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01/08/2013

La pensée sauvage de Michel Maffesoli

 

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Entretien paru dans le numéro 42 de la revue Rébellion ( Juin 2010).  


Universiatire reconnu, membre de l’Institut universitaire de France, Michel Maffesoli est le sociologue qui a probablement analisé le plus finement le retour d'une forme inconsciente de tribalisme festif et tragique dans notre société contemporaine. Sa lecture est essentielle pour comprendre le phénomène du néo-paganisme.

 

R/ Vous êtes issu d’une famille du Midi, vous avez grandi dans le bassin minier de Graissessac (Hérault), quelle influence vos origines eurent sur votre travail et votre perception du monde universitaire ?

 

MM - En effet, ma jeunesse dans le petit village ouvrier de Graissessac, a eu une influence à la fois sur mon travail et sur ce qu’on peut appeler ma perception du monde.

Pour ce qui concerne mon travail, je m’en suis expliqué dans certains de mes livres, (cf. en particulier le livre d’entretiens avec Christophe Bourseiller : Qui êtes vous Michel Maffesoli, Bourrin éditeur, 2010). J’ai appris de ce milieu ouvrier où j’ai vécu toute ma jeunesse le sens du travail bien fait, voire une certaine « addiction » à celui-ci. Ce qui par parenthèses me fait juger sévèrement ceux que j’ai appelés les « rentiers de la République », à savoir tous ces intellectuels, et prétendus chercheurs qui ne trouvent rien. Mais dans le même temps « l’ambiance » de ce village minier m’a donné le sens de la fête et du tragique. Ainsi, par exemple, la fête de la Sainte Barbe, le 4 décembre était un moment paroxystique, où l’effervescence sous toutes ses formes, s’exprimait avec force, durant toute une semaine. Quand j’ai écrit L’ombre de Dionysos, (1982), j’entendais montrer l’importance des passions et des émotions collectives dans l’organisation du lien social.

Je rappelle que ces phénomènes festifs, et ce dans toutes les sociétés, sont corolaires du sens du tragique. C’est parce que l’on sait, si je peux dire d’un savoir incorporé, que l’accident, la mort, la finitude sont là, toujours présents, qu’il peut y avoir l’exacerbation des sens et le désir de jouir au présent.

Puis je également souligner, in fine, que c’est dans cette ambiance là que j’ai pu mesurer l’hypocrisie des responsables politiques et syndicaux, véritables dames patronnesses de la vie sociale qui s’employaient à faire le bien, en demandant la sujétion de ceux auxquels cette bienfaisance s’adressait. C’est ce que j’ai appelé La violence totalitaire. D’où le développement d’une sensibilité libertaire qui est une composante essentielle de toute mon œuvre.

R/ Vous avez eu l'occasion de croiser dans votre parcours le politologue Julien Freund. Quel souvenir gardez-vous de ce chercheur, dont les travaux connaissent un regain d'intérêt ? Quelles furent les autres figures intellectuelles qui vous ont marqué ou influencé ?

J’ai rencontré Julien Freund à Strasbourg en 1968 et à cette époque nous étions opposés dans le sens où avec courage il mettait en question les motivations des étudiants en révolte dont je faisais partie. Mais à la différence de nombre de professeurs de l’université en général, il avait le courage de le dire. Par après, il a été le codirecteur de mon travail sur « Marx et Heidegger et la technique » et a participé aux jurys des mes deux thèses. Enfin, en 1978, il m’a rappelé à Strasbourg afin que je prenne sa succession à l’Institut de Polémologie . C’était un homme intègre, un esprit libre et même si nous étions sur bien des points en opposition, il y avait entre nous une estime intellectuelle réciproque. J’en garde le souvenir d’un universitaire de qualité, d’un vrai Professeur, dont il faut dire que la race est actuellement en voie d’épuisement. Il y a bien sûr d’autres figures intellectuelles qui m’ont marqué, je noterai essentiellement Jean Baudrillard, Edgar Morin et Gilbert Durand. Mais comme je l’ai indiqué, je n’ai été lié qu’à des gens qui respectaient ma liberté intellectuelle et qui s’employaient essentiellement à nous aider à penser par nous mêmes. C’est exactement ce modèle que depuis quarante ans, j’essaie d’appliquer avec mes propres étudiants.

