Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/09/2011

Eléments de musique industrielle

Ses probables fondements sont dans le Futurisme, dans la praxis et les théories que Luigi Russolo énonça dans  L’art des bruits : le bruit comme enrichissement de la matière sonore, et concerts joués sur des instruments inventés ; puis, également, dans les musiques expérimentales : de John Cage et du silence considéré comme note à part entière, à Pierre Boulez et aux compositions aléatoires, en passant par les recherches concrètes de Pierre Schaeffer, avec objets sonores et manipulations des supports (bandes, magnétophones…).

Au-delà des avant-gardes, on retrouve l’influence du Punk dont sont amplifiées les caractéristiques premières : violence et bruit ; autant que celle du Krautrock dont sera repris l’électronique, la géométrie.

Dans un rapport plus immédiat, elle désigne la froideur, la brutalité, la violence, la déshumanisation des installations industrielles, de la technique et de son asservissement, dont elle illustrera, reproduira les séquences, l’automation, la répétition, (stakhanovisme, fordisme)… Intégrant ces modalités sonores, elle exténue les mélodies et travaille donc le bruit, opulent et morne des machines, ou chaotique, blanc et parfaitement aléatoire. Antiphonique, diaphonique, disharmonique, la musique industrielle est une anti-musique.

throbbing-gristle.jpeg

***

La musique industrielle est un extrémisme et une polysémie. Elle s’entend comme consommation, au sens de société de consommation, de démocratie de marché, ou de culture de masse, dont sera faite la critique radicale. Ainsi, en seront reflétées les aberrations, autant l’aliénation, le contrôle et la propagande que l’uniformisation et la réification des personnes : d’où, régulièrement, la mise en avant d’uniformes, d’imageries militaires et totalitaires. Car, semble-t-on nous dire, et quand le raccourci serait peut-être facile, entre totalitarisme historique et totalitarisme consumériste, s’impose une solution de continuité, dont les différences résideront moins dans les résultats que dans les moyens pour y atteindre, seront moins de nature que de degré.

De même, il s’agira d’en détourner les codes et signes. Un tel détournement opérant soit comme annulation, soit comme démultiplication, puisque la société de consommation est avant tout, déjà, elle-même, détournement et, justement, consommation de signes : un objet vaut moins par sa valeur d’usage que par sa valeur d’échange, laquelle peut s’entendre par la manière dont l’objet est connoté : marque, statut social conféré. - D’où, régulièrement aussi, dans pochettes et livrets, la proposition de logos, de dazibao, d’une esthétique du slogan.

Dans une logique similaire, par simple provocation certes, mais pour interroger aussi le rapport normalité/anormalité, la dialectique des marges et du centre et, jusqu’aux limites, instruire liberté et idéologie libertaire – laquelle n’est sans doute rien plus qu’un moyen d’altérer la cohésion sociale et, par la culture du narcissisme induite, d’atomiser l’individu – la musique industrielle est transgressive. Aussi, investira-t-elle les domaines de la pornographie, de la sexualité, de ses déviances et perversions les plus obscènes et crues (nécrophagie, parthenophagie, amélotation…), de la psychiatrie et de l’antipsychiatrie, des sérials killers… Plus strictement politiquement, et dans une souveraine ambiguïté, il s’agira de convoquer fascisme, nazisme, stalinisme, univers concentrationnaire et terrorisme – lequel sera considéré évidemment comme stratégie de la tension puis, c’est à y réfléchir, comme seule possibilité, dans nos sociétés modernes, de retrouver, au moins formellement, les modalités d’une voie initiatique : la clandestinité, si elle est sociale, est aussi changement radical d’identité, d’être - rupture ontologique.

vivenza-modes-reels-collectifs-lp-150.jpg

***

La scène industrielle se caractérise par son autonomie. Elle affirme maîtrise gestionnaire et contrôle des moyens de (ses) production(s) via des collectifs et des structures indépendantes souvent créés par les artistes, les groupes eux-mêmes. A ce titre, Throbbing Gristle, groupe séminal et paradigmatique, initia précisément, avec Industrial records, le concept de label indépendant

Performatrice, tenante de la culture du happening, elle développe une scénographie extrême par l’utilisation d’éléments extra-musicaux (vidéos, drapeaux, croix enflammées, libations contraires et impies, mutilations, têtes de mouton…)  ; tandis que, livrant une véritable guerre de l’information, elle publie divers supports (tracts, affiches, livres, revues, voir Grey Wolves) et fait sienne toutes les techniques de propagande (propagande par le fait, s’il en est), jusqu’à perpétrer (voir l’excellente formation PPF) des attentats sonores, aussi improvisés qu’inattendus, dans les lieux publics.

Test Department.jpg

***

Plurielles, les premières formations industrielles sont devenues cultes et classiques. Citons, outre Throbbing Gristle, SPK (décliné en Surgical Penis Klinik, ou SePpuku, ou encore System Planning Korporation et Socialistiches Patienten Kollektik), Cabaret Voltaire, Test Department, Whitehouse, Nocturnal Emissions, Einsturzende Neubaten, Lustmord… Qualifiés désormais d’old school, ces artistes, par leurs travaux, par leurs recherches, en privilégiant telles tessitures, en utilisant tels supports et objets, en créant telles ambiances, chacun ayant sa radicale spécificité, se perpétueront au travers d’épigones et initieront de nombreux sous-genres dont les qualités sont à la fois strictes et poreuses. Ainsi du Power electronics, agressif, abrasif, autoritaire ; du Dark ambient, religieux, cosmique, crowleyien, rituel, ésotérique ; du Death industrial, analogique, vrombissant, opaque, sordide… A quoi s’ajoute, constitutive mais parallèle, la culture dark folk/martiale, qui s’affirme par des ambiances  wandervogel, völkisch, néo-classiques, héroïques, évoliennes, révolutionnaires conservatrices. 

Quant à conclure, la musique industrielle, intégrée dans l’économie des cycles temporels, est parfois présentée comme une expression de l’âge de fer.

 

Arnaud Bordes 

Article du Rébellion 38 ( août 2008)

 

A écouter :

SPK : Leichenschrei

Whitehouse : Birthdeath experience

Throbbing Gristle : The third and final report

Genocide organ : Leichenlinie

Lustmord : Paradise disowned

Brigher death now : innerwar

Megaptera : The curse of the scarecrow

 

Les commentaires sont fermés.