Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/11/2013

Edito du 61 : Bonnets rouges et Rouges bonnets

Il est réjouissant de constater l'existence d'une rébellion bretonne contre l'écotaxe concoctée par l'oligarchie dominante en France et en Europe afin de pressurer toujours plus le bon peuple. Celle-ci ne fait que s'ajouter aux multiples pièges inventés afin de faire les poches de ceux qui bientôt les auront totalement vides. Il est évident que nous vivons sous le règne de la kleptocratie arrogante et il était désespérant de constater que jusqu'à ce jour une certaine apathie régnait chez ceux qui en sont le plus affectés : les travailleurs. Il fut un temps où les révoltes surgissaient pour moins que cela.

La référence à la rébellion des bonnets rouges en Bretagne (bleus en pays bigouden) sous le règne de Louis XIV (1675) contre la pression fiscale devenue insupportable, en est l'illustration. L'analogie entre cette rébellion et les dernières manifestations bretonnes peut être un point de départ pour la compréhension de l'histoire d'une région ayant un fort sentiment identitaire et n'ayant guère oublié son histoire. Mais on ne peut en rester là. En effet, la crise économique de la seconde moitié du 17° siècle en France était aggravée par les besoins pécuniaires découlant de la guerre que la monarchie absolue entreprenait alors. Aujourd'hui, c'est tout le prolétariat mondial qui pâtit des mêmes conditions d'exploitation - certes à des degrés variés - sous l'égide de la globalisation et corrélativement de la politique et de l'idéologie libre-échangistes. C'est une situation particulière à la région bretonne qui a mis l'écotaxe en exergue déclenchant la colère des camionneurs qui a ensuite servi de catalyseur à tous les travailleurs menacés par le chômage, la fermeture de nombreuses entreprises locales obéissant aux lois de la recherche du meilleur taux de profit. Une convergence temporelle de situations tendues a mis le feu aux poudres. La répression étatique ne s'est pas fait attendre comme c'est toujours le cas lorsqu'il s'agit de mater les contestataires à l'égard du système, alors que les voyous profitent toujours de la mansuétude de la classe dominante qui sait qu'ils pourront toujours lui être utiles au sein du chaos grandissant.

Néanmoins la convergence dans la lutte, que le gouvernement redoutait, entre diverses couches de la population (pêcheurs, paysans, ouvriers) et qui a donné un aspect impressionnant à la mobilisation a rapidement laissé apparaître, qu'au-delà de certains intérêts communs pouvant s'opposer au système, une divergence de classe existait au sein du mouvement. D'autant qu'une fraction du patronat appelait à la manifestation de Quimper( les bonnets rouges) - un capitaliste peut toujours être victime de la concurrence d'un autre - et que le Front de Gauche jouant son rôle de radicalité verbeuse appelait quant à lui à manifester à Carhaix (les rouges bonnets). Il s'agissait en fait de freiner des deux côtés la potentialité du développement révolutionnaire de la lutte de classe. Du côté du patronat, pour partie lié au grand capital (de l'agroalimentaire par exemple) et pour partie représenté par des PME, il s'agit de maintenir ses exigences de rentabilité et de désamorcer toute remise en question du rapport social dominant en mobilisant ses salariés dans le suivisme de la collaboration de classe. Pour ce faire, il a reçu, à titre d'exemple, le soutien du maire de Carhaix (de gauche) qui, à cette occasion, a ressorti le serpent de mer de la régionalisation à la mode sociale démocrate, sensée revivifier le tissu économique. La régionalisation sans la critique pratique du capital n'est à nos yeux que la traduction dans les faits de la stratégie technocratique bruxelloise d'affaiblissement des derniers obstacles que se doit de renverser la dynamique outrancière de l'exploitation capitaliste. Alors l'extrême gauche du capital s'attribua comme toujours le beau rôle, afin de se proposer comme solution alternative à la dérive libérale, se drapant dans les oripeaux de l'indignation et en faisant sécession pour aller déambuler à Carhaix où la mobilisation fut des plus modestes. Après ce petit tour pédestre et champêtre les salariés de la pseudo contestation ont rejoint leurs nids douillés urbains, satisfaits d'avoir clamé qu'ils ne défileraient pas aux côtés des patrons. On ne peut, certes, leur reprocher cette proclamation mais plus essentiellement, il s'agit de considérer qu'à aucun moment ils ne s'efforcèrent de peser afin de renverser le rapport de forces avec l'Etat et le capital en appelant à une extension des luttes sur le plan régional et national. Il s'agissait simplement de témoigner de leur pureté d'intention, de conforter leur image essentialisée d'anticapitalistes, reconnue spectaculairement. Pour épicer le tableau, nous eûmes droit au discours sur d'obscurs groupuscules identitaires (d'extrême droite ou/et d'extrême gauche?) plus ou moins folkloriques, spectaculairement médiatisés lors de leur tentative de saccage d'une préfecture. La police tient toujours en réserve sous le mode occulte de tels énergumènes.

