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03/03/2014

En Ukraine, la course à la guerre.

"La mystification, en fait - comme processus réel et non comme entreprise concertée - , est malheureusement si profonde que l'individu réifié reste en possession de sa libre praxis [...] C'est sa libre activité qui reprend à son compte dans sa liberté tout ce qui l'écrase..."

Jean-Paul Sartre. Critique de la Raison dialectique.

Un coup d'Etat semble l'avoir momentanément emporté en Ukraine, du moins dans sa région occidentale et sa capitale administrative. Les affrontements de ces dernières semaines mirent en présence les intérêts contradictoires des fractions de "la bourgeoisie oligarchique" (déclaration du Parti Communiste Ukrainien) locale. Un certain nombre d'ahuris, croyant faire une révolution, ont pris parti pour sa tendance européiste et occidentaliste, de fait objectivement anti-européenne parce qu'arrimée à l'offensive atlantiste sur notre continent. La situation politique instable qui va naître de cette conjoncture (malgré les élections anticipées annoncées et probablement ingérables) explosive sur le plan géopolitique (la Russie ne reconnaît pas la légitimité du nouveau pouvoir et vient de placer ses troupes en état d'alerte à la frontière ukrainienne et le Conseil de la Fédération de Russie vient d'autoriser l'envoi son armée en Ukraine), confirme la trajectoire belliciste du système impérialiste mondial que nous dénonçons régulièrement. L'éviction de Ianoukovitch (bourgeois indécis) n'a pu se faire que grâce à l'appui des forces impérialistes occidentales selon un processus d'infiltration/manipulation bien rodé, constituant de ce fait une véritable provocation à l'égard de la Russie dans le contexte de la Quatrième Guerre Mondiale en cours. La mise en scène médiatique afin de diffusion spectacliste mondiale consista, comme cela est devenu une habitude, à concentrer une masse de gens en un point visible de la capitale, une place dont les médias aux ordres se gargarisent du nom de façon énamourée, afin de faire croire à l'existence d'un mouvement populaire majoritaire.

Tout le contraire d'un processus révolutionnaire dont la dynamique prend une ampleur territoriale indéniable et suscite des organes de lutte articulés géographiquement à sa base en ébullition. Actuellement, la situation est susceptible de dégénérer en guerre civile dont aurait à pâtir la majorité du peuple ukrainien pris en otage par les factions nationales et internationales de la classe dominante. La tension est grave et commence à se traduire par des affrontements en Crimée à dominante russophone où des forces spéciales sont en train d'intervenir afin de contrer les putschistes de Kiev, d'autant que la flotte russe voit sa présence à Sébastopol, remise en cause par le nouveau gouvernement alors qu'elle avait été confirmée pour de nombreuses années par Ianoukovitch qui se voit dorénavant menacé par un mandat d'arrêt international (les malfaiteurs impérialistes vainqueurs peuvent, quant à eux, comme toujours dormir tranquillement sur leurs deux oreilles). La population orientale russophone du pays se prépare, quant à elle, à résister au pouvoir établi à Kiev. Les prolétaires du bassin minier de Donbass n'ont évidemment aucun intérêt à ce que leur pays se rattache à l'UE, ils soupçonnent que leur situation matérielle ne pourrait qu'empirer (actuellement retraite à 45 ans, par exemple, pour les mineurs).

En fait, toute cette tragédie repose principalement sur les conséquences de l'effondrement de l'URSS qui a laissé sur le carreau de larges fractions de la population laborieuse et, en particulier, au sein d'anciennes républiques soviétiques dont l'oligarchie dominante pensait pouvoir tirer les marrons du feu de l'indépendance et de la gabegie qui leur était proposée à l'occasion de la décomposition des anciennes structures économiques et sociales. L'Ukraine ne bénéficiant pas du relatif redécollage de l'économie russe sous Poutine a payé chèrement son choix politique indépendantiste alors qu'elle restait très dépendante, sur le plan énergétique, de la Russie. Que valent les perspectives d'indépendance lorsqu'elles restent illusoires sur le plan économique et cela dans un contexte social chaotique? Elles ne servent que d'instruments à des stratégies impérialistes déstabilisantes.

