Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/06/2014

Sortie du numéro 64 de la revue Rébellion

64-1.jpg

EDITO : Survie du capitalisme ou du genre humain ?

 

DOSSIER : Abattre la théorie du Genre

Un combat spirituel ou un combat scientifique ? par David L'Epée. 

Rencontre avec Farida Belghoul. 

Pornographie. l'autre discours dominent par Terouga

 

HISTOIRE : Harro-Shulze Boysen. Un national-bolchevik dans l'orchestre rouge

( partie 2) 

Nationalisme russe à l'époque soviétique par  David l'Epée. 

 

MUSIQUE : Assaut électronique et musique bruitiste par  Diaphane Polaris

Sinweldi. la guerre comme hygiène du monde. 

 

Disponible contre 4 euros à notre adresse : 

Rébellion c/o BP 62124 - 31020 TOULOUSE cedex 02

 

flyer60.jpg

 

Le Front de Libération des Animaux : Les activistes de la cause animale

 

2333034731_1.jpg

Pourchassés par le FBI et la section anti-terroriste de Scotland Yard, les activistes de L’Animal Liberation Front (ALF) sont la bête noire des laboratoires et des firmes qui exploitent la souffrance animale. Ils disent combattre « au nom de la liberté de ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes » : les animaux. Pour cela tous les moyens sont bons…

 

Pas de compromis dans la défense des animaux.

Depuis la naissance de l’organisation en 1976 en Angleterre, environ 200 activistes se sont retrouvés derrière les barreaux pour des actions illégales, allant du pavé dans la vitrine d’un boucher, aux lettres piégés adressées à des responsables de laboratoires. Ils sont actuellement plus d’une dizaine à être condamnés à de longues peines au Royaume-Uni, en Belgique et aux Etats-Unis. « Quiconque, faisant une action pour sauver des animaux ou pour endommager la propriété de ceux qui les maltraitent – du cassage de vitre à l’incendie, en veillant à ce que nul animal ou humain, ne soit blessé – peut revendiquer son acte au nom d’ALF qui en retour lui apportera son soutien en cas d’arrestation » déclare le porte-parole de l’ALF anglaise, M Webb. L’ALF connut plusieurs « martyrs », dont Barry Horne, mort à la suite d’une grève de la faim en prison en novembre 2001.

ALF émerge de la frange radicale du mouvement écologiste anglais des années 1960. En 1963, dans le sud du pays, naît l’Association des Saboteurs de Chasse, un petit groupe décidé à s’interposer entre les chasseurs et leurs proies. Très rapidement il s’oriente vers l’action directe (incendie des véhicules des chasseurs, sabotage) et le lobbying médiatique pour pousser le gouvernement à interdire la chasse. Ils vont progressivement étendre leurs opérations aux laboratoires de vivisection et aux magasins de fourrure. Le groupe prend le nom de la Bande de la Miséricorde puis de Front de Libération des Animaux ( sous l’influence des mouvements de libération nationale du Tiers-monde). Au fil des années, l’ALF étend son action à l’ensemble des pays anglophones et d’Europe du Nord. Organisation sans structures, elle est un sigle librement utilisable par une multitude de petits groupes d’éco-résistants. Plusieurs centaines d’activistes, venus d’horizons différents, sont ainsi prêts à passer à l’action pour sa cause. Leurs actions sont multiples : attaque de poissonneries pour sauver les homards vivants, incendies d’abattoirs ou d’entrepôts de fourrure, harcèlement de cirques ou de zoos, libération d’animaux destinés à l’expérimentation, mise à sac de laboratoires et pression sur leur personnel (régulièrement menacés par téléphone, ils voient leurs vitres caillassées et leurs voitures incendiées). Craignant pour leur vie, près de 2000 patrons ont obtenu du gouvernement britannique que leurs adresses soient retirées du registre du commerce anglais. Avec raison, certains groupes « d’éco-warriors » prônent le recours à la violence contre ceux qui torturent des animaux.

Ainsi un journaliste qui tentait d’infiltrer la mouvance de l’ALF, fut enlevé et marqué au fer rouge du sigle de l’organisation. Une série d’alertes à la bombe visant des entreprises liées au complexe médical, paralysa la City de Londres en provocant l’évacuation de milliers d’employés. Plusieurs agressions physiques sont attribuées au groupe, ainsi que des envois de lettres piégées qui blessèrent un éleveur et une fillette de 6 ans.

Action directe et lobbying.

En trente ans de combat, le mouvement de libération animale a remporté des victoires notables. Le port de la fourrure a quasiment disparu d’Angleterre, la chasse à courre vient d’être abolie en Angleterre et au Pays de Galles par la Chambre des Communes, une sévère législation fut mise en place en Grande Bretagne pour les abattoirs, plusieurs élevages d’animaux destinés à la vivisection ont fait faillite et certaines universités ont dû abandonner des projets de recherche impliquant des expériences sur des animaux. Nombre de laboratoires ont dépensé des sommes d’argent colossales pour renforcer leur sécurité et mené des campagnes de relations publiques pour faire oublier leurs pratiques. Mais c’est surtout sur le plan de la communication que le groupe a remporté ses plus importants succès : incontournables sur le Web (plusieurs dizaines de sites lui sont consacrés a travers le monde), ils ont reçu le soutien de nombreux groupes de rock plus ou moins politisés (en particulier liés à a la scène punk-vegan (1)) et son image de justicier moderne attire la sympathie d’une frange importante de la jeunesse occidentale sensible à la thématique écologiste. Par ses actions radicales, l’ALF renforce le pouvoir de pression du mouvement écologique non environnementaliste (2) sur les multinationales.