Quelles leçons tirer de cette situation? Une première évidence est que le gouvernement actuel fera bientôt une quasi unanimité contre lui. Les mesures antipopulaires s'accumulent au gré des semaines sans que cela ne dérange les commis politiques du système mais enfin, nous savions pour notre part qu'ils étaient là pour ça et seuls les naïfs s'en offusquent. Ce mécontentement ne suffit pas néanmoins pour cristalliser une genèse de prise de conscience de classe d'une certaine ampleur ; il continuera d'alimenter le mouvement du balancier droite/gauche au pouvoir. Existe, par ailleurs, un autre enseignement plus important à nos yeux lié au départ à la question de l'écotaxe évoquée ci-dessus. Celle-ci ne concerne pas directement la masse des prolétaires mais sa contestation a réveillé la Bretagne subissant de plein fouet une accumulation de plans dits "sociaux". Ainsi, à partir, d'un phénomène particulier, surgit une revendication plus générale outrepassant ce phénomène. Ce processus peut donner lieu à une alliance combattive entre des couches sociales très proches les unes des autres sur le plan de leur précarisation socio-économique. Mais cette dynamique ne doit pas rester circonscrite à une problématique régionale aussi spécifique soit-elle. Ce sont les conditions générales vécues par les prolétaires qui leur imposent de lutter au sein d'un front de classe le plus extensif, géographiquement parlant, possible. En attendant une convergence internationale souhaitable de la contestation du système, il est pour le moins nécessaire de mettre en avant le sens universel de ces luttes et de les faire vivre en leur donnant de la force sur un plan national. La spécificité de la Bretagne ne doit pas induire une vision parcellaire des causes ayant entraîné son mouvement social. Elles sont celles, inhérentes au mode de production capitaliste avec son de agriculture intensive polluante, avec ses impératifs de rentabilité dans la production et dans son mode de distribution. La désindustrialisation n'est pas un phénomène nouveau, non plus, ayant déjà affecté tour à tour les diverses provinces françaises. Toute lutte isolée, aussi virulente soit-elle, n'a que peu de chance d'aboutir de nos jours ; rappelons-nous des combats menés par les sidérurgistes lorrains à la fin des années 70 où toute une région était au bord de l'émeute. Cela ne fit pas reculer le capital.

Conclusion : la Bretagne ne saurait se sauver toute seule, inutile de rêver à propos d'une alliance de toutes les classes sociales soudées dans la défense du peuple breton. Ceux qui aiment leur province ne peuvent le montrer qu'en s'attaquant au capital tout comme les prolétaires grecs qui ne sauveront ce qui reste de leur pays qu'en refusant de se faire étrangler par la finance internationale. Les prolétaires de tous les continents auront à trancher les multiples têtes de l'hydre impérialiste, avec ou sans bonnet.


FlyerA401.jpg


08/09/2013

Sortie du numéro 59 de la revue Rébellion

Rébellion59.jpg


Au sommaire :

- Editorial : Désordem e Progresso 

Réflexion : La révolution à déjà commencé. 

- Le complexe de la Droite.

-La connerie pour tous.

- Que des ennemis à Droite. 

Analyse : Splendeur et misère de l'anticapitalisme de Gauche. 

Histoire : Il y a 20 ans, un appel à la résistance ( JP Cruse- Vers un Front national) 

Philo : La politique comme un art. 