La situation d'affaiblissement de la Russie ne lui permettait pas de s'opposer à l'éclatement de son ancien empire ; les forces pro-occidentales en profitèrent aisément. Le nationalisme ukrainien dans ce contexte ne peut qu'être déconnecté de la réalité contemporaine et se rattacher à une perception déformée de son propre passé donnant lieu à une fantasmatique fascistoïde chez certains, animés par de l'anti-communisme. La référence au social-démocrate Petlioura ne serait guère plus alléchante et il est fort douteux que les manifestants de Kiev soient des disciples de Makhno... Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le fruit du hasard si le signal du déclenchement de l'émeute fut donné lors de la décision de la part du gouvernement ukrainien de ne pas souscrire aux engagements que lui proposait l'UE et de se retourner vers les propositions eurasiennes du gouvernement russe. D'après l'interprétation officielle, nous assisterions dorénavant à des révolutions populaires pour adhérer à l'entreprise de dépouillement des peuples qu'est l'Europe du capital (les grecs, par exemple, apprécieront). Tout au plus les manifestants ukrainiens dans leur déboussolement sur fond de paupérisation croient-ils encore à la manne céleste européiste.

Il est possible de distinguer à fin d'analyse deux axes principaux de compréhension de la réalité mais qui sont inextricablement mêlés au sein de celle-ci :

a) L'axe géopolitique d'encerclement de la Russie par l'avancée de l'OTAN essayant de se positionner au plus près, maintenant au contact, des frontières russes. De fait, d'anciens territoires russes se voient partagés sur fond de composantes ethniques différentes et voient leur statut politique international plus ou moins discuté (Transnitrie, Abkhazie, Ossétie, etc.). Si l'Ukraine tombait dans l'escarcelle otanesque, le Belarus qui a déjà été victime de pressions et de tentative de déstabilisation par l'Occident serait probablement visé à nouveau dans l'avenir. La Russie poutinienne a amorti dans l'ensemble ces chocs géopolitiques tout en restant relativement prudente voire en reculant sur des questions plus éloignées pour elle (Libye) ; elle semble en avoir tiré la leçon pour la situation en Syrie. Sa tentative de construction de l'Eurasie ne sera-t-elle pas prise de vitesse par l'offensive atlantiste? C'est là que le détachement de l'Ukraine du pôle eurasien serait fort préjudiciable à son projet tant sur le plan géostratégique que géoéconomique. Mais pour que cette nouvelle donne multipolaire puisse se concrétiser, il est nécessaire que la dynamique sociale aille dans le bon sens afin que les peuples puissent s'identifier à ce projet. Le capitalisme n'est pas porteur d'avenir humain, il en est l'impossibilité fondamentale. Il paraît absurde de vanter aux peuples eurasiens les vertus d'un impérialisme russe ; il appartient aux forces révolutionnaires anticapitalistes russes de donner corps à l'eurasisme.

