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21/12/2014

Dialogue entre Arnaud Bordes et Jean Parvulescu : Pour une révolte littéraire au Monde Moderne

 

 

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Dialogue entre Arnaud Bordes et Jean Parvulescu paru dans Rébellion

Qui êtes-vous, Arnaud Bordes ? D’où venez-vous, qu’elles sont vos origines effectives, vos antécédents ? Quelle idée vous faite-vous, secrètement, de vous-même ? Ces aveux sont-ils difficiles ?

Mes activités balancent entre l’édition – éditions Alexipharmaque ; l’écriture de recueils de nouvelles, Le Plomb (A contrario), Voir la Vierge (Auda Isarn), Le bazar de Clodagh (Auda Isarn) ; la chronique littéraire dans quelques revues ; la lecture.

Mes origines sont entre Charentes et Castille (mais seraient-elles autres, que j’en serais aussi satisfait). De moi-même, je n’ai pas d’idée, fût-elle secrète. Je me fiche assez de savoir qui je suis, laissant ces questions à l’adolescence, aux autres. J’ai des passions, que je tente de cultiver, qui m’aident : les anciens médicastres tels Ambroise Paré, Galien, les choses mornes, la littérature fantastique, la décadente aussi, et la naturaliste que je révère, les femmes au profil aquilin, les films de zombies (il n’y a pas, d’évidence, de meilleures critiques sociologiques), la musique industrielle, les « artificialistes » tels Julien Offroy de La Mettrie, Balthazar Gracián, certain ésotérisme, Fulcanelli, Dujols, Guénon, Gordon et, puisque occasion m’est donnée, et sans flatterie, votre œuvre irradiante cher Jean Parvulesco.

Comment avez-vous conçu la mise en œuvre, à Pau, des éditions Alexipharmaque ? A quelle inspiration avez-vous cédé, en l’occurrence ?

Il me semblait dommage, sinon parfaitement absurde, que des auteurs d’importance ne soient pas plus souvent, ou pas assez, ou pas du tout, édités.

Donner à de jeunes talents l’occasion d’être publiés.

Revenir, simplement mais fermement, loin des modes et des suffrages, pour d’avisés lecteurs, aux fondamentaux, aux textes : un style exigeant, un imaginaire ample, une pensée fervente, cohérente, référencée, une esthétique ; arpenter des verticalités, des hiérarchies également.

Y eut-il jamais là, comme vous le sous-entendez peut-être, quelque magique inspiration ? Le saurai-je ? A moins de considérer la proximité de Lourdes et, véritable «coincidentia oppositorum », la présence, en 1920, à Pau, qui n’est autrement que passionnante monotonie et platitude géomantique, de cet instrument de tortures, beau, coruscant et entre tous apocryphe, appelé La Vierge de fer…

 

Quel est le programme de vos prochaines parutions ? Est-ce un secret ?

Nombreux sont les aléas auxquels est confrontée une modeste maison telle qu’Alexipharmaque (parfaitement indépendante et sans subvention aucune). Des publications se précisent toutefois : La morale de l’histoire d’Arnaud Nîmes - roman incisif sur les liens étroits entre libre échangisme économique et transgression sexuelle, critique coupante du libéralisme libertaire. ; L’enfer de caniches de Raphaël Lambin - variation fiévreuse, noire, cruelle, gyrovague, sur le sain, célèbre, adage de Céline : « L’amour, c’est l’infini à la portée des caniches » ; assurément un autre essai du brillant cinéphile Ludovic Maubreuil…

 

Quelle est votre attitude à l’égard d’un éventuel projet pour la création d’une Société des Ecrivains Européens non-conformistes ?

Je suis perplexe. Je ne crois pas aux sociétés d’écrivains, je n’ai pas foi en le non-conformisme, qui ne se revendique pas, ne se partage pas (sous peine, par définition, de ne l’être plus), qui se vit intérieurement, tel un exil intérieur, si l’on veut jungerien, hielscherien. Je tiens plus pour des convergences et des solidarités tacites, d’autant plus pérennes et profondes qu’en effet tacites, des entraides souterraines et efficaces.

