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14/11/2011

Etre révolutionnaire !

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02/09/2011

Eléments de musique industrielle

Ses probables fondements sont dans le Futurisme, dans la praxis et les théories que Luigi Russolo énonça dans  L’art des bruits : le bruit comme enrichissement de la matière sonore, et concerts joués sur des instruments inventés ; puis, également, dans les musiques expérimentales : de John Cage et du silence considéré comme note à part entière, à Pierre Boulez et aux compositions aléatoires, en passant par les recherches concrètes de Pierre Schaeffer, avec objets sonores et manipulations des supports (bandes, magnétophones…).

Au-delà des avant-gardes, on retrouve l’influence du Punk dont sont amplifiées les caractéristiques premières : violence et bruit ; autant que celle du Krautrock dont sera repris l’électronique, la géométrie.

Dans un rapport plus immédiat, elle désigne la froideur, la brutalité, la violence, la déshumanisation des installations industrielles, de la technique et de son asservissement, dont elle illustrera, reproduira les séquences, l’automation, la répétition, (stakhanovisme, fordisme)… Intégrant ces modalités sonores, elle exténue les mélodies et travaille donc le bruit, opulent et morne des machines, ou chaotique, blanc et parfaitement aléatoire. Antiphonique, diaphonique, disharmonique, la musique industrielle est une anti-musique.

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La musique industrielle est un extrémisme et une polysémie. Elle s’entend comme consommation, au sens de société de consommation, de démocratie de marché, ou de culture de masse, dont sera faite la critique radicale. Ainsi, en seront reflétées les aberrations, autant l’aliénation, le contrôle et la propagande que l’uniformisation et la réification des personnes : d’où, régulièrement, la mise en avant d’uniformes, d’imageries militaires et totalitaires. Car, semble-t-on nous dire, et quand le raccourci serait peut-être facile, entre totalitarisme historique et totalitarisme consumériste, s’impose une solution de continuité, dont les différences résideront moins dans les résultats que dans les moyens pour y atteindre, seront moins de nature que de degré.

De même, il s’agira d’en détourner les codes et signes. Un tel détournement opérant soit comme annulation, soit comme démultiplication, puisque la société de consommation est avant tout, déjà, elle-même, détournement et, justement, consommation de signes : un objet vaut moins par sa valeur d’usage que par sa valeur d’échange, laquelle peut s’entendre par la manière dont l’objet est connoté : marque, statut social conféré. - D’où, régulièrement aussi, dans pochettes et livrets, la proposition de logos, de dazibao, d’une esthétique du slogan.

Dans une logique similaire, par simple provocation certes, mais pour interroger aussi le rapport normalité/anormalité, la dialectique des marges et du centre et, jusqu’aux limites, instruire liberté et idéologie libertaire – laquelle n’est sans doute rien plus qu’un moyen d’altérer la cohésion sociale et, par la culture du narcissisme induite, d’atomiser l’individu – la musique industrielle est transgressive. Aussi, investira-t-elle les domaines de la pornographie, de la sexualité, de ses déviances et perversions les plus obscènes et crues (nécrophagie, parthenophagie, amélotation…), de la psychiatrie et de l’antipsychiatrie, des sérials killers… Plus strictement politiquement, et dans une souveraine ambiguïté, il s’agira de convoquer fascisme, nazisme, stalinisme, univers concentrationnaire et terrorisme – lequel sera considéré évidemment comme stratégie de la tension puis, c’est à y réfléchir, comme seule possibilité, dans nos sociétés modernes, de retrouver, au moins formellement, les modalités d’une voie initiatique : la clandestinité, si elle est sociale, est aussi changement radical d’identité, d’être - rupture ontologique.

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La scène industrielle se caractérise par son autonomie. Elle affirme maîtrise gestionnaire et contrôle des moyens de (ses) production(s) via des collectifs et des structures indépendantes souvent créés par les artistes, les groupes eux-mêmes. A ce titre, Throbbing Gristle, groupe séminal et paradigmatique, initia précisément, avec Industrial records, le concept de label indépendant

Performatrice, tenante de la culture du happening, elle développe une scénographie extrême par l’utilisation d’éléments extra-musicaux (vidéos, drapeaux, croix enflammées, libations contraires et impies, mutilations, têtes de mouton…)  ; tandis que, livrant une véritable guerre de l’information, elle publie divers supports (tracts, affiches, livres, revues, voir Grey Wolves) et fait sienne toutes les techniques de propagande (propagande par le fait, s’il en est), jusqu’à perpétrer (voir l’excellente formation PPF) des attentats sonores, aussi improvisés qu’inattendus, dans les lieux publics.

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Plurielles, les premières formations industrielles sont devenues cultes et classiques. Citons, outre Throbbing Gristle, SPK (décliné en Surgical Penis Klinik, ou SePpuku, ou encore System Planning Korporation et Socialistiches Patienten Kollektik), Cabaret Voltaire, Test Department, Whitehouse, Nocturnal Emissions, Einsturzende Neubaten, Lustmord… Qualifiés désormais d’old school, ces artistes, par leurs travaux, par leurs recherches, en privilégiant telles tessitures, en utilisant tels supports et objets, en créant telles ambiances, chacun ayant sa radicale spécificité, se perpétueront au travers d’épigones et initieront de nombreux sous-genres dont les qualités sont à la fois strictes et poreuses. Ainsi du Power electronics, agressif, abrasif, autoritaire ; du Dark ambient, religieux, cosmique, crowleyien, rituel, ésotérique ; du Death industrial, analogique, vrombissant, opaque, sordide… A quoi s’ajoute, constitutive mais parallèle, la culture dark folk/martiale, qui s’affirme par des ambiances  wandervogel, völkisch, néo-classiques, héroïques, évoliennes, révolutionnaires conservatrices. 

Quant à conclure, la musique industrielle, intégrée dans l’économie des cycles temporels, est parfois présentée comme une expression de l’âge de fer.