Dans sa campagne contre la vivisection et l’expérimentation animale, l’ALF a prouvé l’hypocrisie des laboratoires. La recherche fondamentale n’était pas intéressée par les alternatives existantes (les simulations informatiques) qui ne demandent qu’à être financées. Les multinationales refusent d’investir dans cette recherche, car l’expérimentation animale est d’un coût plus faible. L’industrie pharmaceutique fait de belles campagnes sur « la triste nécessité » de la vivisection et médiatise ses modestes dons pour la protection animale, mais se montre bien radine quand il faut investir dans ces alternatives. L’ALF fut aussi le principal dénonciateur des entreprises cosmétiques qui pratiquaient l’expérimentation animale dans un but injustifiable.

L’ALF partageant les limites idéologiques de l’ensemble du courant de l’Ecologie profonde, son action est un exemple de démarche radicale qui se retrouve enfermée dans une démarche sectorielle oubliant de définir l’ennemi principal : le Capitalisme. Malgré ses dérives navrantes (misanthropie, nihilisme, théorie spéciste), l’ALF a le mérite de lutter pour une juste cause que nous ne pouvons que soutenir : l’arrêt de la souffrance animale au nom du profit.

 

Pour une approche philosophique de la cause animale

Ajoutons, qu’à nos yeux, le mépris de la vie animale a probablement de lointaines racines dans la mentalité de notre civilisation. Le rapport à l’animal a toujours été médiatisé dans les cultures traditionnelles par une riche symbolisation. Par contre la mentalité issue de l’Ancien Testament est très problématique à cet égard ; tous les êtres vivants semblent devoir y être mis à disposition de l’homme comme de simples choses (le texte de la Genèse est significatif à cet égard : « soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-là ; dominez… »etc.). Heureusement le christianisme d’un Saint François d’Assise vient par contre contrecarrer une interprétation unilatérale.

Quoiqu’il en soit, le monde moderne, quant à lui, basé sur l’impératif de l’arraisonnement technicien de la nature et de sa mobilisation de l’énergie laisse peu de place à l’interrogation morale sur la souffrance animale. Descartes, dès le 17°siècle considère que les animaux n’ont pas d’âme (celle-ci étant comprise non plus comme principe de vie, à l’image de ce que pensaient les Anciens, mais comme synonyme de pensée pure, substance pensante) et qu’à ce titre ils ne sont que purs mécanismes tout comme le vivant en général ; c’est la théorie de l’animal machine. Certains cartésiens étendront ce modèle à l’homme lui-même : c’est l’Homme machine de La Mettrie au siècle suivant. Une anecdote concernant Malebranche, lecteur attentif de Descartes au 17°siècle illustre bien cette conception. A quelqu’un lui reprochant de battre son chien sans ménagement, Malebranche répondit que si celui-ci gémissait sous les coups de bâton, ce n’était que le résultat de l’entrechoquement des divers mécanismes et ressorts constituant son corps… De telles absurdités et méchancetés discréditent définitivement ces théories. Kant également réfléchira sur la coupure entre humanité et animalité. Seul l’homme a une valeur absolue, il a le statut de personne (concept juridico-théologique aux racines stoïciennes, latines et chrétiennes) et à ce titre est pourvu de dignité, il n’a donc pas de prix. Seules les choses ont un prix, c’est-à-dire, une valeur relative ; les animaux faisant l’objet d’un commerce légitime, ils sont donc assimilables à des choses. Cela justifie-t-il leur mauvais traitement ? Kant a le mérite de répondre par la négative en disant simplement qu’ils sont aussi des créatures de Dieu.

Certains auteurs iront quand même plus loin dans la réflexion concernant la frontière animalité/humanité. Pensons à Rousseau montrant que ce qui distingue l’homme de l’animal n’est pas l’existence de la Raison mais la perfectibilité de ses facultés. Des transformations au cours du temps ont simplement complexifié l’homme sous certains rapports, notamment pour ce qui renvoie à l’origine inexplicable de l’apparition du langage. En conséquence chez Rousseau l’homme se voit doté d’une communauté de nature originelle avec l’animal, la sensibilité, et à ce titre devrait manifester autant de pitié (au sens étymologique de compassion) envers l’animal qu’envers autrui. Le philosophe allemand, Schopenhauer, au 19° siècle, grand ami des chiens, sera également un authentique moraliste et un défenseur de la cause animale. Signalons enfin le même type de préoccupation chez le socialiste Charles Fourier, capable dans la première moitié du 19°siècle de faire le lien entre destruction de la nature, mépris du monde animal et domination du capitalisme.

Les défenseurs de la cause animale seraient donc bien inspirés d’aller voir du côté de ces auteurs afin d’élaborer une vision du monde cohérente aux antipodes des maux et des dérives du monde moderne et du capitalisme. Cela est d’autant plus à notre portée que des scientifiques comme Konrad Lorenz, en développant l’éthologie, ont offert un modèle d’étude comportementale pour les animaux voire pour l’homme, opposé à la conception cartésienne (même si, soit dit en passant, on ne peut charger Descartes de tous les maux de la planète).

 

 

NOTE

  1. Vegan : terme anglo-saxon, souvent traduit par végétalien en français. Seulement, un vegan, en plus d'être végétalien, n'utilise aucun produit d'origine animale dans toutes les facettes de sa vie, que ce soit ses habits, chaussures, produits cosmétiques... Il n'utilise donc ni cuir, ni laine, ni cire d'abeille... Un vegan n'accepte d'utiliser dans sa vie que des produits non issus de la souffrance d'un animal : végétaux, minéraux ou micro-organismes (non testés sur des animaux). Ce mode de vie reste souvent au stade d'idéologie dans la société actuelle car il est très dur pour les vegans de concrétiser pleinement leurs idéaux.

  2. L’environnementalisme considère qu’il est possible d’aménager le système actuel sans bouleverser la société capitaliste.

 

Article paru dans le Rébellion numéro 10 ( Janvier/Février 2005) 

Pour des communautés politiques autonomes et offensives !

