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10/04/2011

Editorial du Rébellion 47 : Le crépuscule de l'Odyssée

Depuis notre dernier communiqué sur la situation en Libye, le ton n'a évidemment pas changé dans les médias et l'unanimité est toujours de mise au sein des partis politiques officiels. Mélenchon qui se pique de critiquer la participation de la France à l'OTAN, n'en voit pas moins une révolution à l'œuvre en Libye! Marine le Pen, quant à elle, s'oppose à l'intervention militaire française parce qu'elle y voit une possibilité d'enlisement dans la durée et pense qu'il fallait intervenir tout de suite afin de surprendre Kadhafi! Il ne vient à l'esprit que de quelques uns que c'est l'impérialisme français allié de l'impérialisme occidental dans son ensemble qu'il faut combattre, impérialisme atlantiste menant une offensive d'envergure sur l'ensemble du continent africain.

De ce dernier, néanmoins, s'élèvent quelques voix comme celle de l'historienne malienne Adame Ba Konaré : "L'Afrique est exclue d'un débat qui aurait dû être prioritairement le sien et c'est un pays arabe qu'on livre aux Occidentaux, en utilisant d'autres pays arabes. [...] La Libye est sous les feux de forces étrangères en quête de gloriole personnelle et de défense de leurs propres intérêts. De quelle légitimité politique, de quelle crédibilité morale, ces puissances qui ne tiennent pas leurs engagements, qui affament les peuples, pillent les ressources des pays, peuvent-elles se prévaloir? [...] Ne veut-on pas régler aussi son compte à Kaddafi (2) pour des marchés non tenus, et pour avoir exigé un dédommagement au titre de la colonisation de l'Italie, l'ancienne puissance coloniale? [...] Africains, la partition de la Libye est en marche. A qui le tour demain? Malgré ses méthodes souvent étranges, le caractère contestable de ses théories, Kaddafi n'aura-t-il pas été l'un des chantres de l'unité africaine?". (3) Le thème de l'unité africaine ne semblait pas, d'ailleurs, avoir été abandonné par le chef libyen (proclamation à cet égard en 2007) malgré la mise en sourdine de certains aspects de sa politique sous la pression occidentale afin de ne pas perdre le pouvoir en composant avec celle-ci. Le bilan de Kadhafi est, certes, très mitigé mais ce n'est pas cela qui guide nos considérations.

Ce que nous rejetons est la nouvelle mouture de "l'ingérence humanitaire" avancée par les puissances impérialistes avec le nouveau concept à la mode de "protection des peuples" de leur "dictateur". Cela sonne comme la réactualisation de l'ancien "fardeau de l'homme blanc"!

Les bellicistes ne savent plus quoi inventer pour justifier leur interventionnisme impérialiste à géométrie variable. Pourquoi cette brillante idée n'a-t-elle pas effleuré les esprits en 2008-09, en faveur des Palestiniens de Gaza (1500 civils tués)? Probablement parce que les agresseurs étaient par nature vertueux... Dans le cas de la Libye une véritable mise en scène nous a été proposée, montrant de vagues rassemblements devant une mosquée de Benghazi et quelques excités parcourant des routes dans le désert. La réalité est plutôt celle d'une tentative de coup d'Etat par une partie de l'appareil politique et militaire appuyé de l'extérieur par la CIA. Signalons au passage le rôle de bandes terroristes, confirmé par le Président tchadien Idriss Déby Itno : "[...] ce qui m'inquiète, c'est ce qui se passe aujourd'hui en Libye et les risques d'implosion de ce pays. Les islamistes d'Al-Qaïda ont profité du pillage des arsenaux en zone rebelle pour s'approvisionner en armes, y compris en missiles sol-air, qui ont été par la suite exfiltrés dans leurs sanctuaires du Ténéré. C'est très grave. Aqmi est en passe de devenir unevéritable armée, la mieux équipée de la région."(4).

Ainsi les interventions impérialistes censées préserver les populations africaines et promouvoir des améliorations politiques et sociales ne font que renforcer le chaos ambiant. C'est au nom d'un futur radieux "démocratique" que l'on arme des bandes armées peu soucieuses des populations mais plutôt de leurs intérêts de racketteurs. En cela les bandits aux prises les uns avec les autres ne font que reproduire grossièrement les moeurs de leurs commanditaires impérialistes. On arme secrètement et on aide militairement la mythique "opposition libyenne", on reconnaît les résultats d'une élection aux résultats fort controversés en Côte d'Ivoire et on appuie miltairement le camp Ouattara (5) sous couvert de l'ONU après avoir fair de sérieuses pressions sur certains gouvernements africains afin qu'ils soutiennent le candidat du FMI. Enfin, on traite par le mépris l'Union africaine dans le cas de la Libye. (6).

