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24/09/2010

Mobilisation générale pour la défense des retraites !

 

 

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17/09/2010

Le symptôme d'une époque en crise. Eléments pour une pensée authentiquement rebelle

Article paru dans le numéro 41, Mars/Avril 2010, de Rébellion  

 

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   Notre entreprise coïncide avec le début du 21° siècle et l'épuisement des schémas idéologico-politiques du siècle précédent qui tentent, néanmoins, de se survivre à eux-mêmes sous l'étiquette du clivage droite/gauche. Ce qui ne signifie, d'ailleurs pas, que celui-ci va disparaître de si tôt puisqu'il est au cœur d'un dispositif central de représentation nécessaire à la défense du Système.

 

 

   Pour autant, il ne s'agit pas pour nous de faire du "nouveau" à tout prix. Les personnes qui se veulent des « innovateurs » en politique recyclent souvent les anciennes lubies avec un mauvais maquillage de marketing moderne. Nos références sont claires : elles s'inscrivent dans une longue tradition de rejet de la domination historique de l'économie marchande,  puis de celle croissante du capital. Ce rejet a pris la figure du socialisme au 19° siècle et s'est cristallisé de manière théorique et radicale dans l'expression ouvrière du communisme révolutionnaire. Nous nous référons ainsi au riche héritage du socialisme, en lui ajoutant l'importante contribution de Karl Marx et Friedrich Engels(et plus largement aux penseurs et courants nés de leur apports théoriques comme G. Lukacs, Guy Debord ou C. Castoriadis).

 

 

   Il ne s'agit pas non plus d'un énième « retour à Marx » qui signifierait que la théorie communiste serait enfin devenue adéquate à son idéal (ce qui n'a d'ailleurs pas de sens pour Marx lui-même "le communisme est le mouvement réel qui abolit les conditions existantes"). L'auteur du Capital à toujours insisté sur le fait que son analyse de la réalité ne relevait pas d'une théorie abstraite, mais de l'étude des conditions réelles et objectives de l'existence humaine. En effet la théorie révolutionnaire naît du sol des questions pratiques que se posent les hommes au cours de leur lutte historique et non d'une sphère autonome propre aux préoccupations d'intellectuels plus ou moins idéologues.

 

   Nous sommes un "symptôme", c'est-à-dire l'expression de la crise profonde rencontrée par le système capitaliste au stade du parachèvement de sa domination réelle sur tous les aspects de la vie sociale (appelée communément "mondialisation"). Le capitalisme ayant réalisé sa dynamique de domination totale, il se retrouve face à sa propre impasse en tant qu'il ne peut même plus assurer un semblant de développement cohérent pour l’Humanité.

 

 

L'essence du capital, est la mondialisation; il est la réalisation effective du devenir-monde de l'économie mondiale. Son but ultime - inhérent au cycle de la valorisation - se traduit dans la représentation idéologique dominante signifiée par le vocable de "mondialisme". Celui-ci est l'expression du fatalisme idéologique de toutes les classes dominantes prises de vertige face aux exigences de la loi du taux de profit. Le mondialisme est le « confort mental » que se donnent les classes dominantes (et l'oligarchie politique chargée de les représenter) dans un monde qu'elles ne maîtrisent plus. C'est le "destin" de la loi du taux de profit d’être une course débouchant sur le vide existentiel et le chaos social.

 

  " Malheureusement" pour le capital, celui-ci n'a pas réussi à éradiquer toute mémoire historique de des moments de lutte et de contradiction d'où émergèrent les consciences concevant sa critique radicale et la nécessité de dépasser les contradictions aliénantes de l'existence humaine. En produisant l'hégémonie de l'économie sur la vie sociale, le capital produit corrélativement le prolétariat. Pour autant, plus aucun lien organique - comme dans les anciennes structures communautaires - ne le lie à l'être social ("Gemeinwesen" chez Marx). De là, la possibilité pour le prolétariat de se nier en tant que classe objet du capital,  tout en niant la nécessité de l'existence pérenne de celui-ci. La conscience révolutionnaire suivant des phases d'avancée et de recul au cours de l'histoire, est l'expression de cette voie réelle de dépassement de l'aliénation sur laquelle le prolétariat a eu parfois l'audace de s'engager.

