01/02/2006
Rébellion n°16 - Janvier/Février 2006
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européenne.
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EDITORIAL.
« I WANT A WHITE RIOT… »
A peine trois mois se sont écoulés depuis la flambée de violence dans les banlieues, que déjà tout semble être redevenu soudainement normal. Le dernier incendie éteint, il ne restait plus aux français qu’à chercher un maigre réconfort dans leurs achats compulsifs de Noël. La fin d’année a donné lieu à ses traditionnelles réjouissances : voitures brûlées dans les cités, agressions dans les trains et beuveries et bagarres générales dans les centres villes. Tout cela n’a pas dépassé le seuil habituel et les médias ont facilement escamoté les incidents. L’état d’urgence (qui n’avait été qu’une mesure médiatique d’un gouvernement incapable pour frapper les esprits et donner l’expression de la fermeté) a pu être levé par la baudruche qui nous sert de président dès le 4 janvier. Le message était clair : braves gens vous pouvez dormir tranquilles à nouveau et surtout oublier que vous vivez sur un volcan.
Pourtant, nous aimerions comprendre ce qui s’est joué durant ces quelques jours. On voudrait bien savoir comment nous en sommes arrivés là et surtout quel avenir on nous prépare. Parce que nous avons bien l’impression d’être rentrés dans un état d’urgence permanent, que cette situation d’exception deviendra bientôt le mode de fonctionnement même du système.
Que faire face à cela ? Par delà la peur et le dégoût, il appartient à tous ceux qui sont assez courageux et lucides pour prendre conscience de l’impasse de cette société, de monter en première ligne. D’affirmer qu’ils ne sont pas dupes et d’aider à une prise de conscience collective.
Police partout, sécurité nulle part
La délinquance et l’insécurité ne sont pas des phénomènes nouveaux. L’histoire des violences urbaines modernes débute dès 1971 à Vaulx en Velin. Le décor est déjà planté, une cité HLM (La Grappinière dans la périphérie lyonnaise) où s’entasse une population hétérogène de pieds noirs, d’harkis et d’immigrés de fraîche date venus du Maghreb. Le scénario des événements deviendra lui aussi classique. Des actes de petite délinquance donnent naissance à un climat de tension entre les habitants. Des jeunes désoeuvrés organisant des rodéos sauvages au cœur de la cité. En 1979, cela aboutit à l’intervention de la police pour rétablir le calme à la suite d’incendies de voitures et de bâtiments publics. Pendant plusieurs nuits, les forces de l’ordre affrontent des bandes de jeunes. Durant l’été 1981, ce sont les premières émeutes aux Minguettes dans la ZUP de Vénissieux. L’événement deviendra national avec la médiatisation par la télévision des incidents. La France entière découvrait le problème des banlieues. Le phénomène se propagera à l’ensemble des grandes villes. A partir des années 90, la violence explosera sporadiquement dans les quartiers. Dès lors, les gouvernements successifs vont devoir gérer cette situation, de la politique de la ville du P « S » ou « tout répressif » de la droite rien ne viendra a bout du problème. Mais progressivement, une nouvelle approche du problème se fait jour.
Bien conscient que le système qu’il représente mène irrémédiablement à la décomposition sociale des couches populaires, le pouvoir va évoluer, dans son approche, sous l ‘influence de l’idéologie ultra-libérale en cours. Il va comprendre qu’il peut utiliser l’insécurité pour augmenter son contrôle de la population au moment où il ne peut plus lui garantir la sécurité. « Les rues se vident, l'espace public se délite, chacun se replie sur sa sphère privée, meuble ses soirées en regardant la télévision: quoi de plus favorable à l'exercice de l'autorité ? En laissant les délinquants agir à sa place, le pouvoir fait d'une pierre deux coups. L'ordre se défait, mais le désarroi même qui en résulte débouche paradoxalement sur une relégitimation du pouvoir, car celui-ci apparaît comme l'ultime rempart contre le désordre triomphant » (1). Il va gérer au mieux de ses intérêts les crises, en laissant s’entretenir la tension et en renforçant ses fonctions répressives.
L’insécurité n’est donc plus combattue. La fonction de la police n’est pas de combattre l’insécurité elle est, ce qui est différent, de contrôler et de surveiller les personnes (2). Alors que tous les jours, les lois qui réduisent nos libertés et réglementent nos vies ne cessent d’augmenter (caméras de surveillance, biométrie, fichage…), la réalité de l’insécurité (qui n’est pas un simple « sentiment », n’en déplaise aux biens pensants) mine les couches populaires. Les mesures sécuritaires ne visent pas à garantir la sécurité du peuple, mais celle de la « Nouvelle Classe » oligarchique qui nous gouverne. Bien à l’abri dans leurs quartiers protégés, elles assiste au naufrage de notre société et en empoche le bénéfice. Dans ce contexte il n’est pas étonnant de voir l’Etat renoncer à sa figure classique d’incarnation de la souveraineté. Si l’Etat moderne issu progressivement de la disparition de l’ordre féodal a bien été un instrument de domination de classe, il n’en a pas moins été un lieu de stabilisation du lien social, amortissant même parfois les appétits de tel ou tel intérêt particulier. Ne serait-ce que dans la mesure où la bourgeoisie devait tenter globalement d’assurer l’existence d’un ordre qui lui fût commun au sein d’un espace national. De là l’insistance en philosophie politique moderne du thème du contrat, fondant la citoyenneté et garantissant la sécurité des individus par la mise en place de la Souveraineté (notamment lumineusement théorisé par Hobbes au 17° siècle). Ce schéma fut, certes longuement miné de l’intérieur par ce que Carl Schmitt appelle « les puissances indirectes » :
« les puissances « indirectes » de l’Eglise et des groupements d’intérêts ont reparu sous la figure moderne des partis politiques, des syndicats, des associations -en un mot, comme des « puissances de la société ». Par la voie du Parlement, ils se sont approprié le pouvoir de légiférer et l’Etat de droit, et ils ont pu croire qu’ils avaient réussi à atteler le Léviathan à leur carrosse. Cette tâche leur a été facilitée par un système constitutionnel dont le schéma fondamental était un catalogue des libertés individuelles… Les institutions et les concepts du libéralisme sur lesquels reposait l’Etat de droit positiviste se transformèrent en armes et en positions de pouvoir au service de puissances éminemment non libérales. » (3).
