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14/05/2014

Alternative : Le végétarisme comme éthique

Alors que nous vivons dans une société où manger de la viande fait partie des mœurs, avec un système encourageant l’élevage industriel apparu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et où ce marché rapporta 12,1 milliards d’euros en 2012 (avec les fast-foods s’imposant comme leader en France, avec 34 milliards d’euros de vente en 2012), des personnes au mode de vie différent s’élèvent contre cette culture de la surconsommation et ces industries exploitant le monde animal.

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Régulièrement secouées par des scandales (crise de la « vache folle », poulet à la dioxine, lait à la mélanine, viande de cheval dans des lasagnes sensées être au bœuf…), le plus gros scandale des industries agro-alimentaires n’est-il pas tout simplement celui que l’on refuse de voir ? Un milliard d’animaux tués chaque année dans les abattoirs français, environ 90% de la viande consommée provenant de l’élevage industriel, aux conditions atroces: hangars fermés et surpeuplés, animaux nourris aux farines animales, becs des poules et poulets sectionnés à vif, évoluant dans un espace de la taille d’une feuille A4, gavés d’antibiotiques… Le consommateur n’est pas en reste également puisque ces entreprises agro-alimentaires n’hésitent pas à mentir sur les étiquettes, la marchandise… Un système où tout le monde est lésé.

Une histoire de la condition animale

Tout commence il y a 23 000 ans, quand l’Homo Sapiens débute la domestication. La domination de l’Homme sur les animaux (et plus généralement la nature) se trouve appuyée au XVIIème siècle par le philosophe René DESCARTES, affirmant l’idée d’une faune semblable aux machines, objet sans âme à la disposition des humains. Puis, au XIXème siècle, la condition animale ne fait que suivre un monde qui s’industrialise, avec des dérives toujours plus grandes. L’élevage industriel, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, a pour but d’obtenir un maximum de rendement, par tous les moyens. L’Homme se retrouve coupé de la nature dont il est pourtant issu. L’écrivain Paul CLAUDEL, opposé à cette vision d’animal-machine, déclare dans son Bestiaire spirituel, publié en 1949 : «L’habitant des grandes villes ne voit plus les animaux que sous leur aspect de chair morte qu’on lui vend chez le boucher. La mécanique a tout remplacé. Et bientôt ce sera la même chose dans les campagnes. […] Maintenant une vache est un laboratoire vivant […], le cochon est un produit sélectionné qui fournit une quantité de lard conforme au standard. La poule errante et aventureuse est incarcérée.»

Aujourd’hui les animaux continuent à être niés dans la conscience collective d’une société consommatrice, où seul compte la marchandise et le produit fini. Ainsi, on assiste à des manipulations génétiques afin d’obtenir un «produit» plus «rentable», aux destructions des espaces naturels afin de créer des cultures destinées à nourrir les élevages (38% de la forêt Amazonienne a été détruite dans ce but),… et, bientôt, aux AGM (Animaux Génétiquement Modifiés).

Animaux transgéniques

Suite logique d’une société qui, en 1996, donne naissance à la brebis Dolly, premier mammifère cloné (euthanasié sept ans après), la société américaine AquaBounty Technologies risque de commercialiser d’ici fin 2013/début 2014 AquAdvantage®, du saumon deux fois plus gros que la moyenne, modifié génétiquement, et marque déposée. Car, dans un monde où l’argent et le système capitalistes sont rois, et où on créé en 2005 des vaches Génétiquement Modifiées, le but de ces industries et de ces brevets déposés est de contrôler l’alimentation mondiale. Et de toucher des royalties pour la reproduction de ses animaux «marque déposée».

Monde artificiel créé par l’Homme individualiste souhaitant être dieu, avec pour seule spiritualité le profit... Ainsi, l’Homme, en considérant le monde animal comme une machine destinée à le satisfaire, a rompu le lien qui le rattachait à la nature. Une société à mille lieux de celle préconisée par le sceptique Sextus EMPIRIUS, soulignant l’importance pour l’Homme de former une communauté avec les animaux et la nature l’entourant, comme «un esprit qui pénètre à la façon d’une âme, le cosmos tout entier.»

