17/04/2010
Réinventons la patrie ! (2)
Patrie et Socialisme
La Patrie à réinventer. Le Devenir du Socialisme
Article publié dans le numéro 39 de Rébellion Novembre/Décembre 2009
Deuxième partie de nos positions du dossier sur les régions, la Nation et l’Europe
Nous poursuivons ici l’analyse débutée dans le numéro 38 de Rébellion sur la question nationale. Au moment où le gouvernement de Nicolas Sarkozy entreprend une nouvelle campagne médiatique bidon autour de l’ « Identité Nationale », probablement pour faire oublier les dernières affaires révélatrices de son niveau de corruption et la faillite du « sarkozisme » face à la dure réalité d’un monde en crise, il nous paraît utile de réaffirmer certains principes fondamentaux et de présenter une alternative à ces écrans de fumée.
La Nation aux travailleurs !
Une rupture radicale doit être clairement faite, aussi bien, avec les conceptions réactionnaires et bourgeoises de l’idée nationale qu’avec les tenants d’une mondialisation « post nationale » (qu’ils soient des représentants des multinationales, des bobos altermondialistes ou les derniers rejetons des groupuscules gauchistes). L’enjeu est de faire le lien entre la question nationale et la question sociale, c'est-à-dire de poser clairement la priorité de la libération de la France et de l’Europe de la domination capitaliste, ce qui aurait par voie de conséquence une portée internationale essentielle.
Dans le cas français, le cadre national est riche en perspectives novatrices et révolutionnaires que nous ne devons pas laisser corrompre ou dénigrer par les discours démagogiques et les illusions de ses récupérateurs ou opposants. Historiquement porteuse d’un esprit frondeur et rebelle, la France est née de l’idée que toute injustice devait obligatoirement donner naissance à une résistance capable de la vaincre. Que la liberté de la Nation et de son Peuple ne pouvait être divisée, que la communauté nationale offrait à l’individu un cadre pour son épanouissement en lui garantissant la solidarité de l’ensemble de ses concitoyens. « Un grand peuple ne vit pas de son passé, comme un rentier de ses rentes » comme l’écrivait Bernanos, il nous appartient de redonner son sens à ses anciennes notions de justice, de liberté et de souveraineté populaire. L’oligarchie qui nous dirige ayant renié la Nation, les travailleurs doivent la réinventer et en faire tout autre chose.
C’est dans cette optique que nous mettons en exergue l’idée de Nation des travailleurs, signifiant avant toute chose le renversement du rapport de force entre le capital et le prolétariat (immense majorité de la population). La domination réelle du capital bien qu’ayant fait diminué en quantité relative la classe ouvrière traditionnelle (délocalisation et chômage de larges secteurs industriels) n’en a pas moins plongé la majorité des travailleurs et des chômeurs dans une situation de prolétarisation, c’est-à-dire de précarité grandissante du point de vue de leurs conditions d’existence la plus élémentaire. Face à cette attaque de grande envergure déclenchée par le capital (lutte de classe), la réponse adéquate ne passe pas par trente six mille chemins. Les illusions réformistes ont fait long feu. Il n’y a qu’une seule solution, celle de renverser le rapport de force, non pas simplement de manière ponctuelle en essayant, même si cela est légitime, de compenser les pertes « économiques » de niveau de vie mais en tentant d’établir une hégémonie politique en faveur du plus grand nombre : le prolétariat, et cela afin que ce dernier dépasse sa condition.
Le cadre national est l’instrument adéquat au sein duquel le prolétariat peut redonner sens à sa vie sans être atomisé dans une néo barbarie sociale, qui serait son seul horizon possible avec le maintien du système en place. Qu’on le veuille ou non, l’Etat républicain offre encore l’opportunité d’exercer la puissance souveraine et de choisir les grandes orientations comme celles de sortir de l’OTAN, du carcan d’impotence de l’UE en proposant aux autres peuples européens une voie autonome de destin, par exemple. De même sur le plan intérieur, il s’agit de combattre ce qui peut malheureusement apparaître comme une « fatalité » économique, la condition au plus haut point précaire et soumise à la contingence la plus arbitraire, imposée aux classes populaires par le capital.