Entretien : Louis Dalmas, les fossoyeurs de l'Occident. 

Chroniques livres. 


Le numéro est disponible contre 4 euros à notre adresse : 

Rébellion c/o RSE BP 62124  31020  TOULOUSE cedex 02 

 

1175555_369097463192682_1557769198_n.jpg

 

25/10/2010

La banlieue désintégrée

Nous reproduisons ici l'éditorial du dernier numéro d'Eléments, actuellement en kiosque, intitulé "La banlieue désintégrée" et signé Robert de Herte.

Dans les années 1950, Robert Lamoureux chantait: «Banlieues, banlieues, paradis des gens heureux». C'était la banlieue «populaire», proche du faubourg, chantée par Jacques Prévert et René Fallet, photographiée par Édouard Boubat et Robert Doisneau. Celle des réseaux d'entraide et de solidarité entre «gens de peu». Un demi-siècle plus tard, la banlieue tend à devenir synonyme d'enfer pour une population de sans-espoir, faite d'otages et de témoins impuissants. C'est qu'entre-temps les banlieues ont été transformées en décharges où l'on a rejeté, expulsé à la périphérie, tout ce que l'on ne voue lait pas voir - déchets urbains et « hommes en trop» - dans des grandes villes transformées en dortoirs pour cadres supérieurs et néo-petits-bourgeois «branchés». Autant dire un centre de tri de l'humanité par le capitalisme tardif.

Aujourd'hui, du fait de l'immigration, le problème des banlieues se ramène pour la droite à un problème ethnique, pour la gauche à un problème social. La vérité est que les deux aspects sont indissociables, mais surtout que le phénomène des banlieues va bien au-delà. C'est dire qu'on ne peut l'appréhender en s'en tenant, d'un côté à la « culture de l'excuse», de l'autre aux fantasmes sur 1'«islamisation». Il ne faut en effet pas confondre les communautés au sens sociologique et au sens politique. Les banlieues ne se composent pas tant de «communautés» organisées que d'un caravansérail de populations différentes artificiellement juxtaposées. Celles-ci ne se divisent pas non plus de façon manichéenne entre discriminants et discriminés, possédants et dépossédés. Tout ne s'y résume pas à un problème de surveillance et de contrôle, à la façon dont on surveillait les «classes dangereuses» à l'époque où l'habitat constituait une forme de discipline sociale.

Nous l'avons déjà dit ici même, les «jeunes des cités» ne remettent nullement en question le système qui les exclut. Ils cherchent moins la reconnaissance qu'un raccourci vers l'argent, qu'un branchement plus direct sur les réseaux du profit. Quoi qu'aient pu en dire certains sociologues, rien de moins contestataire que la violence des banlieues - violence brute, manifestation de mauvaise humeur convulsive qui ne s'assortit ni d'un discours politique ni de l'ombre d'une revendication. Ce n'est pas une révolte du «rien» au sens de: «Nous ne sommes rien, soyons tout! », c'est une révolte pour rien, et qui ne débouche sur rien. Les bandes de crapules qui règnent par le trafic, la violence et la terreur sur les populations des quartiers «sensibles» sont plutôt la dernière incarnation en date de ce que Marx appelait le lumpenprolétariat. «Le lumpenprolétariat, disait Engels, cette lie d'individus corrompus de toutes les classes, qui a son quartier général dans les grandes villes, est le pire de tous les alliés possibles». Les « racailles» n'aiment pas le populo, mais le pognon. Leur modèle, ce n'est pas l'islam ou la révolution. Ce n'est pas Lénine ou Mahomet. C'est Al Capone et Bernard Madoff. (Délinquance pour délinquance, il faut d'ailleurs rappeler que celle des grands prédateurs financiers en col blanc fait chaque jour plus de dégâts que celle de toutes les racailles» de banlieues réunies) . A une époque où l'économie criminelle est devenue un sous-produit de l'économie globale, leur seule ambition est de recycler à la base, de façon brutale, des pratiques qui règnent déjà au sommet. De devenir les «golden boys des bas-fonds» (Jean-Claude Michéa).

