11/10/2010
TRAVAIL SALARIE ET CAPITAL : IDEOLOGIE ET PRAXIS.
Editorial du numéro 44 de la revue Rébellion ( disponible prochainement)
Il y aurait actuellement, en France, un "débat" sur les retraites. La bourgeoisie affectionne ce terme, un peu moins sa réalité. De débat, il n'y en eut guère, du moins avec ceux qui sont directement concernés : les salariés. Il y eut quelques dialogues médiatiques entre des représentants de la majorité parlementaire et son opposition, histoire de faire tourner la boutique à illusions. Par ailleurs, il est bien connu qu'en France, il n'existe pas suffisamment de "dialogue social". Mais pour parler de quoi? Du dialogue social à la collaboration de classe, il n'y a qu'un pas ; pas que devrait franchir le prolétariat afin d'acquiescer à son dépeçage. La classe dominante ne connaît que les rapports de force, sur ce point elle a, d'ailleurs, raison. C'est à ceux qui pâtissent de cette situation - la grande majorité de la société - de le comprendre. A cet égard, le poids de l'idéologie n'est pas accessoire ni contingent. Pour l'oligarchie capitaliste au pouvoir le calcul serait simple, relevant de l'arithmétique élémentaire. La retraite par répartition serait en mauvaise posture car les prolétaires ne travaillent pas assez longtemps afin de pouvoir payer les retraités futurs, les actifs finançant les inactifs. La décision gouvernementale relèverait d'un humanisme et du souci de l'avenir de la Nation! Nous n'étions pas habitués à ces élans de générosité de la part du capital ; nonobstant le fait que ce n'est pas à ce dernier que l'on demande de faire des efforts en la matière...
Evidemment dans les données du problème évoqué il n'est jamais question de la réalité du rapport social et il est de notoriété que les classes sociales n'existent pas. Subsiste une simple question de comptabilité. Dans la sphère sereine et pieuse de l'idéologie, l'évidence immédiate est de rigueur, le monde tel qu'il est doit se pérenniser : produire des marchandises et faire toujours plus d'argent. Pourquoi parlerait-on alors des finalités de la vie sociale que les hommes pourraient envisager consciemment sans être dominés aveuglément par l'économie devenue nécessité, seconde nature travestie en fatalité transcendante? Pourquoi travaillons-nous? N'y a-t-il pas d'autre voie possible pour l'humanité que celle de l'aliénation de son existence au travail salarié dont la nature est de permettre la valorisation du capital via le marché mondial au sein duquel circulent d'innombrables marchandises desquelles, par ailleurs, beaucoup de prolétaires ne connaîtront jamais la couleur ni la saveur (paupérisation).
Aussi est-il erroné de discuter de la question des retraites en acceptant les termes par lesquels la classe dominante la formule et la présente médiatiquement. La réalité de celle-ci ne relève pas d'une comptabilité financière et/ou démographique - étant donné le développement des forces productives actuel - mais provient du coeur même du système d'exploitation capitaliste dans sa lutte contre la chute du taux de profit aboutissant à une quête indéfinie d'une masse croissante de profit par tous les moyens (intensification de la productivité, allongement du temps de travail, privatisation des secteurs publics, financiarisation d'un maximum d'opérations d'échange). Le temps de non travail est toujours synonyme d'absence de valorisation pour le capital (le loisir lui-même a été aliéné dans sa nature propre pour être marchandisé).
Que faire alors des chômeurs et des prolétaires retraités? Les premiers sont tout à tour bouches inutiles et armée de réserve dans laquelle il est possible de puiser ponctuellement, permettant ainsi de faire pression sur la masse salariale des actifs (capital variable chez Marx). Quant aux autres, ils commencent à vivre un peu trop longtemps (encore que cela soit très relatif) et pour un système dont le calcul égoïste est le moteur essentiel, ils deviennent carrément surnuméraires. Les luttes ouvrières avaient réussi jusqu'à aujourd'hui à contrecarrer cette tendance (1) mais le capital, étranglé par ses contradictions, se doit de reprendre les hostilités contre le prolétariat et de confisquer les miettes qui lui avaient été concédées antérieurement afin de sauvegarder la "paix sociale". La guerre à outrance que se mènent les diverses bandes du capitalisme à travers le monde globalisé lui dicte cette nécessité.