 

  Comme tout symptôme, notre action traduit une souffrance face à un monde devenu fou. Mais cela  n'est somme toute qu'un signal de nécessité de remise en ordre de ce qui doit l'être. Le réductionnisme de la machinerie capitaliste échouerait-il? L'instrumentalisation-manipulation des êtres rencontrerait-elle un obstacle? Oui, si nous pensons qu'il existe une essence de l'homme que Marx, d'ailleurs, situait sur le plan d'une ontologie de l'être social. Marx traite de la vieille  question philosophique de "l'être", tant sur le plan de la nature de la connaissance humaine et de ses avancées, que des relations pratiques que les hommes entretiennent entre eux et avec la nature  comme deux versants dialectiques de la même instance agissante; c'est cela que l'on peut qualifier d'ontologie de l'être social.

 

 On sait l'attachement de celui-ci envers l'idée aristotélicienne de l'homme comme animal politique. Il faut préciser qu'il ne s'agit pas dans la pensée marxienne de cerner une abstraction morte, ossifiée, d'une essence humaine mais au contraire de se référer à la praxis humaine et à ses diverses métamorphoses. Il y a bien là une question ancestrale de fondement, coeur de toute réflexion philosophique authentique. Il faut, afin de l'analyser, prendre le problème sous l'angle de la réalité imposée par le capital. Globalement, ce dernier entrave la praxis humaine, l'existence et le développement même des hommes vers sa plénitude.

 

Cela peut sembler étrange comme proposition, dans un monde pris de frénésie et où tout semble constamment "bouger". Tout aussi paradoxalement pourrait-on affirmer que le capital tend à faire disparaître toute relation sociale dans un monde, en effet, où tout le monde semble être en contact (virtuel) avec tout le monde. Mais il n'y a dans cette apparence qu'une inversion spectaculaire aliénante. L'inversion qui traduit la perte de l'essence, dit autrement, la paralysie de toute praxis autonome constituant les multiples communautés humaines. Elles sont actuellement quasiment vidées de toute substance vive autre que celle des exigences de la marchandise : ce que Marx désigne sous le concept de réification. Dit encore autrement, l'homme produit ce qui n'est pas lui, bien que la source en soit encore lui! Le capital, c'est la contradiction faite homme au sens de contradiction bien réelle au coeur de l'homme réel.

 

Alain de Benoist décrit particulièrement bien cette décomposition des liens humains et sociaux dans un « présent virtuel : « La société à l’ère de la mondialisation est une « société liquide », où les relations, les identités, les appartenances politiques et même les catégories de pensée deviennent à la fois polymorphes, éphémères et jetables. Les votes électoraux obéissent à un principe de rotation accélérée (au fil des années, on essaie tous les partis). Les engagements politiques, perdant tout caractère militant « sacerdotal », deviennent transitoires. Les luttes sociales s’inscrivent dans des laps de temps de plus en plus limités. Les liens amoureux obéissent au même principe. Le mariage d’amour étant la principale cause du divorce, mariages et liaisons durent de moins en moins longtemps. Il y a seulement dix ans, la durée moyenne d’un mariage dans les pays occidentaux était de sept ans. Elle n’est plus aujourd’hui que de dix-huit mois. Tout engagement à long terme, que ce soit dans le domaine politique ou dans le domaine amoureux, est assimilé à une perte de liberté ou devient incompréhensible. Fragilisation des liens ou des rapports humains, qu’ils soient intimes ou sociaux, désagrégation des solidarités durables, mais aussi sentiment d’impuissance (on a l’impression de ne plus rien maîtriser) qui fait naître des sentiments d’incertitude, d’angoisse et d’insécurité » (1) .

 

   Notre idée de "symptôme" est l' expression de la lutte portée par le capital au sein du rapport social et par voie de conséquence au sein de chaque exploité/aliéné. Le "symptôme" témoigne du fait que le capital n'a pas bloqué définitivement le processus historique et que son rêve fou d'expulser l'humain authentique comme référence au fondement de l'être social est purement utopique.

