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03/06/2014

Joy Division : Requiem pour la Joie

« Rien ne résistera, rien ne conviendra

Dans le froid, pas de sourire

Sur tes lèvres

Vivre dans une ère de glace

En cherchant une autre voie

On vit dans des trous

Et des puits désaffectés

J’espérais un peu mieux. »

(Ice Age-Joy Division)

 

Nuit et brouillard.

Manchester, fin des années 1970, n’est pas vraiment le coin le plus charmant d’Angleterre. Usines en crise, banlieues sordides et grisaille crépusculaire, l’univers des jeunes ouvriers ne laisse pas la place à l’espoir. Pour passer le temps, pas grand-chose à faire en dehors de boire de la bière et regarder le foot à la télé. Puis la vague punk va déferler donnant un sens tragique à cette souffrance du quotidien que l’on appelle l’ennui. Ian Curtis, qui trime dans une usine textile, va débarquer un soir d'errance dans l’épicentre de l’explosion Keupon. Il assiste au premier concert des Sex Pistols à Manchester en compagnie de Bernard Sumner et Peter Hook, deux copains d’école. L’aspect provocateur, sauvage et spontané du groupe de Sid Visious va les convaincre de monter leur propre groupe, exutoire de leur révolte.

Au début de 1977, ils forment Warsaw (Varsovie), en référence à la ville martyre et à un jeu de mots : la guerre en vue. Pourtant, ils durent renoncer à ce nom, un autre groupe utilisant déjà celui de « Warsaw Pact ». Ce fut Peter qui lut dans un journal que les groupes de prostituées chargées d’amuser les SS dans les camps de concentration s’appelaient les « Divisions de la Joie ». Le nom leur plut à tous par sa symbolique forte.

 

Et en route pour la joie.

Le groupe se cherche un style ; punk au début, il évolue en mûrissant vers son propre son. L’alchimie est simple : batterie, basse et guitare, la fusion brutale des instruments s’opère et donne une sobriété minimaliste qui laisse l’espace libre à la voix et aux textes de Ian Curtis. Plusieurs rencontres vont aboutir à donner sa forme à Joy Division. C’est en décembre 77, qu’ils furent remarqués par Robert Gretton, DJ dans le club où ils venaient de faire un tremplin rock avec 16 autres groupes, il deviendra leur manager. Durant cette même soirée mémorable, Ian Curtis nerveux insulte toutes les personnes se trouvant sur son passage, dont Tony Wilson, animateur d’une émission musicale locale. Intrigué par cet olibrius, il sera l’un des rares à assister à la prestation du groupe, passée une heure du matin. Séduit, il va signer son groupe sur la première production de son label, Factory record. Joy Division apparaît donc sur la compilation Factory Sample au coté de Cabaret Voltaire, John Dowle et de Durutti Column (projet de situationnistes anglais précurseurs de la musique industrielle).

Wilson propulse le groupe et accepte de financer leur premier album en 1979. Le disque sera produit par Martin Hannett, qui sera très lié à Joy Division.

La Danse de Saint Guy.

Unknow Pleasure sera un joyau de noir, toute l’âme tourmentée d’Ian Curtis ressortant à fleur de peau dans les textes. Hannett va ciseler une tension surhumaine, atteignant les limites du supportable : « On voulait recréer cette obscurité millénaire, le vide, la peur de la nuit, les lumières, la pluie… ». En octobre-novembre 1979, Joy Division entreprend une tournée épique en Angleterre comme première partie des Buzzcoks. Tout le long de la tournée, ils volent la vedette à leurs concitoyens de Manchester. Mais cela a un prix, Ian Curtis succombe à des crises d’épilepsie spectaculaires et à répétitions. Le public assiste à cette danse de Saint Guy sans comprendre et pense voir un chaman succombé à une transe mystique. De la souffrance naîtra la joie des masses … L’excellent accueil de la part des critiques, s’accompagne d’un véritable succès au niveau des ventes. Le single Transmission (inspiré du Livre de Loi d’Aleister Crowley) est en tête des chartes anglaises. En avril 80, ils enregistrent Closer pour Factory. Une musique encore plus triste et résignée mais toujours aussi belle. « Je voulais faire de la magie. Je me disais : j’ai fait ce disque pour qu’on souffre en l’écoutant » dira quelques années plus tard Martin Hannett. Un peu plus tard Love will tear us apart est gravé sur le vinyle d’un maxi 45. Morceau dont le rythme et la beauté est un envoûtement mélodieux et froid, on atteint la perfection.

Dernière gigue avec la mort.

Les concerts se multiplient, les foules viennent observer le spectacle de la cérémonie donnée aux dieux du chaos par quatre jeunes hommes impassibles. Il est rare que Ian Curtis ne finisse pas une de leur prestation sans tomber foudroyé par une crise. Une tournée américaine est prévue, mais rien n’est sûr à cause de Curtis. Ian et sa santé, ses ennuis avec sa femme et surtout sa peur grandissante de monter sur scène.

L’ombre va finir par le rattraper  un soir. Après avoir lu quelques pages de Mishima il écoute The Idiot de Iggy Pop et s’en va se pendre dans la cuisine de son appartement. Il avait 23 ans et nous étions le 17 mai 1980…

Closer et Still (disque d’inédits studios et de lives) sortiront après la mort de Curtis et rencontreront un succès immédiat. Les membres survivants dissolvent la division de la joie selon les vœux de Curtis. Ils vont donner naissance à New Order et seront les précurseurs de la techno et de la dance. Joy Division marquera profondément son époque, ouvrant grandes les portes à une nouvelle génération de la musique européenne. De nombreux groupes se sont inspirés depuis de leur musique à l’ambiance tendue et glacée. Ultime paradoxe : du désespoir est né le renouveau.

 

À écouter : Joy Division – Substance- Compilation reprenant les diverses périodes du groupe. Une bonne entrée en matière pour vos oreilles.

À Lire : Fabien Rabon, « Joy Division, Lumières et Ténèbres », Edition du camion Blanc.

A voir : 24 Hours Party People, disponible en DVD, l’histoire du Factory, boite et label de Tony Wilson.

 

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