 

Arnaud Bordes 

Article du Rébellion 38 ( août 2008)

 

A écouter :

SPK : Leichenschrei

Whitehouse : Birthdeath experience

Throbbing Gristle : The third and final report

Genocide organ : Leichenlinie

Lustmord : Paradise disowned

Brigher death now : innerwar

Megaptera : The curse of the scarecrow

 

31/08/2011

L'importance de l'engagement

" Dans l'Enfer, les places les plus brûlantes sont réservées à ceux qui, dans les périodes de crises morales, maintiennent leur neutralité". 

Dante Alighieri, la Divine Comédie

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Un entretien avec Edouard Limonov

E. Limonov est à la mode dans les médias. L'occasion de revenir sur l'entretien accordé à notre journal en avril 2004 par lui. À la demande d’Édouard Limonov c’est Sergei Fomchenkov, membre du Comité central du Parti National-Bolchevik, qui présente son organisation. L'écrivain évoque ensuite sa première détention et ses idées politiques. 

 

Edouard Limonov, PNB, parti national bolchevik, limonov

Rébellion . Pourriez-vous nous présenter le Parti national bolchevik , son idéologie et ses objectifs? 

Le Parti national bolchevik est une organisation politique active avec une histoire de lutte vieille de 10 ans, qui compte environ 12 000 membres, qui a plus de 50 sections régionales en Russie. Les membres du parti sont pour la plupart des jeunes (de 15 à 30 ans. Toutes les couches sociales sont représentées, ainsi que différentes ethnies et religions.

Notre idéologie se base sur les écrits des théoriciens du national-bolchevisme comme Ustryavol, Agursky, sur les travaux d’Édouard Limonov. Nous empruntons également des idées actuelles à ce jour chez Lénine, Mussolini, Mao, etc.

Notre but est la prise de pouvoir en Russie au moyen d’une Révolution Nationale. Nous voulons l'établissement en Russie d’une justice nationale et sociale, le changement complet de la classe dirigeante, l’écartement du pouvoir des fonctionnaires, de l’ancienne élite bureaucrate, la redistribution et la nationalisation de la propriété. Nous combattons également pour l’espace vital russe, pour le changement des frontières de la Russie au moyen de l’annexion de territoires traditionnellement russes. Des objectifs à court terme, plus vitaux, sont le combat pour les droits civils et la liberté dans la Fédération de Russie, la protection des droits des populations russes et russophones dans les pays du CEI, des pays Baltes et de l’Asie.

Rébellion. Quelle tactique PNB a-t-il choisi en Russie? Quelle est l’attitude des autorités envers vos activités? 

Notre tactique de combat est dictée par la situation politique en Russie même. La Fédération de Russie d’aujourd’hui est un État policier agressif avec un dur système répressif. La Constitution (adoptée en 1993) et le Code criminel (1999), donnent des possibilités pratiquement illimitées au système policier et judiciaire pour combattre les forces radicales d’opposition. C’est pourquoi nos méthodes sont à la marge de la loi. D’un côté de cette marge on a des années de pourrissement dans des prisons des nôtres et la réduction du parti à une existence illégale; de l’autre côté de la marge on a une existence paisible en tant qu'opposition respectueuse. Dans la présente étape de la lutte nous employons des actions de protestation pacifiques, non-violentes, comme les occupations de la tour du Club de la Marine à Sebastopol (Ukraine) sous la devise « Sebastopol est une ville russe! », du train Moscou-Kaliningrad (protestation contre l’introduction d’un régime de visas), des toits des Ministères de Justice à Moscou et ensuite dans d’autres régions et beaucoup d’autres encore. Une variété de ces actions se nomme « le terrorisme de velours » qui a été commencé par les camarades Bahur et Gorchkov, qui ont jeté des œufs sur Nikita Mihalkov. Cette tactique pourrait être appelée « un tir de précision » c’est à dire d’un coup dans un point faible du système. En tant que cible on choisi une figure symbolique et l’action elle-même est une sorte d’exécution politique. Premièrement, c’est un moyen d’exprimer ouvertement les crimes commis par telle ou autre personne contre le peuple, deuxièmement cela aide à détruire le mythe d’invincibilité et d’inviolabilité des gens qui sont entourés de l’auréole du pouvoir ou de popularité. Elles acquièrent aussitôt des traits physiques concrets, montrent leur vrai visage. Certains commencent à nous tourner en dérision , a nous répondre par des accusations lâches, ce qui réussit mal sans un texte préparé d’avance, par exemple, Jirinovsky s’abaisse jusqu’à des insultes vulgaires à l’adresse des exécuteurs de l’action et à des ordres de les tabasser, qui conviendraient à un aubergiste du XIX siècle. Les actions du « terrorisme de velours » attirent une énorme attention de la part des média de masse, provoquent l’intérêt pour le Parti, son travail, ses opinions sur la présente situation politique. Nous recevons des sympathies et du support dans la société de la part de ceux qui sont aussi mécontents de la situation dans l’État mais qui n’osent pas ou ne sont pas capables d’actions radicales. 

En plus, l’organisation de pareilles actions politiques est un bon entraînementpour les gens. 
Nous essayons de rester dans les marges de la légalité (nos actions peuvent être qualifiées par la loi comme des infractions administratives ou de la délinquance mineure), contrairement aux autorités qui luttent contre nous. Ce n’est pas pour rien que l’un de nos slogans est « Nous vous apprendrons à aimer la Constitution! ». 

L’attitude des autorités pour nous se manifeste aussi par le fait que dans plusieurs régions, les départements régionaux pour la lutte contre le crime organisé « s‘occupent » du NBP. Les explosions à Moscou, la lutte avec le terrorisme tchetchène et international annoncée par le président devient aussi un prétexte pour le renforcement du régime policier. 