 

Croyez-vous à un prochain redressement décisif des actuelles littéraires françaises et européennes, à l’avenir, proche ou plus lointain, à la fois prévu et imprévu ? A l’avènement d’une nouvelle pensée européenne disposée à une confrontation décisive avec les tenants, visibles ou cachées, de l’œuvre négative de l’ennemi intérieur de notre civilisation, l’ennemi de l’être transcendantal de notre propre histoire et de tout ce que nous sommes ?

Au risque de vous apparaître d’un pessimisme excessif, je n’y crois pas non plus – sinon à quelques surrections ponctuelles, résurgences isolées, précisément imprévues.

En outre, dès lors qu’on y souscrit, telle est l’économie des cycles temporels : cycles qui, on le sait, sont ordre supérieur, instruisent l’Histoire, prescrivent, alternativement comme progressivement, or et harmonie, fer et chaos. Et, s’il est un ennemi, il n’est que l’expression de cette catastrophe lente qu’est notre âge de fer. Et, de même, s’il est un avènement ou un redressement, voire un retournement, il sera l’expression d’un autre âge – âge d’or, donc. Ne serait-ce pas encourir le péril de l’Inversion, que de vouloir forcer, hâter, provoquer, les desseins de Dieu, de la Providence, ou du Cosmos ? N’oublions pas : le temps ne respecte pas ce que l’on fait sans lui.

 

Quelles sont les orientations profondes des littératures actuelles qui vous semblent correspondre le plus avec propres vues ?

Il y a, pour n’en citer que quelques-uns uns, d’excellents auteurs : Jérôme Leroy, Pierre Bordage, Andreas Eschbach, Guy Dupré… Pour autant, je n’aperçois pas d’orientations profondes et d’ensemble dans les littératures actuelles. Et, du reste, je ne lui en demande pas tant, à la littérature. Qu’elle soit comme susdit, qu’elle soit d’abord sa propre ambition ne serait déjà pas si mal et suffirait. Ne l’accablons pas de trop de finalités. La littérature n’a jamais rien changé, à part elle-même, et, disons, quelques instants de vie.

Maisles critères de J. L. Borges, aussi, pourraient être avancés : la circularité – quand une œuvre revient se boucler sur elle-même ; la nécessité – quand une œuvre ne comporte rien d’arbitraire, d’aléatoire, de fortuit ; la totalité – quand une œuvre contient l’ensemble des possibles.

Au niveau théorique, et quelle que soit l’obédience, il y a des travaux évidemment incontournables : ceux d’Alain de Benoist, Michel Clouscard (in memoriam) Alexandre Douguine, Jean-Claude Michéa, Slavoj Žižek,Alain Soral, Jacques Ellul (in memoriam) et, pourquoi pas, si je puis me permettre, car publiés chez Alexipharmaque, ceux de Rodolphe Badinand (Requiem pour la Contre-Révolution), ceux de Louis Alexandre et Jean Galié (Rébellion, l’alternative socialiste révolutionnaire européenne).

 

Comment, d’après vous, pourrions-nous lutter, faire face à l’intolérable pression actuelle d’une certaine « police de la pensée », en France et dans toute l’Europe, voire dans le monde entier ? Serait-il concevable que celle-ci puisse durer, en continuité, longtemps encore ?

Simplement, avec patience et persévérance, en faisant ce que nous avons à faire. Et puisque la police de la pensée procède souvent par conspiration du silence, profitons-en, faisons-le nôtre ce silence, qui est aussi espace et étendues, en le(s) remplissant, de bruits autant que d’harmoniques.

Police de la pensée qui, paradoxalement, en nous reléguant, crée les conditions d’éprouver des valeurs qui, normalement, et d’après nombre d’auteurs de prédilection, nous importent (le devraient, du moins) : une forme d’ascèse, de discipline, d’allant vers l’essentiel, de radicalité.