Modes de vie alternatifs

Pourtant, bien loin de ce modèle mortifère prôné aujourd’hui, il existe des sociétés et des choix de vie excluant l’animal de leur logique de consommation. Différents critères motivent l’adoption d’un autre choix de vie, en plus du respect des animaux. La préservation de l’environnement est une motivation prise en compte. En effet, avec environ 70% des terres mondiales servant à l’élevage et à nourrir le bétail, la disparition des espaces naturels et une consommation d’eau excessive (selon l’indicateur Empreinte eau, calculant le volume d’eau utilisé pour produire un produit ou un service, plus de 15 000 litres d’eau sont nécessaires à la production de 1 Kg de viande de bœuf), et quelques 9 milliards d’humains d’ici 2050, continuer ce mode de consommation amènerait pénuries alimentaires et déficit en eau catastrophique, selon le Stockholm International Water Institut. Quant à l’exploitation des peuples, il est tout aussi inquiétant : ainsi, le système, toujours prompt à donner des grandes leçons sur la faim dans le monde (et par la même occasion, à se donner bonne conscience), n’hésite pas à faire cultiver les céréales destinées au bétail dans des pays qu’il aime tant défendre, les pays du Tiers-Monde. Par exemple, en 1973, alors que l’Ethiopie connaissait une famine dans la région du Wello et dans les provinces du Nord, elle exporta pourtant vers l’Europe 9000 tonnes de céréales pour l’élevage.

Préoccupation de l’environnement, respect du monde animal… Le végétarisme, venant du latin vegetus, signifiant sain, frais et vivant se décline sous plusieurs formes : la pratique la plus repandue dans les pays occidentaux consiste à ne pas manger de viande mais inclut les œufs, les produits laitiers et le miel. Le végétarisme Hindou, lié à la pratique de l’Ahimsâ, « l’action ou le fait de ne causer de dommage à personne » exclut les œufs. 40% de la population Hindoue est végétarienne, soit environ 450-500 millions de personnes. Le végétalisme exclut tout aliment provenant de l’animal (viande, œuf, lait…). Enfin, le véganisme (néologisme issu de l’anglais vegan) est, selon la Vegan Society, fondée en 1944, « le mode de vie qui cherche à exclure, autant qu’il est possible et réalisable, toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s’habiller, ou pour tout autre but. »

Même si ces termes et ces choix semblent récents dans le monde occidental, ils ne font que se rapprocher d’une éthique Européenne vieille, de près de 2700 ans…

L’exemple Grec

Les végétariens ne portent ce nom que depuis peu, puisque avant la création de la Vegetarian Society en 1847 ils étaient appelés «Pythagoréens» : le Pythagorisme, en référence au mathématicien PYTHAGORE, et apparu vers la fin de l’époque archaïque, défend l’idée d’une alimentation composée de céréales et végétaux. Ainsi, Ovide, dans ses Métamorphoses, rapporte le discours suivant du mathématicien : «Vous avez les moissons ; vous avez les fruits dont le poids incline les rameaux vers la terre, les raisins suspendus à la vigne, les plantes savoureuses […] ; vous avez le lait des troupeaux, et le miel parfumé de thym ; la terre vous prodigue ses trésors, des mets innocents et purs, qui ne sont pas achetés par le meurtre et le sang. […] Chose horrible ! Des entrailles engloutir des entrailles, un corps s’engraisser d’un autre corps, un être animé vivre de la mort d’un être animé comme lui !» Ainsi,  selon Pythagore, les dons fournis par la nature sont suffisants pour se nourrir, sans devoir recourir à la viande. L’Homme ne mange de la chair animale que par habitude, par facilité, et à cause du premier homme «dont le ventre avide engloutit les mets vivants !»

On retrouve cette même préoccupation bien plus tard, chez le philosophe PLUTARQUE (50-120 après J.C.), qui, dans ses Œuvres morales (ensemble de textes traitant de religion, d’éthique, de philosophie…), défendit le choix du mathématicien de ne pas consommer de viande. Ainsi, à la question «Pour quelle raison Pythagore s’abstenait-il de manger de la chair de bête ?», Plutarque rétorque «Quel motif eut celui qui, le premier, consomma de la viande ?». Pour le philosophe, c’est au carnivore de justifier son choix de consommer de la chair animale, car, tout comme Pythagore, il affirme que les dons de la Terre (légumes, céréales…) sont amplement suffisants pour nourrir l’Homme moderne, et que celui-ci ne tue pas les bêtes par nécessité, mais juste par luxure. Plutarque déclare que les animaux n’ont pas à être considérés comme des êtres inférieurs par l’Homme, qui n’hésite pas à leur ôter la vie pour un plaisir gustatif : «Pour un peu de chair, nous leur ôtons la vie, le soleil, la lumière et le cours d’une vie préfixée par la nature.» Et si la consommation de la viande rend l’Homme insensible à la souffrance des animaux, elle provoque également une agressivité envers ses semblables : «Quel homme se portera jamais à en blesser un autre lorsqu’il sera accoutumé à ménager, à traiter avec bonté les animaux ?». Le végétarisme prôné par l’école Pythagoricienne et défendu par Plutarque pense le destin de chaque être vivant comme interdépendant, et Homme et animaux complémentaires.