 

Dans un récent texte, que nous pouvons considérer comme une des analyses les plus riche sur les origines de la crise, Gilles Dauvé et Karl Nesic décrivent le rêve de la bourgeoisie, devenu notre cauchemar : « Une cause majeure de la crise actuelle, c'est la tentative du capitalisme de réaliser une de ses utopies. Contrairement à ce qui se dit parfois, la bourgeoisie ne rêve pas d'un univers robotisé ou hyper-policier, mais d'une société sans ouvriers, en tout cas sans salariés auxquels leur fonction donne une force de blocage possible. Dans ce but, depuis 1980, elle s'efforce de recomposer la population active des pays dits développés autour de trois groupes principaux : (1) les salariés travaillant dans des services peu qualifiés, en particulier « les services à la personne », mais aussi les travailleurs manuels encore indispensables à la circulation physique des marchandises (chauffeurs routiers, manutentionnaires, etc.), dispersés et réputés - à tort - incapables de se coaliser ; (2) les semi-qualifiés du tertiaire (parmi eux, les fameux « intellos précaires ») employés  dans l'enseignement, les médias, la publicité, la recherche, domaines désormais interpénétrés, et tout ce qui gravite autour des multiples facettes de la communication ; et (3) les qualifiés bien payés, gérant et organisant les deux premiers groupes. Malgré sa précarité et la modestie de ses revenus, l'ensemble n°2 partage les modes de pensée et, dans la mesure de ses moyens, de consommation du 3e : tous deux ont en effet en commun de réunir des « manipulateurs de symboles ». Il est d'ailleurs possible à une minorité de membres du 2e groupe d'intégrer le 3e. L'ensemble n°1, lui, n'a bien sûr accès qu'au « premier prix » des équipements et appareillages high-tech. Quant à aux supports matériels inévitables  (car tout ne saurait être virtualisé) d'une vie de plus en plus vouée à l'immatériel et à la connaissance, leur fabrication sera assurée ailleurs, loin, de préférence outre-mer (…) .  Systématiser le précaire, c'est pour le capital faire comme si le prolétaire était toujours en trop, en sursis, embauché en attendant de trouver au Maroc ou en Inde un salarié qui fera les mêmes tâches pour moins d'argent, jusqu'à ce qu'un automatisme encore plus poussé rende inutile l'intervention humaine.».

 

Sans exagérer, on peut affirmer que le capital mène alors une guerre sans merci contre le genre humain  au sens où il  instrumentalise/manipule sa généricité.  Expliquons : idéologie mondialiste, impérialisme tous azimuts, destruction des Nations, ravages de l'environnement, gouvernance mondiale, antiracisme spectaculaire de convenance, confiscation du savoir scientifique par les multinationales etc., sont autant de dispositifs tendant à bloquer l'émergence de la communauté humaine ("das Gemeinwesen" de Marx). Ils représentent des inversions parodiques du processus que Lukacs définissait comme passage qualitatif du genre en soi au genre pour soi, c'est-à-dire de la fin de la soumission du genre humain à la pure nécessité économique.

 

   Ce besoin de dépassement de l'aliénation se traduit - parfois maladroitement -  par la lente prise de conscience de l'impossibilité de mener une vie proprement humaine au sein du chaos social, économique, engendré par une paupérisation croissante du prolétariat. Aussi notre approche critique est-elle une réponse à la généralisation du mode de production capitaliste à toute la planète - en extension et en intensité - , à l'uniformisation des conditions d'existence imposée à tous les peuples, à ce que les camarades du groupe " L'Internationale" ont appelé la "société de l'indistinction". Comme l'écrivait Guy Debord : "tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation".

 

   En réponse à cette situation, nous pensons que la seule réponse politique qui vaille consiste à ne pas admettre les règles du jeu politique du système afin de les dénoncer comme discours, bavardage spectaculaire inconsistant, verbigération, tendant à imposer le mutisme à toute revendication existentielle qualitative. A ce stade du capitalisme, l'idéologie dominante parodie le passage qualitatif au genre pour soi (qui rappelons-le serait la fin de l'aliénation économique), car la réalité de la mondialisation est une espèce de vaste manipulation du genre humain devenu objet exclusif du processus de valorisation du capital.<

 

Notes :

1- Alain de Benoist, l'Homme Numérique, article de Spectacle du Monde ( Mars 2010). Disponible en ligne : http://www.lespectacledumonde.fr

2- Gilles Dauvé & Karl Nesic, Sortie d'Usine, Trop Loin. Mars 2010.

http://troploin0.free.fr/ii/index.php/textes/50-sortie-dusine

08/09/2010

La Grèce préfigure la Tiers-Mondialisation de l’Europe

Article de  Julien Teil repris du site Mecanopolis. 