b) Ainsi l'axe de la lutte de classe ne doit pas être oublié dans l'évaluation de ce qui se joue en Ukraine. L'oligarchie capitaliste occidentale ne s'y est pas trompée, elle a appuyé les forces paramilitaires fascistoïdes locales qui ont encadré le mouvement. Stratégiquement, elle ne peut s'en passer sur le terrain de la violence et de la pérennisation du coup d'Etat par la terreur. Ce n'est pas un hasard si le Parti Communiste Ukrainien a été rapidement visé par la destruction de son local à Kiev et par l'agression de ses militants. Le Parti avait recueilli dans une pétition, un million et demi de signatures contre l'adhésion à l'UE et proposait un référendum sur la question, ce qui est soigneusement occulté dans nos médias aux ordres. Sa progression électorale récente avait été spectaculaire, témoignant ainsi de la prise de conscience par les travailleurs de la situation pourrie dans laquelle le capital les avait plongés. Ainsi l'oligarchie occidentale et locale a fait d'une pierre deux coups, écarter la fraction pro-russe du capital par un coup d'Etat qui est également une attaque contre le prolétariat ukrainien. Les bandes paramilitaires ont détourné le mécontentement populaire - probablement présent chez nombre de manifestants - vers leur objectif strictement occidentaliste et pourri dans son essence sociale. Les émeutiers ont obtenu leur propre étranglement, aveuglés par l'idéologie anti-russe sécrétée par des décennies d'inertie de la période soviétique. Que l'on nous entende bien ; nous ne croyons pas au mythe perdurant de l'antifascisme récurrent face à un fascisme resurgissant. Les mots ont un sens, fascistoïdes sont les groupes que la classe dominante, profitant du coup d'Etat, marginaliserait probablement plus tard si son entreprise réussissait pleinement ; c'est-à-dire, ce qu'ils donnent à voir (étymologiquement, ce que signifie le suffixe "ide") pour ce qui n'est qu'une justification "nationaliste" à leur entreprise fondamentalement absurde comme réponse aux contradictions de classe et au poids de l'histoire (identité ukrainienne) mais nécessaire à leur mise en avant afin de donner corps et efficience à cette absurdité (qui repose pourtant en son essence sur la réalité géopolitique) et aussi à ce qu'ils se donnent à voir à eux-mêmes à titre spectacliste. Un rapide regard rétrospectif sur les évènements des dernières décennies montre clairement que le capital utilise des forces politiques de toute nature (de l'extrême droite à l'extrême gauche, des gauchistes aux islamistes, etc.) pour concrétiser ses objectifs de déstabilisation et d'éviction du pouvoir, au nom de la démocratie, de ceux qui les gênent de quelque façon.

En dernier lieu, il faut insister sur le fait que la situation à ce jour est extrêmement préoccupante, elle ne concerne pas seulement l'Ukraine. La propagande impérialiste depuis la chute du Mur de Berlin a réussi à vendre ses agressions comme spectacles à voir par médias interposés et quand bien même on se battait sur le sol européen (ex-Yougoslavie) les peuples anesthésiés ne se sentaient pas - à tort - directement touchés par ce qui se passait sous des cieux plus ou moins lointains. Aujourd'hui, la Russie est directement agressée, elle est prête à intervenir, à pénétrer sur le territoire ukrainien. Nous ne pouvons savoir s'il ne s'agit que de manœuvres d'intimidation à destination de l'Occident mais il suffirait de peu de choses pour que la situation dégénère. Les gouvernements européens dans leur soumission à l'atlantisme continuent de mettre de l'huile sur le feu et sont prisonniers de leurs déclarations et prises de position aventuristes. Le système capitaliste est en bout de course, dans un contexte explosif sur le plan économique, sa dynamique est de plus en plus belliciste, cela devient aveuglant.

Prolétaires, ne vous laissez plus bernés par les promesses et la propagande de l'oligarchie pourrissante!

La réalité c'est la misère sociale et la guerre impérialiste! Réponse de classe à la guerre impérialiste! Aucun soutien à la démocratie capitaliste belliciste! Guerre au capital!

1.03.2014

 

ukraine,guerre civile,situation,russie

 

 

24/01/2011

Méridien Zéro : Entretien avec Alexandre Douguine

 

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Vous pourrez entendre un entretien exclusif accordé à Méridien Zéro le 10 janvier  dernier par Alexandre Douguine, géopoliticien et théoricien politique russe. L' émission, animée par PGL et Georges Feltin-Tracol, est disponible sur le blog de l'émission :

 

http://meridienzero.hautetfort.com/

 

23/08/2010

L'occident à l'assaut de l'Eurasie....Entretien avec Alexandre Latsa

Entretien paru dans le numéro 41, Mars/Avril 2010, de Rébellion

 

EURA.jpgAlexandre Latsa, est un jeune spécialiste de la géopolitique eurasienne, il se définit lui-même comme un « Européen de nationalité française ».Il réside actuellement en Russie et animele blog francophone Dissonance(1).