 

R/ On vous doit la création du terme de «tribu» pour décrire les nouveaux groupes sociaux nés dans l’espace urbain des années 1980 en Occident. Quel regard rétrospectif portez-vous sur ce terme que vous avez forgé et sur son utilisation par les médias ?

En effet, c’est dans les années soixante-dix que j’ai commencé à employer la métaphore de « tribus ». Il s’agissait par là de montrer qu’au-delà des grandes institutions qui s’étaient forgées ainsi que le montre Michel Foucault tout au long du 19° siècle, on voyait émerger un nouveau lien social, dont l’élément essentiel était le sentiment d’appartenance et le partage d’un « goût » ou pour reprendre un mot heideggérien d’une « humeur » commune.

Je persiste et signe et il me semble que nous ne sommes qu’au début du « Temps des tribus ». Bien sûr ce terme a été marchandise de diverses manières, les médias s’en sont emparé, et il est parfois utilisé sans discernement. Là n’est pas l’essentiel, pour moi il suffit de lui laisser son statut de métaphore (et non de concept) , métaphore décrivant bien le rôle renouvelé que vont jouer les « affinités électives » dans la vie sociale.

R/ L’émergence et le développement du mouvement techno et des raves dans les années 1990 fut un de vos champs de recherche. Comment jugez-vous ce courant et le mode de vie qu'il tente de faire perdurer ?

Dans le CEAQ (Centre d’Etude sur l’Actuel et le Quotidien) que j’ai fondé, avec Georges Balandier, en 1982, et que je continue actuellement de diriger à la Sorbonne, nous avons mené de nombreuses recherches sur les divers affoulements musicaux. Mouvements technos, « Raves », et même « gothique ».

Je considère que ces effervescences musicales sont une des expressions de ce que j’ai appelé l’orgiasme, c’est à dire le partage des passions, la nécessité de se regrouper, et de vivre ensemble, d’une manière paroxystique, les émotions collectives. Pour le dire d’une manière quelque peu familière, cela traduit bien ce que les jeunes générations expriment en disant « je m’éclate ». Ce qui me permet de préciser qu’à l’encontre du supposé individualisme seriné à longueur de page par des journalistes et des penseurs de la « série B » ce qui est en jeu dans nos sociétés est bien le renouveau du désir communautaire.

R/ Tatouages, piercings et modifications corporelles de toutes sortes sont aujourd’hui banalisés dans le monde occidental. Hier encore réservés aux « marginaux » et aux « hors la loi », qu'éveillent-ils dans notre perception du corps ?

Une des pistes de mon travail a consisté à rendre attentif à l’importance du corps. Peut-être même faudrait-il dire du corporéisme. J’ai publié en 1990 un livre intitulé « Au creux des apparences, pour une éthique de l’esthétique. » Dans ce livre je rendais attentif au fait qu’au-delà de la simple raison, les sens, le sensible, les sensations retrouvaient une place de choix dans la vie personnelle ou collective.

Ce phénomène de l’exacerbation du corps continue d’une manière exponentielle. Et il est vrai que les divers tatouages, piercings et autres modifications corporelles jouent un rôle de plus en plus important et constituent une part essentielle de la théâtralité urbaine. Ce ne sont plus des marginaux et autres hors la loi qui en font usage, mais il s’agit bien là d’une pratique courante et qui est totalement transversale à toutes les couches et classes de la société. Phénomène qui est également transgénérationnel. En bref, et c’est cela que j’ai appelé une éthique de l’esthétique, le corps n’est plus simplement un outil de production ou de reproduction, mais est bien un élément structurel de la vie en général. Magasins et magazines aidant on voit en quoi ce corporéisme, pour le meilleur et pour le pire, est appelé à se développer dans nos sociétés.

 

R/ Votre analyse des « nouvelles tribus » insiste sur l'aspect subversif de leurs pratiques. Mais n'assistons-nous pas à une récupération ( par les modes de la société de consommation) et une assimilation par le système, de ces comportements ? Les nouveaux communautarismes ne sont-ils pas un moyen pour l'Etat d'éclater la Société pour mieux la contrôler ?