Les «jeunes des banlieues», dont on dénonce partout le refus ou l'incapacité de s'intégrer dans la société, sont de ce point de vue parfaitement intégrés au système qui domine cette même société. Présenter la délinquance des jeunes comme le résultat mécanique de la misère et du chômage, c'est s'épargner de voir ce qui, dans la logique même du système d'accumulation du capital légitime en profondeur leur attitude: des valeurs exclusivement tournées vers le profit et la réussite matérielle, le spectacle de l'argent facile, dont l'exemple vient d'en haut. C'est du même coup masquer la violence inhérente aux rapports sociaux propres au système capitaliste – le retour d'un capitalisme sauvage, auquel répond logiquement la nouvelle sauvagerie sociale. La désintégration des banlieues résume à elle seule la décomposition du monde occidental. Elles sont le symptôme d'une dé-liaison sociale, d'une dissociation généralisée. L'échec de 1'« intégration» ne résulte pas seulement de l'absence de volonté de s'intégrer, mais aussi de la disparition de tout modèle expliquant pourquoi il faudrait s'intégrer. Et d'ailleurs, s'intégrer à quoi? Un pays, une société, un système de valeurs, un supermarché? «Une société elle-même en voie de désintégration n'a aucune chance de pouvoir intégrer ses immigrés, écrivait Jean Baudrillard, puisqu'ils sont à la fois le résultat et l'analyseur sauvage de cette désintégration». Les immigrés souffrent d'une crise d'identité dans une société qui ne sait plus elle-même qui elle est, d'où elle vient ni où elle va. On s'étonne qu'ils méprisent le pays où ils vivent, mais ce pays est incapable de donner de lui-même une définition. On veut que les «jeunes» aiment une France qui, non seulement ne les aime pas, mais ne s'aime plus.

A une époque où plus de 50 % de la population mondiale vit désormais dans les villes, et plus du tiers des citadins dans des bidonvilles, il n'est par ailleurs pas exagéré de parler de «banlieuisation» du monde. Partout, en effet, sont à l'œuvre les mêmes tendances d'urbanisme antisocial qui ont abouti aux banlieues actuelles.

La« banlieue» d'aujourd'hui ne se comprend que si l'on est conscient de la profonde mutation qui, à l'époque de la modernité tardive, a affecté la ville. La grande métropole a cessé d'être une entité spatiale bien déterminée, un lieu différencié, pour devenir une «agglomération», une zone dont les métastases («unités d'habitation», «grands ensembles» et «infrastructures») s'étendent à l'infini en proliférant de manière anarchique dans des périphéries qui glissent lentement dans le néant. Henri Lefebvre parlait d'un nécessaire «droit à la ville ». Mais la grande ville n'est plus un lieu. Elle est un espace qui se déploie grâce à la destruction du site et à la suppression du lieu. Elle est dé-mesure et il-limitation. Elle est pure extension, c'est-à-dire dé-localisation au sens propre. C'est en ce sens qu'elle réalise l'idéal de l'urbanisme comme technique historiquement associée à l'invention de la perspective, c'est-à-dire à la géométrisation intégrale de l'espace, et du rationalisme fonctionnel, c'est-à-dire de l'hygiénisme appliqué à l'architecture, qui aboutit au déploiement de l'espace systématisé.

Comme l'écrit Jean Vioulac, l'urbanisation «n'est plus l'installation de l'homme dans le site de la ville, c'est-à-dire dans un centre, un pôle à partir duquel le monde puisse se déployer et faire sens. La banlieue se définit par l'absence de pôle, elle est un espace urbain qui a rompu les amarres avec son, ancien centre sans pour autant se reconstituer elle-même à partir d'un centre. La ban-lieue est bannie de tout lieu, elle est le bannissement même du lieu [ ... ] Elle est l' ápolis redoutée par Sophocle». La banlieue est devenue un non-lieu. On y vit (ou on y survit), mais on n'y habite plus. Le drame est que la société actuelle, qui s'en désole, dénonce des maux (urbanisme sauvage et immigration incontrôlée) dont elle est la cause et déplore les conséquences d'une situation qu'elle a elle-même créée.

Robert de Herte (Eléments n°137, octobre-décembre 2010)