 

R/ Les années 2000 furent marquées par une série de « révolutions colorées » dans les pays de l'ex-bloc soviétique.Quelles étaient l'origine et la nature de ce phénomène que vous avez étudié ?

 

 

Le phénomène est multiple. Ces révolutions colorées sont des de nouvelles formes de révolution, non violentes, et soutenues médiatiquement. Pour les non initiés, ces mouvements passent pour spontanés et démocratiques, et ce avec l’aide du système médiatique global qui contribue à donner cette image. En réalité, une étude approfondie de ces phénomènes permet de voir clairement le très haut niveau d’organisation, de préparation mais aussi de stratégie de ces mouvements.

L’idée est née aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale. A l’époque il s’agissait de développer des organisations influentes, capables de contrer l’influence Soviétique, Ce processus a continué lors de la guerre froide, pour les mêmes raisons. Evidemment, lors de l’effondrement de l’URSS et la fin de la guerre froide, ces ONGs étaient en activité mais leurs objectifs ont été redirigés, elles sont devenues des têtes de ponts pour accroitre l’influence Américaine partout dans le monde, et surtout en Europe, hors cette influence Américaine en Europe n’a qu’un « concurrent » potentiel, la Russie d’après 1999.

 

Très vite, il est apparu que le gouvernement américain et de nombreuses « Organisations Non-Gouvernementales » occidentales avaient agi de concert pour organiser et provoquer ces renversements de gouvernement. Comment fut mise en place cette stratégie de déstabilisation ?

 

C’est très complexe et assez génial. Ces ONGs sont tout d’abord des outils de communication pour distiller de l’information très orientée. Le tout sous couvert de défense de valeurs jugées essentielles comme la « démocratie » ou la « liberté ». Généralement cette communication a pour objectif de préparer les esprits lambda à accepter et « comprendre » l’étape essentielle de la « révolution » à savoir la protestation. Ce déferlement est lui aussi un mécanisme parfaitement huilé. Il consiste à focaliser le mécontentement populaire sur la cible que l’on veut abattre, mais en utilisant une majorité manipulée qui croit lutter pour le « bien », la « démocratie » et la « justice », ces impératifs que l’occident a normés comme étant les référents essentiels de notre civilisation.

 

Pour "tenir" ces semaines de manifestations de rue jusqu’à l’assaut sur le parlement, des permanents existaient, révolutionnaires professionnels regroupés au sein de mouvements de jeunesse, réels fers de lance et gestionnaires pratiques des révolutions de couleur. Financés par les ONGs oranges (de la NED, à Freedom House à l’Open Society), ces mouvements sont par exemple Otpor(2) , Pora(3) ,OK98, Kmara(4) , Mjaf(5) , Oborona(6) , My(7) , Kahar, Kelkel(8)ou encore Zubr(9) .

Otpor a par exemple envoyé ses cadres se former dès les années 2000 aux techniques de coup d’Etat non violents (techniques de Gene Sharp(10)et de l’Albert Einstein Institute(11) ). La formation a eu lieu à Budapest et a été dispensée par Robert Helvey, mandaté par l’IRI(12)de John McCain. Après le renversement du régime Serbe (700.000 personnes ont pris d’assaut le parlement Serbe le 05/10/ 2000), OTPOR se fondra dans le mouvement politique au pouvoir pro Européen de Boris Tadic. Certains cadres choisiront de monter un institut de promotion de leur méthode d’action non violente (filiale serbe et locale de l’AEI(13) ). Deux cadres de ce « centre », Aleksandar Maric et Stanko Lazendic seront notamment employés par Freedom House pour dispenser des cours de formation en Ukraine mais également en Géorgie. Pour déstabiliser le régime Ukrainien (kouchma-Ianoukovitch), plus de 10 000 cadres de « Pora » et du « Committee on Voters of Ukraine » perçoivent un salaire à hauteur moyenne de 3000 dollars par mois. Ces « salaires » sont entièrement financés par les États-Unis, via l’USAID et la NED. Egalement des milliers de tentes et de couvertures ont été mises à disposition des manifestants pour camper place de l’Indépendance où des repas gratuits sont servis. L’ensemble de la logistique a été préparée par l’USAID.

