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01/12/2010

Rébellion 44 Disponible !

 

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Sommaire du numéro

P04EDITO

Travail salarié et Capital

Idéologie et praxis

P06SOCIETE

Sécurité collective

et responsabilité individuelle

P08DOSSIER

>Entretien avec Michel Drac :

La stratégie du Choc

>P12Entretien avec Alain De Benoist :

A l’aube d’un nouveau Monde ?

>P16Entretien avec Pierre Le Vigan :

Combattre pour une nation Européenne

>P19Nos positions :

Des années décisives !

P20FIGURE

Panait Istrati :

L’homme révolté

P22CULTURE

Mystiques, bandits et révolutionnaires :

Petites histoires des hors-la-loi brésiliens

 

Disponible contre 4 euros à notre adresse :

Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02.

 

30/11/2010

Jean Parvulesco, mort d'un écrivain mythologique

Personnage secret et résolument atypique du paysage littéraire français, l'écrivain d'origine roumaine Jean Parvulesco est mort à Paris le dimanche 21 novembre 2010. Romancier, poète, philosophe, essayiste, journaliste longtemps à la croisée des mondes littéraire, cinématographique, artistique et politique, Jean Parvulesco a réactivé la tradition de la littérature mythique, construisant, durant un quart de siècle, une œuvre où se mêlent métaphysique, eschatologie et géopolitique. Nous republions ci-dessous le portrait que lui avait consacré Michel Marmin en février 2008 dans Spectacle du monde, sous le titre "Jean Parvulesco, de l’empire à l’être".

C’est incontestablement l’une des figures les plus énigmatiques et les plus fascinantes de la littérature française contemporaine qui, dans le Sentier perdu (2007), son avant-dernier roman, nous fait cette rare confidence dont les esprits forts auraient bien tort de sourire : « J’avoue que j’ai de la peine à croire que tout ce sombre cauchemar, le cauchemar de toute une vie, va bientôt prendre fin, pour être remplacé par son contraire, que la vertigineuse puissance du retour à l’être vienne à s’installer à la place de ces ténèbres mornes et déshonorantes que j’ai jusqu’à présent connues comme étant ma propre vie. »
Voilà en effet, posée en une seule phrase, la trame essentielle de l’œuvre romanesque, poétique, philosophique et politique de Jean Parvulesco, laquelle est d’ailleurs moins le témoignage d’un combat métaphysique que le théâtre même de ce combat – en quoi elle réactive la tradition, oubliée depuis l’Astrée, d’Honoré d’Urfé, de la littérature mythique, de la littérature des commencements primordiaux. « En d’autres termes, écrivait Mircea Eliade, un mythe est une histoire vraie qui s’est passée au commencement du temps. » Mais les « histoires vraies » de Jean Parvulesco, elles, se passent non au commencement, mais à la fin des temps historiques, à la « fin finale » d’une lutte totale qui, selon la prophétie, verra le triomphe de l’être sur les puissances du non-être, sur l’« ennemi métaphysique », et dont l’auteur lui-même serait ensemble l’ordonnateur et le héros en ses divers avatars fictionnels…

Mais qui est réellement cet écrivain activiste, si tant est que cette question ait vraiment quelque importance, en regard de son « identité dogmatique », la seule qui lui importe ? Disons seulement que, né en 1929, en Roumanie, Jean Parvulesco a franchi, après la Seconde Guerre mondiale, les rideaux de fer et de feu du communisme pour se retrouver à Paris dans les cercles les plus en pointe de l’avant-garde littéraire, artistique et cinématographique, ainsi que dans les sentines les plus périlleuses de l’action politique clandestine, de l’OAS madrilène aux conspirations gaullistes de l’après-de Gaulle.

C’est ainsi qu’il signera en exil des articles explosifs sur la Nouvelle Vague dans le magazine phalangiste Primer Plano, que l’on verra sa silhouette dans les films d’Eric Rohmer ou de Barbet Schroeder, qu’il répandra de saisissantes prophéties géopolitiques dans les pages du quotidien Combat, qu’il se forgera en somme une légende avant d’apparaître à visage découvert avec la publication, en 1984, de son premier grand poème, Traité de la chasse au faucon, dont on peut prétendre sans exagération qu’il reprend les Cantos, d’Ezra Pound, là où le poète américain les avait laissés. Une légende à laquelle le cinéaste Jean-Pierre Melville avait d’ailleurs très curieusement donné corps en lui prêtant son visage dans une séquence d’A bout de souffle, de Jean-Luc Godard (1959), et qui connaîtra une sorte de consécration, certes malveillante, mais ô combien significative, dans un roman à clé de la Série noire, Blocus solus, de Bertrand Delcour (1996).