Quatre fois on nous a refusé notre enregistrement comme parti politique sur le territoire russe, en plus la dernière fois, directement avant les élections à la Douma, pour un motif inventé et bureaucratique de « paperasse ». À l’encontre des nationaux bolcheviks on emploie des détentions illégales, lors d’évènements de masse et lors des arrestations – des coups sévères, des menaces, du chantage, des tortures des détenus et des accusés – des méthodes standards du travail des organes du « maintien de la loi ». Dans les appartements des chefs et des activistes des sections du PNB partout en Russie on procède à des fouilles, des confiscations illégales de littérature et de matériel du parti. Les services spéciaux ne se gênent pas à recourir à de telles méthodes comme l’enlèvement (un exemple récent – l’enlèvement du membre du Comité Central Dmitri Bahur, qui a été sauvagement battu par des agents du FSB qui essayaient de le faire pencher à la « collaboration »), coup monté en plantant de la drogue ou des armes pour les « découvrir » plus tard lors de la fouille et aussi… des meurtres qui probablement ne seront jamais prouvés.
Maintenant le Parti compte quatre prisonniers politiques. Parmi eux, la dernière victime du laissez-aller judiciaire et fonctionnaire est l’activiste de 27 ans de Belgorod Anna Petrenko, une mère monoparentale, enseignante supérieure de l’université locale, diplômée de sciences sociologiques. Anna a été jetée derrière les barreaux (Elle a été accusée d’avoir installé devant l’édifice de l’administration régionale de Belgorod une boîte de gâteau avec un réveille-matin qui se trouvait à l’intérieur, qui le FSB et le Procureur ont jugé « une maquette d’un appareil explosif »), son enfant a été transféré dans une maison pour jeunes.

Toutes ces méthodes ignobles de lutte contre notre parti démontrent l’attitude des autorités envers nous comme une force politique puissante qui menace la criminelle Fédération de Russie, bureaucrate et policière. Et ces mêmes méthodes discréditent le pouvoir devant le peuple, provoquent chez lui seulement la méfiance et le dégoût pour lui.

Rébellion. Quelles sont vos relations avec d’autres partis politiques en Russie?

En 10 ans d’existence, le PNB a plus d’une fois appelé les organisations politiques à la coopération. Nous avons toujours appelé les gens, quelles que soient les particularités de leurs idéologie, nationalité, age, appartenance religieuse ou toute autre, de se rallier dans la lutte contre notre ennemi commun – le système. Mais même si de telles alliances se formaient, les alliés nous trahissaient bientôt comme c’est arrivé par exemple avec la Russie Ouvrière d‘Anpilov. Les partis politiques ne veulent pas coopérer avec nous, soit parce que notre radicalité les effraie alors qu’ils veulent par leur modération provoquer la sympathie des électeurs, soit qu’ils ont peur de disparaître tout à fait dans notre arrière-fond par leur archaïsme, leur dogmatisme, l’inertie de leur idéologie et la situation politique moderne inadéquate dans le pays et le monde. Nous pourrions donner à ces forces politiques une vraie vie active, la part de notre succès. Eux pourraient nous donner leur support, par exemple en tant que des parties officiellement enregistrées sympathisantes, qui ont un certain statut en rapport et une influence aux yeux de la population et des autorités, un support matériel.

Aujourd’hui, à la veille des élections présidentielles dans la Fédération de Russie, nous appelons de nouveau les organisations politiques indépendamment de leur idéologie et d’orientation droite ou gauche ainsi que tous les citoyens de la Russie de se rallier pour le boycott de ce crime organisé devant le peuple.
Nous prenons avec calme la courte durée de telles alliances. Nous avons notre but et le reste ne sont que des moyens pour l’atteindre. Ceux qui comprendront l’avantage de la collaboration avec nous sur la voie de la lutte avec l’autorité en place viendront vers nous tous seuls, puisque réellement plus personne maintenant ne lutte avec elle en Russie.

Récemment une scission s’est produite entre la Russie Ouvrière et son mouvement de jeunesse, créée autrefois selon le modèle du PNB, l’Avant-garde de la Jeunesse Rouge (AKM) sous la direction d’Udaltsov. Dans le moment, le AKM nous a proposé de collaborer et bien sur nous essayerons d’aller à leur rencontre.

Rébellion. À l’extérieur de la Russie, avez-vous des contacts avec d’autres organisations national-Bolcheviques? Souhaitez-vous développer vos liens politiques sur le plan international dans le futur?

Oui, nous avons des contacts avec les national bolcheviks du Kazakhstan, du Tadjikistan, de la Venezuela, de la Bielorussie, d’Israël, de la Suède. Nous nous efforçons de développer des liens politiques sur le plan international. Actuellement, nous nous occupons activement de la version anglophone du principal site Internet du PNB et de la traduction des documents du programme en d’autres langues.

Rébellion. Selon l’opinion de l’Europe de l’ouest, la politique de Poutine manque de netteté. Comment évaluez-vous sa politique? Diffère-t-elle de la politique de Ieltsine?

Cette opinion de l’Europe de l’ouest n’est pas surprenante. Poutine essaie de manœuvrer entre l’Ouest et les États-Unis. Ayant passé quelques années en Allemagne, Poutine idéalise l’Europe, s’efforce de rentrer dans l’Union Européenne, ne comprenant pas que même si cela arrivait, la Russie sera pour l’Europe un sorte de « trou noir » économique. Poutine essaie de construire les rapports avec l’Allemagne et la France mais sous la pression des États-Unis trahit aussitôt leurs intérêts.

