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16/04/2010

Sortir de l'Europe du Capital

Article publié dans le numéro 36 de Rébellion Mai/Juin 2009

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« L’Europe est une machine à

réformer la France malgré elle ».

Denis Kessler. Ancien numéro 2 du MEDEF

 

 

 

 

Les préparatifs en vue des élections européennes sont plus que discrets à quelques jours du scrutin. Il est évident que cette échéance électoraliste ne déchaîne pas les foules. Les classes populaires n'ont que faire d'un parlement sans pouvoir, une simple chambre de validation des décisions d'une technocratie de hauts fonctionnaires et un terrain d'action pour la faune douteuse des lobbyistes.

De plus, elle se déroule, dans un contexte de crise profonde du capitalisme. Toutes les données macro-économiques disponibles, y compris celles des propres organismes de l’Union Européenne, confirment le scénario d’une récession économique dans la zone euro couplée à une chute brutale de la production industrielle et à des tendances déflationnistes, signes évidents de la crise qui paralyse les principales économies européennes. En d’autres termes, contrairement à ce qu’avancent les partisans du dogme de l’intégration capitaliste européenne, l’Union Européenne ne s’est pas révélée être un « oasis » au milieu du séisme économique et financier mondial et n’a pas été, comme annoncé, un « rempart contre les mauvais côtés de la mondialisation ».

Surtout, cette élection aurait pu être l'occasion d'ouvrir un vrai débat sur la nature de la construction européenne, sur ses objectifs et son avenir. Mais cela semble être condamné à être escamoté par un tour de passe-passe médiatique. Si nos dirigeants fustigent le manque d'intérêt et le peu d'enthousiasme des citoyens sur cette question, ils ne se risqueront pas d'ouvrir la boîte de Pandore du débat démocratique. La mauvaise surprise de la victoire du NON au référendum sur la Constitution européenne pourrait se reproduire. Le Peuple ne doit pas être informé des buts réels du « Projet européen », car il serait bien capable de reprendre en mains son Destin.

 

Un lourd héritage ...

Depuis son origine, la construction européenne fut au service de la défense et de la propagation du modèle économique et politique libéral. Les glorieux « pères fondateurs » de l'Union , n'étaient pas de doux rêveurs idéalistes ou des philanthropes désintéressés, mais des technocrates et des hommes d'affaires pragmatiques. Dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale les choses étaient claires, il fallait créer un espace économique unifié en Europe pour permettre le développement des grands groupes industriels. Cette idée avait déjà fait son chemin dans les années 1920 dans les cercles patronaux et auprès de jeunes hauts fonctionnaires. La ruine quasi totale de l'économie européenne au lendemain du premier conflit mondial et l’affaiblissement des puissances du continent permettaient de mettre en application leur plan.

Le manque de transparence, le caractère antidémocratique et le pouvoir absolu d’une minorité marquent la construction européenne dès ses débuts. Ainsi, le plan Schuman, qui est considéré comme l'acte de naissance de l'Europe économique, est préparé dans le secret le plus total. Elaboré par neuf technocrates européens sous la direction de Jean Monnet, ils ne rendaient aucun compte à leurs gouvernements respectifs (mais ils avaient pris soins d'associer dans leur démarche le secrétaire d'Etat américain, grand ami de Jean Monnet). Rendu public le 9 Mai 1950, il mettra en place le premier jalon de la fin de la souveraineté des Nations et des Peuples au profit d'un pouvoir supranational. L'accord donnant naissance à la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier entre la France, l'Allemagne Fédérale, l'Italie et les pays du Benelux est signé le 18 avril 1951 : il crée un marché commun pour ses marchandises (supprimant les droits de douane et interdisant les mesures protectionnistes ou d'aides à producteurs nationaux). A cette occasion, la libre concurrence est affirmée comme un principe de ce nouvel espace.

Ce traité engage les pays signataires pour cinquante ans, sans aucune consultation des citoyens.

Bénéficiant du soutien du patronat (qui investit plusieurs millions de francs dans la propagande pro-marché commun), d’anciens fonctionnaires « vichyssois » recyclés, de certains socialistes de la SFIO et de radicaux, mais surtout des sociaux démocrates et des démocrates chrétiens, le processus d'intégration européenne ne fut jamais soumis à la ratification populaire. A l'Assemblée Nationale, il déchaîna les protestations des députés communistes et gaullistes qui y voyaient une perte de l'indépendance nationale. Mais les technocrates dédaignant les parlements et contournant la voie démocratique, ce type de passage en force sera appliqué dans toutes les étapes de la construction de l’union Européenne. .

Les Etats-Unis furent plus que bienveillants à l’égard de ce projet. En effet, le plan Marshall pour la reconstruction de l'Europe de l'Ouest n’était pas un plan d’aide sans contrepartie. Il visait à créer aussi cet espace économique unifié tourné vers l'Atlantique et dépendant de la puissance militaire US.

