait jamais prononcé les mots "évolution statutaire". C’est un débat qui déchaîne les passions et pour le bien du mouvement, il convient de rappeler que ce n’est pas le but du mouvement. Ce mouvement pose des questions et met en avant ce que veulent les Guadeloupéens. Si les hommes politiques apportent parmi leurs réponses une question institutionnelle, elle sera de toutes les façons objet de débats, et de référendum populaire. Les lois françaises ont été conçues pour répondre à une réalité géopolitique précise, celle d’une France au coeur de l’Europe, celle d'une société post-industrielle. Elle n’ont jamais convenu ni aux colonies, ni plus tard aux DOM-TOM et COM. Si bien que pour pallier le "handicap", les guadeloupéens sont toujours passés par des lois qui mettent en avant de nombreuses spécificités. Aujourd’hui, le système d’intégration a clairement montrés ses limites. Ceux qui jadis s’en accommodaient, ont soutenu massivement un mouvement social, qui - bien que ce ne soit pas son objectif – a attiré l’attention sur le fait que rien ne marche et qu’il faut peut-être songer à changer les choses en profondeur.

"Quel que soit ce qui arrive, l’indépendance n’est absolument pas à l’ordre du jour. Ni l’Etat, ni le LKP, ni les nombreux manifestants qui soutiennent le LKP, ni même les organisations anciennement indépendantistes des années 60, 70 et 80 ne considèrent que la question est à l’ordre du jour. Les organisations "anciennement indépendantistes" continuent à énoncer le principe moral du droit des peuples à l’autodétermination qui est un droit inaliénable inscrit dans la charte de l’ONU ; mais s’accordent pour dire qu’il faut aller pas à pas, sans brûler les étapes.(...) Les pistes avancées sont plutôt celles d’une évolution statutaire dans le cadre de la République Français (genre article 73 et 74 de la constitution) vers plus de pouvoir décisionnel local, plus de pouvoir législatif et douanier, afin de répondre à la réalité géopolitique (Nous sommes européens, mais nos îles baignent dans le bassin caraïbéen !!!).

Début de la répression

Plutôt que de longs discours et des montagnes de chiffres, laissons le mot de la fin à Sadi Sainton : "Le mouvement a pris une dimension internationale. Hier, c’est le révérend Jessy Jackson en personne qui a envoyé son soutien au peuple de Guadeloupe et au LKP. Les organisations syndicales du monde entier (je n’exagère pas) rentrent en contact avec le LKP pour leur demander comment ils arrivent à mobiliser 100 000 personnes sans un débordement (3) (...) La Guadeloupe vient de connaître ses jours les plus calmes niveau violences domestiques. Jamais il n’y a eu si peu d’agressions, de faits divers ou d’accidents de voitures.(...) Les Guadeloupéens sont vraiment fiers de ce mouvement.(...)Mais la répression a commencé face à un mouvement pacifiste. Il y a eu une soixantaine d’arrestations de gens qui étaient simplement sur les barrages pacifiques. Un des pontes du LKP a été blessé. Il a subi des injures racistes venant des forces de l’ordre, tous ceux qui s’y connaissent un peu en histoire de la Guadeloupe savent que tout cela est monnaie courante lors des répressions de mouvement sociaux aux DOM.(...) Le préfet et l’Etat jouent à un jeu dangereux. Car l’ensemble des gens mobilisés connaissent le poids de l’histoire, la tension est à son comble et beaucoup ont déjà averti que cette foi- ci, les guadeloupéens ne mourront pas.(...)Le LKP a appelé au calme. Il appelle à la mobilisation massive et pacifiste pour faire reculer la répression. L’immense majorité des interpellés aujourd’hui ont été relâchés grâce - une fois de plus - à la pression populaire de la foule, massée pacifiquement devant la police et le tribunal de Pointe-à-Pitre. La tension redescend petit à petit. (...) Le préfet avait promis que les environ 4000 CRS débarqués en Guadeloupe dès le début du conflit étaient juste une sécurité qu’il souhaitait de tout coeur ne pas utiliser. Depuis que les négociations sont bloquées, d’autres ont débarqué..."<

NOTES

1>SARA : Société Anonyme de Raffinage Antillaise

2>RFO : Principale Chaîne TV locale, branche de France télévision

3>Le SO du LKP s'occupant de la sécurité générale