La cure d’austérité drastique à laquelle la Grèce est sommée de se soumettre trouve son modèle dans les politiques d’ajustement structurels qui ont été imposées par le FMI aux pays du sud après la crise de la dette déclenchée par la remontée des taux de la Fed en 1982, note l’économiste Bernard Conte. A l’époque, comme aujourd’hui, la véritable difficulté consistait à faire accepter aux peuples de supporter le coût de la crise. Mais depuis lors, les politiques permettant de faire passer ces purges amères ont été peaufinées, prévient-il, rappelant que l’OCDE a rédigé à toutes fins utiles un guide décrivant les stratégies à employer en de telles circonstances. On peut par exemple y lire que « si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement. » Cela ne vous évoque rien ?

La Grèce préfigure la Tiers-Mondialisation de l’Europe

 La Grèce est très endettée et la finance internationale attaque ce maillon faible de la zone euro pour tester la cohésion de l’ensemble, avant éventuellement de spéculer contre d’autres pays pour générer d’énormes profits. La réaction à cette attaque devrait entraîner la mise « sous tutelle » de la Grèce par la Commission européenne, par ses partenaires au sein de la zone euro et par un Fonds monétaire européen. A l’instar des pays du Tiers-Monde à partir des années 1980, la Grèce va se voir imposer un programme d’ajustement économique et social drastique, traduisant sa Tiers-Mondialisation qui préfigure sans doute celle d’autres pays européens.

 La Grèce enregistre des déficits publics importants qui doivent être financés par l’emprunt dont le cumul accroît le volume de la dette de l’État. Pour rétablir la confiance de ses bailleurs de fonds privés, le pays doit réduire son endettement. A défaut, la prime de « risque », réclamée par les bailleurs, qui s’ajoute au taux d’intérêt « normal » pourrait conduire à un taux usuraire. Georges Papandréou n’a pas le choix, il doit impérativement s’endetter moins, voire diminuer le volume de la dette grecque.

 

 

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L’exemple du Tiers-Monde en 1982

 La situation de la Grèce, liée au « surendettement », n’est pas sans rappeler celle des pays du Tiers-Monde lors de la crise de la dette de 1982. En effet, pour pouvoir faire face à leurs obligations financières, les pays du Sud, en quasi cessation de paiements, ont été « aidés » par le FMI et par la Banque mondiale. Ces institutions ont accordé des prêts aux pays du Sud afin qu’ils puissent rembourser leurs banques créancières. Lesdites banques ont ainsi pu transférer au FMI et à la Banque mondiale une bonne partie de leurs créances « pourries » (ou « actifs toxiques » en langage politiquement correct). En contrepartie, les pays « aidés » se sont vus imposer des programmes d’ajustement structurel, traduction du consensus de Washington |1| d’inspiration néolibérale monétariste. A travers l’application de ses dix commandements, le consensus de Washington vise à permettre aux pays sous ajustement de recouvrer la capacité d’assurer le service (principal + intérêts) de leur dette extérieure. Il faut, à n’importe quel prix, dégager des fonds pour payer les créanciers.

 

Réduire le déficit de l’Etat

 

Cette démarche passe par la compression des dépenses et l’augmentation des recettes de l’État. L’action sur la dépense publique implique la réduction :

 - de la masse salariale de la fonction publique (baisse des effectifs et/ou du niveau des traitements)

- des autres dépenses de fonctionnement (éducation, social…)

- des subventions (services publics, associations…)

- des investissements publics (infrastructures…)

 

L’augmentation des recettes réclame :

 - l’alourdissement de la fiscalité

- la privatisation de services publics rentables (eau, électricité…)

Plus généralement, la croissance est censée élargir les marges de manœuvre par le développement de l’activité économique qui, mécaniquement, augmente les recettes de l’Etat. La croissance peut être tirée par les exportations si la production nationale gagne en compétitivité externe, grâce à la dévaluation de la monnaie nationale, ou, si cette opération se révèle impossible, par la désinflation compétitive (comme pour le franc CFA avant la dévaluation de 1994 |2| ) qui consiste à obtenir un taux d’inflation plus faible que celui des pays concurrents. La philosophie des programmes d’ajustement est, in fine, d’une part, de tenter d’augmenter la production locale de surplus (par la croissance) et, d’autre part, de réduire la consommation locale dudit surplus afin de l’exporter. En aucun cas, il s’agissait de se préoccuper du bien-être des populations.