Ainsi, dans une pensée et tradition Européenne, le végétarisme (ou végétalisme) permet à l’homme de se rapprocher du mythe de l’âge d’or, période faste et heureuse suivant la création de l’Homme par le dieu Chronos, où êtres humains et animaux vivent en harmonie, et où «On ne connaissait ni la colère, ni les armées, ni la guerre ; l'art funeste d'un cruel forgeron n'avait pas inventé le glaive » (Tibulle, Elégies). Age d’or duquel les sociétés modernes s’éloignent, où l’argent roi triomphe sur le principe d’harmonie universelle. Et s’il est urgent que l’Homme abandonne son obsession de maîtrise absolue de la nature et reconnaisse son obligation morale envers elle et le monde animal, les modes de consommation alternatifs et tout ce qui en découle ne sont pas, comme on pourrait le croire, une obsession de «bobos», vrais bourgeois mais faux bohèmes, mais une volonté de s’éloigner d’un monde et d’un système niant la part divine et la part animale de l’Homme, et son implication dans l’univers tout entier.


Marie Chancel

 Texte issu du dossier "Alternatives" du numéro 62 de la revue Rébellion. Suite disponible dans le numéro 63. Toujours disponible à notre adresse.  

 

08/09/2013

Sortie du numéro 59 de la revue Rébellion

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Au sommaire :

- Editorial : Désordem e Progresso 

Réflexion : La révolution à déjà commencé. 

- Le complexe de la Droite.

-La connerie pour tous.

- Que des ennemis à Droite. 

Analyse : Splendeur et misère de l'anticapitalisme de Gauche. 

Histoire : Il y a 20 ans, un appel à la résistance ( JP Cruse- Vers un Front national) 

Philo : La politique comme un art. 

Entretien : Louis Dalmas, les fossoyeurs de l'Occident. 

Chroniques livres. 


Le numéro est disponible contre 4 euros à notre adresse : 

Rébellion c/o RSE BP 62124  31020  TOULOUSE cedex 02 

 

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24/04/2012

Leurs élections passent, notre lutte continue !

Sans rebondissement, les deux têtes de l'affiche du second tour de l'élection présidentielle sont sortis des urnes. Ils sont tous deux  les dignes représentants du système que nous combattons, nous appelons donc à une abstention révolutionnaire, première étape dans la construction d'une véritable alternative à la société capitaliste.

Le pseudo révolutionnaire Mélenchon (promu par le système médiatique) que nous avions dénoncé naguère comme tel, s'est immédiatement démasqué en appelant à soutenir sans conditions le social libéral Hollande. Si ce dernier est élu, il lui servira de pare-feu sur sa gauche.

La forte participation à cette élection témoigne de la prégnance de l'illusion électoraliste au sein de la classe laborieuse qui a ainsi manifesté de manière inadéquate sa volonté de résister à la politique antisociale de l'oligarchie. Les chemins de l'émancipation sociale sont néanmoins plus épineux que ceux de la démission face à la machine idéologique et politique du capital. Notre tâche consiste à inviter à la rupture avec cette dernière, ne lui cédons rien !


 

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07/02/2011

Editorial du numéro 46 : L'impérialisme occidental destabilisé

Ceux qui pensaient que le capital était définitivement conforté dans la stabilité en sont désormais pour leurs frais. A le tempête financière suivie de la spoliation des peuples et de l'application de plans d'austérité répond un peu partout dans le monde la colère des "damnés de la terre". A la montée des luttes ouvrières en Europe, font écho des soulèvements populaires là où on les attendait le moins : dans le monde arabe. La propagande habituelle met en avant le déficit de démocratie dans lequel ces pays sont depuis longtemps enlisés. Les manifestants combattraient au nom des idéaux droits-de-l'hommistes. Point de vue faussée sur la réalité ; il ne peut même plus y avoir de démocratie classique, si tant que celle-ci ait jamais été adéquate à son concept dans le monde réel, dans une situation historique où le fossé entre les classes sociales est constitué d'un abîme. Cet abîme qui est en train de se creuser sous nos pieds également en Europe.

