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14/02/2015

Pour le Peuple et la Nation :Petite Histoire du National-Bolchévisme

 

Zakhar Prilipine, alexandre dougine, edouard limonov, ernst niekisch, national bolchevisme, national-bolchevik,

 

L’expression « National-Bolchévik » est porteuse de nombreuses ambiguïtés, découlant de la mise côte à côte de deux notions totalement opposées en apparence, car servant à définir des expériences politiques souvent très différentes. Les multiples interprétations du phénomène, loin d’apporter une définition claire, ont entraîné au contraire de nombreuses confusions. Pourtant comme l’écrivait Louis Dupeux (qui ne portait pas dans son cœur l’objet de son étude) : « Le National-Bolchévisme est un courant politique marginal mais du plus haut intérêt théorique ». Il conserve donc son importance comme source d’inspiration pour les Partisans de la Révolution Européenne.

 

Allemagne 1919 : La naissance d’un national-communisme.

 

L’origine du National-Bolchévisme est allemande, et cela n’est pas un hasard. Lénine considérait ce pays comme la clef de l’avenir de la Révolution en Europe. Dès avril 1919, certains nationalistes allemands, encore sous le coups de la catastrophe que représentaient pour eux la défaite de leur pays dans la Grande Guerre, appelaient de leurs vœux une « révolution bolchévique » pour libérer leur peuple de l’occupation alliée. L’idée d’une alliance des forces révolutionnaires et nationalistes planait dans un pays au bord de l’explosion. Pourtant, c’est à l’extrême-gauche que la véritable première expérience National-Bolchévik verra le jour. Nous la devons à deux grands noms du mouvement révolutionnaire allemand, Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim. Les deux camarades se rencontrent en 1912, ils ont déjà chacun un long parcours militant éprouvé dans les combats du mouvement socialiste de l’avant-guerre.

 

Engagés dans les rangs socialistes révolutionnaires, ils refusent la ligne réformiste et parlementaire des organisations de gauche de l’époque. Ils jouent un rôle actif dans la formation révolutionnaire des groupes radicaux d’Allemagne du Nord, en particulier à Hambourg où ils disposent de nombreux soutiens. La menace croissante d’une guerre européenne, fait d’eux des pacifistes actifs. Pourtant,  ils ne refusent pas de prendre les armes quand l’heure de la mobilisation générale arrivera. C’est dans l’expérience de la guerre que va se forger l’approche nouvelle du socialisme de Laufenberg et de Wolffheim. Elle trouvera son terrain d’application dans les bouleversements qui vont frapper l’Allemagne après l’armistice de 1918.

 

Le 6 novembre 1918, la révolution éclate à Hambourg et Wolffheim, alors mobilisé sur place, y joue immédiatement un rôle de premier plan. Les soldats mutinés, encouragés par les radicaux de gauche proclament, pour la première fois en Allemagne, la République socialiste. Wolffheim participe à la constitution du « Conseil des ouvriers et des soldats » qui assurent le contrôle de la ville. De retour du front, Laufenberg est proclamé président du conseil, il a alors conscience que « tout le sort de la révolution européenne repose entre les mains de la classe ouvrière allemande ». Étape par étape, le véritable socialisme se construit par des mesures concrètes. Les conseils hambourgeois vont ainsi multiplier les mesures sociales (réduction des heures de travail, augmentation des salaires, amélioration des conditions de vie…) qu’ils imposent par la force aux patrons. Ils n’hésitèrent jamais à collectiviser les usines des patrons récalcitrants. Les radicaux de gauche envahissent aussi les permanences des syndicats et distribuent les fonds de ces organisations réformistes aux chômeurs. Mais la démarche des hambourgeois est aussi pragmatique. Ils tentent de rallier des classes sociales, comme les classes moyennes, que les conséquences de la guerre poussent objectivement vers la classe ouvrière. Il était alors possible de dépasser les anciens clivages, pour réaliser l’unité des classes opprimées, et par là de la nation, autour de la révolution. La notion de Nation prolétarienne en lutte contre les impérialismes fut alors développée par les deux de Hambourg. Elle engloberait l’ensemble des classes laborieuses en excluant la haute bourgeoisie de l’unité nationale. « Les conseils d’usines deviennent, écrit Wolffheim, l’élément du rassemblement national, de l’organisation nationale, de la fusion nationale, parce qu’ils sont l’élément de base, la cellule originelle du socialisme’ .