Il me semble en effet qu’il y a dans les tribus postmodernes une dimension subversive d’importance. Je tiens tout d’abord à souligner que le mot communautarisme fréquemment employé par une intelligentsia en perdition ou en tout cas totalement déconnectée de la réalité sociale n’est pas à même de décrire le fort idéal communautaire en gestation. Cela dit, ces nouvelles tribus ne se situent pas ou ne se situent plus par rapport à l’Etat. On peut même dire qu’elles se préoccupent fort peu de la politique et des organisations qui lui sont afférentes. Mais c’est une chose qu’il est difficile pour nous de comprendre compte tenu de notre colbertisme, ou de notre étatisme natifs qui ne nous prédisposent pas à saisir le fait qu’il puisse y avoir une ordonnancement social sans instance surplombante.

C’est ainsi qu’Elysée Reclus qualifiait l’anarchie : « Un ordre sans l’Etat ». Idée que l’on retrouve chez Hakim Bey lorsqu’il parle de ces fameuses TAZ, « zones d’autonomie temporaire ». Ce qui est en jeu dans le tribalisme postmoderne, si je peux utiliser une image topographique, c’est le remplacement de la verticalité de la loi du Père, par l’horizontalité de la loi des frères. Et là encore repérons que le développement technologique, en la matière Internet, permet de bien saisir l’importance d’un tel glissement.

 

R/ Il y a une indéniable désaffection vis-à-vis de la Politique. Mais vous remarquez, en même temps, que cela n’est nullement la fin de «l'être ensemble», dans vos derniers écrits. Quelles sont les nouvelles formes prises par ce mouvement qui dépasse les élites instituées ? Une coupure définitive entre le Peuple et ses représentants?

Tout cela est l’expression d’une désaffection du politique, d’un désamour vis à vis des politiques. Relevons d’un point de vue sémantique qu’en son sens étymologique, le politique était la prise en charge commune de la « Polis », de la proximité que je vivais avec d’autres. Or cette proximité est devenue quelque chose d’éminemment lointain, si bien que par un processus antiphrasique, la politique et c’était bien ainsi que la définissait Julien Freund, se caractérise par le projet lointain. En même temps de nouvelles manières « d’être ensemble » sont en train d’émerger. C’est ce qu’on peut appeler la sensibilité écologique ou même ce que j’ai appelé dans mon dernier petit opuscule « Ecosophie » (CNRS Editions 2010). C’est cette dernière que ne comprennent pas les élites instituées qui justement ont du mal à saisir ce qui est instituant. Il s’agit là, je dois dire, d’un drame contemporain. En précisant toutefois que ce n’est pas la première fois que l’on peut assister à une véritable « Secessio plebis ». Il suffit de voir, dans ce que Vilfredo Pareto nommait la « circulation des élites » qu’elles vont être celles qui seront capables de trouver les mots pertinents pour dire ce qui est vécu. C’est bien cela qui est le problème essentiel de la période que nous vivons.

 

R/ Le réflexion sur la nature de la violence fut l’un de vos points de départ dans vos recherches sociologiques. Comment s’exprime son retour ?

Ma réflexion sur la violence est à la fois ancienne et actuelle. L’idée de base que j’ai développée en particulier dans « Essais sur la violence banale et fondatrice » (première édition 1976. CNRS éditions 2010) est qu’une société ne s’élabore que quand elle sait non pas évacuer, mais ritualiser, homéopathiser la violence.

Le propre de la modernité, au XIX° siècle a consisté à « pasteuriser », aseptiser l’existence sociale. L’idéologie du risque zéro ou de la sécurisation de l’existence en est l’expression achevée. Une telle idéologie et ce n’est pas un vain paradoxe est on ne peut plus dangereuse, en ce que elle ne peut que favoriser les formes paroxystiques, et donc perverses d’une violence non ritualisée. Et l’on peut voir, au travers des 34 000 voitures brûlant sur les pourtours de nos grandes villes, au travers des explosions ponctuelles des formes de révolte et de rébellion, au travers des rodéos de voitures, au travers des jeux de strangulation dans les cours de nos écoles et autres phénomènes paroxystiques, on peut y voir le fait que quand on ne sait pas utiliser ce que les philosophes médiévaux appelaient le de usu, c’est à dire le bon usage de la violence, celle-ci s’exaspère et devient totalement immaîtrisable. Si prévaut cette idéologie de sécurisation, on peut, sans erreur, supposer que des explosions de plus en plus nombreuses verront le jour.