 

Un bilan des ajustements dramatique

Malgré de nombreuses études financées par la Banque mondiale et le FMI, tendant à démontrer que l’ajustement générait de la croissance et, par effet de ruissellement, bénéficiait même aux pauvres. Les conséquences sociales négatives ont été rapidement mises à jour et dénoncées |3| . Ainsi, la pauvreté s’est accrue et les classes moyennes préexistantes ont été paupérisées. Les populations du Sud ont subi les conséquences funestes de l’ajustement pour rembourser des dettes dont elles n’avaient que peu profité.

 La Grèce « inaugure » les politiques d’ajustement en Europe

 Jusqu’à présent, l’ajustement néolibéral imposé était réservé aux pays « non développés ». La Grèce inaugure le processus de Tiers-Mondialisation de l’Europe en passant sous les fourches caudines de « l’ajustement ». A l’instar des pays du Tiers-Monde, il s’agit de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour rembourser la dette extérieure à travers la réduction du périmètre de l’État, la privatisation, la dérégulation, les coupes claires dans les budgets de santé, d’éducation…

 

La Grèce est un test pour l’Europe néolibérale

 L’inconnue reste la réaction populaire. La population va-t-elle accepter l’austérité ? Déjà, des grèves et des manifestations se déroulent. Hier, le 11 mars, plus de 100 000 personnes manifestaient dans les rues d’Athènes. Au Portugal et en Espagne, la mobilisation sociale s’opère. L’ajustement va-t-il buter sur l’obstacle social ? D’autant plus que les conséquences des troubles sociaux pourraient atteindre le domaine politique avec l’émergence et l’éventuelle arrivée au pouvoir de forces politiques situées en-dehors du « consensus » : droite « molle » – gauche « caviar ». Mais, là aussi, les élites complices peuvent trouver l’inspiration dans l’expérience du Tiers-Monde pour faire « passer » les réformes.

 

La faisabilité politique de l’ajustement

 Dans les années 1990, de nombreux travaux ont été menés, au sein de l’OCDE, sur la faisabilité politique de l’ajustement néolibéral |4|. Christian Morrisson prévient : « l’application de programmes d’ajustement dans des dizaines de pays pendant les années 1980 a montré que l’on avait négligé la dimension politique de l’ajustement. Sous la pression de grèves, de manifestations, voire d’émeutes, plusieurs gouvernements ont été obligés d’interrompre ou d’amputer sévèrement leurs programmes » (p. 6). Il convient de minimiser les risques et adopter une stratégie politique adéquate.

 

Prendre des mesures politiquement et socialement peu risquées

A partir de plusieurs études-pays, Christian Morrisson met en avant « l’intérêt politique de certaines mesures [...] : une politique monétaire restrictive, des coupures brutales de l’investissement public ou une réduction des dépenses de fonctionnement ne font prendre aucun risque à un gouvernement. Cela ne signifie pas que ces mesures n’ont pas des conséquences économiques ou sociales négatives : la chute des investissements publics ralentit la croissance pour les années à venir et met sur-le-champ des milliers d’ouvriers du bâtiment au chômage, sans allocation. Mais nous raisonnons ici en fonction d’un seul critère : minimiser les risques de troubles » (p. 16). Peu importe, « dans la réalité, les entreprises du bâtiment souffrent beaucoup de telles coupures [dans les investissements publics] qui multiplient les faillites et les licenciements. Mais ce secteur, composé surtout de petites et moyennes entreprises, n’a quasiment aucun poids politique » (p.17). « La réduction des salaires et de l’emploi dans l’administration et dans les entreprises parapubliques figure, habituellement, parmi les principales mesures des programmes [d’ajustement] » (p. 29). Selon Christian Morrisson, cette mesure est « moins dangereuse politiquement » que d’autres « et elle touche les classes moyennes plutôt que les pauvres » (p. 29). En cas de troubles (grèves…), « le gouvernement a toutefois les moyens de faire appel au pragmatisme des fonctionnaires. Il peut, par exemple, expliquer que, le FMI imposant une baisse de 20 pour cent de la masse salariale, le seul choix possible est de licencier ou de réduire les salaires et qu’il préfère la seconde solution dans l’intérêt de tous. Les expériences de plusieurs gouvernements africains montrent que ce discours peut être entendu » (p. 29). Ce qui est vrai en Afrique l’est certainement sous d’autres cieux.

 Agir sur la qualité des services publics

 « Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population » (p. 30). Sans commentaire !