 

Au moment où le diktat de Versailles remettait en cause l’intégrité de la nation même, ils tentent de proposer une alliance aux cadres militaires. La classe ouvrière allemande se retrouve sous la menace d’un écrasement complet sous la botte du capitalisme anglo-saxon. Ils vont donc rejeter naturellement le Traité et appeler à la constitution d’une « Wehrmacht populaire » qui devait reprendre le combat contre l’impérialisme aux côtés de l’armée rouge soviétique. C’est dans ce contexte que furent pris des contacts avec les milieux nationalistes. S’ils éveillèrent un certain intérêt parmi les jeunes officiers, ils devaient se heurter à l’incompréhension de la haute caste militaire, qui laisserait ainsi passer une chance pour l’Allemagne à cause de son vieux fond réactionnaire et anticommuniste. «  La Nation bourgeoise se meurt et la Nation socialiste croît, écrivait Laufenberg. L’idée nationale a cessé d’être un moyen de puissance aux mains de la bourgeoisie contre le prolétariat et se retourne contre celle-ci. La grande dialectique de l’Histoire fait de l’idée nationale un moyen de puissance du prolétariat contre la bourgeoisie». Leur positionnement ouvertement patriotique, devait leur valoir la haine des spartakistes et des agents du Kominterm, ainsi que les premières accusations de dérives « nationales-bolchéviques ». Les sociaux-démocrates, devenus progressivement majoritaires au sein des conseils de Hambourg, devaient obliger Laufenberg à démissionner de son poste. Très rapidement la Réaction triomphe, les modérés livrant la ville à l’armée régulière qui liquida la Révolution. Ainsi finit la première tentative National-Bolchévique de l’histoire, mais très vite d’autres héros de cette cause prendront la suite des « Hambourgeois ».

 

Ernest Niekisch, le socialiste prussien.

 

Ernest Niekisch est probablement le plus intéressant penseur politique allemand de l’entre-deux-guerres et en même temps le moins connus. Avec lui, les nationaux bolcheviks vont constituer l’aile la plus radicalement anticapitaliste de la mouvance de la Révolution-Conservatrice.

 

Avant la guerre, Ernest Niekisch est instituteur et proche des milieux socialistes. Il développe sa propre vision du monde et du socialisme sous l’influence conjuguée de Karl Marx et de Frédéric Friedrich Nietzsche. À l’annonce de la défaite, il est en Bavière où on le propulse à la présidence du Conseil des ouvriers, des paysans et des soldats bavarois. Quand la révolution est écrasée dans le sang par le gouvernement central, il se retrouve en prison et chassé de l’enseignement. Dégoûté par la lâcheté des sociaux-démocrates, il va découvrir, à l’ombre des barreaux, que la libération nationale et la révolution socialiste doivent êtres unies pour vaincre.

 

À sa libération, son intérêt se porte principalement sur les questions de politique étrangère qui sont d’une brûlante actualité dans une Allemagne traumatisée qui se cherche. Lucide sur la décadence de l’Occident, Niekisch tourne son regard vers l’Est. Il voit bien que l’esprit mercantile qui domine la mentalité bourgeoise occidentale n’apportera rien d’autre au peuple allemand que la servitude aux lois du Capital. Au contraire, c’est un peuple jeune, porteur d’une promesse de renaissance, qui se lève à l’Est. La Russie fascine ce prussien d’origine et d’esprit qui ne voyait pas dans le communisme soviétique le mal absolu, mais une nouvelle forme de l’élan impérial russe. Il développera l’idée qu’une alliance russo-allemande contre l’Ouest serait l’aboutissement naturel d’une communauté de destin de deux nations sœurs. La constitution d’un vaste espace eurasien devant transfigurer l’Europe par une idée impériale unitaire qui dépasserait le nationalisme chauvin et les fausses valeurs du capitalisme.