Ces jeunes sont aussi des spécialistes de l’utilisation des « nouveaux réseaux » de type Facebook, ou Twitter, voire de contrôle du SMS (avec l’aide d’hyper structures Américaines) afin d’influer massivement sur une population désemparée. Cela a été particulièrement flagrant en Iran lors de la contestation anti Ahmadinejad via Twitter.

 

Nous l’avons vu ces mouvements de jeunesse ont au préalable reçu des stages de formation à l’action non violente (théories de Gene Sharp(14) , fondateur de l’Albert Einstein Institution) ainsi qu’à la communication et à ne « jamais » nommer le bouc émissaire réellement visé. Cette théorie de la « non violence » s’est développée en Amérique dans les années 80 (également au cœur de la guerre froide) pour préparer une éventuelle résistance en Europe en cas d’invasion de l’armée rouge. Ce philosophe assez peu connu a publié de 1985 à 2005 de nombreux ouvrages sur ces théories de résistance non violente. La CIA prendra rapidement en main l’AEI en installant à sa direction un de ses hommes : Robert Helvey et l’institut disposera de financements abondants de l’International Republican Institute (IRI), l’une des quatre branches de la National Endowment for Democracy (NED). Gene Sharp formera les leaders des principaux coups d’Etat soft de ces 15 dernières années.

 

On a évoqué en particulier le rôle de la « Fondation Soros » dans cette affaire. Que savons-nous sur son histoire et son fonctionnement ? Quelles sont les autres principales ONG de cette nature, impliquées ?

 

 

En effet Georges Soros(15) , après avoir fait sauter la banque d’Angleterre, s’est concentré à promouvoir l’idée de « sociétés ouvertes » en Europe de l’Est et à lutter contre le monde Soviétique. Dès 1979 il financera l’activité de réseaux anti Soviétiques en Pologne (Solidarnosc), ou en Tchécoslovaquie (charte77). Peu après la chute du Mur, en 1993, il fonde l’Open Society(16) , sa principale organisation, qui est le cœur de son activité « anti communiste » et « pro occidentale / Américaine ». Celle-ci sera notamment l’organisatrice et la financière principale de la révolution des Roses(17)en Géorgie en 2003, son président affirmant que les moyens mis en place pour permettre cette révolution étaient colossaux, près de 50 permanents et plus de 2 millions de dollars de budget (!). Si l’on étudie de près les investissements de Georges Soros en Europe de l’est, les chiffres sont impressionnants, on doit avoisiner le milliard de dollars. Les projets concernent tant le culturel, que l’immobilier, les communications, les médias ou encore l’aide aux financements de projets d’Etat.(18)

 

 

 

La Guerre Froide avait vu de telles stratégies déjà mises en application par le camp occidental. La fin de l'URSS ne semble pas avoir arrêté ces méthodes. Pourquoi cette doctrine d'encerclement de la Russie s'est-elle accentuée à la fin des années 1990 ?D'autres pays sont-ils aussi visés (comme l'Iran ou la Chine par exemple) ?

 

 

La guerre contre l’URSS était une guerre pour le contrôle du monde et le contrôle du Heartland(19) . La chute de l’URSS a laissé l’Amérique pendant une décennie sans ennemis, voire même sans concurrents, cela de 1991 à 2001. Pendant cette décennie, la croissance mondiale a été énorme, et l’Amérique l’hyper leader mondial qui pour conforter et affirmer sa position a cherché à s’implanter au cœur de l’Eurasie, pour contrôler les zones clefs du monde, celles à haute densité de population mais également où sont concentrées les matières premières. L’Europe sous tutelle a servi de tête de pont pour permettre cette percée de l’influence US au cœur du continent Eurasiatique, que ce soit l’Europe de l’ouest, entièrement soumise à l’OTAN ou l’Europe de l’est tout juste sortie du monde Soviétique.

