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05/11/2009

Edito : "Le livre de la Jungle"

Editorial du numéro 39 de Rébellion, prochainement disponible.


Nous évoquions dans notre éditorial précédent (n° 38.sept/oct 09) les caractéristiques essentielles de la Ferme Mondiale dans laquelle le capital parque le genre humain. Cette évocation ne serait pas complète sans la description de la Jungle libérale encerclant de toutes parts les bâtiments de la Ferme. Jungle profonde et quasi impénétrable où se trament tous les coups tordus et dans laquelle la sauvagerie (du latin silva, forêt) se donne libre cours. Cette Jungle est qualifiée de « libérale » par un étrange retournement sémantique dont ce qualificatif fait l’objet. Il fut un temps où un homme libéral désignait quelqu’un manifestant de la générosité, faisant preuve de libéralité (vertu suprême du héros cartésien), où une activité libérale qualifiait celle-ci comme étant non contrainte, non mercenaire, témoignant de la dignité de celui qui s’y adonnait. Puis vinrent d’étranges idéologues qui par « libéral », « libéralisme » firent accroire au public qu’il suffisait de poursuivre son intérêt égoïste dans l’objectif de le maximiser au plus près pour être libéral et qu’il n’y avait pas à s’en faire sur le plan moral puisqu’un rapide calcul global et statistique montrerait que l’intérêt général en serait automatiquement satisfait.

Alors les repères, certes mouvants, distinguant la nature de la culture s’estompèrent et le darwinisme social devint le credo de notre temps. Le monde dit civilisé, ainsi dérégulé socialement devint un champ de ruines où la loi de la Jungle s’inscrivit au cœur des cités. Ne vit-on pas ces dernières semaines apparaître en plein Calais, une dite Jungle peuplée d’afghans attirés probablement par la publicité faite à « Bienvenue chez les ch’tis » ? Comme pour la forêt équatoriale, les lianes de la jungle calaisienne repoussent instantanément après avoir été coupées. Les rodomontades policières ne sont que poudre aux yeux afin de faire semblant d’enrayer le processus d’immigration afghane vers notre continent. On vit même évacuer par bus quelques dizaines d’afghans vers des centres de la proche banlieue toulousaine. Le pouvoir espérait-il qu’une partie du comité de rédaction de « Rébellion » sise à Toulouse allait déclencher en leur faveur une campagne de soutien ?

Ce ne peut être notre réaction ! Nous ne nous réjouissons certes pas des conditions d’existence au sein de la Jungle et sommes sensibles à la souffrance humaine. Cela étant dit, nous n’oublions pas que l’Afghanistan a eu la possibilité de tenter une expérience socialiste, aussi imparfaite soit-elle, mais que certaines oreilles afghanes ont été plus sensibles aux sirènes de la CIA armant des fondamentalistes rétrogrades qu’aux orientations sociales d’un régime proposant de tirer le pays d’un immobilisme clanique ancestral (là aussi il ne faut pas confondre défense d’une identité culturelle avec sclérose des rapports humains). Par ailleurs, nous avons été surpris par le silence assourdissant des milieux féministes qui auraient logiquement du se faire entendre. Les nombreuses images diffusées de l’évacuation de la Jungle ne firent pas apparaître une seule silhouette féminine parmi les « malheureux » embarqués. Les femmes sont donc restées aux fourneaux à Kaboul ! Enfin de compatissants journaleux nous présentèrent à la TV, le périple de quelques afghans depuis leur pays d’origine pour lequel long périple, ils avaient déboursé la coquette somme de 20000 dollars ! C’est le fameux bas de laine afghan… Rapatriés vers Kaboul aux frais du peuple français, ils reçurent d’un représentant de notre gouvernement, 2000 euros chacun, à leur arrivée (20 mois de salaire moyen local !) et sont, depuis, gracieusement logés dans un « modeste » hôtel de la capitale afghane aux frais de la généreuse République française. Les prolétaires de notre pays, tirant la langue quotidiennement, apprécieront.

On voit bien là le jeu hypocrite de la bourgeoisie coincée entre ses contradictions : intervention impérialiste otanesque finissant de détruire l’Afghanistan, entraînant une réaction de fuite de ceux qui peuvent encore quitter leur pays d’origine, créant par là même une immigration chaotique avec son commerce maffieux de passeurs et donc une situation hallucinante sur notre sol à laquelle répond un vague humanitarisme de la part des gouvernements européens, assorti de mesures plus ou moins sécuritaires.


L’épisode afghan est le résumé de la situation que le capital fait endurer à tous les peuples de la Terre, c’est la loi de la jungle du profit et de la domination globalisée à son enseigne. C’est l’injonction du « déchirez-vous les uns les autres » à laquelle, les querelles internes à la classe dominante, montrent qu’elle n’échappe pas elle-même. En se donnant en spectacle, celle-ci tente encore de donner à penser que le capitalisme peut se purger de ses pratiques malsaines (cf. les dernières affaires hexagonales de règlement de compte entre politiciens du système : de Villepin, Jean Sarkozy, Pasqua etc.). Cela ne nous intéresse pas le moins du monde, si ce n’est à titre de symptôme signifiant qu’il n’y a pas de catharsis du capital. Cela fait bien longtemps que les révolutionnaires disent que ce système est destiné à disparaître, qu’il est condamné par sa nature même, ses contradictions internes. Cette idée exprimait, certes, le désir de ceux prononçant son arrêt de mort, leur part d’espérance voire d’utopie dans laquelle on a pu percevoir un messianisme sécularisé.

D’accord, il n’y pas de fatalité historique conduisant le capitalisme à sa mort. Certaines formulations du socialisme ont pu être parfois hâtives ou simplificatrices. Néanmoins, cela ne rend pas plus légitime la dévastation de l’humanité par la mondialisation capitaliste. Cela ne justifie pas plus une approche empreinte de tiédeur dans la critique à son égard (les demi mesures du développement durable et de l’altermondialisme entre autres choses). Les penseurs socialistes pensaient que le capitalisme ouvrait un éventail de possibilités pour l’humanité, plus ample que les formes sociales l’ayant précédé (point de vue de Marx sur le communisme). Actuellement, il nous fait courir le danger d’éradiquer ces possibilités en nous léguant une terre dévastée (destruction de la biodiversité) et une jungle sociale sans diversité. Cela reste pour nous l’enjeu principal que doit relever la critique socialiste et révolutionnaire de ce monde aliéné.