Le sommet de l'infamie et du déshonneur est atteint en Côte d'Ivoire au sujet de laquelle la propagande déverse des tomberaux de mensonges sur la situation. De fait le pays était déjà coupé en deux, le nord étant aux mains des rebelles; dans ces conditions des élections n'avaient guère de sens et la pression internationale afin de les organiser ne pouvait déboucher que sur des fraudes massives engendrant le chaos auquel nous assistons. L'exportation de la "démocratie" dans un pays déstabilisé fut bien pire que le mal qu'elle était sensée soigner. Mais peu importe la condition des peuples pourvu que les profits des impérialistes soient assurés ainsi que leurs positionnements géopolitiques et géostratégiques. Les forces de Ouattara n'ont pu progresser qu'à l'aide de la logistique fournie par les puissances occidentales (7) et avec l'appui militaire directe des forces de l'ONUCI. Des bandes de pillards, d'assassins et de violeurs ont exercé leurs exactions sur leur passage (massacres à Duékoué en particulier). Arrivés à Abidjan, leur progression s'est vue refouler grâce à l'héroïsme de la défense des FDS. C'est alors que la force impérialiste française Licorne a apporté sa puissance de feu afin de faire basculer ce qui prenait l'allure d'une déroute. Au moment où nous rédigeons, la bataille d'Abidjan fait rage, les patriotes ivoiriens résistent courageusement à l'entreprise des gangsters impérialistes et de la bande Ouattara. Depuis plusieurs semaines s'étaient déjà infiltrés dans le quartier d'Abobo où vivent un million de déshérités, les mercenaires du "commando invisible" dirigés par Ibrahim Coulibaly qui est venu à la curée et demande à Ouattara sa part du gâteau. Tous les vautours se sont assemblés autour de la dépouille d'un peuple africain martyrisé. Un de plus! Rappelons que le sinistre Coulibaly a été condamné par contumace en 2008 par la justice française pour "direction ou organisation d'un groupe destiné à la pratique dumercenariat". Voilà quel type de personnage nous est présenté comme étant porteur de légitimité démocratique...

 Pendant que les tractations pour chasser Gbagbo du pouvoir se développaient ces dernières semaines afin de s'assurer de la passivité des gouvernements africains face à l'intervention impérialiste (seule l'Angola n'ayant pas cédé aux pressions), l'assassin de Thomas Sankara, Blaise Compaoré soutien actif et affiché de Ouattara faisait tirer sur des jeunes manifestants un peu partout au Burkina Faso (le plus jeune d'entre eux était un élève de CE2!). Cela ne semble guère avoir ému M.Juppé, l'ami des peuples persécutés... Depuis, d'ailleurs, des troubles se répandent dans le pays, l'armée se mettant elle-même à piller et à tout saccager dans plusieurs localités.(8). Là aussi, silence radio de la part des médias. Ne blessons surtout pas un satrape allié de la coalition des rapaces s'abattant sur la Côte d'Ivoire.

 Il est clair que le continent africain avec ses richesses minières, agricoles et en hydrocarbures est un enjeu de taille dans la bataille engagée entre factions capitalistes qui désirent agir selon leur gré dans le redécoupage de leurs zones d'influence respectives. C'est dans cette perspective que nous condamnons ces interventions militaires évoquées car les gouvernements visés ne nous semblent pas représenter particulièrement des modèles politiques. Néanmoins ils n'incarnent pas le mal absolu représenté dans la propagande impérialiste. Les représentants de Laurent Gbagbo viennent de déclarer que la bataille d'Abidjan sera "le tombeau de la Françafrique". Même si cela ne se réalise pas immédiatement, la réalité du coup d'Etat appuyé par la France en Côte d'Ivoire et l'engagement fanatique de celle-ci à côté des Etats-Unis afin de déstabiliser la Libye montre que le capitalisme est aux abois et qu'il est prêt à multiplier les exactions de cette sorte sur tous les continents. L'ironie de l'histoire veut que les Etats-Unis aient baptisé curieusement leur intervention en Libye "Aube de l'Odyssée", nous pensons plutôt que c'est son crépuscule. Aux temps homériques naissaient les débuts de l'affirmation individuelle de l'homme face aux forces mythiques et naturelles. Ulysse était déjà porteur de la ruse instrumentale qui allait arraisonner le monde. A la fin du cycle de la domination capitaliste, la mégamachine militaro-technique écrase les peuples. Néanmoins une résistance a commencé à sourdre en Afrique ces derniers mois. Inévitablement, elle s'associera à tous ceux qui dans le monde contestent l'arrogance des maîtres du monde unipolaire. Les travailleurs européens doivent être à la hauteur s'ils veulent avoir encore un destin. Pour ce faire nous devons dénoncer l'impérialisme français, la machine guerrière de l'OTAN et tous les impérialismes.

 

 

NOTES :

1) Signalons que les forces de répression du Bahreïn ont été réorganisées par des conseillers français...

2) Une des orthographes possibles en français pour ce nom propre.

3) Citée dans Jeune Afrique. N° 2620. p. 3.

4) Jeune Afrique. N° 2620. p. 41

5)"Selon une source bien informée, des éléments FRCI ont reçu une formation 'opérations spéciales' au Burkina Faso et au Nigeria, avec des instructeurs américains et français..."Jeune Afrique. N° 2621. p.13

6)" L'Union africaine a des principes : intégrité territoriale des Etats membres, non-ingérence, refus de l'emploi de la force pour renverser un pouvoir en place. Un soulèvement populaire pacifique comme cela s'est passé en Tunisie et en Egypte est une chose, une rébellion armée comme en Libye en est une autre. Soutenir ce type de phénomène, a fortiori intervenir militairement pour l'accompagner et le faire aboutir, va directement à l'encontre du traité de l'Union africaine."Idriss Déby Itno. Jeune Afrique. N° 2620. p. 41.

7)"Des tonnes d'armes et de munitions sont entrées par l'aéroport de Bouaké, notamment des lance-roquettes RPG-7 et RPG-9, mais aussi du matériel de combat nocturne..."Jeune Afrique. N° 2621. p. 12.

8) Source Jeune Afrique. N° 2621. p.18.

 

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