 

Obstacle clef à cette accession, la Russie, puisque les zones visées (Arctique, Caucase, Asie centrale) sont situées soit en Russie soit dans sa sphère d’influence. Cela ne posait pas de problèmes lors des années qui ont suivi la chute du mur, puisque la Russie était en décomposition totale. Mais dès les années 2000, le réveil Russe avec l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine a mis à mal cette prise de contrôle Américaine. La Russie est dès lors redevenue l’adversaire principal, tout comme l’URSS l’était pendant la guerre froide.

 

Les Etats que vous citez sont également visés, pour des raisons diverses, l’Iran est considéré comme une menace pour Israël (que l’Amérique protège comme s’il s’agissait d’un de ses Etats fédérés) et la Chine car c’est avec la Russie le gros problème de l’Amérique pour le futur.

 

Y-a-t'il un changement de la politique américaine, par rapport à la Russie, depuis l'arrivée de l'administration Obama ? On connaît le rôle de l'équipe Clinton dans les campagnes occidentales contre la Serbie, peut-on imaginer une reprise de cette stratégie de « guerres humanitaires » ? Comment interpréter le redéploiement des forces américaines et de l'Otan en Europe ?

 

 

Les démocrates sont plus discrets mais tout autant hostiles au monde orthodoxe que les républicains. Comme vous le mentionnez, ce sont les démocrates qui ont bombardé la Serbie. En fait c’est un leurre de penser qu’il y a une quelconque différence. Les stratèges géopolitiques du Pentagone où les financiers du complexe militaro-industriel ont leurs intérêts parfaitement représentés des deux côtés et, clairement, l’élection d’Obama n’a pas du tout amélioré la situation. L’Offensive US en Eurasie se poursuit et le déploiement d’un nouveau mur de Berlin en « nouvelle Europe »(20)est en cours(21) .

 

L’Amérique aujourd’hui vous l’aurez noté est engagée dans des guerres humanitaires contre le monde musulman. Il est plausible qu’un nouveau front soit ouvert par l’Amérique en Eurasie mais plus de façon directe. On peut imaginer l’utilisation d’Etats tampons, par exemple via des régimes caniches, comme ceux issus des révolutions de couleur. Comme cela a été le cas avec la Géorgie. Le Caucase est en première ligne, ou alors l’Arctique, ce que je prévois depuis près de 2 ans maintenant(22)(23).

C’est dans ce sens que doit être interprété le redéploiement des forces Américaines en Europe, en vue d’un conflit indirect avec la Russie. Je tiens à rappeler que l’emplacement des missiles US en Europe dépend donc énormément des régimes en place aux frontières Russes. En ce sens, l’élection Ukrainienne est une grosse défaite pour Washington.

 

 

L'Ukraine est un enjeu majeur pour la diplomatie russe. Comment gère-t-elle ses rapports avec son voisin et quelles sont les conséquences des dernières élections présidentielles ukrainiennes ?

 

 

L’Ukraine a été le symbole le plus violent de la perte d’influence Russe, avec la Serbie. La révolution Orange a également été de loin la plus parfaite, la plus travaillée et la plus réussie. Malheureusement pour les Orangistes, on ne gère pas un pays comme on gère une association subventionnée et leur prise de pouvoir a également vu la fin de la croissance à deux chiffres que connaissait ce pays. Ce gouvernement incapable a en plus d’avoir ruiné le pays, focalisé sa politique identitaire sur une séparation violente de la Russie. Pour quiconque connaît les deux pays et a fait un peu d’histoire, c’est encore plus stupide que la séparation du Monténégro et de la Serbie. La Russie et l’Ukraine sont les deux faces d’une même pièce de monnaie. A ce moment là un « breton » et un « périgourdin » sont bien plus différents que ne le sont un Russe et un Ukrainien. Il faut rappeler que les trois premiers candidats à l’élection présidentielle sont 3 candidats pro Russes !