“L'Empire ne s'oppose pas à nous comme un sujet qui nous ferait face. Mais comme un milieu qui nous est hostile”

Tiqqun, Contribution à la guerre en cours.

 

En 2005, sur le plateau des Millevaches, ceux qui seront trois ans plus tard au centre de la fameuse « Affaire de Tarnac » décident de s'éloigner volontairement du monde moderne afin de recréer, à leur échelle, une micro-société plus conforme à leur idéal. Cette démarche de rupture reproduit un fait politique particulier mais régulier dans les mouvances dites "dissidentes". La corrélation entre un éloignement politique et un éloignement géographique du monde moderne. Comme avant eux les milieux libres et les communautés libertaires de la fin du XIX siècle, le mouvement artamanen des années 1920, les communautés hippies des années 1960-1970, et plus proche de nous, la lutte autour du plateau du Larzac contre le projet d'agrandissement d'un camp militaire (à partir de 1973), certaines personnes ont associé une discontinuité dans le discours et sa mise en œuvre (mise en pratique par des moyens de communications spécifiques, des moyens d'action et de revendication en rupture avec les formes institutionnelles...) et une discontinuité dans l'espace (éloignement le plus possible des lieux où s'exprime avec le plus de force la modernité).

De fait, les villes ont toujours constitué un bastion du capitalisme, et l'urbanisme n'a toujours été qu'un terme pour désigner la mise au pas de l'environnement dans l'optique des intérêts capitalistes. Jean-François Brient, dans son film De la servitude moderne, déclarait "l’unification de l’espace selon les intérêts de la culture marchande est le grand objectif de notre triste époque. Le monde doit devenir une immense autoroute, rationalisée à l’extrême, pour faciliter le transport des marchandises. Tout obstacle, naturel ou humain doit être détruit". L'importance que constitue l'urbanisme comme axe d'action par le capitalisme n'a que rarement été considéré à juste titre (1), à l'exception de certains milieux anarchistes autonomes (voir à ce sujet l'excellent blog "Laboratoire d'urbanisme insurrectionnel"). La même critique se retrouve aussi dans les écrits de certains militants autonomistes ou indépendantistes “régionalistes” qui voyaient bien en quoi les villes étaient les tombeaux des cultures populaires et locales enracinées, au profit de la non-culture de masse mondialisée.

De fait, le système, lui, ne s'y trompe pas, et quatre jeunes basques ont récemment écopé de 2 ans de prison ferme chacun (1 an pour la quatrième) pour avoir entarté, le 27 octobre 2011, la présidente de la communauté de Navarre, pour s'opposer à un projet de Ligne à Grande Vitesse traversant les Pyrénées. Le mouvement autonomiste occitan Libertat! déclarera, à la suite de l'entartage : "Pour les autorités de la CTP, les Pyrénées ne sont qu’une barrière et un "goulot d’étranglement" qui entrave les flux de marchandises et les affaires; leur défi recherche de façon permanente un spectaculaire accroissement des trafics et la "perméabilisation des Pyrénées", qui n’est autre chose que de transformer cette cordillère en un gigantesque "gruyère" traversé de part et d’autre par de grandes infrastructures de connexion entre les grands centres d’affaires."

La volonté du capital est d'abolir les distances physique pour accéléré ses rendements, sans soucis de la Nature ou des cadres de vie locaux. Partout le système capitaliste appauvrit et uniformise le monde, on assiste à une standardisation des modes de vie. Les mêmes désirs de possessions se diffusent. La culture matérielle et superficielle nourrit les imaginaires. Les mêmes enseignes de magasins, la même architecture, les mêmes villes se retrouvent d'un pays à l'autre. La quête du bonheur individuel dans un environnement urbain est devenue le modèle universel. Tout le monde rêve des mêmes choses au même moment. Les formes de travail antérieures à l'industrialisation sont détruites (artisanat, agriculture rurales, etc) et la dissolution de tous les liens de la vie communautaire (famille, village, quartiers) aboutit à l'atomisation du monde sous le règne du calcul égoïste. Les aspirations s'homogénisent à mesure que le déracinement et la déculturation se développent.

Ce mouvement est-il irréversible ? Nous ne le pensons pas. Il est certain que certains sont déjà trop lobotomisés pour s’en rentre compte. Mais il existe suffisamment d'esprits rebelles pour trouver d'autres voies que celle proposée par le système.

 

Reprendre le pouvoir sur nos vies : Emancipation et autonomie

Face à ce constat, couplé avec celui de la difficulté (de l'impossibilité ?) de lutter frontalement contre le Capital, en particulier dans les zones qu'il a créées selon ses principes, certains ont choisi de sortir volontairement du système et de le combattre de l'extérieur et non plus de l'intérieur. Ce choix a l'avantage de permettre une application concrète nos valeurs et nos idées hors du cadre faussé de la modernité capitaliste. Le socialisme révolutionnaire pose l'idée de communauté et d'autonomie au cœur de sa démarche, alliée à une émancipation libératrice des capacités humaines enchainées par le capitalisme. Cette démarche peut exister dès à présent sous de nombreuses formes. L'une d’elle pourrait être justement des Communautés Politiques Autonomes.

Une chose doit être claire, ce concept n'a rien avoir avec le survivalisme très à la mode actuellement. La survie individuelle n'est rien si elle ne porte pas un projet de renaissance collectif. Le survivalisme reste marqué par l'époque qui l’a vue naitre, c'est un réflexe égoïste issu de la mentalité ultra libérale finissante. Si certains enseignements pratiques peuvent être utiles (être préparé physiquement et mentalement à une situation de crise est une obligation pour un révolutionnaire), l'imaginaire qu'il véhicule est plus qu'invalidant. Le repli survivaliste est le plus sûr moyen de disparaitre. Isolés et sans liens, nous serions encore plus vulnérables face à n'importe quelle collusion. Même suréquipé, l'homme n'est rien seul.