Il n’y a probablement pas de différences radicales entre la politique de Ieltsine et celle de Poutine. Toutes les décisions se prenaient par Ieltsine sous l’influence secrète des États-Unis et d’autres États de l’Ouest. Poutine cependant, sous le prétexte de la lutte avec le terrorisme international après le 11 septembre a ouvertement déclaré sa position pro-americaine. La Russie de Poutine rend calmement aux Américains ses sphères d‘influence : les troupes américaines se sont établies dans les anciennes républiques de l’union Soviétique – en Ouzbékistan, Kirghizstan, Tadjikistan, ils ont atterri leurs militaires en Georgie et au Kazakhstan et aussi selon l’entente avec le Kremlin et Bakou se sont mis à la construction de systèmes de localisation de radars pour leur système anti-missile en Azerbaïdjan. Les pays Baltes sont devenus des membres de l’OTAN. Le régime de Poutine dépend entièrement de ses principaux commanditaires, il ne joue aucun rôle autonome sur l’arène mondiale.

La situation politique intérieure de la Russie de Poutine est caractérisée par le fait que le pouvoir y est concentré entre les mains des fonctionnaires bureaucrates, les anciens membres du PC. Des néo-libéraux et des oligarches qui ont reçu beaucoup de libertés sous Ieltsine sont maintenant complètement écartés du pouvoir et perdent clairement dans la concurrence avec les bureaucrates.

Malgré les déclarations optimistes à la télévision, les faits ne parlent pas du tout en faveur de Poutine. En quatre ans de son pouvoir la population de la Russie a diminué de deux millions. De la carte de la Fédération de la Russie ont été rayés environ neuf cents points habités; des petites villes de la Sibérie et de l’Extrême-Orient où après l’effondrement de l’URSS toute perspective de vie a disparu. Sur le trajet Kaliningrad-Moscou un régime de visas a été implanté, la situation de la population russophone dans les pays du CIE et des pays Baltes s’est aggravée. Sur le compte de Poutine il y a le sous-marin coulé « Koursk », les maisons explosées dans les villes russes, l’interminable sanglante boucherie de la guerre de Tchétchénie, l’effondrement des restes de l’ancienne armée Soviétique, le « Nord-Ost » de Moscou… et beaucoup d’autres coups manqués honteux et irréparables.

Maintenant, à la veille des élections présidentielles, notre Parti organise le mouvement social « Russie sans Poutine » dont le président est Édouard Limonov. L’activité du mouvement est dirigée vers l’empêchement d’une réélection de Poutine pour un second mandat par le moyen d’un boycott des élections.

Rébellion. Comment évaluez-vous les résultats des dernières élections parlementaires en Russie?

J’évalue les élections qui ont eu lieu ainsi que leurs résultats comme un crime organisé qui a été conduit contre les citoyens de la fédération de la Russie. Les termes de la lutte préélectorale ont été inégales dès le début. Des gigantesque ressources administratives (c’est à dire les moyens émis par l’État pour les dépenses préélectorales) étaient à la disposition du parti « Russie Unie » qui a reçu l’absolue majorité des voix.. Longtemps avant le début officiel de la campagne préélectorale, la « Russie Unie » s’est positionnée comme « le parti au pouvoir » et a insolemment usé de ses privilèges. Les média-clé de l’information, pratiquement monopolisés par l’État sont devenus le haut-parleur de leur propagande obsessive. De la part d’observateurs indépendants sur les secteurs électoraux et de simples citoyens dans plusieurs régions de la RF nous avons reçu de l’information sur des effractions les plus criantes au cours des élections, la violation des droits civils des électeurs. Par exemple nous connaissons des faits de contrainte des employés d’une entreprise quelconque, de professeurs sous peine de congédiement ou de non payement de salaire de voter pour « Russie unie » en présence de la direction. Dans des secteurs électoraux on jetait dans les urnes des bulletins supplémentaires avec des voix pour «Russie Unie ». Directement sous les yeux des observateurs qui en essayant d’arrêter le laissez-faire se faisaient éjecter du secteur de force, sous prétexte, par exemple, de l’invalidité des papiers d’identification de l’observateur. Les mêmes falsifications se produisaient aussi lors des comptes de voix. 

Quelle attitude peut-on avoir face à de telles élections?

Ces élections étaient prévisibles mais ils ont même surpassé nos attentes. Le pouvoir s’est fait tellement arrogant qu’il a « massacré » toute l’opposition – non seulement le Parti communiste qui depuis longtemps était un mort politique, mais aussi les miséreux « Yabloko » et « L’union des Forces de Droite » qu’on aurait pu placer au moins comme camouflage. Les partis qui ne plaisaient pas au pouvoir, PNB entre autres, ont été tout simplement ignorés : en nous refusant l'enregistrement le Minjust a déclaré une active organisation de plusieurs milliers de personnes tout simplement inexistante. Les autres ont été neutralisé par la barrière du 5%, qui selon nos lois permet aux seuls partis qui la dépassent d'obtenir des sièges à la Douma.

Rébellion. Quelle conclusion peut-on tirer de l’expérience des années soviétiques?

Nous, les nationaux bolcheviks de la Russie faisons à present la suivante conclusion : la révolution de 1917 n’était pas si radicale que la présentent divers historiens et média de masse. Sous l’action du facteur externe et des mauvaises traditions russes le projet du nom de « révolution » est tombé. Depuis les dernières années du pouvoir de Staline, la décomposition d’un passable projet d’un État russe a déjà commencé. La conclusion est assez pessimiste – Il n’y a jamais eu de socialisme en Russie, tout comme maintenant il n’y a pas de capitalisme (cela est décrit en plus de détails dans le livre de Limonov « L’autre Russie »). Et la conclusion positive c’est évidemment que Lénine a crée le précédent d’une telle situation et nous espérons que ce sera possible à nouveau dans l’une ou autre forme. C’est pour cela que nous luttons et croupissons dans les prisons. 

Les questions qui suivent ont été adressées a E Limonov

Rébellion. Récemment vous avez été libéré de prison. Qu’est ce qui a provoqué votre emprisonnement?