R/ Hédonisme et mal être sont paradoxalement liés dans notre monde actuel. Comment expliquer ce «malaise dans la civilisation» ?

Je ne pense nullement que l’on assiste à un malaise dans la civilisation. Voir toujours pour paraphraser un sociologue défunt, « la misère du monde » est peut être l’expression de la misère de l’intelligentsia dont j’ai souligné la déconnection. Il y a en effet un hédonisme ambiant, mais comme je l’ai indiqué plus haut, l’hédonisme va toujours de pair avec le tragique. Cet hédonisme tragique traduit l’expression d’un « plus être » et non d’un mal être. Mais le propre de l’hédonisme est qu’il se vit au présent, et qu’il est conscient de sa finitude.

R/ De nouvelle formes de spiritualité apparaissent régulièrement depuis les années 1970. Cette explosion du besoin religieux a permis un retour de formes liées au Paganisme. Ce phénomène est- il durable ou va-t-il disparaître devant la montée des «intégrismes» ?

La finitude propre au tragique tout à la fois prémodernes et postmoderne doit être mise en rapport avec le retour d’un certain « paganisme ». Disons le tout net le paganisme est cela même qui me lie à cette terre-ci, c’est à dire à ce qui fait que l’on soit « paysan » de ce monde-ci qui est notre « pays ». Le développement des nouvelles formes du New Age contemporain en sont l’expression, c’est à dire qu’au delà des diverses religions instituées et rationnelles, il y a retour d’une idolâtrie dont les manifestations sont multiples. Je m’en suis expliqué » dans mon livre « Iconologie » (Albin Michel, 2008). Un tel paganisme qui signe la fin des deux millénaires qui ont marqué la fin des monothéismes n’est pas sans susciter de nombreuses réactions dont les divers intégrismes et moralismes chrétiens ou musulmans sont des expressions achevées. Mais il s’agit là de combats d’arrière garde. Combats qui comme on le sait peuvent être sanglants, car ils pressentent bien que la cause est perdue.

R/ «L’Ombre de Dionysos» est particulièrement présente dans vos travaux. Que représente pour vous cette figure du Panthéon antique ?

La figure de Dionysos est en effet une figure centrale dans mon travail, en bref c’est pour reprendre d’une historienne des religions (Claude Mossé) « une divinité arbustive » ou encore « chtonienne », c’est à dire « autochtone », c’est à dire de cette terre-ci. C’est ce qui en fait la figure emblématique de la postmodernité.

R/ Plus que jamais notre vision de l’avenir est sombre. Comment voyez-vous les évolutions possibles de notre société postmoderne ?

Dès lors, à l’encontre des idées convenues sur la période sombre dans laquelle nous vivrions, Dionysos met l’accent sur le clair-obscur qu’est toute existence. Un homme sans ombre n’existe pas, des romanciers comme Chamiso l’ont intelligemment illustré, il en est de même de toute vie en société.

C’est une telle ambivalence qu’il convient de penser, c’est ce qui fait la grandeur et la pertinence d’une réflexion s’attachant à montrer l’importance de l’humus dans l’humain, ce qui est ma prétention, ou mon ambition.

 

Sur le net : www.michelmaffesoli.org

26/07/2013

Libre Journal de Pascal Lassalle : Perpectives eurasistes !

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Samedi midi vous êtes pris!
Pascal Lassalle, en solo pour cette émission estivale exceptionnelle, recevra Alexandre Douguine, altière figure du néo-eurasisme, accompagné de sa fille Dari Douguina, directrice du projet "Alternative Europe" et de Louis Alexandre, membre de la rédaction de la revue "Rébellion" pour aborder les perspectives ouvertes par la vision du monde eurasiste (sortie du livre "L'appel de l'Eurasie" aux éditions Avatar) et le concept porteur de "quatrième théorie politique".

Bonne écoute!

Entretien avec le Cercle Non-Conforme de Lille

Réponses de Jean Galié et de Louis Alexandre.


1/ Quelle est la genèse du projet de Rébellion ?

Louis Alexandre : La revue Rébellion est née de la volonté d'un petit groupe de camarades toulousains de dépasser les limites de « l'extrémisme » de droite comme de gauche. Au début des années 2000, nous étions face à des impasses et il nous fallait chercher ailleurs la rupture révolutionnaire à laquelle nous aspirions...