La bourgeoisie est devenue une oligarchie parasitant le corps social à l'échelle planétaire et totalement coupée des classes populaires. Le ploutogérontokleptocrate Ben Ali n'en était que l'expression dans le miroir grossissant et caricatural propre aux pays vivant en marge du coeur des puissances dominantes et où la politique prend souvent des aspects tragiques et ubuesques. Que sont en réalité les fameuses "classes moyennes" se révoltant dans les pays arabes au nom de la démocratie, en Tunisie par exemple? L'arbre qui cache la forêt de la paupérisation de l'immense majorité. Ce n'est pas parce que nombre de ces manifestants sont des diplômés ayant un bon niveau culturel qu'ils constituent en majorité une "classe moyenne". Ils sont tout simplement prolétarisés, sans espoir de promotion sociale quelconque significative, végétant au chômage, sans ressources financières. Seule une minorité peut espérer tirer son épingle du jeu, quand bien même des réformes politiques "démocratiques" interviendraient.

Pour s'immoler, il faut vraiment être dans une impasse absolue. Lorsque les médias ont bien voulu leur donner la parole, des manifestants ont bien dit que derrière le sentiment de ne plus pouvoir supporter la répression de toute forme de liberté, il y avait la terrible nécessité matérielle qui les poussait dans la rue. Ce fut le cas également en Algérie où le FIS ne fait plus recette. Il existe un début de processus révolutionnaire dans le monde arabe, telle est notre thèse, mais pas encore des révolutions. La vague de mécontentement a également touché la Jordanie et le Yémen avant que l'Egypte ne s'embrase. Le pouvoir politique est remis en question car les contradictions sociales sont exacerbées ; les gouvernements fantoches soutenus par l'impérialisme occidental sont dépassés, le fossé est définitivement creusé entre l'oligarchie affairiste et des masses déshéritées.

Personne ne peut faire de prédiction quant à l'avenir mais la leçon qui nous paraît devoir être tirée dans l'immédiat et qui a une portée historique considérable est que l'impérialisme étasunien avec ses valets atlantistes ne maîtrisent plus la situation mondiale, en particulier dans leurs zones d'influence directe où les "gouvernements" collaborateurs du néocolonialisme sont en train de tomber ou d'être ébranlés les uns après les autres. . La théorie du maillon faible du capitalisme devient en ce début du 21° siècle, la théorie des maillons faibles, des failles géopolitiques en train de s'ouvrir et de s'approfondir et que les puissances impérialistes ne pourront plus bientôt colmater. Les interventions militaires au Moyen Orient sont des échecs retentissants, tous les plans de recomposition de la région ne débouchent que sur le chaos duquel les Etats-Unis ne pourront pas à long terme tirer profit.

Au Liban, le Hezbollah devient majoritaire donnant un écho à la la voix de l'Iran. Quant au Maghreb et à l'Egypte, les Etats-Unis n'avaient rien vu venir (1), ils ont pris le train en marche pensant pouvoir amortir la radicalisation du mouvement de contestation en soutenant des solutions réformistes mitigées s'il le faut d'un soupçon d'islamisme fondamentaliste toujours instrumentalisable. Le recours à l'utilisation de l'armée tunisienne pour écraser la rébellion eût été contreproductif - radicalisant la colère des masses du monde arabe - pour un retour à l'ordre dans une région moins sensible stratégiquement que le Proche-Orient. Washington lâcha donc Ben Ali afin de tenter d'endiguer le processus révolutionnaire. La situation est plus délicate en Egypte où l'armée est au pouvoir et où sa présence est renforcée par les dernières nominations ministérielles prises par Moubarak. La clique militaro-capitaliste joue son existence de classe parasite financée depuis longtemps par les Etats-Unis, ceux-ci hésitent à la lâcher pour des raisons géostratégiques évidentes ; la solution El Baradeï ne s'impose pas d'elle-même sur ce plan-là pas plus que dans une perspective de consensus sociétal et politique. Obama en demandant de façon voilée et assez rapidement à Moubarak de laisser sa place a essayé de sauver ce qui pouvait encore l'être du fragile équilibre de la région.