Tout en marquant une rupture avec les principes survivalistes, qui n'agissent que dans l'optique de se préparer au pire, et non au meilleur, il apparaît important de poser la question de la pertinence de ce que l'on pourrait appeler des Communautés Politiques Autonomes. En effet, le fait de pouvoir sortir entièrement du système à l'heure actuelle exige un éloignement géographique des grands centres urbains, mais aussi des pratiques politiques alternatives. Le plus décisif étant un éloignement mental de sa domination idéologique.

L'idée de la Communauté Politique Autonome, c'est justement d'être un centre de résistance avec une double vocation. Tout d’abord, permettre de mettre en application nos idées et valeurs à l'échelle locale. De retourner vers le terrain, se réapproprier l'espace et être un acteur positif d'une vie collective. Le but est de se fondre dans l'environnement et de participer à la vie des communautés déjà présentes sur le terrain. Ce n’est nullement un isolement du monde, mais au contraire un enracinement actif.

Dans le même temps, la Communauté Politique Autonome est une base arrière, un pôle de diffusion et un espace de rencontre pour les dissidents. C'est le lieu où la réflexion pourrait être partagée et où des cultures et des traditions nouvelles pourraient naitre. C'est un espace de convivialité (concerts, fêtes) mais aussi de lutte. Si l'expérience prenait, un réseau de CPA pourrait recouvrir le territoire.

 

Socialistes révolutionnaires, allez sur le terrain !

Un choix par lequel devront passer tous ceux qui se poseront un jour la question de l'exode urbain est bien évidemment celui du lieu où aller. Produire localement, consommer localement, militer localement : c'est possible mais il faut bien choisir le lieu. De fait, les zones peu urbanisées sont le plus souvent les zones montagneuses, ainsi que certaines zones de plaines reculées (malheureusement elles sont aussi le plus souvent les plus chères). Il faut aussi prendre en compte le fait qu'une zone trop accidentée n'est pas propice à la mise en place d'une agriculture vivrière, et que les difficultés pour se déplacer (neige, petites routes) sont aussi un frein pour effectuer les échanges (de produits agricoles ou artisanaux par exemple) nécessaires pour régler les dépenses, mêmes minimales (impôts), qui ne disparaîtront qu'avec le capitalisme. De même, un accès trop difficile freine le rôle de pôle de résistance.

La question de la propriété du lieu est aussi cruciale pour l'avenir de l'expérience. Chaque mètre carré de terrain étant la propriété d'un particulier ou d'une collectivité, se pose la question pour les dissidents de savoir s'il veulent acheter un bien immobilier (une fois réglée la question, bien que très problématique, des moyens financiers) et de fait se soumettre jusqu'à un certain point au système (impôts sur le foncier, normes d'habitation, factures d'eau ou d'électricité). La question de l'énergie est aussi importante, l'autosuffisance implique certaines dépenses en entretien et des normes très contraignantes. L'occupation illégale d’un bien immobilier, avec les risques juridiques que cela comporte, pose elle comme gros problème de ne pouvoir garantir la pérennité de l'expérience. Mais surtout elle compromet les chances d'intégration dans le groupe des habitants traditionnelles ou réguliers du lieu.

Cars l'enjeu est de créer une symbiose entre la Communauté Politique Autonome et son milieu naturel, mais aussi humain. Elle ne vise absolument pas à une marginalisation dans un espace clôt à l'extérieur. Au contraire, elle doit se sentir comme un poison dans l'eau et devenir un acteur de la vie locale. Les habitants des régions rurales les plus préservées du désastre capitaliste, se caractérisent par un esprit de communauté plus ou moins vécu ou marqué. Sans les idéaliser, les “locaux” seront toujours moins exposés aux valeurs du système. Souvent par leurs origines très différentes (familles traditionnelles enracinées depuis plusieurs siècles ou enfants de hippies vivant dans le même esprit que leurs parents, mais aussi bons nombres de néo-ruraux fuyant la misère et l'insécurité des villes), ils sont souvent plus proches de nos idées que nous pouvons le penser. Echafauder un réseau de savoir-faire, travailler sur des projets à l'échelle globale, mettre en place des réseaux de diffusion des productions locales sur le modèle localiste, sauvegarder les techniques et les environnements, défendre les biens communaux : voila quelques pistes d'actions possibles.

Surtout que nous pouvons aussi prendre appui sur une spécificité française : les petites communes. La France compte environs 1000 communes de moins de 50 habitants. Elles se regroupent dans certaines régions de faible densité de population, souvent dans les zones montagneuses, comme l'Ariège, les Pyrénées Catalans, le Jura, les Vosges ou les Alpes. L'autonomie locale dans les petites communes renvoie inéluctablement, en géographie sociale, à la notion d'appropriation du territoire par les populations. Dans une petite commune, le conseil municipal peut compter un membre de chaque famille ; les habitants se connaissent tous mutuellement. Les petites communes sont historiquement gérées de manière communautaire. Même si l'Etat veut réorganiser ce système par l'intercommunalité, elles savent résister et conserver leur autonomie.

Nous avons conscience de n’avoir donné que des grandes lignes d'un projet très vaste, cette démarche demande à être murie et reprise. Nous espérons au moins avoir ouvert un débat qui pourrait voir naitre une alternative. Mais si nous devions résumer notre propos, nous garderons ceci : « L'autonomie pour faire vivre la communauté, la communauté pour construire le socialisme révolutionnaire ».