Nous avons donc débuté un travail d'inventaire sans concessions, nous ne pouvions compter que sur nos forces et notre volonté. Mais cela a finalement payé et nous avons réussi à rendre crédibles nos idées. Aujourd'hui encore, nous conservons l'effervescence de cette époque dans nos esprits

2/ Quel bilan tirez-vous de vos 10 ans d’activisme dans la diffusion des idées ? 

Louis Alexandre : Il ne faut pas avoir peur de défricher de nouveaux terrains, d'aller de l'avant et de lancer des initiatives. Nous avons été, à notre modeste niveau, des précurseurs souvent isolés à nos débuts. Mais des thèmes que nous avons développés voici dix ans trouvent un écho dans un large public aujourd'hui. Cela nous réjouit, mais nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers.

Il ne sert à rien d'entreprendre une bataille politique, si nous n'avons pas d'abord gagné la bataille des idées. Et nous ne gagnerons la bataille des idées que si nous parvenons à donner un sens cohérent et compréhensible à notre pensée. Il était important de faire de Rébellion une arme efficace dans cette bataille, c'est actuellement notre chantier principal.

3/ Constatez-vous un intérêt croissant pour votre revue ces derniers temps ?

Louis Alexandre : La revue connaît un développement important depuis trois ans. Cela n'est pas le fruit de la chance ou du hasard, mais repose sur un important travail. C'est le résultat de prises de contact directes, de campagnes militantes, d'organisations d'événements et de nombreux déplacements dans toute la France pour notre équipe. Le travail et l'effort sont la source de la réussite de tout projet.

Le succès actuel de notre publication a révélé une attente d'un large public. Rébellion est pour cela une revue singulière car elle agrège un lectorat vraiment non-conformiste et venu d'horizons très différents. Ce succès, nous le devons à nos lecteurs et aux camarades qui œuvrent pour faire connaître nos idées. Nous ne pourrons jamais assez les remercier pour cela.

 

4/ Quels sont les auteurs qui sont au cœur de la pensée de votre revue ?

Jean Galié : Cela est clairement dit dans la rubrique exposant la présentation de nos positions se trouvant dans chaque numéro (Proudhon, Blanqui, Sorel...) . Brièvement, disons qu'il s'agit de la tradition révolutionnaire transmise au sein de l'expérience du mouvement prolétarien dans sa dimension internationale. Il faut avoir recours à la pensée des auteurs ayant traduit de la manière la plus intelligente l'aspiration à la constitution de la communauté humaine débarrassée de l'aliénation capitaliste. Toute réflexion allant en ce sens mérite d'être examinée. De même, celle-ci peut fournir des bases afin de ne pas chuter dans des impasses et des fausses oppositions au système dominant. A ce niveau, la théorie marxienne est incontournable ainsi que l'étude des auteurs et courants s'étant situés à la marge et en opposition à la social-démocratie, au marxisme officiel, etc.

5/ Quels sont les auteurs à suivre aujourd’hui selon vous ?

Jean Galié : "Suivre" pas dans le sens de suivisme, bien évidemment. Comme nous le disions à l'instant, le recours aux "classiques" de la pensée de la communauté humaine authentique (le communisme marxien) alimentera toujours notre orientation. Il s'agit d'une question de méthode afin de ne pas s'égarer et non pas de nostalgie muséale. Après, il y a bien sûr, des auteurs apportant leur pierre à l'édifice de la critique du système. Alain de Benoist fait un travail remarquable à cet égard, en abordant les questions essentielles se posant au monde contemporain et en éclairant leur genèse et leur soubassement philosophique. Citons, du côté du courant marxiste, le travail fécond de Costanzo Preve en Italie, dont quelques ouvrages sont traduits en français et dont les productions méritent d'être plus connues en France, au-delà des efforts déjà existants de ceux qui les popularisent chez nous. On peut trouver évidemment d'autres auteurs intéressants, abordant telle ou telle question mais nombre d'entre eux restent bien souvent à mi-chemin de la critique à conduire selon nous (Michéa, par exemple).

Louis Alexandre : Dans les auteurs actuels, j'ajouterai aussi les travaux d'Alexandre Douguine sur l'alternative eurasiste.

 

6/ Comment définissez-vous votre pensée politique ?