L’élection d’Ianoukovitch a été prise avec beaucoup de soulagement par les Russes qui se sentent désormais à l’abri de scandales politico-économiques montés de toutes pièces comme cela avait été le cas lors de la guerre du Gaz. Désormais la Russie et l’Ukraine vont sans doute sur une voie de stabilisation et même de rapprochement, près d’un citoyen sur 4 souhaitant d’ailleurs la réunification avec la Russie(24) .

 

Principale cible, la Russie est depuis passée à la contre offensive. On l'a vu en Géorgie comme en Ukraine, elle tente de reprendre du terrain face aux occidentaux. Sur quelles bases avance-t-elle dans ce jeu délicat ?

 

 

STRATFOR a récemment publié une trèsbonne analyse à ce sujet(25) qui expliquait parfaitement l’importance des zones tampons / frontalières pour la Russie. « La Russie par la définition de sa géographie n'a pas de frontières naturelles. Pour compenser cela, la Russie a historiquement toujours opéré de la même façon : installer un pouvoir fort et purger toutes influences extérieures déstabilisatrices et créé des zones tampons autour de ses frontières. La Russie a quelque fois poussé cette influence trop loin mais elle n'a jamais été aussi forte (localement comme internationalement) que lorsque cette zone tampon a existé. Le meilleur exemple est l'union soviétique qui a permis à Moscou d'étendre son influence dans un grand nombre de pays, en Europe ou en Asie centrale. L'effondrement de l'Union Soviétique en 1991 a fait retourner la Russie à ses frontières du 17ème siècle, celle-ci redevenant faible et vulnérable. A ce moment là, les Etats Unis ont tenté de saisir l'opportunité d'empêcher la Russie de redevenir "forte" en tentant de la neutraliser à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières.

De façon interne, les EU ont tenté de soutenir des forces politiques progressistes afin de changer la "nature" même du pouvoir politique en Russie, la nature du Kremlin.

De façon externe, les EU ont tenté d'empêcher la résurgence de l'influence Russe en Eurasie, notamment par le biais de l'extension de l'OTAN et l'implantation de bases en Europe de l'est et en asie centrale, mais également des révolutions de couleurs dans les états frontaliers avec la Russie. Sous le règne de Vladimir Poutine, la Russie s'est reconsolidée intérieurement et re centralisée politiquement. Cette étape étant terminée (facilitée par la hausse des matières premières), la Russie renforcée cherche désormais à reconstituer sa zone tampon ».

 

Quelles sont les orientations stratégiques et diplomatiques de la Russie à l'heure actuelle ?

 

La Russie envisage le monde de demain comme un monde BRIC orienté, c'est-à-dire avec une augmentation de l’influence d’états comme la Chine, le Brésil ou elle-même et une perte d’influence de l’Occident américano-centré. Au niveau de la politique internationale, la Russie envisage sa position de puissance autonome avec trois grands axes d’influenceprincipaux.

• Vers l’Europe avec la volonté de création d’une structure de sécurité commune(26)(remplaçant l’Otan).

• Via l’Asie et surtout l’Asie centrale à travers l’OCS.

• Via le monde musulman, à travers l’OCI(27).

 

Si l’on parle des relations avec l’Europe, la Russie aujourd’hui a une relation délicate avec la super structure Européenne. C’est sans doute explicable lorsque l’on sait que le secrétaire général du conseil de l’UE (depuis 1999) est Javier Solana, ancien secrétaire général de l’OTAN (de 1995 à 1999). Comme le disait Pierre Levy(28)dans le Figaro récemment : « Par contre la Russie établit de nombreux partenariats bilatéraux avec les états. Exemple récent : ce n’est sûrement pas grâce à Bruxelles que les salariés des chantiers navals de Saint-Nazaire pourraient voir conforter leur emploi – bien au contraire … ce n’est pas quelque improbable musée communautaire, mais bien le Louvre, qui propose les remarquables richesses de « la Russie éternelle ».

 

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Le courant eurasiste a-t-il une influence sur la géopolitique du Kremlin ? Que pensez-vous des travaux d'Alexandre Dougine ?

