27/02/2014
Localisme : De la théorie à la pratique
En novembre 2011, le président du conseil italien Mario Monti déposait une requête contre la Région de Calabre devant la cours constitutionnelle du pays pour l’empêcher d’édicter des textes favorisant la commercialisation des produits agricoles régionaux (textes dits “d’encouragement à l’agriculture à kilomètre zéro“). Si la loi régionale a finalement été approuvée, les quotas garantissant 50% de produits locaux dans la restauration collective et de 30% dans les restaueants et la grande distribution ont eux été interdits, pour violation des lois européennes antiprotectionnistes.
Par ce geste, l’homme des banques et des institutions internationales montrait clairement et très symboliquement que le « localisme » était l’un de ses principaux ennemis.
La ligne de fracture est alors très claire : d’un côté les tenants du marché global et sans frontières, de l’illimité et du dérégulé, du mondialisé et de l’indifférencié, de l’autre les défenseurs de la proximité, des circuits courts, des enracinements régionaux, des spécificités territoriales et des attachements identitaires. A première vue, le combat semble largement déséquilibré. Mais la résistance localiste s’organise. Petit tour d’horizon de celle-ci.
S’inspirer du passé pour reconstruire l’avenir
Traditionnellement, les homme ont cherché à produire dans leur environnement immédiat ce dont ils avaient besoin tout en ajustant parallèlement ces besoins à ce qu’ils pouvaient effectivement produire sur un espace donné. Bien sûr, les échanges commerciaux ont toujours existé mais portaient précisément sur les denrées ou les produits que l’on ne pouvait pas produire directement autour de soi, du fait notamment du climat ou des particularismes géographiques. Ce système à la fois vivrier, polyculturel et autonome – qui a engendré les traditions culinaires et gastronomiques, les arts et artisanats locaux, et même façonné les paysages - a violemment été remis en cause par la globalisation des échanges, l’ouverture des frontières, le progrès des techniques, notamment de transports, ainsi que la financiarisation de l’économie poussant à la spécialisation territoriale.
Prenant acte des impasses environnementales, des catastrophes sanitaires, du dumping social et de la misère matérielle et culturelle engendrés par ce nouveau modèle d’économie mondialisée, les tenants du « localisme » contemporain cherchent donc à renouer avec le « bon sens » à la base des pratiques socio-économiques qui ont été la règle durant la quasi-totalité de l’existence humaine pour tous les peuples et civilisations à travers le monde. Pour autant, ils ne sont ni des nostalgiques ni de purs romantiques et ne rêvent nullement d’un utopique et illusoire « retour en arrière » mais proposent des solutions concrètes, souvent nouvelles, en tout cas adaptées au monde actuel et à ses enjeux, afin de faire face à la crise à la fois économique et civilisationnelle dans laquelle finit d’agoniser notre post-modernité. Car le localisme n’est pas qu’un concept économique, c’est également une « philosophie » écologiste et identitaire ainsi qu’ une approche des rapports sociaux qui trouve politiquement des soutiens et des promoteurs aussi bien parmi ce que l’on a coutume d’appeler « la droite » que dans les rangs de ce qu’on nomme encore « la gauche », en tout cas dans leurs franges « anti-capitatlistes » respectives.
Face au rouleau compresseur de l’idéologie libérale , la démarche localiste s’appuie sur deux axes : un travail de propositions législatives et normatives et la mise en place d’initiatives et expériences de terrain.
Une proposition phare : la détaxation de proximité
Le principe est le suivant : moduler les taxes et les charges sur les produits mis en vente en fonction de la distance parcourue par ceux-ci entre leur lieu de production et leur lieu de consommation. Cette détaxation a pour but d’encourager la relocalisation progressive des activités économiques, favorisant ainsi l’emploi local et régénérant de ce fait le lien social. Une initiative fiscale qui permettrait de donner corps au vieux slogan « Vivre et travailler au pays ! » en offrant au « local » les moyens économiques d’exister face au « global ».
Ce principe pourrait notamment s’appliquer à la TVA – par l’intermédiaire de taux différenciés selon la distance entre le lieu d’achat et le lieu de production (très réduits pour la grande proximité, réduits, normaux, majorés et jusqu’à très majorés pour des milliers de kilomètres parcours par les produits)- et à l’embauche, en modulant les charges sociales en fonction de la distance entre le lieu d’habitation et le lieu de travail de l’employé.
