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13/11/2014

Edito de Jean Galié : La démocratie contre la Botanique

Editorial du numéro 67 de la revue Rébellion. 

Dans l'histoire des contestations contemporaines en France, il est assez rare de devoir évoquer la mort d'un manifestant du fait de l'usage répressif de la force publique. Le phénomène de révolte n'a jamais été suffisamment massif ni suffisamment offensif lors des dernières décennies pour , ne serait-ce, que faire chanceler le pouvoir établi.

Celui-ci disposant de l'anesthésiant efficace de la démocratie électoraliste et représentative, est passé maître dans l'art de contrôler les foules y compris lorsqu'elles manifestent dans la rue. On ne va pas regretter, évidemment, les bains de sang dont sont coutumiers les pouvoirs dictatoriaux plus ou moins exotiques (à Ouagadougou, par exemple, la junte militaire nouvellement au pouvoir a tiré sur les manifestants) mais force est de constater que les forces de l'ordre et les autorités qui en disposent sont capables de gérer au moindre mal, avec des techniques appropriées, les fameux débordements de violence parfois associés aux rassemblements contestataires en les encadrant ,quelques fois les provocant et les pilotant selon l'objectif de manipulation idéologique souhaité.

Que s'est-il donc passé pour qu'un jeune étudiant en botanique, adversaire du projet de barrage de Sivens pensé pour le bénéfice de l'agriculture capitaliste intensive, soit occis nuitamment dans les bois par un tir policier de grenade offensive? Somme toute, les opposants à ce projet n'avaient pas soulevé les masses populaires occitanes malheureusement engourdies - l'ombre de Simon de Montfort ne planant plus depuis longtemps sur le pays de Cocagne - et probablement préoccupées par bien d'autres sujets. Factuellement, la thèse de l'accident tragique est plausible...

Mais il est nécessaire de rappeler que la vertueuse gauche du capital a sa tradition de répression étatique car il lui tient particulièrement à cœur de remplir correctement sa mission de défense des intérêts de la classe dominante par la mystification ou la violence directe ( dans le passé, Jules Moch, Guy Mollet, etc.).

Le gouvernement actuel improprement appelé "socialiste", jouissant d'une impopularité exceptionnelle, est véritablement aux abois et manifeste une agressivité particulière face aux contestations un tant soit peu virulentes s'opposant à ses décisions ( cas de Notre Dame des Landes, du Mariage "pour tous" et du barrage de Sivens). Ces trois exemples cités illustrent parfaitement la dynamique de la marchandisation du monde à laquelle la nature et l'humain doivent se plier.

A côté de son intolérance foncière, la gauche s'imaginant être l'incarnation de la justice et du bien, vient s'adjoindre son impératif d'être à la hauteur des attentes du patronat (Valls est fait pour ça). Droite et gauche communient de conserve dans le culte économiciste et s'ingénient à promouvoir le basculement définitif de la société française dans le paradigme du marché sans limites. Hors du marché point de salut et les récalcitrants seront traités sans ménagement : telle est la première leçon que l'on peut tirer de la tragédie de Sivens. Que vaut la passion d'herboriser face au pouvoir agroalimentaire? C'est l'âme de Rousseau que la "République" assassine.

Du côté du sens, de la portée et de la modalité de la lutte des opposants à de tels projets, qu'en est-il? Avec les conditions de détérioration du milieu naturel et social dans lequel les hommes produisent leurs conditions d'existence sous la pression des exigences du profit, apparaissent, partout dans le monde des manifestations de refus et de remise en cause de la logique productiviste. Il y a donc globalement un mouvement d'écologie politique reposant sur une prise de conscience de l'impasse où conduit cette logique. Cette prise de conscience a gagné tous les continents avec vraisemblablement des degrés variés au sein de celle-ci. Néanmoins, la corrélation avec les impératifs du capitalisme qui est cause des multiples détériorations de l'environnement commence à être faite. On ignore souvent, par exemple, que la Chine est le pays où a surgi le plus grand nombre de luttes dénonçant ces dernières. Il est vrai que le déchaînement hallucinant du capitalisme chinois met directement en danger la vie des populations exploitées dans leurs conditions de travail et d'existence.

Ne pouvant évoquer que ce que nous connaissons et en nous en tenant à ce qui se fait et se dit en France et en Europe, il semblerait que le discours écologiste politique ne soit, la plupart du temps, qu'un réformisme radical se revendiquant comme tel. Il désire faire pression sur le système institutionnel, faire appel aux mécanismes de régulation démocratique, constatant certains défauts de la démocratie représentative qu'il faudrait corriger ; la référence à la citoyenneté faisant partie en conséquence de la panoplie rhétorique du langage de la contestation. S'il est bien vrai que les élus bien souvent incompétents en la matière préfèrent tenir compte des retombées économiques, financières, de ces projets dommageables aux écosystèmes plutôt que de l'avis d' experts en écologie (cas du barrage de Sivens) et qu'ils négligent donc, la préservation de la qualité de vie de leurs concitoyens, il ne faut guère se faire d'illusions sur les recettes proposées par les mouvements écologistes et contestataires : l'appel à la participation citoyenne sans que le rapport social dominant ne soit écorné.

Se manifestent, par ailleurs, lors d'actions sur le terrain, des groupes "d'activistes" qui ne négligent pas l'usage de la violence pour s'opposer à la réalisation des projets évoqués ci-dessus. Cet usage est sensé faire reculer le pouvoir ou, pour le moins, rendre visible dans les médias la détermination de certains. On peut toujours rêver quant à l'efficacité attribuée à l'action de ces infimes minorités. Les récents affrontements à Nantes et Toulouse ne font ressortir que l'isolement de tels groupes et les impasses de ce type de lutte.

Ce qui pourrait susciter l'intérêt des contestations écologiques lorsqu'elles s'organisent localement sur le terrain est leur potentialité à l'extension géographique de la lutte à partir de cette base. Mais aussi faudrait-il que ce type de rébellion ait quelque chance de naître à partir d'un mouvement social réel d'un minimum d'envergure ou de pouvoir s'y adjoindre. Les slogans anticapitalistes proférés de temps à autre dans les exemples évoqués ici ne dépassent guère la portée d'un rituel incantatoire et ne sont même pas reliés, la plupart du temps, à une conscience nette et suffisante que devrait avoir la dimension anticapitaliste revendiquée par ceux qui les utilisent.

On ne dépasse pas la platitude gauchiste la plus affligeante dans de tels milieux. Leurs slogans en témoignent, on réclame ainsi "le désarmement de la police", en somme un Etat capitaliste plus gentil. De telles âneries montrent l'incompréhension de ce que représente une authentique lutte de classes. On n'instaure pas un changement de rapport de forces afin de faire plier la classe dominante et transformer les rapports sociaux ainsi.

La dimension écologique doit être intégrée dans la remise en cause pratique de l'arraisonnement du monde aux finalités économiques ; pour ce faire il fait exprimer clairement le rejet de tout aménagement démocratique du système, le rejet de toute idéologie libertarienne (on ne peut être à la fois pour le refus des limites sur le plan sociétal et revendiquer le respect d'un équilibre écologique structuré justement par l'existence de limites biologiques) et dénoncer la cause de la logique du productivisme : l'aliénation des capacités productrices de l'homme au procès de valorisation du capital au moyen du travail salarié.

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