Jean Galié : Dans les conditions présentes - et depuis longtemps - la politique est un rapport de forces entre classes antagonistes. La classe dominante le sait très nettement et joue de cet avantage. La puissance "publique" n'est pas neutre, même si l'Etat a du faire des concessions aux travailleurs à la suite de leurs luttes et aussi pour mieux les anesthésier. Mais ces "avantages acquis" au sein du monde aliéné ne sont néanmoins pas éternels et sont en train de disparaître assez rapidement. L'offensive est conduite par les forces du capital. Alors, la politique que la classe exploitée devrait conduire serait la stratégie afin de combattre les attaques de celles-ci. Cela, sans illusions, il est nécessaire de s'affronter à l'organe de la coercition dominante, l'Etat. La politique serait l'expression du devenir hégémonique des prolétaires conscients sur les forces de la dissolution du lien social par laquelle le capital se reproduit dans son ensemble. L'hégémonie du prolétariat est corrélativement sa disparition en tant que condition prolétarienne soumise au travail salarié dominé par le fétichisme de la marchandise. Ce n'est qu'à cette condition que l'on peut envisager la fin de l'autonomie du politique au-dessus de la société et l'au-delà de la politique.

 

7/ Quels sont vos liens avec les milieux dits de « gauche radicale » ou de « droite radicale » ?

Jean Galié : Ces notions et courants, "radicaux" ou pas ne nous intéressent pas. Nous écoutons, et nous pouvons dialoguer avec tous ceux qui manifestent une volonté authentique de tourner le dos à ce système capitaliste pourri. Malheureusement, ils sont encore trop peu nombreux même si des intentions de révolte apparaissent çà et là. Les lubies de droite et de gauche sont paralysantes ; si vous comprenez que ce monde ne peut être aménagé au sein d'un consensus entre classes sociales, alors allons-y! Réapproprions-nous nos conditions d'existence sociale, c'est cela le fond du problème!

 

8/ En quoi consiste concrètement l’OSRE ? Pour quelle(s) raison(s) cette structure a été créée ?

Louis Alexandre : L'Organisation Socialiste Révolutionnaire Européenne est l'expression militante des idées de la revue Rébellion. C'est le regroupement des personnes voulant faire vivre ses idées sur le terrain. C'est le fer de lance de la diffusion de notre revue et le vecteur de campagnes ciblées ( par exemple contre l'Otan, pour la libération sociale et nationale de l'Europe...).

 

9/ Que pensez-vous des initiatives du réseau MAS ?

Louis Alexandre : Il nous apparaît qu'une lutte isolée limite la portée de l'idée socialiste révolutionnaire européenne. Il est donc primordial de participer au vaste chantier de construction d'un mouvement dissident balbutiant. Nous croyons en la nécessité d'une coordination de l'ensemble des groupes qui œuvrent dans ce sens. En suivant l'idée d'un enracinement dans la réalité, nous considérons que la création d'un réseau souple d'échanges et de mise en commun d'expériences et de compétences est possible entre les divers organisations, cercles, associations et publications qui partagent les mêmes valeurs.

Nous partageons justement avec le MAS ses valeurs militantes. C'est une structure politique intelligente qui recherche une véritable rupture militante. Nous soutenons donc ses initiatives de solidarité sociale, sportive et de formation. Nous sommes aussi des auditeurs fidèles de Méridien Zéro.

10/ Passons de la théorie à la pratique… Que doit faire un dissident aujourd’hui dans sa vie quotidienne pour résister au Système et pour entamer la reconquête de la souveraineté nationale et populaire ?

 

Louis Alexandre : Ne pas avoir peur de s'investir sur plusieurs fronts est notre philosophie militante. Quand l'on nous dit qu'un choix doit être fait entre la réflexion et l'action, le politique et le culturel... nous répondons que nous refusons cette hémiplégie de l'engagement. En investissant tous les espaces d'action, nous imposerons d'autant mieux notre vision globale, nos solutions à la fin du monde capitaliste moderne.

De même, en participant activement à la vie de la communauté dissidente naissante, on donne un sens véritable à son existence. Elle devient une tension créative et tragique vers un idéal. Une fidélité sans actes à des idées n'est rien ; un engagement est nécessaire pour les faire vivre. Nous avons tous des obligations et des moyens limités. Mais notre volonté n'est-elle pas plus forte ? Ne pouvons-nous pas faire mieux ?