 

On ne peut que rester admiratif devant la pertinence de son analyse qui si elle avait été suivie auraient sûrement empêché bien des massacres et des divisions en Europe. Le National-Bolchévisme, selon Niekisch, exigeaient l’éradication pure et simple du système capitaliste et une orientation à l’Est qui ne pouvait que se heurter au national-socialisme, fondamentalement petit-bourgeois et pétris de doctrine raciste primaire. Mais les thèses NB trouveront un écho favorable dans la jeune génération national-révolutionnaire des années 30. Il eut ainsi une importante influence sur le mouvement de jeunesse Bündisch, participant à son orientation anti-capitaliste et à la recherche d’un nouveau lien communautaire au sein de la nation allemande. Des revues comme Das Junge Volk et Die Kommenden dirigées alors par K.O. Paetel se feront les portes-paroles des idées NB.

 

Entre temps, Ernest Niekisch avait fondé son propre journal, Widerstand (Résistance), en 1926. Cette « Feuille pour une politique socialiste et nationaliste-révolutionnaire », regroupait en son sein des socialistes et des Nationalistes-révolutionnaires. Ce journal sera un laboratoire d’idées pour ceux qui luttaient contre la République de Weimar. Une génération de jeunes cadres en sortira : K.O. Paetel, Werner Lass ou Eberhard « Tusk » Kaebel qui se retrouveront dans la résistance au régime hitlérien.

 

L’idéal humain voulu par Ernest Niekisch s’incarnera dans la « Figure du Travailleur d’Ernest Jünger : l’Homme nouveau de l’Etat Total. En effet, l’auteur d’ « Orage d’Acier » fut longtemps un ami de Niekisch et un compagnon de retour du National-Bolhévisme durant la période des années 30.

 

La montée du nazisme va précipiter Niekisch dans la résistance à Hitler. Jugeant que le « petit caporal bavarois » mène l’Allemagne à la catastrophe, il va devenir son plus tenace ennemi déclaré. Ne cédant jamais rien au régime et refusant de s’exiler, il est poursuivi par la Gestapo et voit son journal interdit. Arrêté finalement par la Gestapo en 1937, on le retrouve interné dans un camp de concentration. Malgré toutes les tentatives pour le briser, Ernest Niekisch résistera stoïquement aux mauvais traitements et à la souffrance.

 

En 1945, il est libéré par l’Armée Rouge. A moitié aveugle et ne pouvant plus marcher, c’est pourtant un homme qui a gardé toute sa force intérieure qui recouvre sa liberté. Les Soviétiques l’accueillent dans leur zone d’occupation où il adhère au Parti communiste allemand. Enseignant à l’Université de Berlin-Est, il participe à la fondation de la République démocratique allemande. Mais cet esprit frondeur rompra avec les communistes à la suite de la brutale répression par les troupes soviétiques de la révolte ouvrière de Berlin. Ernest Niekisch se replie alors en RFA, où il s’enferme dans le silence jusqu'à sa mort le 23 Mai 1967.

 

Alexandre Douguine et Edouard Limonov, les veilleurs de l’Apocalypse

 

Aujourd’hui les héritiers indirectes de Niekisch se trouvent à l’Est. L’éclatement de l’URSS et la chute du communisme laissèrent dans les esprits russes un vide immense. La rapidité du phénomène, le rôle obscur des élites dirigeantes dans la grande braderie de l’Empire amena nombre d’ex-soviétiques à s’interroger sur la véritable raison de cette formidable débâcle. Dans ce contexte de remise en question d’une société entière, émergent des courants contestataires qui refusèrent en bloc le capitalisme, l’occidentalisation et la décadence de leur Patrie. Unissant, au sein d’un large front patriotique communistes staliniens, tsaristes, nationalistes révolutionnaires de tout poil, cette opposition s’est dressée contre le pouvoir corrompu d’Eltsine.

 

En son sein, s’est développé un mouvement activiste qui n’hésite pas à manier la provocation comme une arme dans sa propagande : le Parti National Bolchevik. Fondé en 1994 par le philosophe Alexandre Douguine et l’écrivain Edouard Limonov,  cette organisation se veut le point de rencontre de tout les rebelles à l’ordre en place. « Nous vivons une époque d’un changement radical des alliances, déclaré Limonov, partout de nouvelles barricades sont en construction et nous les défendrons, ces barricades, avec nos  nouveaux « frères d’armes » ».

 

Rassemblant une majorité de jeunes autour de lui, dont de nombreux artistes et écrivains de la « nouvelle littérature russe » (comme Zakhar Prilipine), le PNB est implanté dans les principales villes du pays et édite un hebdomadaire de haute tenue, Limonka (« La grenade »).