L’argent et la valeur chez Karl Marx

karl_marx_2_by_morales899-d5oqkp4.jpg

L’offensive planétaire du capital afin d’étendre son hégémonie et tenter de surmonter la baisse tendancielle de son taux de profit est appelé couramment de nos jours « mondialisation ». Il est vrai que ce processus s’accompagne de mutations multiples sur le plan culturel donnant l’impression que la planète a été saisie d’une véritable danse de saint guy. La mondialisation fait l’objet de critiques où l’on s’accorde à condamner, pêle-mêle, l’argent, la finance, la marchandise, etc. Parfois, cela se fait sans grande rigueur conceptuelle. De surcroît, si l’on adopte une perspective socialiste afin de combattre les causes réelles de ce phénomène, il nous semble nécessaire d’aborder la question de la valeur qui est au cœur du capital. En ce sens, la réflexion de Marx à ce sujet est fondamentale et constitue le noyau dur de ses travaux. Nous proposons une étude synthétique de ses recherches sur le sujet.

La fatalité inhumaine du devenir de la valeur d’échange à son autonomisation à l’égard de la communauté a été un long processus contre lequel beaucoup d’hommes se sont rebellés au cours de l’histoire (voir les imprécations des penseurs de la Grèce antique à l’encontre du pouvoir corrosif de l’argent sur les cités). 

« Mais il restait à créer l’universalité réelle de la valeur d’échange tant du point de vue de la substance que de l’espace » (1) pour que la compréhension de l’aliénation des forces sociales apparaisse. Pour Marx le mystère de ce procès d’autonomisation gît dans la forme simple de la marchandise (n’oublions pas qu’invariablement à la base de l’analyse, l’activité humaine y est conçue). Son point de départ est la forme sociale simple que prend le produit du travail dans la marchandise. La difficulté n’est pas tant de comprendre que celle-ci est valeur d’usage satisfaisant un besoin, et valeur d’échange exprimant le rapport de quantité selon lequel elle peut s’échanger contre d’autres marchandises. Il faut saisir que les valeurs d’échange représentent quelque chose qui leur est commune : la valeur. En effet, Marx analyse la forme- valeur et en explique l’essentiel en disant que le secret du développement de la valeur d’échange aboutissant à la forme argent réside dans le fait que la valeur d’une marchandise s’exprime dans « une chose différente de sa propre forme naturelle ». D’autre part, Marx a bien précisé que chez lui « seule est sujet la marchandise ». (2). La double existence de celle-ci reflète le double caractère du travail : travail utile producteur de valeurs d’usage et travail abstrait. Ce dernier est dépense de force de travail quelle que soit la manière dont elle est utilisée. La forme valeur se gonfle de ce contenu qu’est le travail abstrait. Le développement de cette forme est en même temps, son extériorisation dans la valeur d’échange. Celle-ci est la forme phénoménale propre de la valeur, c’est la « représentation autonome de la valeur contenue dans la marchandise » (3). Cette représentation autonome est nécessaire pour que les produits du travail humain puissent s’échanger comme matérialisation d’une même quantité de travail humain, selon une commune mesure. Lorsque les marchandises s’échangent, c’est la valeur qui apparaît dans leurs valeurs d’échange qui la représentent. L’équivalent général abstrait (l’argent) ne fait qu’exprimer le fait que le temps de travail social, général, s’attache à une marchandise exclue, particulière, à laquelle se rapportent toutes les autres marchandises, fractions du temps de travail général abstrait de la production sociale. Dans cette confrontation générale des marchandises s’expriment leurs valeurs d’échange. Dans l’argent marchandise universelle, toutes les valeurs d’échange des marchandises se rapportent les unes aux autres. Aussi «  la valeur d’échange forme la substance de l’argent » (4). Lorsque les produits du travail sont des marchandises, la valeur d’échange est la richesse. L’argent est la forme corporelle de cette richesse et représente en même temps sa généralité. Il s’incarne en toutes les richesses particulières, il est la richesse par excellence, mais il les représente toutes en étant le « représentant matériel universel » (5) de celle-ci. Maintenant la richesse se matérialise donc, dans un objet extérieur (richesse abstraite, totale, dans un objet particulier concret) en excluant les autres marchandises qui aspirent toutes à se métamorphoser en lui. Cela explique la divinité de l’argent, Dieu des marchandises. Plus la production marchande se développe, plus l’instrument de la circulation (l’argent) s’émancipe de sa fonction pour devenir souverain des marchandises.

« Il représente l’existence céleste des marchandises, tandis qu’elles représentent son existence terrestre » (6).

Il est l’existence matérielle de ce rapport apparemment abstrait de la valeur. C’est-à-dire un rapport abstrayant réellement les hommes de leur communauté qui est un résultat historique aboutissant à la perte des forces sociales pour ceux-ci. En germe dans la valeur, il y a déjà le travail humain abstrait et l’homme abstrait de ses conditions de production, de reproduction, vitales et essentiellement humaines. Le procès de reproduction sociale des communautés ne peut que reproduire cette autonomisation de la valeur d’échange devenant elle-même la communauté, qu’en élargissant le processus.

Ainsi de la circulation simple va rapidement surgir l’argent comme but en soi. Il devient le sujet de la richesse générale. L’idée de compendium de la richesse sociale, précis de toutes les choses, est courante dans l’économie politique classique, mais celle de « spécification historique » (Karl Korsch) de ces notions appartient à Marx, au mouvement pratique qui remet en cause les fondements de la société capitaliste. En effet, l’argent est objet et source de la soif de s’enrichir, mais celle-ci « est le produit d’un long développement social déterminé, elle n’est pas naturelle, mais historique ». (7).

Quand la valeur d’échange devient le but de l’activité humaine, la soif de jouissance sous sa forme générale est poursuivie et s’oppose aux jouissances particulières, primo parce qu’elle s’incarne dans un objet particulier dont la valeur d’usage est de tout acheter et secundo parce que celui-ci est la condition de ces jouissances. L’avarice manifeste le fait qu’il est possible de retenir la forme générale de la richesse face aux marchandises.