Ne regardons pas ailleurs et ne jugeons pas les autres si nous ne sommes pas capables de faire mieux qu'eux. Soyons sérieux et efficaces. Un militant doit toujours être exigeant envers lui- même, il ne doit jamais se reposer sur les acquis mais conserver un esprit d'avant-garde. La force de l'exemple, la volonté de faire mieux et la camaraderie doivent être le cœur vivant de son engagement. 

 

Par des conférences et des activités culturelles, le Cercle Non Conforme, cercle culturel du MAS Nord, entend promouvoir les valeurs de résistance et de reconquête et le sens réel de la communauté : communauté de culture, d'entraide mais aussi de combat. Le CNC diffuse Rébellion. 


 

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22/07/2013

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08/07/2013

Editorial du numéro 59 de la revue Rébellion

DESORDEM E PROGRESSO

Le positivisme vient d'être mis à mal au Brésil par la pratique de la lutte de classe dont on conviendra qu'elle constitue un critère d'évaluation et de réfutation d'une théorie se réclamant de la scientificité. Il est bien connu que la devise figurant sur le drapeau national brésilien, "ordem e progresso" a été imposée dans la deuxième moitié du 19° siècle par des disciples brésiliens du français Auguste Comte ayant qualifié sa philosophie de positiviste, indiquant par là que la pensée scientifique établissait des corrélations constantes entre phénomènes, méthodiquement mesurables. Ainsi aurions-nous l'opportunité et le devoir d'abandonner la pensée théologique et métaphysique précédant l'ère positive s'offrant désormais à nous. Le progrès se déroulant irréversiblement dans l'histoire pourrait être appliqué jusqu'au sein de la vie sociale devenant elle-même un objet de science et de prévisibilité que la sociologie rendrait possible. L'ordre intellectuel se distillerait par le canal de la raison jusqu'au cœur des phénomènes sociaux, rendant dès lors possible l'application de la recette positiviste afin de, comme le soulignait ironiquement Karl Marx, "faire bouillirles marmites de l'avenir". Comme le philosophe français était moins sot et plus sensible que ses héritiers du 20° siècle (tels Karl Popper et l'Ecole de Vienne), il avait néanmoins compris qu'il faut bien faire lien social et que les hommes doivent être reliés par quelque chose qui transcende leur singularité sous peine de sombrer dans un libéralisme vide parce qu'individualiste. La religion devint alors dans son esprit, celle de l'Humanité qualifiée de Grand Etre duquel toutes les générations passées et actuelles participent ; ce qui a au moins l'avantage de mettre en avant les devoirs de chacun plutôt que les fameux droits de l'homme, dernière fantaisie métaphysique dans l'histoire, selon le penseur positiviste. Cette doctrine a plus ou moins inspiré la plupart des hommes politiques brésiliens ayant exercé le pouvoir jusqu'à nos jours et il existe même encore des représentants de l'Eglise positiviste au Brésil. Ce que l'on sait moins, c'est que le PT de Lula a lui-même subi l'influence d'un tel courant de pensée. Cela se traduit par la vision interclassiste qu'il défend ; le prolétaire étant invité par l'idéologie positiviste à participer à l'effort productiviste et progressiste et incarnant aussi bien le travailleur salarié aux revenus modestes que le capitaliste entrepreneur. L'accession au pouvoir de Lula a justement été rendu possible par la collaboration des classes et le soutien qui lui a été apporté par certains secteurs de la bourgeoisie nationale brésilienne. C'est sans doute une des clefs expliquant le maintien de son parti politique aux fonctions suprêmes et de la relative mansuétude lui ayant été accordée jusqu'ici par l'impérialisme dominant. Ce consensus interclassiste vient de se fissurer ouvertement comme il est possible de le constater avec les récents évènements de contestation et d'affrontements s'étant produits dans certaines grandes villes du Brésil. Si le culte footballistique y fait toujours recette, il n'en reste pas moins vrai que la conscience du fossé existant entre les conditions d'existence de millions de prolétaires et le monde des affaires, des spéculations financières et immobilières autour de l'organisation de la compétition vouée au ballon rond, a émergé clairement, donnant lieu à des revendications portant initialement sur la question du prix des transports, question vitale pour les travailleurs esclaves d'un mode de vie délirant au cœur des mégalopoles que l'on connaît.