 

 

J’ai interviewé Alexandre Douguine il y a un an a peu près(29).Homme brillant et intellectuel hors pair, il a refaçonné une théorie atypique visant à séparer la Russie de l’évolution Euro-Occidentale et à affirmer la particularité culturelle de la Russie comme civilisation à part. Ses thèses ont un énorme écho en Russie, au sein même du pouvoir Russe. Ces théories sont toujours en vogue car la Russie cherche à affirmer et développer son propre modèle et non à s’intégrer à un modèle existant.

 

Contrairement à l'époque de l'URSS, la Russie semble ne pas disposer de réseaux d'influence et de soutien en Europe. Des tentatives sont-elles en cours pour mettre en place des associations ou des relais à l'Ouest ?

 

 

Oui, des réseaux se mettent doucement et discrètement en place,mais nous sommes loin du niveau de lobbying des anglo-saxons et de leur réseaux oranges par exemple. Les capacités financières ne sont pas non plus les mêmes, la « communication » si elle est essentielle, n’est pas le plus prioritaire des sujets pour la Russie en 2010.

 

L'Union Européenne maintient une position ambiguë entre atlantisme et rapprochement vers l'Est, dans ses rapport avec la Russie. L'axe Paris-Berlin-Moscou est-il un jour appelé à avoir une existence réelle ou est-il un rêve ? Comment les européens sont-ils perçus en Russie (et les français en particulier) ?

 

 

Il faut bien différentier le rapport de la Russie avec l’UE et avec les nations européennes, ce sont deux choses très différentes. L’Europe de Bruxelles n’a aucune chance d’exister seule car elle ne dispose d’aucune souveraineté ni politique ni militaire. Sans son maître Américain elle n’est rien, hors ce maître est en train de s’écrouler.Quant au point-clef de la « question russe » telle qu’elle se fait sentir depuis quelques mois et qui est : les Russes (dont le pays se relève) ont-ils besoin de nous (dont le pays s’effondre) je vais vous donner mon opinion.

 

Je pense que les Européens de l’ouest doivent prendre leur destin en main, et se poser les bonnes questions : sont-ils la façade « Ouest » de l’Eurasie continentale, ou sont-ils la façade « Est » de l’Occident transatlantique et américano-centré ?

Je pense sincèrement que l’incompréhension ne vient pas du côté russe, mais bel et bien du côté bruxellois et occidental.

L’Europe aujourd’hui se trouve à Moscou, Belgrade, Kiev ou Tiraspol. Elle ne se situe malheureusement « plus » à Bruxelles, Londres ou Paris. Ces cités sont devenues des villes de l’« Union Occidentale », une Union occidentale qui est d’ailleurs en train de virer à l’Union eurafricaine.

Les Européens qui habitent ces cités occidentales d’Europe de l’Ouest doivent se poser la question de savoir à quelle civilisation ils appartiennent. Celle de Washington, Bruxelles, Alger ou Bamako ou celle de Moscou, Alma-Ata, Erevan et Belgrade ?

 

Les Européens doivent quitter l’O.T.A.N c’est une certitude mais sans doute également intégrer l’O.C.S., comme en parlent déjà certains intellectuels de gauche comme Jacques Sapir. Qu’ils demandent ensuite également à quitter l’Union de Bruxelles et à clairement intégrer l’Espace économique commun russo-kazakho-biélorusse comme le feront sans doute demain l’Ukraine, la Serbie et la Transnistrie, et, après demain, la Grèce et Chypre.

 

Ce n’est pas à la Russie de « s’européaniser » ou « s’occidentaliser » pour devenir une colonie américaine, sans identité et sans aucune souveraineté politique et militaire. C’est aux Européens de l’Ouest aujourd’hui de quitter l’Union occidentale sous domination américaine et construire avec la Russie l’Europe continentale, afin de pouvoir enfin créer l’axe Paris – Berlin – Moscou, garant harmonieux de la paix et de la stabilité sur notre continent.<

 

Retrouvez les analyses d'Alexandre Latsa sur le blog Dissonance :

http://alexandrelatsa.blogspot.com/