 

Diviser et opposer pour imposer

 « Un gouvernement peut difficilement [ajuster] contre la volonté de l’opinion publique dans son ensemble. Il doit se ménager le soutien d’une partie de l’opinion, au besoin en pénalisant davantage certains groupes. En ce sens, un programme qui toucherait de façon égale tous les groupes (c’est-à-dire qui serait neutre du point de vue social) serait plus difficile à appliquer qu’un programme discriminatoire, faisant supporter l’ajustement à certains groupes et épargnant les autres pour qu’ils soutiennent le gouvernement. » (p. 17). Comme « la plupart des réformes frappent certains groupes tout en bénéficiant à d’autres, [...] un gouvernement peut toujours s’appuyer sur la coalition des groupes gagnants contre les perdants » (p. 18). Il faut donc diviser et opposer pour imposer.

 

Un régime « dictatorial » serait idéal pour imposer les réformes

 « Une comparaison pour les pays d’Amérique latine entre des régimes démocratiques comme la Colombie, l’Équateur, le Pérou, et des régimes militaires, comme l’Argentine et le Chili, en 1981-82, montre que les troubles sont plus rares lorsque le régime est militaire [...] La comparaison entre les deux expériences de l’Argentine sous un régime militaire (en 1981) et en démocratie (1987) est parlante : le niveau de protestation a été trois fois plus élevé en 1987 et il y a eu beaucoup plus de manifestations » (p. 12). Ainsi, un régime dur serait idéal pour imposer les réformes. Le néolibéralisme serait-il entrain de déraper ?

Au total, la Grèce préfigure bien la Tiers-Mondialisation de l’Europe.

 

Site internet : www.mecanopolis.org

Notes :

 Bernard Conte, est l’auteur du livre La Tiers-Mondialisation de la planète CADTM

|2| Bernard Conte, Dévaluation du Franc CFA et équilibre des paiements courants, DT n°20, C.E.D., Bordeaux, 1997

|3| Voir par exemple : Cornia, Giovanni Andrea, Richard Jolly, and Frances Stewart. Adjustment with a human face. Protecting the vulnerable and promoting growth vol 1. Oxford : Clarendon Press, 1987

|4| Cf. Christian Morrisson, La faisabilité politique de l’ajustement, Paris, Centre de développement de l’OCDE, Cahier de politique économique n° 13, 1996. (jusqu’à la dernière note, les numéros de page des citations se réfèrent au présent document).

 

03/09/2010

Rentrée sociale, rentrée militante !

 

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Quantifier le mal-être : dépression et suicide

 

En complément du dossier " La crise de l'Homme Moderne", une analyse de Thibault Isabel sur la dépression et le suicide. Le numéro 42 est toujours disponible pour 4 euros à notre adresse postale. 

Dans quelle mesure l’étude des statistiques permet-elle de se faire une idée précise du moral des populations ? Les statistiques de la dépression posent particulièrement problème, à cet égard, dans le sens où l’on dispose de très peu d’enquêtes sérieuses sur la question. De plus, les études mises à notre disposition s’avèrent en général incomplètes et récentes, si bien qu’il est difficile de déterminer précisément de quelle façon le trouble a évolué au fil du temps. Le terme lui-même de « dépression » est équivoque : qu’est-ce qu’un « dépressif » ? S’agit-il d’une personne souffrant d’un « trouble dépressif majeur » tel que le définit le DSM-IV ou simplement d’un « déprimé », réactionnel ou chronique ? Selon qu’on adopte l’une ou l’autre de ces définitions, les scores que l’on obtiendra ne seront pas du tout les mêmes…

Toute statistique concernant la dépression est de surcroît subjective, puisqu’elle dépend nécessairement de l’importance médiatique qu’on accorde au phénomène. Comment évaluer l’évolution de l’humeur des individus ? Comment quantifier ce qui relève par définition du qualitatif ? Se sentir ou non dépressif relève d’un jugement éminemment personnel : lorsqu’une maladie aussi impalpable et fluctuante se répand dans les discours, tout le monde finit par penser qu’il en souffre. Les hommes et les femmes du Moyen Age ne pouvaient pas se sentir dépressifs, puisque le mot « dépression » n’existait même pas encore. Il en va bien sûr tout à fait différemment aujourd’hui.