L’es avantages d’un tel système apparaissent nombreux :
• sociaux, par la création d’emplois répondant à l’impossibilité matérielle des Français de répondre au critère de « mobilité » exigé par les employeurs, par la recréation du lien social et par la revitalisation de territoires, notamment ruraux.
• économiques, par le primat redonné à l’économie réelle sur l’extrême financiarisation, et par la relance de l’agriculture et du tissu des PME et TPE.
• écologiques, par la réduction de la distance parcourue par les hommes et les produits et donc des émissions polluantes.
• sanitaires, par des consommations plus locales donc plus saisonnières, plus saines et également plus facilement contrôlables.
• humains, en limitant les transferts de population ainsi que les déracinements et les éclatements familiaux qui en découlent.
En France, où malheureusement la nature et le fond des idées comptent moins -surtout médiatiquement que l’image et la réputation de leur émetteur - cette proposition a souffert d’être principalement promue par le « Bloc identitaire », mouvement classé à l’extrême droite de l’échiquier politique. Elle est pourtant reprise, sous des formes diverses, à travers toute l’Europe, par plusieurs organisations d’obédiences idéologiques opposées.
Des expériences associatives et commerciales de plus en plus nombreuses
Parfois anecdotiques, ou en tout cas isolées1, souvent mises en réseau, les tentatives d’expérimentations concrètes de systèmes ou de pratiques incarnant les principes localistes se sont multipliées ces dernières années, bénéficiant d’une inquiétude grandissante des populations face aux conséquences d’une mondialisation sauvage ne bénéficiant qu’à une infime minorité oligarchique et d’un souci sanitaire et écologique croissant, notamment dans le domaine de l’alimentation secoué régulièrement par des scandales causés par les errements de l’industrie agro-alimentaire.
- Les AMAP2
Une association pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) est un partenariat de proximité entre un groupe de consommateurs et une ferme locale, basé sur un système de distribution de « paniers » composés de produits de la ferme, généralement essentiellement des fruits et légumes de saison. C’est un contrat « solidaire », basé sur un engagement financier des consommateurs, qui payent à l’avance la totalité de leur consommation sur une période définie assurant donc un revenu fixe au producteur. Généralement, les bénéficiaires des « paniers » se rendent une ou deux fois par an dans la ferme productrice pour y observer le travail des agriculteurs et parfois même participer ponctuellement à l’activité de l’exploitation. Concept apparu au Japon dans les années 60 avec les teikei, les AMAP se sont développés en France à partir du début des années 2000. Au début des années 2010, on comptabilisait environ 1200 Amap sur le sol national, alimentant près de 200 000 consommateurs.
- Le Slow Food3
Le Slow Food est un mouvement fondé en Italie en 1986 par Carlo Petrini en réaction à l’émergence des « Fast food » en provenance des Etats-Unis. Opposé à l’uniformisation des goûts et des modes de consommation alimentaire, le mouvement tente de préserver les spécificités de la cuisine locale, régionale, ainsi que les plantes, semences, animaux domestiques et techniques agricoles qui lui sont associés. Il s’est rapidement étendu au-delà des frontières italiennes et l’on trouve désormais des organismes se réclamant de ce principe dans la plupart des pays occidentaux et dans certains pays d’Asie.
- Les locavores
Les locavores sont un mouvement apparu à San Francisco en 2005 (le terme est inventée par Jessica Prentice à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement) et basé sur l’idée suivante : ne consommer que des aliments produits dans un rayon de 100 miles, soit environ 160 kilomètres, autour de son lieu de vie. Après avoir connu un véritable succès populaire aux Etats-Unis et au Canada, le mouvement s’est étendu en Europe où il rencontrera un écho plus limité mais non négligeable, notamment en s’associant au développement des Amap.
- Les SEL4
Un SEL (Système d’Echange Local) est un système d’échange alternatif, basé sur le don/contre-don. Les SEL permettent à leurs membres de procéder à des échanges de biens, de services et de savoirs sans avoir recours à une transaction monétaire. Surveillées de près par l’administration fiscale qui voit ces pratiques alternatives d’un très mauvais œil, les transactions réalisées dans le cadre du SEL ne sont exonérées de TVA et d’impôts que dans la mesure où il s’agit d’une activité non répétitive et ponctuelle, type « coup de main » et n’entrant pas dans le cadre d’une profession.
Le premier SEL est apparu en France en 1994, en Ariège. A la fin des années 90, on comptait déjà plus de 300 SEL constitués de deux à plusieurs centaines de membres.