 

Si Alexandre Douguine s’est écarté du PNB pour servir d’« éminence grise » à certains secteurs de l'armée du pouvoir russe, avant de devenir le théoricien d'un eurasisme faisant l'alliance de la Tradition et de la Révolution, le retrait de Douguine ne signifie toutefois pas que celui-ci se soit éloigné des théories NB, mais qui réactualise ce courant à travers l'eurasisme. Limonov s’est lui investis dans une lutte totale avec le régime de Poutine. Il a d’ailleurs été emprisonné pendant plus d’un an et demi dans une prison sibérienne après une sordide manipulation des services étatiques. Loin de l’avoir brisé, ce petit séjour derrière les barreaux semble au contraire renforcer sa volonté et son image. Aujourd'hui engagé dans le combat pour l'annulation des privatisations des années 1990, il veut veut arracher les biens nationaux volés par l'oligarchie et soutient la République Populaire du Dombass

 

23/08/2010

L'occident à l'assaut de l'Eurasie....Entretien avec Alexandre Latsa

Entretien paru dans le numéro 41, Mars/Avril 2010, de Rébellion

 

EURA.jpgAlexandre Latsa, est un jeune spécialiste de la géopolitique eurasienne, il se définit lui-même comme un « Européen de nationalité française ».Il réside actuellement en Russie et animele blog francophone Dissonance(1).

 

R/ Les années 2000 furent marquées par une série de « révolutions colorées » dans les pays de l'ex-bloc soviétique.Quelles étaient l'origine et la nature de ce phénomène que vous avez étudié ?

 

 

Le phénomène est multiple. Ces révolutions colorées sont des de nouvelles formes de révolution, non violentes, et soutenues médiatiquement. Pour les non initiés, ces mouvements passent pour spontanés et démocratiques, et ce avec l’aide du système médiatique global qui contribue à donner cette image. En réalité, une étude approfondie de ces phénomènes permet de voir clairement le très haut niveau d’organisation, de préparation mais aussi de stratégie de ces mouvements.

L’idée est née aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale. A l’époque il s’agissait de développer des organisations influentes, capables de contrer l’influence Soviétique, Ce processus a continué lors de la guerre froide, pour les mêmes raisons. Evidemment, lors de l’effondrement de l’URSS et la fin de la guerre froide, ces ONGs étaient en activité mais leurs objectifs ont été redirigés, elles sont devenues des têtes de ponts pour accroitre l’influence Américaine partout dans le monde, et surtout en Europe, hors cette influence Américaine en Europe n’a qu’un « concurrent » potentiel, la Russie d’après 1999.

 

Très vite, il est apparu que le gouvernement américain et de nombreuses « Organisations Non-Gouvernementales » occidentales avaient agi de concert pour organiser et provoquer ces renversements de gouvernement. Comment fut mise en place cette stratégie de déstabilisation ?

 

C’est très complexe et assez génial. Ces ONGs sont tout d’abord des outils de communication pour distiller de l’information très orientée. Le tout sous couvert de défense de valeurs jugées essentielles comme la « démocratie » ou la « liberté ». Généralement cette communication a pour objectif de préparer les esprits lambda à accepter et « comprendre » l’étape essentielle de la « révolution » à savoir la protestation. Ce déferlement est lui aussi un mécanisme parfaitement huilé. Il consiste à focaliser le mécontentement populaire sur la cible que l’on veut abattre, mais en utilisant une majorité manipulée qui croit lutter pour le « bien », la « démocratie » et la « justice », ces impératifs que l’occident a normés comme étant les référents essentiels de notre civilisation.

 

Pour "tenir" ces semaines de manifestations de rue jusqu’à l’assaut sur le parlement, des permanents existaient, révolutionnaires professionnels regroupés au sein de mouvements de jeunesse, réels fers de lance et gestionnaires pratiques des révolutions de couleur. Financés par les ONGs oranges (de la NED, à Freedom House à l’Open Society), ces mouvements sont par exemple Otpor(2) , Pora(3) ,OK98, Kmara(4) , Mjaf(5) , Oborona(6) , My(7) , Kahar, Kelkel(8)ou encore Zubr(9) .