Le rapport de forces et son évolution au sein de la "révolution" égyptienne sont difficilement prévisibles mais d'ores et déjà il apparaît que les Etats-Unis lâchèrent Moubarak presqu'explicitement à partir du 4 février pour tenter de s'appuyer sur Souleimane et les éléments les plus fiables de la haute hiérarchie de l'armée afin de maintenir l'équilibre géopolitique leur étant favorable ainsi qu'à Israël. L'armée elle-même doit être parcourue de contradictions, certains rares éléments y étant relativement plus proches du peuple que les autres. Au fil des jours les manifestants encadrés par l'armée ont en un sens échappé en partie à la répression de la police qui avait fait au début de la révolution de très nombreux morts, donnant à la situation un aspect insurrectionnel. Néanmoins, sous l'aile protectrice de l'encadrement militaire étrangement inefficace lorsque les éléments pro Moubarak intervinrent violemment - ramassis de policiers des services secrets et de représentants du lumpenproletariat - le mouvement à partir du 4 février commença à tourner un peu en rond. Ceci est en grande partie causé par le caractère double du processus révolutionnaire à la dimension à la fois sociale, s'enracinant dans les luttes ouvrières récentes, en particulier celles de 2008 - expressions de la misère dans laquelle survit difficilement presque la moitié de la population - et à la fois politique de réaction contre le blocage de la confiscation du pouvoir entre les mains d'une oligarchie au service des puissances impérialistes (Etats-Unis et Israël principalement). L'armée qui est la clef de voûte du système égyptien en tant que premier entrepreneur capitaliste national (foncier, immobilier, industriel) se trouve confrontée à l'émergence de cette contestation à deux instances que nous venons d'évoquer. Sa stratégie est de tenter d'atténuer la virulence de celle-ci. La politique de libéralisation économique conduite par l'ex-premier ministre Ahmed Nazif à partir de 2004 a accru les inégalités sociales, approfondi le pouvoir des affairistes ; le haut niveau de corruption du régime suscitant l'approfondissement de la misère et le décrochage des couches moyennes de la société. L'armée s'est inquiétée de la réaction de ces dernières, ce qui peut expliquer sa relative sollicitude à l'égard des manifestants jusqu'à maintenant et son désir de pousser Moubarak vers la porte de sortie ainsi que dans son sillage, le fils de ce dernier, Gamal, très lié aux technocrates mondialistes montés en puissance ces dernières années à l'occasion de ces orientations économiques libérales. C'est donc plutôt vers une redistribution des cartes et des rôles au sein de la classe dominante à laquelle nous devrions assister qu'à une authentique révolution populaire réussie. Ajoutons que l'armée lors des récentes négociations en vue d'une transition politique a soigneusement choisi ses interlocuteurs parmi les Frères Musulmans. Il n'y a là aucun symptôme d'une montée de l'islamisme radical comme feignent de s'en indigner actuellement certains soutiens de la politique sioniste. L'armée afin de sauver son pouvoir se doit de composer avec certaines forces et de les recomposer également. Cette ouverture envers les Frères Musulmans a pour fonction de diviser la puissance de la contestation.

En conclusion, les récents soubresauts du soulèvement populaire auront constitué un banc d'essai pour les fractions les plus avancées, les plus conscientes, des peuples arabes en ébullition. Nous avons assisté aux prodromes de changements qui vont affecter le monde arabe, le statu quo ne peut plus y être maintenu. Désormais s'esquisse probablement un renouveau du nationalisme arabe, un nationalisme arabe ayant l'intelligence de s'articuler à la critique du monde unipolaire. Corrélativement s'ébauche la disparition des régimes de marionnettes, soutenus par les Etats-Unis. Les nations arabes exigeront d'être traitées en égales par l'Occident, en particulier par Israël. La stratégie du diktat impérialiste est en train de vaciller. Une faille géopolitique s'est ouverte dans l'espace d'influence de l'impérialisme atlantiste comme nous le soulignions précédemment. Pour le cas de l'Egypte, il va devenir de plus en plus difficile d'asphyxier la bande de Gaza (asphyxie mise en oeuvre par Souleimane!) et le Hamas. Voilà de quoi inquiéter les faucons israéliens... Pour le capital, il va falloir compter avec la colère des plus déhérités. Nous nous associons à celle-ci.

7 février 2011.