Enfin, les statistiques de la dépression sont subjectives parce que chacun ne se confie pas de la même façon sur son état intérieur, ni ne se perçoit de la même façon, à situation psychologique égale. Il faut ainsi noter que les différences de sensibilité au désespoir et à l’angoisse en fonction du sexe ou de la génération peuvent partiellement s’expliquer par une tendance à sous-évaluer le mal-être ou à le sous-verbaliser chez certaines catégories de population, en particulier masculines et âgées. Selon les enquêtes, une femme aurait 1,4 fois plus de chance d’avoir développé un épisode dépressif qu’un homme ; quant au pic de fréquence des épisodes dépressifs, il surviendrait chez les 18-24 ans, alors que la tranche d’âge qui, d’après les questionnaires, resterait en revanche la plus hermétique à la dépression serait celle des 65-74 ans (avec environ 9% de prévalence). Mais jusqu’à quel point ces chiffres sont-ils fiables ? Les hommes et les vieillards, pour des raisons idéologiques et sociales, peuvent très bien éprouver davantage de honte que les femmes et les jeunes à l’idée de reconnaître un passage à vide, jusqu’à considérer la dépression comme tout à fait inavouable et humiliante, pour eux.

Devant de telles incertitudes, il serait donc salutaire de trouver des pistes de réflexion complémentaires. Et, dans cette perspective, on pourrait à bon droit se tourner vers les statistiques du suicide, d’autant qu’il existe un lien de corrélation assez fort entre les tentatives de mort volontaire et la dépression (on estime que 60% à 90% des suicidés sont dépressifs ou borderlines, et qu’environ 15% des personnes souffrant d’une dépression majeure finissent par se donner la mort). Emile Durkheim, dès la fin du XIXe siècle, a tenté d’établir un lien entre le taux de suicide et le bien-être existentiel des populations ou, si l’on veut, leur degré de « bonheur ». Plus une société est malheureuse et « anomique », plus les individus se suicident ; plus les individus sont heureux de vivre et intégrés dans des groupes structurés, en revanche, moins ils mettent fin à leurs jours. Le suicide reste indéniablement un phénomène marginal, dans toute société, mais son taux de prévalence donnerait cependant une indication forte sur le moral moyen des populations. L’avantage de la démarche de Durkheim est qu’elle permet d’avoir des statistiques plus facilement quantifiables et plus abondantes que les statistiques sur le mal de vivre en tant que tel…

Mais les études sur le suicide ne sont pas toujours pertinentes non plus pour analyser l’évolution du mal-être au fil du temps. Certes, une enquête coordonnée par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (rattaché à l’Inserm) a conclu que les taux de suicide déterminés par les statistiques officielles étaient sous-évalués d’environ 20%, mais que les statistiques sociodémographiques et géographiques du suicide changeaient peu après correction. Plusieurs enquêtes de contrôle ont abouti aux mêmes conclusions, ce qui permettrait a priori d’accorder un certain crédit aux chiffres avancés. Cependant, il importe de se souvenir que tout suicide n’est pas corrélé à un mal-être ; de plus, les personnes qui souffrent le plus ne mettent pas forcément fin à leurs jours pour autant. D’autres facteurs doivent être pris en compte, comme par exemple le jugement moral porté sur le suicide à une époque donnée, notamment sous l’angle religieux ou légal : il est probable que la réprobation des morts volontaires par certaines autorités ecclésiastiques a pu avoir une incidence considérable à différentes époques sur le passage à l’acte suicidaire, tout comme les lois qui, dans certains pays, criminalisent le suicide et prescrivent des poursuives pénales à l’encontre des ascendants ou descendants de ceux qui se donnent la mort. C’est en partie ce qu’a démontré le sociologue australien Riaz Hassan dans son étude sur Singapour, en expliquant que les écarts de taux de suicide entre les trois groupes ethniques qui composent la population – Chinois, Indiens et Malais – devaient être rapportés aux différences d’orientations religieuses et de visions du monde entre ces communautés1. Il faut tenir compte aussi – quoique de manière certainement très marginale – du suicide « héroïque », valorisé dans certaines cultures, comme aujourd’hui encore au Japon, où c’est par sens de l’honneur que certains individus, nullement déprimés par ailleurs, se sentent tenus de se donner la mort, pour effacer une honte ou un affront, épargner des tourments à leurs proches, etc.

