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29/10/2011

Editorial du numéro 50 de Rébellion : Lutte de classe et électoralisme

Le problème électoral s'est toujours posé au mouvement révolutionnaire dans la mesure où le capitalisme tendit à ériger sa domination sur un territoire national unifié politiquement et économiquement. Les hommes devenus "citoyens", "libres et égaux" en droits sont invités individuellement à se faire représenter, du moins leur volonté agissante et délibérante, afin que devienne effective la sphère juridico-politique garantissant l'exercice de la démocratie.

La République est censée incarner l'intérêt général (?), le Bien commun (?), la volonté générale (?) ; autant de termes ne signifiant pas tout à fait la même chose. Le peuple est dit souverain. Constitue-t-il alors la Nation? Au moyen de quel acte? Est-ce par sa participation réitérée au jeu des Institutions lors des échéances électorales?

Si cela est l'exercice de la souveraineté, remarquons que ce modèle juridico-politique est parcouru très tôt dans la pensée philosophique moderne par une dichotomie interne à la compréhension du concept de Souveraineté ("puissance absolue et perpétuelle d'une République" selon Jean Bodin au 16° siècle) représentable ou pas en tant que telle (Rousseau contre Hobbes). Cette dichotomie reflète la situation concrète, dialectique et conflictuelle, laissant apparaître et se développer des intérêts et des antagonismes de classes derrière la figure abstraite du Peuple. Chez Hobbes (17°s) le peuple ne peut que se faire représenter, c'est donc exclusivement sa Représentation qui est souveraine. Chez Rousseau, le peuple est souverain lorsqu'il ne se laisse pas représenter. Il n'existe qu'en tant que volonté générale (non agrégats d'individus) agissante et donc souveraine. Hobbes veut neutraliser par l'Etat les partis politiques représentant des tendances particularistes et les forces indirectes dissolvantes de l'ordre public (exorciser le souvenir de la guerre civile de l'époque de Cromwell et tout ce qui pourrait y ressembler) ; c'est un matérialiste libéral conséquent pour lequel le corps politique artificiel du Léviathan garantit la sécurité de la propriété privée et de quelques droits naturels inaliénables des individus. Rousseau voit dans l'artifice républicain issu du contrat social le dépassement des volontés particulières y compris celle des partis politiques tentés par l'usurpation de la volonté générale. L'unité politique est menacée par les inégalités de richesse présentes au sein de ce qu'il appelle "le domaine réel" et dans lequel perce la tension propre aux antagonismes de classes. Aussi les partis politiques ("les associations") ne peuvent-elles se prévaloir de la représentation d'une quelconque opinion générale, à peine d'ailleurs de n'en être qu'une représentation illusoire : "Il importe donc, pour avoir bien l'énoncé de la volonté générale, qu'il n'y ait pas de sociétés partielles dans l'Etat, et que chaque citoyen n'opine que d'après lui"(1). Aussi le philosophe genevois a-t-il eu la lucidité de percevoir la source réelle de la mystification capitaliste qui se déploiera ultérieurement. Son modèle philosophique républicain était incompatible avec la vision libérale/utilitariste - concurrente de la sienne - plus adéquate globalement à la période d'ascension du mode de production capitaliste et dont la réactualisation contemporaine montre la nature sans fard. Néanmoins, Rousseau donnait une voix à ceux qui entraînés par les bouleversements économiques et sociaux au sein de l'Ancien Régime allaient goûter à la prolétarisation. La bourgeoisie révolutionnaire elle-même, sa fraction progressiste, crut se reconnaître dans certains aspects de la théorie rousseauiste, de là le relatif succès de celle-ci au cours de la Révolution française.

Il est bien connu qu'au cours du 19° siècle, le mouvement révolutionnaire allait soutenir les revendications de la démocratie bourgeoise contre les vestiges féodaux de l'Ancien Régime et cela de manière concrètement adaptée aux circonstances propres à chaque pays. Mais le but était clair dans l'esprit des révolutionnaires les plus lucides : la forme bourgeoise démocratique de la République est le cadre le plus favorable pour que se développent clairement les antagonismes de classes et le lieu où le mouvement ouvrier s'aguerrit afin d'afficher in fine ses propres revendications et finalités communistes. C'est en ce sens que les partis socialistes participèrent aux joutes électorales ; Marx et Engels ne cessèrent de rappeler et de rectifier les programmes que ces partis proposaient à la classe ouvrière. Le point de vue de classe nécessairement particulier dans sa composante sociologique n'en avait pas moins une portée universelle pour ce qui concerne le dépassement du monde aliénée au capitalisme. Le programme idéologique bourgeois avancé, selon lequel l'Etat doit incarner la volonté générale, devenait une revendication effective débarrassée de ses limitations égoïstes bourgeoises que seul le prolétariat pouvait conduire à son terme historique.