D’abord on m’a arrêté à cause des témoignages de Karyagin, accusé sous l’article 222 (achat, possession, et déplacement illégal d’armes) (Dmitri Karyagin, arrêté en mars 2001, résident de la ville de Balashov de la région de Saratov – ed.) Et ensuite le FSB s’est mis au tissage de la toile d’araignée et c’est seulement le 31 août 2001 qu’on m’a soumis des charges sous l’article 205 (terrorisme) et 208 (création de formations armées illégales). En octobre on m’a ajouté encore l’article 280 (appels au renversement de l’ordre constitutionnel).

Tous ceux qui étaient présents au procès ont pu s’assurer qu’il était question de textes littéraires. Il était question de trois documents sous le nom de « PNB-info », d’autres articles, le procureur a même demandé d’ajouter à l’affaire la requête pour l'interdiction du journal « Limonka ». Le journal aurait été interdit à cause de mes articles, des chapitres d’un livre déjà écrits en prison. Seulement le tiers, l’article 222, avait un rapport avec la réalité : des vraies mitraillettes, de vraies armes. Ils parlaient de texte, de paragraphes, de qui était l’auteur de ce texte, qui l’auteur d’un autre, etc. Cela rapproche mon affaire de celle de Chernichevsky. Car là c’est pareil, autant bizarre que ça puisse paraître. Je l’ai bien étudié et je sais qu’il a été arrêté le 7 août 1862 pour une proclamation, elle s’intitulait « Aux paysans du seigneur », cette proclamation n’était même pas écrite par lui-même. Elle a été écrite par Mihailov. Ensuite il y avait le provocateur Kostomarov qui prétendument allait imprimer cette proclamation à la typographie. Il y avait une lettre, saisie à la frontière, de Herzen, adressée à Serno-Soloveyich, dans laquelle Chernichevsky était mentionné. Il s’agissait de la publication du « Contemporain » à Genève ou quelque part dans l’Ouest. Nous aussi nous avons une lettre interceptée à la frontière du citoyen français Morignac. C’est surprenant et frappant que 140 ans plus tard il y a pratiquement le même précédent. Après le pouvoir Soviétique, après la Grande révolution d’octobre, 70 ans de dictature du prolétariat on voit soudainement que nos braves services secrets se sont tournés vers des méthodes vieilles de 140 ans. Dans l’affaire Chernichevsky il y a 130 rapports de police sur une surveillance externe. Il était suivi depuis l’automne 1861. Deux ans il était entretenu dans la forteresse Petropavlovskaia, où il a écrit son fameux « Que faire? » et ensuite a été jugé à 20 ans de bagne. Pratiquement, l’État l’a détruit. En plus ce n’était pas n’importe qui, c’était un démocrate révolutionnaire comme l’ a appelé Lénine. C’était l’un des hommes les plus brillants de son temps. Et voilà qu’on découvre 140 ans plus tard des méthodes exactement identiques. 

Je fus confronté avec la monstrueuse cruauté de l’État, de plus avec une cruauté si stupide et aveugle qu’elle détruit complètement tout. C’est surprenant qu’au cours du procès le procureur affirmait plus d’une fois qu’il était d’accord avec nos idées. S’il est d’accord, alors pourquoi nous juge-t-on? Pour les méthodes, comme dit le procureur. Mais nous n’avons même pas pu appliquer nos méthodes on ne nous a pas donné cette chance. Et pourtant on nous jugea pour les intentions, même si on ne peut juger pour l’intention. Malgré cela, telle est cette monstrueuse cruauté. 

Rébellion. Quelles étaient les conditions de votre détention en prison?

C’est difficile autant en prison qu’en camp. Je suis passé dans trois prisons et dans un camp. Bien-sûr c’est difficile, évidemment. C’est à dire l’idée qu’on se fait du prisonnier russe comme un martyr reste vraie car de toute façon les traditions de bourreaux qui étaient dans la société russe se sont conservées. Tu te fais prendre dans les mains du pouvoir – il te presse, te bouffe comme un chien, et est satisfait. Il m’a mâché durant deux ans et quelque, m’a mâché une troisième année encore – ils n’ont rien prouvé et m’ont recrachés.

Je peux comparer les conditions de détention dans le SIZO de Sratov seulement avec la prison de Lefortovo, je suppose que pour des conditions russes, j’étais entretenu normalement. Dans une cellule de 4 places – environ neuf mètres – nous étions trois. Mes co-détenus étaient là pour vol et banditisme, d’après ce que je sais. En passant, ils ont lu certains de mes livres. Des promenades une fois par jour, colis de l’extérieur pratiquement en quantité illimitée. On m’offrait les livres de la bibliothèque que je demandais : les lettres de Lénine, Herzen, et autres. Dans la cellule j’avais une télévision, offerte par Viktor Alksnis. Je suppose que si j’avais étais un détenu ordinaire les conditions auraient été un peu plus mauvaises.

Rébellion . Comme écrivain, entretenez-vous des relations avec les milieux culturels en Russie?

Édouard Limonov entretient des relations avec les milieux culturels en Russie mais très sélectivement, puisque même après qu’on la chargé des plus odieuses accusations quand il était en prison plusieurs personnes des arts russes ont gardé le silence. D’ailleurs même avant cela il s’entretenait et était ami avec des personnes qui lui sont proches par l’esprit, et ceux-là sont peu nombreux. Chez nous nous avons plusieurs membres du parti qui rentrent dans les milieux culturels et se sont des poètes et des musiciens. Natalia Chernova qui a attaqué le premier ministre Kassyanov est une poète et une peintre. Lukovnokova qui a attaqué le gouverneur de St Petersbourg est une poète connue.

Rébellion. Comment évaluez-vous l’existant mouvement des anti-globalistes? Est-ce que ses échos atteignent la Russie?