Ce n’était évidemment pas sans intention que le titre de Traité de la chasse au faucon était emprunté au célèbre De arte venandi cum avibus, de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen… Pour Jean Parvulesco, et c’est là le ressort principal de ses romans, l’avènement de l’être passera par le rétablissement de l’empire, mais élargi à tout l’ensemble continental euro-asiatique, selon un axe central formé par Paris, Berlin et Moscou. Ce concept axial, dont le général de Gaulle avait eu l’intuition révolutionnaire dès 1949, qu’Henri de Grossouvre développera dans son essai Paris Berlin Moscou (2002) et à laquelle l’opposition de la France, de l’Allemagne et de la Russie à l’invasion de l’Irak offrira une ébauche de réalisation en 2003, il en avait le premier donné une formulation doctrinale précise dans un article, paru le 25 septembre 1980, dans Jeune Nation.

Ce faisant, Jean Parvulesco relevait la vieille idée visionnaire de Gabriel Hanotaux qui, ministre des Affaires étrangères de 1894 à 1898, avait passionnément œuvré, mais en vain, à la constitution d’un système d’alliances entre Paris, Berlin et Saint-Pétersbourg, afin de faire pièce à l’hégémonie anglo-saxonne. Une idée dont on trouvera l’approfondissement dans la plupart de ses essais théoriques, et plus particulièrement dans les Fondements géopolitiques du grand gaullisme (1995) et dans Vladimir Poutine et l’Eurasie (2005). Ce dernier ouvrage, précisons-le, a fait l’objet d’une édition russe et figure en très bonne place dans la bibliothèque du Kremlin.

Il serait, au demeurant, parfaitement erroné d’attribuer cette vocation impériale à une quelconque volonté de puissance, c’est même rigoureusement le contraire. L’« empire euro-asiatique de la fin » rêvé par Jean Parvulesco n’est pas une fin, justement, mais un moyen.
C’est le vaisseau qui conduira à la paix de l’être enfin advenue sous l’éternel, intemporel et universel imperium de Marie, à qui Jean Parvulesco voue un culte personnel et expérimental que signale plus précisément son extraordinaire Rapport secret à la nonciature (1995), son livre le plus intime et le plus déchirant avec le Sentier perdu. Mais dans ses romans, Marie revêt de multiples apparences, archaïques et modernes tour à tour, et ses apparitions sont d’ailleurs toujours surprenantes, car elles peuvent se manifester aussi bien sous les espèces d’une reine de France décapitée que d’une fille perdue… Cette multiplication iconique procède d’un marialisme tantrique qui ne manquera évidemment pas de faire sourciller plus d’un théologien. Il n’en constitue pas moins, dans la vision eschatologique de Jean Parvulesco, la voie par laquelle, par-delà le grand combat manichéen qui structure son œuvre, se résoudra la polarité des contraires et sera restaurée l’unité originelle. Telle est, en résumé, l’« histoire vraie » que racontent tous ses romans.

Inaugurée en 1987 avec la Servante portugaise, la production romanesque de Jean Parvulesco se présente comme une spirale de douze romans dont le dernier paru, Dans la forêt de Fontainebleau (2007), est le dixième. C’est peut-être aussi celui où le romancier justifie le plus complètement cette observation de son ami Guy Dupré : « Tout fait farine à son moulin mystique. » En effet, pour dévoiler, à l’instar de Balzac, l’« envers de l’histoire contemporaine » –car c’est bien de quoi il est question –, Jean Parvulesco récapitule et précipite toutes les formes du roman occidental, du roman arthurien au roman d’espionnage, et ne s’interdit aucune divagation onirique, fantastique ou érotique, le tout dans une espèce de fureur créatrice alimentée par une imagination véritablement phénoménale et servie par une langue somptueuse. C’est très exactement incomparable.