Otpor a par exemple envoyé ses cadres se former dès les années 2000 aux techniques de coup d’Etat non violents (techniques de Gene Sharp(10)et de l’Albert Einstein Institute(11) ). La formation a eu lieu à Budapest et a été dispensée par Robert Helvey, mandaté par l’IRI(12)de John McCain. Après le renversement du régime Serbe (700.000 personnes ont pris d’assaut le parlement Serbe le 05/10/ 2000), OTPOR se fondra dans le mouvement politique au pouvoir pro Européen de Boris Tadic. Certains cadres choisiront de monter un institut de promotion de leur méthode d’action non violente (filiale serbe et locale de l’AEI(13) ). Deux cadres de ce « centre », Aleksandar Maric et Stanko Lazendic seront notamment employés par Freedom House pour dispenser des cours de formation en Ukraine mais également en Géorgie. Pour déstabiliser le régime Ukrainien (kouchma-Ianoukovitch), plus de 10 000 cadres de « Pora » et du « Committee on Voters of Ukraine » perçoivent un salaire à hauteur moyenne de 3000 dollars par mois. Ces « salaires » sont entièrement financés par les États-Unis, via l’USAID et la NED. Egalement des milliers de tentes et de couvertures ont été mises à disposition des manifestants pour camper place de l’Indépendance où des repas gratuits sont servis. L’ensemble de la logistique a été préparée par l’USAID.

Ces jeunes sont aussi des spécialistes de l’utilisation des « nouveaux réseaux » de type Facebook, ou Twitter, voire de contrôle du SMS (avec l’aide d’hyper structures Américaines) afin d’influer massivement sur une population désemparée. Cela a été particulièrement flagrant en Iran lors de la contestation anti Ahmadinejad via Twitter.

 

Nous l’avons vu ces mouvements de jeunesse ont au préalable reçu des stages de formation à l’action non violente (théories de Gene Sharp(14) , fondateur de l’Albert Einstein Institution) ainsi qu’à la communication et à ne « jamais » nommer le bouc émissaire réellement visé. Cette théorie de la « non violence » s’est développée en Amérique dans les années 80 (également au cœur de la guerre froide) pour préparer une éventuelle résistance en Europe en cas d’invasion de l’armée rouge. Ce philosophe assez peu connu a publié de 1985 à 2005 de nombreux ouvrages sur ces théories de résistance non violente. La CIA prendra rapidement en main l’AEI en installant à sa direction un de ses hommes : Robert Helvey et l’institut disposera de financements abondants de l’International Republican Institute (IRI), l’une des quatre branches de la National Endowment for Democracy (NED). Gene Sharp formera les leaders des principaux coups d’Etat soft de ces 15 dernières années.

 

On a évoqué en particulier le rôle de la « Fondation Soros » dans cette affaire. Que savons-nous sur son histoire et son fonctionnement ? Quelles sont les autres principales ONG de cette nature, impliquées ?

 

 

En effet Georges Soros(15) , après avoir fait sauter la banque d’Angleterre, s’est concentré à promouvoir l’idée de « sociétés ouvertes » en Europe de l’Est et à lutter contre le monde Soviétique. Dès 1979 il financera l’activité de réseaux anti Soviétiques en Pologne (Solidarnosc), ou en Tchécoslovaquie (charte77). Peu après la chute du Mur, en 1993, il fonde l’Open Society(16) , sa principale organisation, qui est le cœur de son activité « anti communiste » et « pro occidentale / Américaine ». Celle-ci sera notamment l’organisatrice et la financière principale de la révolution des Roses(17)en Géorgie en 2003, son président affirmant que les moyens mis en place pour permettre cette révolution étaient colossaux, près de 50 permanents et plus de 2 millions de dollars de budget (!). Si l’on étudie de près les investissements de Georges Soros en Europe de l’est, les chiffres sont impressionnants, on doit avoisiner le milliard de dollars. Les projets concernent tant le culturel, que l’immobilier, les communications, les médias ou encore l’aide aux financements de projets d’Etat.(18)

 

 

 

La Guerre Froide avait vu de telles stratégies déjà mises en application par le camp occidental. La fin de l'URSS ne semble pas avoir arrêté ces méthodes. Pourquoi cette doctrine d'encerclement de la Russie s'est-elle accentuée à la fin des années 1990 ?D'autres pays sont-ils aussi visés (comme l'Iran ou la Chine par exemple) ?