De ce point de vue la mise en oeuvre par les Etats-Unis, à la fin du mois de septembre, de mesures protectionnistes visant directement la Chine marque le début effectif d'un nouveau cycle conflictuel impérialiste dont on avait déjà perçu les prodromes. Les Etats-Unis feront tout afin de déstabiliser intérieurement le pouvoir chinois, dans un premier temps. L'évolution de la situation dépendra également de la façon dont les contradictions sociales internes à la République Populaire seront abordées au sein de celle-ci. Les luttes sociales y sont nombreuses dorénavant et le prolétariat proteste contre la mainmise du capital avec sa soif d'exploitation dans secteurs de la production. Les rapports de force à l'intérieur du Parti Communiste Chinois devront être examinés de près et il est souhaitable que les voix révolutionnaires s'y fassent entendre tout en reprenant le dessus, notamment lors du prochain congrès du PCC. Avec cette situation conflictuelle entre les deux plus grandes puissances mondiales actuelles, nous sommes à un tournant de l'histoire de l'humanité ; il faut en prendre clairement la mesure.
Les deux sujets évoqués précédemment paraissent être éloignés et étrangers l'un à l'égard de l'autre. Il n'en est rien en réalité. Nous traitons de la même dynamique : la course à l'abîme de la trajectoire du capital avec la multiplications des conflits interimpérialistes plus ou moins ouverts, des coups tordus entre Etats et bandes concurrentes, des dispositions guerrières envers les Etats essayant de sauvegarder un minimum d'indépendance, des mesures imposées d'exploitation intensive de la force de travail disponible du prolétariat et cela en fonction des conditions historiques et géopolitiques propres à chaque aire culturelle.
Bien entendu, la fonction de l'idéologie dominante est de minimiser ces problèmes et d'en brosser un tableau édulcoré comme nous le disions ci-dessus. En Europe, et particulièrement en France, la fonction de l'opposition "démocratique", de "gauche", "républicaine" et autres sornettes est de valider cette mystification idéologique. Ainsi la contestation des dispositions concernant les retraites ne vise pas, pour les partis de gauche, à remettre en question le coeur du système d'exploitation et d'aliénation mais à se remettre en selle pour l'élection présidentielle de 2012 ; jeu dérisoire dont il est souhaitable que le mouvement ouvrier se débarrasse rapidement. Dans l'immédiat la façon, néanmoins, dont celui-ci pourrait déjouer ce piège n'est pas encore directement perceptible.
Depuis quelques semaines plusieurs journées d'actions syndicales s'enchaînent sans résultats, le gouvernement à clairement affirmé qu'il ne reculerait pas et que nous devions nous préparer à une augmentation progressive de l'âge de départ à la retraite.Durant ces vingt dernières années, rien n'est venu véritablement gêner le programme clair des instances mondialistes pour détruire les acquis sociaux conquis par les prolétaires européens au prix de longues luttes.
La mobilisation actuelle est loin de donner corps au mythe de la grève générale (2). Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte pour expliquer cela. La fin des « bastions ouvriers », les grandes entreprises que les délocalisations et les restructurations ont quasiment tuées, et le développement de petites structures où le droit de grève est uniquement théorique, rendent les mobilisations sociales difficiles. Les directions syndicales majoritaires refusent d'être dépassées par une base potentiellement incontrôlable et de toute manière veulent simplement trouver un accord ménageant leur rôle de partenaires sociaux du capital. Si le refus de la réforme est largement majoritaire dans la population française, il ne débouche pas sur une mobilisation populaire. Au final, on ressort juste les figures de la Gauche pour préparer le futur cirque de la prochaine présidentielle.
La leçon à tirer de tout cela ? Que la simple défense des « acquis sociaux » est vouée à l'échec si elle n'est pas d'abord une offensive pour le socialisme révolutionnaire. Que défiler de manière festive et moutonnière est stupide, qu'il vaut mieux s'organiser et se former sérieusement pour frapper fort. Il est donc nécessaire que les révolutionnaires poursuivent leur travail d'explication en vue de l'approfondissement de la lutte et de l'élévation du niveau de conscience afin que celle-ci s'actualise adéquatement au sein du prolétariat, en tant que conscience de classe.
NOTES:
1) Les luttes du prolétariat sur le terrain économique sont justifiées. C'est un combat contre l'exploitation qu'il ne faut jamais cesser. Néanmoins, elles ne constituent pas une fin en soi; leur intérêt les transcende. Elles permettent d'apprendre à lutter à la base et sont les prémisses d'une éducation politique.
D'autre part, pour le socialisme la question des "retraites" serait autrement envisageable. C'est le travail salarié qui est un bagne, pas l'activité de production et de création qui pourrait être vécue sous des modalités encore inexplorées.
2) Si tant est que la grève générale soit la réalité sur la base de laquelle puisse s'exercer un renversement du système capitaliste. Il est possible d'en douter; les processus historiques sont plus complexes que cela, en particulier les processus révolutionnaires. La grève générale ne peut être qu'un épisode parmi d'autres dans l'offensive révolutionnaire.
19:59 Publié dans La revue Rébellion | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lutte sociale, rébellion, manif, retraite, praxis, théorie révolutionnaire, socialisme révolutionnaire, socialisme révolutionnaire européen | Facebook | | Imprimer
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