Arrivé à ce niveau de développement, la richesse sociale concentrée dans l’argent n’est pas directement la richesse humaine. Les vieux rapports tissés par les hommes et qui représentent leur communauté comme leur présupposition se dissolvent sous l’effet de la valeur d’échange. La communauté s’autonomise dans l’argent et l’activité humaine se particularise, non pas au sens où elle est activité attachée à une position particulière comme dans les anciennes communautés, mais où cette activité ne porte plus sa validité sociale en elle-même - puisque celle-ci n’est plus enracinée dans la communauté – mais ne l’acquiert que par le détour de la valeur d’échange, expression de la généralité autonomisée, la valeur. Aussi, Marx revient souvent sur le fait que l’argent, la soif d’enrichissement est la ruine des communautés antiques, car l’argent ne peut tolérer d’autre communauté face à lui que la sienne.

« Mais cela suppose le plein développement des valeurs d’échange, et donc une organisation correspondante de la société ». (8).

Le capital marchand ou usuraire n’a qu’une action négative, dissolvante sur la société. Le capital usuraire, par exemple, ne transforme pas le mode de production, n’en crée pas un autre, il ne fait que le ruiner, paralyser les forces productives. Il adhère au mode de production, rend les conditions de reproduction de plus en plus misérables, sape la petite production, détruit la propriété antique et féodale. Ainsi pendant longtemps, c’est un parasite dans la société ; de la même façon, la valeur d’échange n’a toute son importance durant un certain temps que chez les peuples marchands. A Rome, l’action dissolvante de l’argent se fit sentir avec l’apparition du capital marchand et usuraire. L’argent qui y était apparu dans ses deux premières fonctions d’étalon et de moyen de circulation, se mua peu à peu en sa troisième fonction (l’argent comme but en soi), avec l’extension du commerce, les rentrées de flots d’argent, etc. Cependant l’argent n’y influença pas encore la production. Pour cela, il faut qu’il soit non seulement le résultat de la circulation mais aussi sa condition préalable en tant qu’élément qui lui est immanent. Il devient ainsi un facteur de la production. En tant que capital, l’argent se trouve toujours en rapport avec lui-même grâce à la circulation. Mais la condition essentielle réside dans le fait de l’existence du travail salarié. Ce n’est que si ce dernier se développe que l’argent est un élément important de la production. A ce niveau l’argent nr dissout plus les formes sociales. Il achète la force de travail, seule valeur d’usage capable de produire de la valeur. L’argent devient donc, lors de l’épanouissement du capitalisme, un rouage de l’essor des forces productives, matérielles et intellectuelles.

Avec le capital, l’activité humaine est orientée vers la production de valeur. La communauté devient celle du capital et de la valeur.

« Pour représenter matériellement la richesse générale et individualiser la valeurd’échange, l’argent doit être directement l’objet, le but et le produit du travail général, du travail de tous les individus. Le travail doit produire directement la valeur d’échange, c’est-à-dire l’argent : il doit donc être du travail salarié ». (9).

Le travail salarié ne peut exister à grande échelle que lorsque le producteur est totalement séparé de ses moyens de production, de cette façon s’instaure le travail forcé de celui-ci, vendant sa force de travail libre. Le travail devient ainsi une activité au sein de laquelle l’individu ne peut se reconnaître, parce que le produit du travail et cette activité même lui sont étrangers, l’argent devient le moyen de rendre l’homme zélé au travail. De cette manière le « zèle se fait inventif et crée des objectifs nouveaux pour le besoin social, etc. » (10). Sur la base du travail salarié, l’argent agit donc comme un élément productif.

« Il ne peut y avoir d’industrie universelle que si chaque travail produit la richesse, non pas sous une forme déterminée, mais générale ». (11).

La forme générale de la richesse est le produit de la forme valeur. C’est avec la valeur qui est le contenu de la communauté, que la richesse universelle est créée ; mais cela encore dans une forme contradictoire, hostile et antagonique aux hommes. Le rapport social capitaliste réalise pleinement la communauté de la valeur, le capital est la valeur en procès, despotisme de la production pour la production. L’analyse de l’argent aboutit donc sur celle du capital. D’ailleurs, dès le départ de son analyse, Marx étudie la valeur, contenu et forme sociale des produits du travail et au bout du compte, nous comprenons que ceux-ci tiennent leur empreinte sociale du rapport social de la valeur, trouvant sa forme achevée dans le capital.

Celui-ci engendre l’autonomisation des rapports sociaux par rapport aux individus, et ce, sous l’empire de la valeur d’échange. Cela caractérise la nature des liens sociaux dans la société bourgeoise où les individus sont à la fois dépendants mutuellement, universellement ; et indifférents les uns aux autres. En effet ces liens s’expriment dans la valeur d’échange. Celle-ci constitue la médiation de l’activité des hommes, c’est uniquement grâce à elle que leurs produits deviennent réellement des produits. Ce que les individus doivent produire c’est ce produit général qu’est la valeur d’échange qui sous sa « forme autonomisée et individualisée » est l’argent. Pour Marx l’activité humaine est éminemment sociale, ainsi que le produit qui en découle et la participation de l’homme à la production. Ainsi le travailleur aliène ces caractères à l’argent lorsque les produits de son travail font le détour par la valeur d’échange, mais il perd également toute relation humaine à autrui. C’est ce que Marx appelle réification du rapport social qui apparaît comme une chose étrangère.

Les simples relations subsistant entre les hommes s’expriment dans leur commune subordination à ces rapports étrangers qui sont pourtant le fait des producteurs, mais en tant qu’ils sont indifférents les uns aux autres. L’indifférence couve dans les travaux privés des individus qui ne peuvent se manifester qu’indirectement par l’échange.

« Il en résulte que pour ces derniers les rapports de leurs travaux privés apparaissent ce qu’ils sont, c’est-à-dire non des rapports sociaux immédiats des personnes dans leurs travaux mêmes, mais bien plutôt des rapports sociaux entre les choses ». (12).