Michel Marmin

Exit Jean Parvulesco

« Poésie, essais et roman, j’écris dans un but de combat, dans un but de guerre eschatologique finale »

Jean Parvulesco, Entretien avec Olivier Germain-Thomas

Tout Parvulesco se retrouve dans cette sentence : la littérature comme art martial, l’Endkampf, la hantise du salut. Décédé le 21 novembre, Jean Parvulesco était l’un des écrivains les plus singuliers et les plus secrets de ce temps. Forçat et fugitif, agent clandestin et activiste des profondeurs, essayiste et noctambule, poète et romancier, il aura coiffé toutes les casquettes, - en plus de cette vilaine casquette bleu marine que je lui vis lors de notre première rencontre en 1994. Je venais de lire son roman métaphysique, L’Etoile de l’Empire invisible, que le cher Guy Dupré qualifia justement d’intrusion du tantrisme en littérature et qui, à peine terminé, avait suscité en moi l’un des cauchemars les plus terrifiants de mon existence. Juste une voix, celle de Parvulesco, psalmodiant une litanie dans une langue inconnue (un peu comme dans Eyes wide shut, de Kubrick) ; la vision d’une cave où se déroulait je ne sais quel rituel. Par une coïncidence des plus troublantes, dans la nuit de dimanche à lundi, c’est-à-dire ce 21 novembre MMX, un autre cauchemar, encore plus terrifiant, m’a réveillé le cœur en folie et le cerveau en ébullition jusqu’à l’aube. Il me plaît d’imaginer que Jean m’a adressé un ultime message en forme d’archétype. Aujourd’hui, c’est mon âme qui est en peine à l’idée que, jamais plus, nous ne reprendrons nos conciliabules sur l’axe grand-continental Paris-Berlin-Moscou-New Delhi-Lhassa-Tokyo, sur l’Ile du Milieu du Monde et sur la France, la France royale que ce métèque voyait – car c’était un voyant – comme une conjuration à la fois héroïque et salvatrice. Attentif à mon travail d’éditeur de la revue Antaios, dont il me répétait dix ans après son entrée en dormition qu’il en portait encore le deuil, Parvulesco fut l’un des premiers, avec Michel Mourlet, à m’encourager à prendre la plume une fois pour toutes, - à devenir écrivain.

Parmi les souvenirs qui affluent, cette entrevue en juin 1994, dans une brasserie du XVIème, avec Alexandre Douguine, héraut de l’école eurasiste, d’autant plus grandiose que nous sortions, Alexandre et moi, d’un déjeuner bien arrosé avec un ancien trotskyste des années 30, un temps proche de Marcel Déat avant, entre autres aventures, de diriger le Crapouillot. Peu après, j’apprenais avec stupéfaction que, bombardé Membre du Jury des Treize, j’avais ainsi attribué un prix à Jean l’Enchanteur! Je lui ai adressé tous mes livres, qui chaque fois m’ont valu une lettre confidentielle de la Société Philosophique Jean Parvulesco ou l’un de ces bristols du Groupement d’Action et de Recherches Géopolitiques Avancées (le Délégué général). Mon premier livre, Parcours païen, lui inspira une longue dérive parue dans Contrelittérature et reprise dans La Confirmation boréale, tout comme le subtil commentaire de Maugis, roman qu’il avait décodé avec délice (« Maintenant, je sais qui vous êtes » m’écrivit-il). De mon côté, j’ai recensé nombre de ses livres, dédicacés au feutre vert (et quelles formules !) ici ou là. Chaque entretien avec lui, de vive voix ou au téléphone (« tant pis pour les tables d’écoute»), me laissait l’esprit dilaté. La rate aussi, tant il pouvait me faire rire avec cet humour grinçant de soudard pétri de littérature.

Sacré Jean ! Son éditeur Vladimir Dimitrijevic confiait un jour que, sortant d’un cinéma avec Parvulesco et Dominique de Roux, Jean s’était lancé dans un ahurissant commentaire, n’ayant qu’un rapport extrêmement lointain avec ledit film tant ce phénomène avait développé ses capacités de visionnaire que les aveugles prennent pour insigne folie. A l’entendre, je croyais me trouver devant un mixte d’Eliade et d’Abellio, devant un mystagogue doublé d’un truand sorti d’un film en noir et blanc de son ami Melville. L’homme était attentif à ses cadets, qu’il encourageait ; il était curieux et au courant de tout malgré son isolement dans cette chambre du boulevard Suchet, aux murs écaillés, dont la nudité serrait le cœur.

Adieu, camarade.

Sit tibi terra levis !

Christopher Gérard

24 novembre MMX

Source : http://archaion.hautetfort.com/