 

En effet, comment faut-il à présent contre-attaquer, d’une manière vraiment décisive, l’entreprise de barrage permanent et de démantèlement poursuivi par l’«ennemi intérieur » et son « pouvoir rampant », pour qu’à n’en plus finir ils fassent obstacle à la présence-là de l’expression renouvelante et vive des nôtres ? Comment nous organiser offensivement, en toute lucidité, pour faire face à l’arrêt de mort que l’on nous signifie ?

Soit l’exigence et, par conséquent, un saut qualitatif dans une forme d’esseulement. Soit la facilité et la médiocrité et, par conséquent, peut-être, un saut quantitatif dans les suffrages.

On ne peut pas à la fois dénoncer l’« ennemi intérieur » (et sa manifestation systémique) et en même temps se donner d’exister en utilisant son mode pullulant d’expression.

Cesser de se poser, souvent, par rapport au « pouvoir rampant ». Mais s’imposer à nous-mêmes, être notre propre autorité.

Pourrait-on s’appuyer sur une révolte populaire ? Qui adviendra, s’il y a lieu. Ne nous leurrons toutefois pas. Il n’y aura pas de soulèvement inspiré (ou si peu) par une idéologie, une théorie, quelle qu’elle soit. Une juste exaspération prévaudra, surtout.

En outre, que nous le voulions ou pas, nous sommes tous plutôt tertiarisés, dans l’échange et l’économie de services, la maîtrise des signes, des abstractions. Et donc plutôt, fatalement, dans nos personnes mêmes, en quelque sorte, dématérialisés – quasi-apraxiques aussi. Or, quand prédominaient encore le primaire et le secondaire, que le travail était relié à la matière, à sa concrète dureté, le potentiel réactif, la capacité d’action, n’étaient-ils pas d’autant plus fermes ?

Nous ne sommes, désormais, ni dans la matière (se rappellerait-elle naturellement, régulièrement, à nous) ni dans l’esprit, le spirituel. Nous sommes dans cette zone intermédiaire, flottante, indifférenciée, tentaculaire, de leurres, qu’est le Spectacle (Spectacle dont, d’ailleurs, la prolifération est simultanée à l’émergence du tertiaire).

 

Et ne vous semblerait-il donc pas que, en attendant, la nécessité de la mise en place, de notre côté, d’un « dispositif de réseaux suractivés d’ensemble » devant pénétrer en profondeur le front actuel de la vie culturelle conventionnelle, totalement dévoyée par les agents de terrain et les foyers de la surveillance continuelle au service suractivé de la conspiration en place, « la conspiration du non-être » et du « politiquement correct ». Là, il s’agit, pour nous autres, d’une question de vie ou de mort.

Même réponse que précédemment.

 

Comment comprenez-vous le problème de l’énigmatique présence en continuité de Dominique de Roux ? Etes-vous sensible à son œuvre littéraire de rupture, à sa propre vie aventureuse et tragique ? Que pensez-vous de l’étrange - de l’inquiétante – emprise qu’il semblerait exercer à présent sur toute une frange de l’actuelle génération de jeunes écrivains qui montent en ligne ?

Je n’entends rien à Dominique de Roux, à sa littérature du moins, que je ne saurais juger mais qui, décidément, ne m’a jamais enchanté.

En revanche, je veux bien comprendre que le personnage fascine, reître ardent qui tailla des brèches, donna, presque sacrificiellement, presque oblativement, de sa personne, pour que soient des éditions, des revues, pour que des noms, des écrivains, oubliés et anathématisés, resurgissent. Mais il ne suffit pas de s’en réclamer, d’en être influencé, de le citer, quand, à la fin, l’on ne fait qu’y poser, en restant concentré sur sa plume, son ego, son petit dandysme droitard. Pourquoi ces jeunes gens ne créent pas, par exemple, de maison d’éditions, des revues, ou ne partent pas vers des confins géopolitiques ? Pour, précisément, incarner mieux, perpétuer, l’activisme, le combat, la guerre, portés par Dominique de Roux – sa manière d’abnégation.