Donc, sous l’empire de la l’argent, les rapports sociaux engendrés par les hommes n’apparaissent pas comme des rapports immédiats des personnes entre elles dans leurs travaux. L’activité courbée sous le joug de la valeur d’échange, n’est pas véritablement libre et humaine. Elle n’est activité que par une chose étrangère et indifférente au contenu de cette activité. Ce qui accroît la démence du rapport, c’est que la condition vitale de chaque individu est devenue étroitement dépendante de l’activité de tous, des échanges universels de ces activités ; que n’existent que par ceux-ci les rapports de particulier à particulier, ce qui ne les empêche pas de se présenter à ces particuliers comme puissance chosifiée et autonome. C’est donc un moment historique au plus haut point contradictoire que nous vivons. Avec l’argent, cette puissance étrangère, Marx peut donc dire que l’on détient tout pouvoir sur autrui, la société, etc. vu que la richesse ne devient sociale que par son intermédiaire. Mais à ce niveau. Marx approfondit ce concept de richesse sociale, et ses liens avec la communauté des hommes. A cause de la valeur d’échange autonomisée, les rapports humains sont changés en « rapport social des objets », rapport entre les marchandises, leur détermination de valeur ; les hommes ne connaissent que l’activité productive de valeur. Mais plus profondément « la richesse personnelle est changée en richesse matérielle ». Disons que ma production n’est pas production humaine, production pour l’homme.

L’activité vitale aliénée nous donne pour résultat l’abaissement de l’existence humaine au rang de simple moyen. L’essence humaine devient moyen de l’existence. La richesse de ma production devient un simple moyen pour me survivre dans la société de classes. Elle n’a pas directement sa fonction de richesse sociale dans la communauté, et ce, jusque dans l’activité productive. C’est pourquoi ma « richesse personnelle » m’apparaît comme un objet extérieur, écorce inanimée enserrant ma substance, comme « richesse matérielle » dans l’argent ou le capital. Face à celle-ci, je suis dépossédé, je suis la pauvreté absolue. Marx développe ce thème du capital faisant face à l’ouvrier dans le « chapitre du capital » des Grundrisse et dans le « chapitre inédit du capital » où il insiste sur le fait que les forces productives sont pour le capital, et non pour les hommes. L’argent comme le capital ne tolèrent pas d’autres communautés face à eux que la leur. L’homme est donc pauvreté absolue parce qu’il est réifié, dépouillé de son essence humaine.

« En conséquence, l’argent est directement la communauté réelle de tous les individus puisqu’il est leur substance même, ainsi que leur produit commun ». (13).

L’homme s’est donc perdu dans l’errance de la séparation d’avec sa communauté. Il ne s’agit d’ailleurs pas de lire l’histoire à travers le mythe du communisme originel, sorte de paradis perdu dont la nostalgie serait récurrente chez l’homme. Simplement, dans les communautés précapitalistes la valeur ne domine pas. Les médiations entre les particuliers et la communauté (symboliques, religieuses, politiques, etc.) ne sont pas aliénantes, au sens que Marx donne à ce terme et qui n’est compréhensible que dans le contexte de l’analyse de la valeur devenue dominante et autonomisée dans le figure du capital. L’aliénation n’est pas propre à l’histoire en général, chez Marx. En fait ce dernier utilise un terme, « Entfremdung », qui rend mieux compte du phénomène du capital et qu’il faudrait traduire par extranéation en français. C’est l’idée d’une puissance étrangère qui domine et qui s’éloigne de façon croissante de la source qui l’a engendrée.

L’universalisme de Marx n’est somme toute, pas véritablement abstrait comme dans l’idéologie mondialiste. Il tente d’accéder à l’universel concret. Il faut se réapproprier, cela à l’échelle du monde technique moderne, l’essence commune, que Marx désigne du terme, provenant du vieil allemand, de « Gemeinwesen ». C’est une aspiration à la fois individuelle et commune. Nous pensons que cette aspiration est compatible avec un mode vie enracinée dans notre histoire et nos traditions les plus profondes qui ne sont pas celles héritées de la philosophie bourgeoise des Lumières. Le socialisme n’est pas compatible avec la domination de la valeur.

« Supposons que nous produisions comme des êtres humains : chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. 1° Dans ma production, je réaliserais mon individualité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et, dans la contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. 2° Dans ta jouissance ou ton emploi de mon produit, j’aurais la joie spirituelle immédiate de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser la nature humaine et de fournir au besoin d’un autre l’objet de sa nécessité. 3° J’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d’être reconnu et ressenti par toi comme un complément à ton propre être et comme une partie nécessaire de toi-même, d’être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. 4° J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de créer la manifestation de ta vie, c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine [Gemeinwesen]. Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre ». (14).

 

 

Jean Galié

 

NOTES.

  1. Grundrisse, chapitre de l’argent. P.266. Coll. 1018.

  2. Notes critiques sur le traité d’économie politique d’Adolph Wagner. Pléiade. Tome II, p. 1533, 1543.

  3. Ibidem.

  4. Grundrisse, chapitre de l’argent. P.259.

  5. Ibidem.

  6. Ibidem.

  7. Ibidem, p.261.

  8. Ibidem, p.262.

  9. Ibidem, p.263, 264.

  10. Ibidem, p.263, 264.

 

  1. Ibidem, p.263, 264.

  2. Le Capital, le caractère fétiche de la marchandise et son secret. Pléiade. Tome I,

p.607.

13) Grundrisse, chapitre de l’argent. P.267.

14) Economie et philosophie (manuscrits parisiens) (1844). Notes de lecture. Pléiade. Tome II, p.33.  

Joy Division : Requiem pour la Joie

« Rien ne résistera, rien ne conviendra

Dans le froid, pas de sourire

Sur tes lèvres

Vivre dans une ère de glace

En cherchant une autre voie

On vit dans des trous

Et des puits désaffectés

J’espérais un peu mieux. »

(Ice Age-Joy Division)

 

Nuit et brouillard.