 

 

La guerre contre l’URSS était une guerre pour le contrôle du monde et le contrôle du Heartland(19) . La chute de l’URSS a laissé l’Amérique pendant une décennie sans ennemis, voire même sans concurrents, cela de 1991 à 2001. Pendant cette décennie, la croissance mondiale a été énorme, et l’Amérique l’hyper leader mondial qui pour conforter et affirmer sa position a cherché à s’implanter au cœur de l’Eurasie, pour contrôler les zones clefs du monde, celles à haute densité de population mais également où sont concentrées les matières premières. L’Europe sous tutelle a servi de tête de pont pour permettre cette percée de l’influence US au cœur du continent Eurasiatique, que ce soit l’Europe de l’ouest, entièrement soumise à l’OTAN ou l’Europe de l’est tout juste sortie du monde Soviétique.

 

Obstacle clef à cette accession, la Russie, puisque les zones visées (Arctique, Caucase, Asie centrale) sont situées soit en Russie soit dans sa sphère d’influence. Cela ne posait pas de problèmes lors des années qui ont suivi la chute du mur, puisque la Russie était en décomposition totale. Mais dès les années 2000, le réveil Russe avec l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine a mis à mal cette prise de contrôle Américaine. La Russie est dès lors redevenue l’adversaire principal, tout comme l’URSS l’était pendant la guerre froide.

 

Les Etats que vous citez sont également visés, pour des raisons diverses, l’Iran est considéré comme une menace pour Israël (que l’Amérique protège comme s’il s’agissait d’un de ses Etats fédérés) et la Chine car c’est avec la Russie le gros problème de l’Amérique pour le futur.

 

Y-a-t'il un changement de la politique américaine, par rapport à la Russie, depuis l'arrivée de l'administration Obama ? On connaît le rôle de l'équipe Clinton dans les campagnes occidentales contre la Serbie, peut-on imaginer une reprise de cette stratégie de « guerres humanitaires » ? Comment interpréter le redéploiement des forces américaines et de l'Otan en Europe ?

 

 

Les démocrates sont plus discrets mais tout autant hostiles au monde orthodoxe que les républicains. Comme vous le mentionnez, ce sont les démocrates qui ont bombardé la Serbie. En fait c’est un leurre de penser qu’il y a une quelconque différence. Les stratèges géopolitiques du Pentagone où les financiers du complexe militaro-industriel ont leurs intérêts parfaitement représentés des deux côtés et, clairement, l’élection d’Obama n’a pas du tout amélioré la situation. L’Offensive US en Eurasie se poursuit et le déploiement d’un nouveau mur de Berlin en « nouvelle Europe »(20)est en cours(21) .

 

L’Amérique aujourd’hui vous l’aurez noté est engagée dans des guerres humanitaires contre le monde musulman. Il est plausible qu’un nouveau front soit ouvert par l’Amérique en Eurasie mais plus de façon directe. On peut imaginer l’utilisation d’Etats tampons, par exemple via des régimes caniches, comme ceux issus des révolutions de couleur. Comme cela a été le cas avec la Géorgie. Le Caucase est en première ligne, ou alors l’Arctique, ce que je prévois depuis près de 2 ans maintenant(22)(23).

C’est dans ce sens que doit être interprété le redéploiement des forces Américaines en Europe, en vue d’un conflit indirect avec la Russie. Je tiens à rappeler que l’emplacement des missiles US en Europe dépend donc énormément des régimes en place aux frontières Russes. En ce sens, l’élection Ukrainienne est une grosse défaite pour Washington.

 

 

L'Ukraine est un enjeu majeur pour la diplomatie russe. Comment gère-t-elle ses rapports avec son voisin et quelles sont les conséquences des dernières élections présidentielles ukrainiennes ?