Je dirais tout de suite qu’en Russie dans le genre qui existe chez vous en Europe, il n’y a pas et ne peut avoir d’anti-globalistes. Ce n’est pas actuel. Il y a bien sûr des petits groupes sous la direction du Parti communiste. D’habitude ils se rencontrent seulement pour une conversation autour d’une tasse de thé. Chez nous, pour survivre en tant que force politique il est nécessaire qu’il y aie un parti et non seulement un parti mais un organisme vivant. Les gens doivent être dévoués à des idéaux, fanatiques. Prêts à se sacrifier s’il le faut. Et évidemment, moins de mots et de débats sur la théorie, mais plus d’action. Comme a dit un jour Édouard Limonov : « Il n’y a plus de gauches ou de droites, il y a le système et les ennemies du système. » Pendant que nous discutons, qui avait la plus juste politique, Lénine or Staline, Castro ou Mao – le système anti-national sans face du bureaucratisme mondial nous digérera, nous détruira. Bien sur, comparé avec notre lutte (nous avons eu environ 10 tués et plus de 50 personnes ont passé du temps en prison) les manifestations de plusieurs milliers d’anti-globalistes bien nourris provoquent le sourire. Puisque cette quantité de gens pourrait facilement organiser une révolution et aucun policier ne pourra les arrêter. Reste à espérer que les idées du national-bolchevisme seront acceptées par la tumultueuse jeunesse de l’Europe et des organisations plus sérieuses et plus méchantes apparaîtront.

Rébellion . Croyez-vous que la Russie jouera encore son rôle dans le futur de l’Europe?

Bien sur. Si nous arriverons à changer le présent cours de Poutine et de la classe dirigeante alors en Europe aussi on pourra s’attendre à un débordement des mouvements radicaux. C’est déjà arrivé une fois en 1968 après la fameuse opération de Mao. La jeunesse de la France a été allumée par les idées d’une révolution sociale. Bien que la réaction contraire serait aussi possible puisque les média de masse vont nécessairement noircir notre mouvement. Mais si la politique de Poutine et de sa bande va continuer (et il veut rallonger le mandat de pouvoir jusqu’à 7 ans, ce nouveau tsar) alors il y a une possibilité de désagrégation de la Russie. Avec cette option les conséquences pour l’Europe seront désagréables.

 

Edouard Limonov, PNB, parti national bolchevik, limonov


26/07/2011

Histoire critique du Marxisme

Une chronique sur le dernier livre de Costanzo Preve ( à paraitre dans le numéro 49 de la revue Rébellion). 

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Nous voici enfin dotés d'une traduction en français d'un livre important et récent (2007) du philosophe italien que nos lecteurs connaissent un peu à la suite d'un entretien qu'il nous avait accordé ainsi que par le compte rendu d'un de ses ouvrages, publié dans nos colonnes. Il s'agit dans cette étude d'interpréter l'immense phénomène historique appelé "marxisme" - terme ignoré par Marx, rappelons-le - dont on peut faire remonter le début à 1875, date de fondation du Parti social-démocrate allemand, et noter la fin en 1991 lors de la dissolution peu glorieuse de l'URSS dans l'alcool et le vomi. Notre camarade turinois applique à son objet d'étude la méthode marxienne elle-même, ce dont peu de marxistes se sont souciés de faire jusqu'à présent. En ce sens ce travail est une histoire "critique" au sens originel, philosophique, d'examen, d'évaluation et d'interprétation et non une simple recension de courants et d'auteurs qui pour intéressante qu'elle fût n'en serait pas moins interminable tout en manquant probablement l'essentiel. Car la question est bien de savoir si l'horizon du capital est indépassable. Bien sûr que non, malgré les échecs du "communisme" mais qu'il faut alors analyser sérieusement "sans se raconterd'histoire". On ne peut en imputer absolument la responsabilité à Marx - ce qui arrangerait bien les capitalistes et ses commis idéologues - qui laissa une oeuvre en chantier, avec par conséquent des incertitudes, des approximations bien compréhensibles sur le plan humain. Cela ne signifie pas qu'il existe un "vrai Marx" vers lequel il faudrait faire retour; depuis le temps qu'on le cherche quelqu'un l'aurait quand même peut-être exhumé. Il est plutôt utile d'avoir recours à une compréhension intelligente de ce qu'il a réellement écrit, et en particulier, comme nous le disions, en l'appliquant à l'histoire du mouvement révolutionnaire lui-même.

Il faut toujours débuter par la philosophie, telle est la conviction de l'auteur, car elle traite des principes sans lesquels on ne peut raisonnablement penser et se diriger vers un contenu de vérité. C'est déjà beaucoup dans un monde hostile par sa nature aliénée à toute réflexion authentique. Cela nous change un peu des élucubrations pressées des grands penseurs autoproclamés. quel est le modèle philosophique de l'époque précédant celle de Marx? Ce sera le modèle de la modernité, celui qui accompagnera la constitution du mode de production capitaliste et qui lamine tout sur son passage de nos jours. Il éliminera les modèles traditionalistes et contractualistes encore en concurrence avec lui au 18° siècle parce qu'il s'accorde au mieux avec l'économie politique; c'est l'utilitarisme. Le représentant le plus connu en Economie de ce courant philosophique de l'école écossaise est Adam Smith (on lit moins ses travaux philosophiques que son texte sur "la richesse des nations" de nos jours). L'économie est alors "désincorporée" des structures globales de la société pour devenir "souveraine", c'est le monothéisme de marché se justifiant chez Hume par la tendance naturelle de l'homme à échanger; "lecapitalisme est finalement fondé sur l'habitude" (p.63) et la critique de la métaphysique cartésienne par le penseur écossais (rejet de la substance individuelle pensante, du cogito) fait de l'homme "un flux de désir,d'aspirations et de décisions qui corresponde exactement au flux qui s'instaure entre le pôle de l'achat et celui de la vente" (p.63). En réalité, la critique de la métaphysique dogmatique à base de réflexion gnoséologique chez Hume fonde une nouvelle métaphysique de l'Economie politique moderne. Hegel en fut conscient et Marx fut probablement plus proche de ce dernier qu'il ne le crût. L'auteur tient à montrer que Marx ne créa pas un système mais simplement "un ensemblecohérent de concepts" (p.72), donc pas de doctrine achevée car il ne le voulut pas. Contre la vulgate marxiste, Preve rappelle l'influence de la conception de la liberté d'Epicure et de Spinoza sur le jeune philosophe de Trèves. Afin de montrer en quoi le marxisme fut une impasse, il faut réévaluer ce que ce dernier dit des sources et fondements de la pensée marxienne. Contrairement à ce qui a été écrit à ce sujet, le rapport à Hegel ne serait pas celui d'un renversement de sa dialectique remise sur pieds comme Marx l'écrivit hâtivement mais son application correcte à un nouvel objet c'est-à-dire "à la dynamique interne immanente [...] du mode deproduction capitaliste" (p.79). Son matérialisme n'est pas celui issu du 17° siècle dans sa version cartésienne de l'espace abstrait analogue à ce que sera l'espace du marché. Contre la thèse althussérienne rejetant le concept d'aliénation, résidu de l'idéalisme du jeune Marx, il faut au contraire montrer l'importance et l'originalité de la thèse marxienne élaborant le couple valeur/aliénation. (1). L'aliénation ne désigne pas la perte issue de la scission interne d'une totalité harmonieuse de l'Origine mais d'un point de vue anthropologique et ontologique, celle de son "être en possibilité" (héritage aristotélicien souvent oublié). Le prolétariat se voit ainsi investi - ce qui est certes problématique - d'une mission philosophique qui est, comme le disait Lukàcs, de réaliser le genre-pour-soi, effectuation des possibilités génériques de l'homme.