La socialisation des conditions de production et de distribution n’a pas uniquement une portée économique. Sa signification l’outrepasse. Il s’agit de renverser les finalités de l’être social qui sont actuellement aliénées au productivisme et au consumérisme par le processus d’instrumentalisation/manipulation des consciences. Sans se faire d’illusions sur la nature humaine, nous pouvons raisonnablement soutenir la thèse selon laquelle le capital dans sa domination réelle (soumission du rapport social à l’économie productiviste) entrave toute créativité humaine chez la plupart des hommes. Le socialisme prend alors le sens de participation consciente de chacun aux décisions le concernant sur le plan social. C’est notre réponse à la question de l’identité nationale qui ne se situe pas dans une essence intemporelle mais dans un effort constructif et qualitatif de la part d’un peuple prenant ses destinées en mains, y compris dans le contexte international de la lutte de classe et de la lutte pour une vision culturelle d’ensemble (monde multipolaire dans lequel l’Europe a son mot à dire).
En France, la conscience nationale fut toujours naturellement liée à une conscience socialiste et révolutionnaire forte dans le mouvement ouvrier. Elle connaît aujourd’hui un regain d’intérêt causé par le fait que toutes les attaques dont sont victimes les travailleurs français viennent de la logique d’un capitalisme mondialisé. Pour cela, la Nation peut servir de base à la création d’un rapport de force politique favorable car elle est encore un frein à l’extension de la globalisation et un lieu d’expression pour la solidarité. Elle est un levier pour faire basculer le Peuple dans le combat pour sa libération nationale et sociale.
Le rôle de la Nation dans la construction du socialisme
Car le débat sur la question nationale nous ramène à celui du choix de société dans laquelle nous voulons vivre. Pour nous, qui combattons pour le socialisme, nous ne voulons pas nous libérer de l’oppression du capitalisme mondialiste, pour retomber sous le joug d’un capitalisme « national ».
Dans un premier temps, la (re)nationalisation totale des secteurs clés économiques et des services publics doit permettre de remettre au service du peuple, l’outil économique. Le retour dans le cadre national de larges pans de la production et de la distribution économique s’accompagne d’une socialisation progressive de la Nation. Ainsi les conseils d’entreprise seront amenés à diriger l’activité de ces nouvelles structures. Cela passe par une redéfinition des besoins et des moyens de les satisfaire par une praxis sociale non aliénante. La dimension de la coopération des producteurs doit être l’axe central de cette nouvelle praxis, celle qui justement ne les réduirait pas à être de simples agents économiques.
Cela a, par exemple, de vastes répercussions sur le rôle de la formation, de l’éducation qui doit fournir aux travailleurs les outils leur permettant d’intervenir « théoriquement » dans le cadre de leur activité (cf. les analyses de Marx lorsqu’il explique que le travail devient de plus en plus « théorique »).
A partir de là, il ne faut plus considérer la technique sous son seul aspect de l’arraisonnement du monde mais comme pratique dialectisée par l’enrichissement du lien social. C’est la réponse au débat biaisé sur la croissance /décroissance. La liberté est toujours au-delà de la nécessité, en conséquence il n’y a un destin de la domination technique productiviste à croissance exponentielle que parce que la téléologie propre à l’être social est sous l’emprise de la domination réelle du capital. Dit autrement, le travail n’est pas que du travail ! Il peut apparaître comme lien social non aliéné s’il débouche sur autre chose que sur la seule préoccupation de la nécessité économique.
Ontologiquement, il est moyen de produire et de reproduire ses conditions d’existence au sens large, en d’autres termes il ne permet pas seulement de vivre mais de « bien vivre », c’est-à-dire non dans l’illimité de la quête marchande et financière mais dans l’ouverture à sa signification communautaire et à la réalisation personnelle des individualités.
Concrètement, un système de production et de distribution socialiste prendra en compte d’autres critères que la recherche du profit. On peut imaginer sans mal que les conditions de travail, la recherche de la qualité des produits, la valorisation de la production décentralisée et locale, le respect des équilibres naturels, seront des objectifs tout à fait réalisables pour ce nouveau rapport social.