 

 

L’Ukraine a été le symbole le plus violent de la perte d’influence Russe, avec la Serbie. La révolution Orange a également été de loin la plus parfaite, la plus travaillée et la plus réussie. Malheureusement pour les Orangistes, on ne gère pas un pays comme on gère une association subventionnée et leur prise de pouvoir a également vu la fin de la croissance à deux chiffres que connaissait ce pays. Ce gouvernement incapable a en plus d’avoir ruiné le pays, focalisé sa politique identitaire sur une séparation violente de la Russie. Pour quiconque connaît les deux pays et a fait un peu d’histoire, c’est encore plus stupide que la séparation du Monténégro et de la Serbie. La Russie et l’Ukraine sont les deux faces d’une même pièce de monnaie. A ce moment là un « breton » et un « périgourdin » sont bien plus différents que ne le sont un Russe et un Ukrainien. Il faut rappeler que les trois premiers candidats à l’élection présidentielle sont 3 candidats pro Russes !

L’élection d’Ianoukovitch a été prise avec beaucoup de soulagement par les Russes qui se sentent désormais à l’abri de scandales politico-économiques montés de toutes pièces comme cela avait été le cas lors de la guerre du Gaz. Désormais la Russie et l’Ukraine vont sans doute sur une voie de stabilisation et même de rapprochement, près d’un citoyen sur 4 souhaitant d’ailleurs la réunification avec la Russie(24) .

 

Principale cible, la Russie est depuis passée à la contre offensive. On l'a vu en Géorgie comme en Ukraine, elle tente de reprendre du terrain face aux occidentaux. Sur quelles bases avance-t-elle dans ce jeu délicat ?

 

 

STRATFOR a récemment publié une trèsbonne analyse à ce sujet(25) qui expliquait parfaitement l’importance des zones tampons / frontalières pour la Russie. « La Russie par la définition de sa géographie n'a pas de frontières naturelles. Pour compenser cela, la Russie a historiquement toujours opéré de la même façon : installer un pouvoir fort et purger toutes influences extérieures déstabilisatrices et créé des zones tampons autour de ses frontières. La Russie a quelque fois poussé cette influence trop loin mais elle n'a jamais été aussi forte (localement comme internationalement) que lorsque cette zone tampon a existé. Le meilleur exemple est l'union soviétique qui a permis à Moscou d'étendre son influence dans un grand nombre de pays, en Europe ou en Asie centrale. L'effondrement de l'Union Soviétique en 1991 a fait retourner la Russie à ses frontières du 17ème siècle, celle-ci redevenant faible et vulnérable. A ce moment là, les Etats Unis ont tenté de saisir l'opportunité d'empêcher la Russie de redevenir "forte" en tentant de la neutraliser à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières.

De façon interne, les EU ont tenté de soutenir des forces politiques progressistes afin de changer la "nature" même du pouvoir politique en Russie, la nature du Kremlin.

De façon externe, les EU ont tenté d'empêcher la résurgence de l'influence Russe en Eurasie, notamment par le biais de l'extension de l'OTAN et l'implantation de bases en Europe de l'est et en asie centrale, mais également des révolutions de couleurs dans les états frontaliers avec la Russie. Sous le règne de Vladimir Poutine, la Russie s'est reconsolidée intérieurement et re centralisée politiquement. Cette étape étant terminée (facilitée par la hausse des matières premières), la Russie renforcée cherche désormais à reconstituer sa zone tampon ».

 

Quelles sont les orientations stratégiques et diplomatiques de la Russie à l'heure actuelle ?

 

La Russie envisage le monde de demain comme un monde BRIC orienté, c'est-à-dire avec une augmentation de l’influence d’états comme la Chine, le Brésil ou elle-même et une perte d’influence de l’Occident américano-centré. Au niveau de la politique internationale, la Russie envisage sa position de puissance autonome avec trois grands axes d’influenceprincipaux.

• Vers l’Europe avec la volonté de création d’une structure de sécurité commune(26)(remplaçant l’Otan).

• Via l’Asie et surtout l’Asie centrale à travers l’OCS.

• Via le monde musulman, à travers l’OCI(27).

 

Si l’on parle des relations avec l’Europe, la Russie aujourd’hui a une relation délicate avec la super structure Européenne. C’est sans doute explicable lorsque l’on sait que le secrétaire général du conseil de l’UE (depuis 1999) est Javier Solana, ancien secrétaire général de l’OTAN (de 1995 à 1999). Comme le disait Pierre Levy(28)dans le Figaro récemment : « Par contre la Russie établit de nombreux partenariats bilatéraux avec les états. Exemple récent : ce n’est sûrement pas grâce à Bruxelles que les salariés des chantiers navals de Saint-Nazaire pourraient voir conforter leur emploi – bien au contraire … ce n’est pas quelque improbable musée communautaire, mais bien le Louvre, qui propose les remarquables richesses de « la Russie éternelle ».