Le proto-marxisme (1875-1914) sera bien loin de saisir une telle problématique malgré le cerveau génial d'Engels encore ancré dans l'héritage classique du début du 19°siècle et dans la perspective révolutionnaire. Mais le vieux compagnon de Marx et surtout Kautsky ne pouvaient s'abstraire du contexte de l'époque, d'une "commettance indirecte" venant de la part d'une classe ouvrière allemande très organisée mais empêtrée dans sa subalternité sociale et qui se contentait plutôt d'une vision religieuse du monde qui lui sera effectivement fournie sous l'étiquette de marxisme. Théorie du reflet de la matière dans la pensée, conception plutôt positiviste de la philosophie, réduction de la dialectique à une méthode formelle, une économie politique de gauche (utilitarisme!) au lieu d'une critique de l'économie politique seront les ingrédients entrant dans le canon proto-marxiste. Celui-ci articulera finalement deux grands axes de pensée. Un modèle traditionnel de superposition entre "macrocosme naturel et microcosme humain" (p.123) d'une part et attribution à la temporalité historique d'une téléologie immanente foncièrement messianique, d'autre part. La première idée a été théorisée par la conception unitaire de la dialectique englobant le monde naturel et humain qui justifie ainsi la seconde par une vision nécessitariste du cours des choses et de l'histoire. Cela permettra à Kautsky de conserver "l'orthodoxie des fins", le socialisme au terme du processus historique, tout en acceptant les louvoiements qui seront propres à la dérive débouchant sur l'acceptation de la guerre en 1914. Parmi les penseurs qui réagiront contre cette tendance au réformisme, Lénine innova en substituant le Parti à la Classe qui ne pouvait s'élever à la hauteur de la conscience théorique des enjeux de l'époque. Avec le recul cela pose la question de l'impossibilté pour le prolétariat d'être une classe "intermodale" (propre à assurer le passage d'un mode de production à un autre) comme le fut la bourgeoisie ascendante. Aussi le marxisme intermédiaire (1914-1956) fut-il un "phénomène religieux" non pas dans un sens dépréciatif mais positif, puisqu'il permit non de construire le communisme qui n'est pas une construction mais de réaliser "une nouvelle société classiste inédite" (p.158) qui servira de transition au stade capitaliste actuel. Cette période est finement analysée grâce à une classification en trois courants marxistes nommés zélotes, pharisiens et esséniens, soit respectivement ceux conservant l'orthodoxie des fins mais s'adaptant cyniquement à tous les compromis (social-démocratie classique), puis ceux agissant réellement pour transformer le monde (staliniens et trotskistes) et enfin les plus fidèles à l'esprit marxien (communistes de conseils et tous les courants critiques de cet ordre). Cela ne délégitime pas, néanmoins, la révolution d'Octobre, réponse grandiose à la boucherie impérialiste de 14. L'auteur propose une interprétation de la période soviétique qui pourra paraître paradoxale, en se basant sur la thèse signalée de l'impossibilité pour le prolétariat d'être une classe intermodale : la transition au communisme échoua "non parce que la classe ouvrière aurait été 'expropriée' par une couche parasitaire de 'bureaucrates' la trahissant (interprétation trotskiste), mais précisément pour la raison opposée, c'est-à-dire par le fait que le prétendu 'stalinisme', nonobstant ses aspects totalitaires [...] fut historiquement le plus grand exemple dans l'histoire universelle d'une domination réelle de la classe ouvrière et prolétarienne, étant donné les conditions spatiales et temporelles d'alors". (p.186).