On ne doit pas oublier pour terminer que les statistiques du suicide doivent être scrupuleusement distinguées des statistiques concernant les tentatives de suicide (qui sont au demeurant beaucoup moins précises, en raison d’un recensement extrêmement limité). Si les hommes sont nettement plus nombreux que les femmes à mettre fin à leurs jours, de même que les vieillards sont nettement plus nombreux que les jeunes à s’ôter la vie, il faut ainsi noter que les tentatives de suicide sont paradoxalement beaucoup plus nombreuses chez les femmes et chez les jeunes. On estime que 1,9 % de la population des 18 ans et plus présente un risque suicidaire élevé2 : 2 % chez les femmes et 1,7% chez les hommes3. A l’inverse, les décès par suicide sont plus souvent masculins : c’est le cas de 74% des suicides constatés en 2000 et le taux de mortalité par suicide des hommes est plus élevé dans toutes les tranches d’âges que celui des femmes. De même, contrairement au suicide proprement dit, dont le taux augmente avec l’âge, le risque suicidaire élevé apparaît plus important chez les jeunes (plus de 2,8 % des 18-29 ans présentent un risque élevé) pour décroître ensuite avec l’âge et atteindre seulement 1 % des personnes entre 60 et 74 ans.

Ainsi, ce sont en définitive les catégories de population qui déclarent le plus librement des symptômes de mal-être dans les enquêtes qui tentent le plus souvent de se suicider, mais ce sont ces mêmes catégories de population qui, dans les faits, succombent le moins souvent à leurs tentatives (nous parlons ici des femmes et des jeunes). Et, inversement, ce sont les catégories de population qui déclarent le moins de symptômes de mal-être qui, dans les faits, se donnent le plus souvent la mort (nous parlons ici des hommes et des vieillards). On peut donc imaginer que le mal-être se solde davantage chez certaines catégories de population par un appel au secours, tandis qu’il se solde en général par une issue plus fatale chez d’autres. Les hommes et les vieillards, qui doivent dans les représentations collectives faire preuve d’autonomie et être maîtres d’eux-mêmes, sans jamais constituer un fardeau moral pour leur entourage (qu’ils ont plutôt la charge de soutenir psychologiquement en cas de coup dur), sont peut-être culturellement moins incités que les femmes et les jeunes à appeler cet entourage au secours, de sorte qu’ils se plaignent moins ouvertement de troubles dépressifs, et de sorte aussi qu’ils recourent au suicide plus rarement, mais avec une plus grande détermination.

La mort volontaire ne constitue en tout cas que « le sommet de l’iceberg » des comportements d’autodestruction4. Seules 25 % des tentatives de suicide conduiraient à un contact avec un professionnel de services de soins de santé, et la plupart restent donc totalement impossibles à recenser. Une étude, menée sous l’égide de l’OMS dans 16 régions d’Europe et portant sur les années 1989 à 1992, a permis de mettre en évidence un taux moyen de 193 tentatives de suicide pour 100.000 habitants pour les femmes et de 140 pour les hommes, avec une grande variabilité en fonction de la région étudiée5.

En dépit de ces imperfections indéniables, les statistiques du suicide demeurent quoi qu’il en soit le seul moyen d’esquisser une étude diachronique du moral des populations, pour la période qui s’étend du début du XIXe siècle à aujourd’hui. Or, c’est seulement par le biais d’une étude diachronique qu’on pourra espérer mettre en lumière d’éventuelles corrélations entre la souffrance psychique et le développement des caractéristiques de la modernité.

Thibault Isabel

1 Riaz Hassan, A Way of Dying. Suicide in Singapore, Kuala Lumpur, Oxford University Press, 1983.

2 En ce qui concerne les moins de 18 ans, voir Marie Choquet et Sylvie Ledoux : « Adolescents : enquête nationale », Inserm, Collection Analyses et prospectives, 1994.

3 Gérard Badeyan et Claudine Parayre : « Suicides et tentatives de suicide en France : une tentative de cadrage statistique », DREES, Etudes et Résultats n° 109, avril 2001.

4 R.F.W. Diekstra, « The epidemiology of suicide and parasuicide », Acta Psychiatr Scand, n°371, 1993, pp. 9-20 ; J.F.M. Kerkhof, « Attempted suicide : patterns and trends », in Keith Hawthon et Kees van Heeringen (dir.), The International Handbook of Suicide and Attempted Suicide, Chichester, Wiley, 2000, pp. 49-64.

5 Cf. A. Schmidtke, U. Bille Brahe et D. De Leo, « Attempted suicide in Europe : rates, trends and socio­demo­graphic characteristics of suicide attempters during the period 1989-1992. Results of the WHO/EURO Multi­centre Study on Parasuicide », Acta Psychiatr Scand, n°93, 1996, pp. 327-338.