La première guerre mondiale fit voler en éclats l'illusion (peu à peu installée au sein du mouvement ouvrier) selon laquelle la démocratie bourgeoise pouvait progressivement se muer en démocratie sociale, en particulier lorsque la social démocratie passa avec armes et bagages dans le camp de l'impérialisme chauvin. Certains en retirèrent l'enseignement qu'il ne s'agissait plus de composer avec le système mais de l'abattre frontalement en détournant le prolétariat des illusions électorales démocratiques (position de tous les courants communistes de gauche se mettant en porte à faux avec les directives de la III° Internationale). Staline lui-même ne se fit ultérieurement aucune illusion sur la nature de la social démocratie mais engagea la politique de Front Populaire pour contrer l'impérialisme hitlérien et celui de ses alliés au moment où la composante de ce dernier n'était pas encore clairement dessinée, rappelons-le.

Après la seconde guerre mondiale purent se mettre en place, en France, le programme du Conseil National de la Résistance et certaines politiques sociales ailleurs en Europe, rendus possibles à cause de la participation importante des composantes progressistes dans la Résistance et à celle de l'existence de l'URSS face à laquelle le capitalisme avait intérêt à lâcher du lest pour maintenir sa classe ouvrière à l'intérieur de certaines limites. En conséquence, la participation aux élections pouvait avoir un sens pour le mouvement révolutionnaire dans ce cadre très restreint (faisons cette concession même si elle est discutable).

Nous ne pouvons ici analyser tous les facteurs qui peu à peu conduisirent à l'échec d'une telle perspective mais depuis la disparition du bloc de l'Est et l'offensive accrue du capitalisme contre les conditions d'existence du prolétariat la position adéquate à défendre ne fait plus de doute et il est bon d'y insister avant l'élection présidentielle de 2012 : les prolétaires ont d'autres chats à fouetter que de s'intéresser au tartuffe qui sera élu. Il est pertinent de critiquer vertement l'oligarchie qui se moque des peuples tout en menant à bien ses affaires mais il ne faut pas oublier de comprendre le poids de l'existence de tous les profiteurs de la machine étatique qui constituent la clientèle privilégiée des partis du système, tout ce petit monde à la bonne conscience, des élus de tous niveaux (faites le compte!) faisant ronronner le système et qui perçoivent des émoluments non négligeables, surtout en temps de crise.

Pourquoi scieraient-ils la branche sur laquelle ils sont perchés? Même le plus sincère d'entre eux ne peut guère faire avancer les choses en faveur du prolétariat. Où voyons-nous actuellement un parti dénonçant clairement les exactions commises par l'impérialisme français? Il fut un temps où des foules seraient descendues dans la rue pour protester contre de tels agissements impérialistes belliqueux. En continuant d'accorder quelque crédit aux représentants du capitalisme, le peuple français semble bien engourdi et est incapable de faire le lien entre la dégradation de ses conditions d'existence et la dynamique globale, mondiale, du capitalisme qui le pousse à la guerre, au pillage des ressources de pays ne pouvant se défendre.

Ce n'est pas avec des indignations "citoyennes" que l'on peut agir sur le rapport social. Le capitalisme financier n'est pas une excroissance aberrante sur le corps du capital mais une possibilité ancestrale, présente dès lors que la valeur d'échange impose sa présence autonomisée au sein des communautés et qui s'en donne à coeur joie, actualise sa dynamique propre, démesurée, lorsque le système d'exploitation peine à extraire de la survaleur du procès de production malgré son intensification/amplification de l'exploitation des salariés. Comme l'écrivait Marx c'est l'anatomie de l'homme qui donne la clef de l'anatomie du singe ; c'est donc la prise en compte de tous les moments produits historiquement des divers cycles d'exploitation s'enchevêtrant actuellement au sein du capital qui donne la compréhension du mouvement d'autonomisation de l'argent depuis le déclin des communautés antécapitalistes. La prise de conscience de tout ce mouvement historique permet de saisir la signification de la rupture nécessaire avec le monde de la marchandise et du rapport social le produisant. Voilà la théorie qui doit se saisir de la sphère publique aux antipodes des billevesées électoralo-médiatiques afin que les hommes prolétarisés produisent et reproduisent leur vie "dans les conditions les plus dignes, les plus conformes àleur nature humaine".Karl Marx. Le citoyen ne peut se reconnaître en tant que tel que dans une Nation reconquise, libérée des finalités manipulatrices du capitalisme et ouverte au champ des possibles du socialisme. Notre patrie est celle du combat de classe réel contre l'exploitation/aliénation.

 

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