La période de "dissolution" du marxisme est celle du marxisme tardif (1956-1991) que Preve envisage sous l'angle philosophique (Sartre, Lukacs, Althusser) et politique (maoïsme, euro-communisme). Les trois philosophes cités s'affrontèrent au problème du dépassement de la vulgate marxiste ; les solutions envisagées s'avérèrent inopérantes néanmoins. Sartre tenta de réactualiser à sa façon l'idée d'une avant-garde sous le mode sujectiviste propre à sa conception de l'existentialisme, Althusser fit retour à l'épistémologie, version somme toute positiviste et refusa tout recours à l'analyse de l'aliénation de la généricité humaine. Le Lukacs de "l'Ontologie del'Être social" conçut un projet plus intéressant mais échoua sur une "limiteinfranchissable" en restant "enchaîné à la dichotomie de Engels(matérialisme/idéalisme) et à l'équation de Lénine (philosophe=idéologie)." (p.202). Quant au niveau politique, le marxisme tardif est avant tout marqué par l'expérience du maoïsme révolutionnaire, très importante sous l'aspect anti-impérialiste et anti-colonialiste. La réponse de Mao à la crise du marxisme, à la question de la force pouvant dépasser le mode de production capitaliste ne sera pas plus satisfaisante que les précédentes mais l'auteur pense que celui-ci avait cerné "l'essence du problème. Le péril d'une restauration capitaliste, en fait, ne se trouvait pas parmi les vieux démons de la vulgate marxiste intermédiaire (la petite production mercantile, les négociants privés, les paysans qui vendaient leurs quelques marchandises sur le marché, les petits-bourgeois qui croyaient à l'autonomie de la culture et de l'art et autres délires), mais résidait dans un lieu jusqu'alors soustrait à l'analyse théorique, c'est-à-dire le parti communiste." (p.210-11). A côté du chaos produit par certains aspects de la Révolution culturelle voisinèrent quelques lueurs proches de la pensée marxienne comme la critique des dockers de Shangaï : "à bas la néfaste théorie des forces productives". Le maoïsme occidental saisit correctement la mutation à l'oeuvre au sein des partis communistes traditionnels avec le développement en leur sein de structures prêtes à entrer au service "directement du grandcapital financier" mais il resta prisonnier de son conservatisme doctrinal. Quant à l'euro-communisme à la sauce italienne et la perestroïka de Gorbatchev, ils traduisirent la médiocrité du projet et des hommes le portant.

Comment analyser le phénomène ayant rendu impossible tout redressement révolutionnaire de cette situation? Tout d'abord la dynamique capitaliste n'a jamais été celle de l'intégration de la classe ouvrière comme l'affirmèrent certains esprits pressés mais au contraire celle de "la désintégration" vers l'individualisme, de la fin des identités collectives avec une recomposition orchestrée autour de niveaux de consommation inégaux et de formes de socialisation que nous pourrions appeler spectaculaires au sens de Debord. Par contre il y eut une intégration de la couche sociale des intellectuels (2) se servant peu justement de leur intellect... Ceux-ci se caractérisent par l'adoption d'une idéologie anti-bourgeoise (contre les valeurs traditionnelles) et super-capitaliste (libertarisme sociétal). En conséquence de ce double processus, les "couches politiques professionnelles communistes se sont trouvées sans base sociale [...] en caleçon le cul par terre." (p. 216).

Le dernier chapitre de l'ouvrage présente le dilemme irrésolu à ce jour d'une époque post-marxiste ou d'une refondation de celui-ci. L'auteur tient à écarter les illusions encore tenaces ; rien de positif ne sortira des partis de gauche, des groupes sectaires et fondamentalistes du marxisme ni du milieu universitaire, tous incapables d'innovation créatrice. Il faudra alors être attentif aux caractères essentiels du système capitaliste contemporain qui derrière le concept de mondialisation "acaché l'importance de l'intervention étatique en économie" (p. 241), à la complémentarité du capital industriel et financier, le second prenant le pas sur le premier et à la flexibilisation, précarisation, du travail salarié, véritable triomphe du modèle utilitariste et du processus d'individualisation capitaliste. Dans notre société règne désormais "le principe métaphysique de l'illimitation,plus exactement de la norme de l'accumulation illimitée du capital." (p. 245). Comment y résister? La référence sous-jacente à la critique du capitalisme pendant deux siècles, au sein du mouvement révolutionnaire, sous-jacente elle-même au canon marxiste, a été celle du droit naturel fondant l'idée de justice sociale.Toutefois, la base matérielle portant cette idée, les classes artisanales et paysannes en tant que communautés issues de la période pré-capitaliste sont en voie de liquidation achevée. Il est donc inutile de rêver de ce côté-là. Costanzo Preve indique quelques axes forts de la critique à mener concernant la domination impériale des Etats-Unis, économique, militaire et culturelle. La forte identité culturelle américaine d'un point de vue "darwinien" combine l'identité d'une aristocratie pré-bourgeoise protestante-puritaine dominante à celle d'une plèbe post-bourgeoise américanisée dominée (plébéisation sociale généralisée post-prolétarienne). L'auteur ne pense pas qu'une réponse monoclassiste à cette situation puisse être possible. "On peut peut-être attendre quelque chose des résistances politiques et culturelles à base nationale." (p. 260). On ne peut qu'approuver tout en continuant avec l'auteur de s'interroger sur l'issue communiste qui signifiera encore et toujours le dépassement de l'extranéation-manipulation-réification de la vie humaine.

L'ensemble est précédé d'une préface de Denis Collin et suivi d'une excellente postface d'André Tosel ouvrant des perspectives de réflexion à partir des travaux de Preve.

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NOTES:

1) A la traduction d'Entfremdung par "aliénation" nous préfèrerions la traduction par "extranéation" rendant mieux l'dée d'étrangeté et d'éloignement de l'activité, du produit de celle-ci et du lien social qui caractérise la position du prolétaire dans le monde capitaliste.

2) Cela n'est pas sans rappeler certains aspects de la critique énoncée par le polonais Jan Waclav Makhaïski au tournant des 19° et 20° siècle et pour lequel l'idéologie socialiste dissimulait les intérêts d'une classe ascendante, celle des travailleurs intellectuels, les "capitalistes du savoir" prêts à gérer le nouveau système à mettre en place. Une différence néanmoins avec notre temps, nos "intellectuels" sont bien plus incultes qu'alors et vivotent dans une bouillie médiatico-culturelle au sein de laquelle ils récoltent quelques subsides pécuniaires et de représentation spectaculaire que veut bien leur concéder le système afin de les occuper.

On peut lire de Makhaïski : le socialisme des intellectuels.Les Editions deParis. 2001. 332 p.