Cela le capital l’interdit à jamais. L’idée utopique qu’il existerait un « bon capitalisme populaire », basée sur les entrepreneurs de PME familiales à la démarche paternaliste et d’honnêtes petits actionnaires, est un doux rêve qui ne résiste pas aux faits. S’il est évident que nombreux d’entre eux souffrent des retombées de la mondialisation et des dérèglements de l’économie, et qu’ils glissent progressivement vers les couches populaires du fait de leur paupérisation, ils n’en peuvent pas pour autant donner la direction aux luttes de l’ensemble des travailleurs (trop attachés à la croyance en l’éternisation d’un « bon » capitalisme). Ils doivent prendre conscience que la socialisation progressive des rapports de production est la seule solution pour sortir de leur impasse actuelle, la collectivisation de vastes secteurs de l’économie (au sens défini ci-dessus) pouvant même représenter pour eux une amélioration de leurs conditions de vie.
Communautés locales et régions : un rôle crucial dans la socialisation
Au cœur de notre réflexion et de notre action, l’idée de la socialisation est à nos yeux la seule solution pour que chacun s’habitue à prendre une part active et consciente au travail qui a toujours une portée collective et cesse d’être instrument ou spectateur passif de la domination capitaliste. La socialisation doit s’appuyer sur des bases « saines » (c’est-à-dire non mercantiles et liées à l’idée de solidarité et d’un minimum de décence morale commune, la « common decency » d’Orwell) que représentent les rapports humains authentiques existant encore dans nos sociétés. Pour cela, les communautés locales constituées par des communes populaires auront un rôle important à jouer. Nous serons amenés à développer dans un futur article cette idée mais nous pouvons d’ores et déjà la définir comme étant une unité politique et territoriale assez proche de l’esprit des premiers soviets de la Révolution Russe ou du fédéralisme avancé par la Commune de Paris.
Partisan de la subsidiarité, nous pensons qu’une articulation est possible entre les divers niveaux de compétence. Il s’agit évidemment du fameux principe de subsidiarité évoqué par les instances de l’UE mais qui pour cette dernière est un peu comme l’Arlésienne que l’on attend toujours… Cela n’est d’ailleurs pas si étonnant que cela car ce principe se situe aux antipodes du fonctionnement de la société capitaliste, de ses nécessités fondamentales. La subsidiarité consiste si l’on veut le dire le plus simplement du monde à s’occuper de ce qui nous regarde ! Justement, la démocratie représentative si chère au capital contemporain consiste à nous faire croire que l’on s’occupe, grâce à elle, de ce qui nous regarde. Le citoyen y est invité à participer à sa propre mystification et à s’identifier aux décisions inhérentes au fonctionnement optimal du capital dans sa quête illimitée du profit. Restent alors quelques miettes de pouvoir et de prébendes concédées à ceux qui veulent bien entrer dans le jeu de la politique du système.
Il est étrange que l’on ait peu insisté sur la compatibilité du socialisme et de la subsidiarité. Le premier ne peut vraiment se concrétiser et répondre aux attentes des citoyens que par le moyen de leur large participation à l’élaboration des orientations les concernant le plus immédiatement, c’est-à-dire sur le plan local plus ou moins proche selon les circonstances. Quant au second, si l’on ne veut pas seulement l’envisager comme une simple figure de style, il ne peut gagner en contenu que dans la mesure où il pourrait donner forme aux aspirations les plus communautaires et non à l’imposition d’intérêts particuliers à la majorité.
C’est en ce sens, la concrétisation des termes du Contrat Social évoqué par Rousseau, qui a été trop souvent mal compris. Qu’ « il n’y ait pas de sociétés particulières dans l’Etat » écrit le philosophe. On croit devoir lire cette affirmation comme étant un plaidoyer pour la centralisation artificielle à tout prix. C’est à notre avis un contresens puisque l’auteur précise que s’il doit en exister (réalisme !) il faut alors favoriser leur multiplication ! Comment alors les articuler si l’on veut qu’en résulte la « volonté générale » (qui n’a rien d’abstraite !).