 

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Le courant eurasiste a-t-il une influence sur la géopolitique du Kremlin ? Que pensez-vous des travaux d'Alexandre Dougine ?

 

 

J’ai interviewé Alexandre Douguine il y a un an a peu près(29).Homme brillant et intellectuel hors pair, il a refaçonné une théorie atypique visant à séparer la Russie de l’évolution Euro-Occidentale et à affirmer la particularité culturelle de la Russie comme civilisation à part. Ses thèses ont un énorme écho en Russie, au sein même du pouvoir Russe. Ces théories sont toujours en vogue car la Russie cherche à affirmer et développer son propre modèle et non à s’intégrer à un modèle existant.

 

Contrairement à l'époque de l'URSS, la Russie semble ne pas disposer de réseaux d'influence et de soutien en Europe. Des tentatives sont-elles en cours pour mettre en place des associations ou des relais à l'Ouest ?

 

 

Oui, des réseaux se mettent doucement et discrètement en place,mais nous sommes loin du niveau de lobbying des anglo-saxons et de leur réseaux oranges par exemple. Les capacités financières ne sont pas non plus les mêmes, la « communication » si elle est essentielle, n’est pas le plus prioritaire des sujets pour la Russie en 2010.

 

L'Union Européenne maintient une position ambiguë entre atlantisme et rapprochement vers l'Est, dans ses rapport avec la Russie. L'axe Paris-Berlin-Moscou est-il un jour appelé à avoir une existence réelle ou est-il un rêve ? Comment les européens sont-ils perçus en Russie (et les français en particulier) ?

 

 

Il faut bien différentier le rapport de la Russie avec l’UE et avec les nations européennes, ce sont deux choses très différentes. L’Europe de Bruxelles n’a aucune chance d’exister seule car elle ne dispose d’aucune souveraineté ni politique ni militaire. Sans son maître Américain elle n’est rien, hors ce maître est en train de s’écrouler.Quant au point-clef de la « question russe » telle qu’elle se fait sentir depuis quelques mois et qui est : les Russes (dont le pays se relève) ont-ils besoin de nous (dont le pays s’effondre) je vais vous donner mon opinion.

 

Je pense que les Européens de l’ouest doivent prendre leur destin en main, et se poser les bonnes questions : sont-ils la façade « Ouest » de l’Eurasie continentale, ou sont-ils la façade « Est » de l’Occident transatlantique et américano-centré ?

Je pense sincèrement que l’incompréhension ne vient pas du côté russe, mais bel et bien du côté bruxellois et occidental.

L’Europe aujourd’hui se trouve à Moscou, Belgrade, Kiev ou Tiraspol. Elle ne se situe malheureusement « plus » à Bruxelles, Londres ou Paris. Ces cités sont devenues des villes de l’« Union Occidentale », une Union occidentale qui est d’ailleurs en train de virer à l’Union eurafricaine.

Les Européens qui habitent ces cités occidentales d’Europe de l’Ouest doivent se poser la question de savoir à quelle civilisation ils appartiennent. Celle de Washington, Bruxelles, Alger ou Bamako ou celle de Moscou, Alma-Ata, Erevan et Belgrade ?

 

Les Européens doivent quitter l’O.T.A.N c’est une certitude mais sans doute également intégrer l’O.C.S., comme en parlent déjà certains intellectuels de gauche comme Jacques Sapir. Qu’ils demandent ensuite également à quitter l’Union de Bruxelles et à clairement intégrer l’Espace économique commun russo-kazakho-biélorusse comme le feront sans doute demain l’Ukraine, la Serbie et la Transnistrie, et, après demain, la Grèce et Chypre.

 

Ce n’est pas à la Russie de « s’européaniser » ou « s’occidentaliser » pour devenir une colonie américaine, sans identité et sans aucune souveraineté politique et militaire. C’est aux Européens de l’Ouest aujourd’hui de quitter l’Union occidentale sous domination américaine et construire avec la Russie l’Europe continentale, afin de pouvoir enfin créer l’axe Paris – Berlin – Moscou, garant harmonieux de la paix et de la stabilité sur notre continent.<

 

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