- Les monnaies locales
Plus de 2 500 systèmes de monnaie locale sont utilisés à travers le monde. En France, de nombreuses initiatives ont été lancées depuis 2010, comme Galléco en Ille et Vilaine ou l’Eusko au pays basque, avec toujours pour objectif une couverture départementale de biens et services accessibles avec cette monnaie.
Ces monnaies se veulent « solidaires et communautaires », elles ont pour but de donner de l’élan à l’économie territoriale, la population étant encouragée à consommer et utiliser des biens et services produits dans la région par les entreprises régionales et les professionnels locaux. Elles son détachées de toute logique spéculative.
- Les « Castors »5
Les Castors est un mouvement d’autoconstruction coopérative né à la fin de la Seconde guerre mondiale. On voit alors des familles se regrouper dans différentes villes de France (notamment Lyon et Villeurbanne) autour d’expériences d’auto-construction coopérative fondées sur le principe de l’apport-travail : le travail collectif, effectué pendant les heures de loisirs, vient pallier l’incapacité des personnes ainsi associées à financer l’achat ou la construction d’un logement. Le mouvement est aujourd’hui implanté au niveau national et compte près de 50 000 adhérents. S’il ne s’agit plus aujourd’hui véritablement de construire en commun, l’association garde pour but de rapprocher les adhérents « chevronnés » et les nouveaux venus afin que ceux-ci échangent expériences, conseils, « coups de mains » et « bons plans ».
- Le microcrédit
L’activité de microcrédit ou microfinance favorise et encourage les petits projets au niveau local, permettant de développer un « maillage économique » sur l’ensemble du territoire. Cet effet de levier permet d’agir efficacement auprès de ceux qui prennent des initiatives économiques personnelles, tels les entrepreneurs ou les artisans. Réalisé par des organismes caritatifs ou des structures associatives, le microcrédit permet de contourner les banques ou les établissements de crédits « classiques » et leurs taux de prêts quasi-usuraires. Initialement tourné essentiellement vers les pays dits « en voie de développement », le microcrédit s’est avéré avoir également toute sa pertinence dans les pays « développés ». L’engouement pour ce type de financement a toutefois entraîné un certain nombre d’abus, notamment la multiplication d’établissements spécialisés pratiquant des taux de recouvrement excessivement élevés.
- Les supermarchés paysans
Afin d’échapper aux intermédiaires et de ne plus dépendre des centrales d’achats des grand groupes de distribution qui souvent les étranglent, des agriculteurs ont décidé de se réunir pour investir dans l’achat ou la location d’un local, où ils se relaient pour vendre leurs produits directement au consommateur. Les producteurs associés peuvent être rejoints par des « dépôts-vendeurs » (des agriculteurs qui fournissent le magasin mais qui ne tiennent pas de permanence) ce qui permet d’accroître la gamme des produits proposés. Fondés sur le lien direct avec un producteur local ou avec un seul intermédiaire, ces modes de commercialisation ont actuellement le vent en poupe. Ils complètent et prolongent la vente à la ferme ou sur les marchés, formes traditionnelles de circuit de proximité. Des systèmes de ventes directe via internet6 voient également le jour et parachèvent une offre désormais assez large permettant de court-circuiter la grande distribution et sa logique purement mercantile et comptable.
Si les solutions localistes semblent, depuis quelques années, sensiblement gagner en légitimité et en crédibilité aux yeux de la population française et européenne, elles ne représentent néanmoins encore que des alternatives limitées, ponctuelles et parcellaires, à la toute puissance du marché global. Pour changer de dimension et incarner une véritable possibilité de « sortie » du modèle libéral mondialisé, il paraît indispensable que le mouvement localiste dépasse ses derniers blocages idéologiques et se débarrasse notamment de certaines scories gauchistes, afin d’être porteur d’un discours politique véritablement cohérent et efficient, prenant en compte toutes les dimensions de la problématique du local face au global. En effet, tant que la plupart théoriciens du localisme continueront à professer un immigrationnisme totalement schizophrénique et que les tenants de la « décroissance » passeront davantage de temps à dénoncer les « localistes et écologistes non-politiquement correct », qu’il s’agisse d’Alain de Benoist ou de Laurent Ozon7, qu’à combattre les thuriféraires du marché, leurs initiatives risquent de se borner à n’être que l’expression d’une « mode », certes sympathique, mais sans véritable portée révolutionnaire.
Xavier Eman in revue Eléments, numéro 150 ( source Zentropa infos)
07:29 Publié dans Réflexion - Théorie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
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