Permettant à la fois de faire barrage à la propagation du communisme et d'ouvrir davantage nos économies à la surproduction américaine, ce nouveau marché était un gage de l'ancrage des pays européens dans le monde occidental. A l'époque, il n'était absolument pas question d'extension de l'Europe vers l'Est. L'URSS et les pays du bloc soviétique étaient d'office rejetés de cette zone entièrement ouverte aux trusts américains et placée sous la protection de l'OTAN. La CIA, par l'entremise de tout un réseau de fondations et de clubs d’influences (comme le fameux Bilderberg), investit de fortes sommes pour influencer les médias, la jeunesse et les milieux politiques dans ce sens.

 

L'Union Européenne, un bulldozer mondialiste

La suite est connue, avec le Traité de Rome de 1957, l'Europe rentre de plein pied dans la mondialisation avec la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et la restructuration totale de la production et de l'économie européenne.

Dans les années 1970 et 1980, la Communauté Economique Européenne sera l'apôtre d’une politique industrielle dont les principes sont relativement simples, malgré certaines proclamations de Lisbonne en 2000 : laisser le marché privilégier le développement des secteurs les plus compétitifs à un moment donné ou amenés à l’être dans l’avenir ( comme le tertiaire et les nouvelles technologies) et accélérer la restructuration – comprendre la liquidation – des secteurs en difficulté ( industries lourdes, productions locales). Ce principe est valable pour l’ensemble de l’UE, mais aussi pour les régions industrielles européennes prises de manière isolée (le cas du Nord ou de la Lorraine). On connaît le coût humain de cette politique avec les millions de chômeurs européens laissés sur le carreau.

 

La belle discipline monétaire, construite année après année en Europe avec le soutien des institutions de la Communauté et des gouvernements nationaux, doit être saluée comme il se doit : en 1990, un espace économique européen dominé par l’industrie et le crédit ouest-allemand et soumis à une politique monétaire défavorable à la croissance et à l’emploi fonctionne à plein régime. La mise en place de l’euro et de la Banque Centrale Européenne à la fin des années 1990 couronne donc un processus qui voit la victoire des principes économiques ultra-libéraux et, derrière eux, du capital cosmopolite et financier circulant sans entrave sur les marchés d’actions et les marchés monétaires du monde entier. Malheureusement pour nos banquiers européens, la crise actuelle semble venir bouleverser leurs belles prévisions.

Mais l'Europe fut un magnifique prétexte pour les gouvernements des divers pays membres. Ils avaient une justification rêvée pour mener une vaste politique de casse sociale. Destruction des acquis sociaux, déréglementation et ouverture à la concurrence, privatisation des services publics : L’UE a joué un rôle de chef d’orchestre, permettant une coordination internationale des gouvernements afin de mieux faire avaler la pilule de la rigueur aux travailleurs.

 

Le prolétariat contre-attaque

Cette Europe du capital que nous combattons aura eu, paradoxalement, au moins l’avantage de montrer aux travailleurs que la bourgeoisie, elle, sait s’organiser et qu’elle ne manque pas de ressources pour pérenniser son pouvoir de classe. Confusément, cela est perçu, et s’exprime traditionnellement par le taux élevé d’abstention aux élections européennes. Néanmoins la prise de conscience de sa nature, de sa fonction, doit aller plus loin que le simple constat de son éloignement des préoccupations des travailleurs et de son idéologie cynique libérale. Ce que tente de mettre en place l’UE et ses mécanismes de « gouvernance » n’est pas une excroissance superfétatoire du système capitaliste mais une mise en forme politique adéquate au fonctionnement de celui-ci, notamment après sa plongée dans la crise depuis le début des années 70. La dérégulation, le libre marché tous azimuts, la financiarisation (siphonage de la plus-value) croissante de l’économie (déjà analysée par Marx et dont le phénomène appelé maintenant « titrisation » était déjà présente dans la crise de 29 !), tout cela est la conséquence de l’approfondissement de l’exploitation capitaliste tentant de contrecarrer, en élargissant constamment sa base, la chute tendancielle du taux de profit. Face à cette difficulté les capitalistes ne restent jamais les bras croisés et trouvent ponctuellement les solutions pour résoudre la crise qui ne sera jamais la crise finale de celui-ci si des forces sociales n’en imposent pas la disparition. La critique de l’Europe capitaliste ne doit donc pas s’en tenir à une aspiration fantasmatique au retour à l’Etat-Nation soutenant un keynésianisme de gauche et soutenu par lui, celui-ci ne résoudra jamais le problème de la soif de valorisation du capital inhérente à sa dynamique. L’Etat-Nation est un instrument de lutte politique dont le prolétariat doit s’emparer pour lutter efficacement sur son terrain de classe contre la bourgeoisie. Evidemment cela ne fait pas trop écolo ou socialotrotskiste comme son de cloche, mais il en va de notre avenir si nous désirons en avoir un. L’Europe est le champ géopolitique au sein duquel le prolétariat peut s’organiser consciemment et massivement afin de contre-attaquer contre l’empire du capital. C’est cela l’essentiel.