NOTE :

1) Le cas de la France est à cet égard pitoyable et montre à l'envi la médiocrité consternante du personnel politique en place y compris de celui des services de renseignements. D'ailleurs "selon un ancien du Quai, qui a eu accès à la plupart des télégrammes diplomatiques échangés entre Tunis et Paris au cours des vingt dernières années, 'sur les huit ambassadeurs successifs de l'ère Ben Ali, un seul a vraiment tiré la sonnette d'alarme sur les dérives mafieuses du système, mais il n'a pas été écouté'. Il s'agit d'Yves Aubin de la Messuzière, en poste de juillet 2002 à juillet 2005." Jeune Afrique. p.10 n°2611. Concernant l'Egypte, le président français s'est empressé de faire le perroquet d'Obama. Le tournant atlantiste radical de la présidence de Sarkozy a détruit le peu de cohérence existant encore dans la politique arabe de la France en la faisant tout simplement disparaître.

 

 

25/10/2010

La banlieue désintégrée

Nous reproduisons ici l'éditorial du dernier numéro d'Eléments, actuellement en kiosque, intitulé "La banlieue désintégrée" et signé Robert de Herte.

Dans les années 1950, Robert Lamoureux chantait: «Banlieues, banlieues, paradis des gens heureux». C'était la banlieue «populaire», proche du faubourg, chantée par Jacques Prévert et René Fallet, photographiée par Édouard Boubat et Robert Doisneau. Celle des réseaux d'entraide et de solidarité entre «gens de peu». Un demi-siècle plus tard, la banlieue tend à devenir synonyme d'enfer pour une population de sans-espoir, faite d'otages et de témoins impuissants. C'est qu'entre-temps les banlieues ont été transformées en décharges où l'on a rejeté, expulsé à la périphérie, tout ce que l'on ne voue lait pas voir - déchets urbains et « hommes en trop» - dans des grandes villes transformées en dortoirs pour cadres supérieurs et néo-petits-bourgeois «branchés». Autant dire un centre de tri de l'humanité par le capitalisme tardif.

Aujourd'hui, du fait de l'immigration, le problème des banlieues se ramène pour la droite à un problème ethnique, pour la gauche à un problème social. La vérité est que les deux aspects sont indissociables, mais surtout que le phénomène des banlieues va bien au-delà. C'est dire qu'on ne peut l'appréhender en s'en tenant, d'un côté à la « culture de l'excuse», de l'autre aux fantasmes sur 1'«islamisation». Il ne faut en effet pas confondre les communautés au sens sociologique et au sens politique. Les banlieues ne se composent pas tant de «communautés» organisées que d'un caravansérail de populations différentes artificiellement juxtaposées. Celles-ci ne se divisent pas non plus de façon manichéenne entre discriminants et discriminés, possédants et dépossédés. Tout ne s'y résume pas à un problème de surveillance et de contrôle, à la façon dont on surveillait les «classes dangereuses» à l'époque où l'habitat constituait une forme de discipline sociale.

Nous l'avons déjà dit ici même, les «jeunes des cités» ne remettent nullement en question le système qui les exclut. Ils cherchent moins la reconnaissance qu'un raccourci vers l'argent, qu'un branchement plus direct sur les réseaux du profit. Quoi qu'aient pu en dire certains sociologues, rien de moins contestataire que la violence des banlieues - violence brute, manifestation de mauvaise humeur convulsive qui ne s'assortit ni d'un discours politique ni de l'ombre d'une revendication. Ce n'est pas une révolte du «rien» au sens de: «Nous ne sommes rien, soyons tout! », c'est une révolte pour rien, et qui ne débouche sur rien. Les bandes de crapules qui règnent par le trafic, la violence et la terreur sur les populations des quartiers «sensibles» sont plutôt la dernière incarnation en date de ce que Marx appelait le lumpenprolétariat. «Le lumpenprolétariat, disait Engels, cette lie d'individus corrompus de toutes les classes, qui a son quartier général dans les grandes villes, est le pire de tous les alliés possibles». Les « racailles» n'aiment pas le populo, mais le pognon. Leur modèle, ce n'est pas l'islam ou la révolution. Ce n'est pas Lénine ou Mahomet. C'est Al Capone et Bernard Madoff. (Délinquance pour délinquance, il faut d'ailleurs rappeler que celle des grands prédateurs financiers en col blanc fait chaque jour plus de dégâts que celle de toutes les racailles» de banlieues réunies) . A une époque où l'économie criminelle est devenue un sous-produit de l'économie globale, leur seule ambition est de recycler à la base, de façon brutale, des pratiques qui règnent déjà au sommet. De devenir les «golden boys des bas-fonds» (Jean-Claude Michéa).