Manchester, fin des années 1970, n’est pas vraiment le coin le plus charmant d’Angleterre. Usines en crise, banlieues sordides et grisaille crépusculaire, l’univers des jeunes ouvriers ne laisse pas la place à l’espoir. Pour passer le temps, pas grand-chose à faire en dehors de boire de la bière et regarder le foot à la télé. Puis la vague punk va déferler donnant un sens tragique à cette souffrance du quotidien que l’on appelle l’ennui. Ian Curtis, qui trime dans une usine textile, va débarquer un soir d'errance dans l’épicentre de l’explosion Keupon. Il assiste au premier concert des Sex Pistols à Manchester en compagnie de Bernard Sumner et Peter Hook, deux copains d’école. L’aspect provocateur, sauvage et spontané du groupe de Sid Visious va les convaincre de monter leur propre groupe, exutoire de leur révolte.

Au début de 1977, ils forment Warsaw (Varsovie), en référence à la ville martyre et à un jeu de mots : la guerre en vue. Pourtant, ils durent renoncer à ce nom, un autre groupe utilisant déjà celui de « Warsaw Pact ». Ce fut Peter qui lut dans un journal que les groupes de prostituées chargées d’amuser les SS dans les camps de concentration s’appelaient les « Divisions de la Joie ». Le nom leur plut à tous par sa symbolique forte.

 

Et en route pour la joie.

Le groupe se cherche un style ; punk au début, il évolue en mûrissant vers son propre son. L’alchimie est simple : batterie, basse et guitare, la fusion brutale des instruments s’opère et donne une sobriété minimaliste qui laisse l’espace libre à la voix et aux textes de Ian Curtis. Plusieurs rencontres vont aboutir à donner sa forme à Joy Division. C’est en décembre 77, qu’ils furent remarqués par Robert Gretton, DJ dans le club où ils venaient de faire un tremplin rock avec 16 autres groupes, il deviendra leur manager. Durant cette même soirée mémorable, Ian Curtis nerveux insulte toutes les personnes se trouvant sur son passage, dont Tony Wilson, animateur d’une émission musicale locale. Intrigué par cet olibrius, il sera l’un des rares à assister à la prestation du groupe, passée une heure du matin. Séduit, il va signer son groupe sur la première production de son label, Factory record. Joy Division apparaît donc sur la compilation Factory Sample au coté de Cabaret Voltaire, John Dowle et de Durutti Column (projet de situationnistes anglais précurseurs de la musique industrielle).

Wilson propulse le groupe et accepte de financer leur premier album en 1979. Le disque sera produit par Martin Hannett, qui sera très lié à Joy Division.

La Danse de Saint Guy.

Unknow Pleasure sera un joyau de noir, toute l’âme tourmentée d’Ian Curtis ressortant à fleur de peau dans les textes. Hannett va ciseler une tension surhumaine, atteignant les limites du supportable : « On voulait recréer cette obscurité millénaire, le vide, la peur de la nuit, les lumières, la pluie… ». En octobre-novembre 1979, Joy Division entreprend une tournée épique en Angleterre comme première partie des Buzzcoks. Tout le long de la tournée, ils volent la vedette à leurs concitoyens de Manchester. Mais cela a un prix, Ian Curtis succombe à des crises d’épilepsie spectaculaires et à répétitions. Le public assiste à cette danse de Saint Guy sans comprendre et pense voir un chaman succombé à une transe mystique. De la souffrance naîtra la joie des masses … L’excellent accueil de la part des critiques, s’accompagne d’un véritable succès au niveau des ventes. Le single Transmission (inspiré du Livre de Loi d’Aleister Crowley) est en tête des chartes anglaises. En avril 80, ils enregistrent Closer pour Factory. Une musique encore plus triste et résignée mais toujours aussi belle. « Je voulais faire de la magie. Je me disais : j’ai fait ce disque pour qu’on souffre en l’écoutant » dira quelques années plus tard Martin Hannett. Un peu plus tard Love will tear us apart est gravé sur le vinyle d’un maxi 45. Morceau dont le rythme et la beauté est un envoûtement mélodieux et froid, on atteint la perfection.

Dernière gigue avec la mort.

Les concerts se multiplient, les foules viennent observer le spectacle de la cérémonie donnée aux dieux du chaos par quatre jeunes hommes impassibles. Il est rare que Ian Curtis ne finisse pas une de leur prestation sans tomber foudroyé par une crise. Une tournée américaine est prévue, mais rien n’est sûr à cause de Curtis. Ian et sa santé, ses ennuis avec sa femme et surtout sa peur grandissante de monter sur scène.

L’ombre va finir par le rattraper  un soir. Après avoir lu quelques pages de Mishima il écoute The Idiot de Iggy Pop et s’en va se pendre dans la cuisine de son appartement. Il avait 23 ans et nous étions le 17 mai 1980…

Closer et Still (disque d’inédits studios et de lives) sortiront après la mort de Curtis et rencontreront un succès immédiat. Les membres survivants dissolvent la division de la joie selon les vœux de Curtis. Ils vont donner naissance à New Order et seront les précurseurs de la techno et de la dance. Joy Division marquera profondément son époque, ouvrant grandes les portes à une nouvelle génération de la musique européenne. De nombreux groupes se sont inspirés depuis de leur musique à l’ambiance tendue et glacée. Ultime paradoxe : du désespoir est né le renouveau.

 

À écouter : Joy Division – Substance- Compilation reprenant les diverses périodes du groupe. Une bonne entrée en matière pour vos oreilles.

À Lire : Fabien Rabon, « Joy Division, Lumières et Ténèbres », Edition du camion Blanc.

A voir : 24 Hours Party People, disponible en DVD, l’histoire du Factory, boite et label de Tony Wilson.

 

111JoyDivisionManchester.jpg