Réponse : par la subsidiarité, c’est-à-dire par l’espace public se dégageant de la discussion concernant ce qui semble être le plus pertinent pour telle ou telle instance communautaire existant à telle ou telle échelle ; les communautés plus larges (au sens d’instances de décisions à portée plus large comme la région par rapport à la commune et ainsi de suite) englobant celles du stade inférieur non pour les phagocyter mais pour leur donner les moyens d’exister dans un monde complexe (par exemple, questions de sécurité nationale, approvisionnements divers, etc.).
Sans entrer dans une description de notre futur qui serait utopique, qui ne perçoit qu’un tel fonctionnement porte en lui l’empreinte de la socialisation de nombreux facteurs de notre activité, de notre existence sociale ? Les nouvelles réalisations que le Socialisme apportera ainsi, laissent entrevoir un vaste champ du possible pour faire revivre les collectivités et communautés locales. L’attachement à des cultures enracinées ne sera nullement incompatible avec la participation à cette transformation radicale de la société. Elles trouveront leur place naturellement dans cette nouvelle organisation.
Mais nous devons préciser qu’une relative centralisation sera toujours nécessaire. Si la relocalisation de l’économie veut être efficace, elle doit être coordonnée au niveau de la France et de l’Europe par une planification intelligente dans le domaine de la production et de la distribution. Nous ne pouvons que souscrire à l’analyse d’un collectif issu du PCF sur la question de la centralisation: « Elle constitue la meilleure garantie dans l’élévation de la productivité, dans la lutte contre les gaspillages, dans la diminution de la bureaucratie. De plus, c’est elle qui assure un développement homogène de la communauté nationale sur l’ensemble du territoire. (…) La première des libertés locales reste la liberté de pouvoir atteindre un niveau de développement identique aux autres collectivités. (…) Un contre-exemple remarquable à l’efficacité de ces politiques peut être celui de l’Espagne où peuvent se côtoyer une Catalogne richissime et un Sud du pays en quasi sous-développement. L’homogénéité des niveaux de vie à l’intérieur du pays ne peut donc se faire que par une répartition des richesses par l’action de l’État central. En revanche, il convient que l’élaboration des politiques mises en œuvre par la nation soit un projet concerté, associant les citoyens de base, par l’intermédiaire de structures locales, aux pouvoirs importants, qui soit le fondement de la démocratie dans le pays. De même, il est impératif que la mise en place réelle des politiques de développement se fasse, sur le terrain, par des organismes responsables et révocables par les citoyens en cas d’incompétence, de mauvaise volonté ou de procédés douteux [1] ».
La crise économique et financière actuelle laisse entrevoir la possibilité de sortir du capitalisme. Il est nécessaire de décoloniser notre imaginaire de la marchandise, selon la formule de Serge Latouche (de son existence sensible/suprasensible, ajouterons-nous avec Marx), et de proposer une alternative viable au système capitaliste. Cette alternative ne saurait prendre la forme d’un inenvisageable retour à un mirifique âge d’or et ne sera en aucun cas unique, mais conforme au génie propre de chaque culture. Elle devra nécessairement tenir compte de la finitude de la Terre et de ses productions naturelles et sera donc libérée du tropisme du consumérisme. L’Europe, et plus généralement les pays du Nord, devront repenser intégralement leur système de production et de consommation pour le rendre compatible avec les limites des ressources naturelles. La théorie de la décroissance signifiant pour nous la fin de l’accumulation capitaliste, fin inhérente au socialisme, pourrait être le paradigme permettant de concilier le caractère prométhéen de la civilisation européenne (non réductible à l’économisme) et la réduction de notre empreinte écologique. Elle préconise entre autres choses de relocaliser la production des biens et des services, et par voie de conséquence, les emplois. Elle est en ce sens un frein à la mondialisation car elle conduit au réenracinement en s’opposant à la logique de la nomadisation. Elle s’articule logiquement avec une conception subsidiariste de la société dans le cadre d’une Europe réellement fédérale que nous appelons de nos vœux<.
NOTE
1>Collectif, « L’idéologie Européenne », Editions Adem, 2008.
13:34 Publié dans La revue Rébellion, Réflexion - Théorie | Lien permanent | Tags : socialisme révolutionnaire européen | Facebook | | Imprimer