Néanmoins, jusqu’à une période relativement récente, le rapport de forces entre des conceptions politiques opposées pouvait encore laisser espérer que malgré la domination de classe de la bourgeoisie certains intérêts du prolétariat pouvait encore être défendus au sein d’un pays articulant son existence autour d’une souveraineté étatique. Mais depuis l’offensive tous azimuts de la mondialisation, il devient clair que la fonction du pouvoir politique et étatique est essentiellement dirigée contre l’existence du peuple lui-même qu’il était sensé préserver. En conséquence nous voyons fleurir une propagande constante mettant en avant les vertus d’un républicanisme vide de tout contenu réel et d’une idée de citoyenneté réduite à sa plus simple expression d’acquiescement au cirque mondialiste soi-disant multiculturel. La puissance dite publique n’a plus qu’une fonction, celle de dissoudre l’existence historique des peuples dans des flux migratoires planétaires porteurs de malaises profonds sur le plan identitaire et vecteurs de chaos social et accélérateurs de la dissolution du lien social. Par contre la répression fonctionne à merveille à l’encontre de ceux qui osent remettre en question la Pensée Unique et les forces policières sont fin prêtes pour réprimer les luttes réelles que le prolétariat pourrait déclencher.
L’appel du vide…
Il était normal qu’une société folle, qui se propose de ménager son avenir uniquement en généralisant l’emploi de « camisoles » individuelles et collectives, produise des phénomènes de violence sans but comme les dernières émeutes. Loin d’avoir été un « grand soir révolutionnaire » ou le début d’une « guerre ethnique » conduite sous les hospices de l’islamisme radical, elles ne furent que l’expression du nihilisme de notre époque. La « racaille » (expression qui a fait couler beaucoup d’encre pour pas grand chose…) n’est- elle pas le produit de la société de consommation ? « La prétendue redoutabilité des racailles marque leurs extrême fragilité face à un société qui leur a donné un rôle social qu’ils acceptent sans broncher ». La violence actuelle n’est plus révolutionnaire, elle traduit simplement la misère psychologique et intellectuelle dans laquelle nous sommes tombés. Les rêves des cailleras sont ceux que leur fournit la société de consommation, leurs frustrations naissent de l’insatisfaction de leurs besoins de marchandises. Ils ne veulent pas changer la société, mais simplement s’y intégrer pour pouvoir reproduire les mêmes schémas. L’exemple le plus frappant est peu être le rap business made in Skyrock (où une musique de révolte avec un message fort pour les noirs américains est devenue un produit de consommation nourrissant les fantasmes des pseudos « bads boys » de nos cités). Promu par les médias des classes dominantes (radios, TV), il véhicule l’idéologie du système dans ce qu’elle a de plus vulgaire.
Pompiers pyromanes, l’oligarchie alimente le pourrissement social et sème les graines de la violence. Cette violence est généralement bien limitée et contrôlée, des espaces ou des moments sont ainsi réservés à son expression (des émeutes des banlieues au hooliganisme).
Elle est surtout vidée de tout contenu politique, elle est au mieux l’expression d’un néo-tribalisme de bande ou pire du pur vandalisme.
Le potentiel révolutionnaire de ces révoltes existe, mais il est à l’état latent. « La difficulté majeure pour ceux qui tentent de résister à l’asservissement marchand réside dans l’abrutissement général des masses ». Faire prendre conscience des enjeux aux gens est déjà un défi. Déjà certains ont commencé à comprendre que la violence peut servir à exprimer des revendications constructives. Les centaines de dockers européens venus à Strasbourg réclamer l’arrêt des mesures ultra-libérales dans leur secteur, ont su trouver d’eux- mêmes la cible à viser. En faisant tomber à coups de projectiles les belles vitres du Parlement des euro-technocrates, ils ont bien frappé. Quant à la répression policière et juridique, en ce cas là, elle n’a pas traîné. Cela peut quand même nous laisser espérer que les mauvais jours finiront…
(1) Eric Werner "L'avant guerre civile"- Edition de l'Age d'homme 1999.
(2) Voir l’article « Violences dans les banlieues : l’arme du pouvoir » de Fabrice Trochet sur le site le Grain de Sable ( http:www.legraindesable.com/)
(3) Carl Schmitt. Le Léviathan dans la doctrine de l’Etat de Thomas Hobbes. P.134, 135.
Editions du Seuil.
(4) Voir le texte très influencé par les « situs », Les mutants, sur le site de rap alternatif Rapace : http://rapaces.zone-mondiale.org/pages/comm8.htm
09:35 Publié dans La revue Rébellion | Lien permanent | Tags : i want a white riot | Facebook | | Imprimer