 

Connaissez-vous l’œuvre géniale de Henri Bosco, à présent, déjà, tout à fait méconnue ? Et plus particulièrement son immense roman nuptial et cosmogonique, Un rameau dans la nuit ?Ne croyez-vous pas qu’il serait de vos devoirs d’état de reprendre la parution de ses livres, de réveiller l’attention des nôtres sur l’importance significative d’une affirmation de son œuvre ?

Si l’œuvre d’Henri Bosco ressortit certainement à l’ésotérisme, elle est d’abord tentative chaque fois renouvelée d’appréhender les mystères, ascension et descension dans leurs abîmes, supérieurs et inférieurs.

Mystères qui seraient comme autant de monstruosités en tant qu’ils échappent au langage. Les mystères, semble nous dire Henri Bosco, ne participent pas à l’humanité, à l’humain, d’où leur monstruosité. Et l’humain ne peut dire l’inhumain. Les mystères sont tels parce qu’ils sont indescriptibles, innommables. Un mystère ne correspond à rien, peut-être même pas à lui-même. Un mystère est, selon l’étymologie, plus anomal qu’anormal : il est sans loi, contraire à la loi, à la règle et, donc, contraire au langage, puisque le langage ordonne, puisque le langage légifère. Un mystère contredit ou, mieux, il est un non-dit ou mieux encore, un non radical, un non sans nom… Pour définir un mystère, il faudrait inventer une langue mystérieuse… Ce à quoi s’emploie Henri Bosco dont le langage, sous de simples dehors, est troublant et épiphanique. De là, également, une hantise, cette sensation d’une sourde monstruosité à l’affût dans les paysages, les décors de ses romans.

Romans où le mystère serait aussi avertissement, une sorte de borne se manifestant dans le labyrinthe de la nature – dans le labyrinthe du monde - pour signifier à celui qui s’est égaré qu’il est vraiment allé trop loin, et que s’il ne veut pas être, dans le sens d’une damnation, être perdu à tout jamais et, pourquoi pas, transformé en monstruosité, il doit s’employer avec diligence à revenir sur ses pas.

Plus qu’Un rameau dans la nuit, j’apprécie Le mas Théotime et Malicroix où les mystères, monstres de ténèbres et clartés, sont angoissants à souhait.

Quant à le rééditer, c’est à envisager.

 

Comment situez-vous les écrits philosophiques, ainsi que les doctrines géopolitiques d’avant-garde d’Alexandre Douguine ? N’est-il pas question, dit-on, que vous éditiez un grand volume d’entretiens inédits avec lui ? N’est-il pas question que vous vous rendiez vous-même à Moscou pour faire ces entretiens ?

Il est difficile d’atteindre un tel niveau de synthèse et d’inspiration. Célébrons, donc, Béhémoth tellurocratique ! Contre Léviathan thalassocratique et son dissolvant empire.

Des entretiens inédits ? Le rêve en est caressé.

 

Etes-vous vraiment conscient de l’importance que peut prendre une entreprise comme la votre, en plein développement, dans la marche des futurs combats pour la mise en situation de la plus Grande Europe continentale ? Et vous-même, êtes-vous un partisan de l’idée impériale de la plus Grande Europe continentale suivant l’axe géopolitique fondamental Paris-Berlin-Moscou ?

J’essaie de faire du mieux qu’il m’est possible. Si je peux permettre à la fois à de nouveaux talents de s’exprimer, à des écrivains de métier de continuer leur œuvre et à des pensées dissidentes de se recueillir dans un livre, je suis satisfait. Et puis Alexipharmaque va lentement, apprécie le temps qui passe, prends le temps de choisir et d’établir les manuscrits – toutes choses auxquelles je tiens, dans notre modernité perdue dans la vitesse et l’immédiat.

Quant à l’axe géopolitique fondamental Paris-Berlin-Moscou, c’est un beau concept, brillamment taillé et facetté, passionnant, aussi beau, aussi idéal que, par exemple, L’Etoile rouge, roman dans lequel Alexandre Bogdanov (théoricien par ailleurs du Proletkult) imagina une parfaite société socialiste et technicienne sur Mars.

 

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