Les «jeunes des banlieues», dont on dénonce partout le refus ou l'incapacité de s'intégrer dans la société, sont de ce point de vue parfaitement intégrés au système qui domine cette même société. Présenter la délinquance des jeunes comme le résultat mécanique de la misère et du chômage, c'est s'épargner de voir ce qui, dans la logique même du système d'accumulation du capital légitime en profondeur leur attitude: des valeurs exclusivement tournées vers le profit et la réussite matérielle, le spectacle de l'argent facile, dont l'exemple vient d'en haut. C'est du même coup masquer la violence inhérente aux rapports sociaux propres au système capitaliste – le retour d'un capitalisme sauvage, auquel répond logiquement la nouvelle sauvagerie sociale. La désintégration des banlieues résume à elle seule la décomposition du monde occidental. Elles sont le symptôme d'une dé-liaison sociale, d'une dissociation généralisée. L'échec de 1'« intégration» ne résulte pas seulement de l'absence de volonté de s'intégrer, mais aussi de la disparition de tout modèle expliquant pourquoi il faudrait s'intégrer. Et d'ailleurs, s'intégrer à quoi? Un pays, une société, un système de valeurs, un supermarché? «Une société elle-même en voie de désintégration n'a aucune chance de pouvoir intégrer ses immigrés, écrivait Jean Baudrillard, puisqu'ils sont à la fois le résultat et l'analyseur sauvage de cette désintégration». Les immigrés souffrent d'une crise d'identité dans une société qui ne sait plus elle-même qui elle est, d'où elle vient ni où elle va. On s'étonne qu'ils méprisent le pays où ils vivent, mais ce pays est incapable de donner de lui-même une définition. On veut que les «jeunes» aiment une France qui, non seulement ne les aime pas, mais ne s'aime plus.

A une époque où plus de 50 % de la population mondiale vit désormais dans les villes, et plus du tiers des citadins dans des bidonvilles, il n'est par ailleurs pas exagéré de parler de «banlieuisation» du monde. Partout, en effet, sont à l'œuvre les mêmes tendances d'urbanisme antisocial qui ont abouti aux banlieues actuelles.

La« banlieue» d'aujourd'hui ne se comprend que si l'on est conscient de la profonde mutation qui, à l'époque de la modernité tardive, a affecté la ville. La grande métropole a cessé d'être une entité spatiale bien déterminée, un lieu différencié, pour devenir une «agglomération», une zone dont les métastases («unités d'habitation», «grands ensembles» et «infrastructures») s'étendent à l'infini en proliférant de manière anarchique dans des périphéries qui glissent lentement dans le néant. Henri Lefebvre parlait d'un nécessaire «droit à la ville ». Mais la grande ville n'est plus un lieu. Elle est un espace qui se déploie grâce à la destruction du site et à la suppression du lieu. Elle est dé-mesure et il-limitation. Elle est pure extension, c'est-à-dire dé-localisation au sens propre. C'est en ce sens qu'elle réalise l'idéal de l'urbanisme comme technique historiquement associée à l'invention de la perspective, c'est-à-dire à la géométrisation intégrale de l'espace, et du rationalisme fonctionnel, c'est-à-dire de l'hygiénisme appliqué à l'architecture, qui aboutit au déploiement de l'espace systématisé.

Comme l'écrit Jean Vioulac, l'urbanisation «n'est plus l'installation de l'homme dans le site de la ville, c'est-à-dire dans un centre, un pôle à partir duquel le monde puisse se déployer et faire sens. La banlieue se définit par l'absence de pôle, elle est un espace urbain qui a rompu les amarres avec son, ancien centre sans pour autant se reconstituer elle-même à partir d'un centre. La ban-lieue est bannie de tout lieu, elle est le bannissement même du lieu [ ... ] Elle est l' ápolis redoutée par Sophocle». La banlieue est devenue un non-lieu. On y vit (ou on y survit), mais on n'y habite plus. Le drame est que la société actuelle, qui s'en désole, dénonce des maux (urbanisme sauvage et immigration incontrôlée) dont elle est la cause et déplore les conséquences d'une situation qu'elle a elle-même créée.

Robert de Herte (Eléments n°137, octobre-décembre 2010)