Le prolétariat a pris ponctuellement ainsi son destin en mains, en critiquant violemment la gabegie entretenue par l'oligarchie en place qui tentait comme d'habitude de se donner à elle-même et au regard aliéné des spectateurs mondialisés, la représentation festive de sa propre réussite sur le champ de la compétition sportive marchandisée. L'imposition de l'ordre et du progrès capitalistes sur toute la surface du globe n'est qu'un désordre, un chaos, asservissant l'immense majorité des travailleurs salariés. La prise de conscience de cette condition imposée par la quête du profit et qu'aucun gouvernement social démocrate (y compris le PT) ne remet en question, constitue le sens et la leçon majeure de la critique pratique mise en œuvre par les manifestants brésiliens en colère.

Ceux-ci ne sont pas essentiellement des membres des fameuses "classes moyennes" comme aime à les présenter l'idéologie médiatique du système et que celle-ci découvre de façon récurrente lors des moments de contestation plus ou moins radicale depuis "le printemps arabe" jusqu'aux récents évènements en Turquie. La réalité est que le système capitaliste globalisé produit avec les mêmes causes, les conditions modernes d'aliénation, des effets globalement identiques. En cherchant son bonheur (un profit maximum) sous des cieux éloignés des centres prolétariens occidentaux traditionnels, le capital pensait également y trouver des prolétaires peu aguerris dans les luttes sociales. Néanmoins, cette année, les manifestations du 1°mai ne furent pas de tout repos, par exemple, pour les représentants des pouvoirs exotiques. De même, il n'échappera à personne la différence qualitative entre la colère de rue s'exprimant politiquement en marge des terrains de football au Brésil et le chaos engendré, il y a quelques semaines à Paris, par le lumpenprolétariat que draine l'entreprise qatarie du PSG et qui fait l'aubaine de la stratégie du pouvoir régnant par le désordre. Partout dans le monde, le capital fait naître ses propres fossoyeurs, non pas des "classes moyennes" mais des êtres humains recevant parfois une éducation, une formation, rendues nécessaires par les critères de fonctionnement et de rendement propres au processus de valorisation capitaliste contemporain. Pour autant, l'existence de ces nouveaux travailleurs, souvent au chômage et sans avenir glorieux de réussite sociale, n'en est pas moins soumise à l'aliénation généralisée. Dans la plupart des pays "émergents", dorénavant, la critique sociale peut se hisser à un niveau qualitatif à la hauteur des enjeux contemporains de la lutte de classe. Parallèlement, la classe dominante tente d'ériger ses contre-feux idéologiques à l'aiguisement de celle-ci, en faisant la part belle à la légitimité d'une demande de "plus de démocratie", de respect des "droits de l'homme" et autres sornettes habituelles. Ainsi, certains représentants du PT brésilien se posent la sempiternelle question que la mauvaise conscience sociale démocrate se pose, d'un infléchissement nécessaire de la politique du parti "à gauche" puisqu'il apparaît nettement que les travailleurs n'ont pas été totalement anesthésiés. Les compromis idéologiques, les consensus interclassistes n'ont donc pas une efficacité absolue. En Turquie, l'islamisme capitaliste s'est effrité dans une société ouverte économiquement à la modernité du marché mondial ; le parti sensé défendre "la Justice" était trop sensible à l'édification de nouveaux lieux de culte voués à la marchandise et à l'attrait de la spéculation immobilière. La colère populaire s'est alors fait vigoureusement entendre. S'il n'y a pas encore matière à voir dans les divers phénomènes que nous venons d'évoquer, les prodromes de la révolution, il y a pourtant lieu d'y percevoir les symptômes d'une prise de conscience populaire des impasses et contradictions du système capitaliste dans son ensemble, du fait également, que nulle part ce dernier n'est porteur d'un avenir radieux d'ordre et de progrès comme le croyait le positivisme du 19° siècle hérité, en particulier mais pas exclusivement (1), par l'idéologie de "gauche". Dès lors se dresse le défi, pour le prolétariat, de mener sa critique jusqu'au bout, jusqu'au fondement du système, à la source d'où s'extraient le surtravail, la survaleur permettant d'ériger le mode de vie mondialement défiguré par l'aliénation.

 

NOTE :

1) Rappelons que Charles Maurras se référait explicitement à Auguste Comte.