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27/05/2015

Hommage des Cercles Rébellion à la Commune de Paris devant le Mur des Fédérés – Mai 2015

 

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Au moment où le Pouvoir actuel accélère la destruction de l’enseignement de l’Histoire dans les collèges et lycées du pays, voire lui donne le coup de grâce – cet enseignement étant déjà réduit à des miettes de notions éparses et appauvries au maximum –, il est plus que jamais essentiel de commémorer le souvenir de la Semaine sanglante, issue dramatique de la Commune de Paris. La clique dirigeante actuelle déteste l’Histoire et sa transmission aux nouvelles générations. Le peu d’Histoire qui ait encore droit de cité dans les programmes scolaires concerne la connaissance de l’islam, l’esclavage, la colonisation et la Shoah. Le reste peut et doit passer précisément aux « poubelles de l’Histoire ». C’est en effet très ingénieux si l’on souhaite définitivement maintenir les populations dans une oppression implacable en les condamnant à un imaginaire centré sur un Présent manipulé. La date de mise sur le marché du dernier iPhone ou les frasques des people tiendront désormais lieu d’événement « historique ».

A n’en pas douter, le souvenir du massacre des derniers îlots de résistance des Communards lors de la Semaine sanglante du dimanche 21 au dimanche 28 mai 1871, ne fera pas partie des événements que notre République affairiste et corrompue souhaitera maintenir vif dans les consciences. Lorsque par le Passé, la République bourgeoise a utilisé la mitraille dans ses diverses opérations de maintien de l’ordre, l’Etat moderne contemporain, tellement soucieux de commémorations culpabilisatrices, devient soudain étonnamment amnésique. En effet, cet Etat méprisable se donne à peu de frais bonne conscience, car qui pourrait décemment vanter en 2015 les mérites de l’esclavage, du colonialisme ou encore de ratonnades antisémites. Evidemment personne. Il peut donc apparaître comme l’apogée de la conscience humaniste – à grand renfort de larmoiement institutionnel – en étant le grand mobilisateur du camp du Bien. Cela permet aussi à l’Etat de s’octroyer un blanc-seing pour ses exactions présentes et futures. Comment pourrait-on l’accuser d’une forme de totalitarisme soft dès lors qu’il vitupère tant les ignominies d’antan. Pourtant, il ne manquerait pas de renouveler les méthodes de répression les plus criminelles si demain, par enchantement, les Français d’en bas, « sans-dents », décidaient d’en découdre avec les forces dirigeantes. Faisons-leur confiance, comme en 1871, ils trouveraient alors les meilleures raisons du monde pour justifier la répression la plus sauvage.

Ce fut précisément le cas lors de l’insurrection populaire qui débuta en mars 1871 et dura un peu plus de deux mois seulement jusqu’à l’écrasement final lors de cette semaine fatidique. Pendant cette courte période, une majorité de Parisiens composée d’ouvriers, d’employés, d’artisans, de « petits-bourgeois » se mobilisa face aux trahisons d’un gouvernement et d’une Assemblée nationale capitulant devant la Prusse suite à la défaite militaire. Le peuple parisien, qui avait subi un siège éprouvant, la rigueur de la famine et s’était comporté si héroïquement, ne supporta pas l’humiliation et les manipulations indignes d’un gouvernement plus préoccupé d’ordre social que d’indépendance et de dignité nationale face aux occupants.

Il n’est pas question dans cette courte allocution de retracer le déroulement et l’analyse de ces deux mois d’insurrection et de Commune populaire. Que l’on retienne surtout que le peuple de Paris essaya de s’organiser par une tentative d’autogestion sur le plan économique et une représentation plus directe de sa direction politique. Confusion, erreurs, carences, contradictions sont le lot habituel de telles tentatives lorsqu’elles sont menées qui plus est dans le rationnement, l’isolement et la menace militaire. De nombreux ouvrages retracent et analysent l’événement depuis les écrits de Marx. Nous ne pouvons donc que conseiller aux curieux d’aller chercher l’information sur ce drame et d’en maintenir ainsi la mémoire et la compréhension. L’Histoire et en particulier celle du mouvement ouvrier est toujours riche d’enseignement.

Soulignons aujourd’hui la force d’un exemple historique d’initiative populaire face à l’oppression politique et sociale, un moment considérable de conscience fragmentaire mais réelle du mouvement ouvrier en actes au XIXème siècle. Saluons aussi avec nos faibles moyens le courage et la détermination de ce petit peuple parisien qui a tant marqué les consciences dans l’Europe de cette époque et même plus tardivement jusqu’à nos jours frileux et atones.

Si l’oligarchie au pouvoir souhaite effacer jusqu’au souvenir de notre Histoire, de l’Ancien régime à des périodes plus récentes, elle ne montrera pas de zèle particulier à maintenir dans la mémoire collective le calvaire de la population parisienne en 1871 avec son cortège de milliers de victimes. Il s’agit pourtant d’un crime commis par la classe victorieuse de 1789, cette bourgeoisie impatiente de renverser la société organisée en ordres pour mieux affirmer sa puissance, n’hésitant pas à réprimer sauvagement le peuple quand il prenait l’initiative pour remettre en question l’omnipotence de la classe de la froide raison marchande.

Nous croyons essentiel d’honorer les morts de la Commune par respect pour cette phase héroïque du mouvement ouvrier du XIXème siècle. Cette insurrection a maintenu tradition et patriotisme, en les unissant de manière originale à une volonté de restaurer la volonté populaire dans un projet d’émancipation économique, malgré toutes les hésitations et faiblesses de l’époque. Dès lors que l’ultralibéralisme contemporain, qui n’est jamais qu’une accentuation de la prédation économique, sévit odieusement de nos jours sans rencontrer de réelle opposition, on ne peut que renouer avec cette tradition ouvrière à des fins de résistance. La pression dans l’exploitation du travail est telle de nos jours qu’elle tend progressivement à nous ramener aux conditions socio-économiques du XIXème siècle. Ainsi, la politique de l’actuel gouvernement, prolongement du précédent et sans aucun doute avant-goût du prochain, est dirigée vers la destruction des quelques avancées sociales dues au CNR en 1945. Avec sa remise en question du Droit du travail, la dérégulation du temps de travail ou encore l’évacuation des prud’hommes, la loi Macron en est un exemple emblématique. Cette formidable régression est rendue possible par l’hypnose des populations, conditionnées par la culpabilisation liée à une dette artificielle et la mondialisation obligée qui met en concurrence tous les peuples de la planète. Elle est malheureusement aussi accompagnée d’une absence totale de conscience de classe des opprimés de ces temps nouveaux. L’intelligence moyenne, du fait de l’abrutissement organisé par les médias et l’industrie du divertissement de masse, a amplement reculé et il y a désormais une totale béance entre la conscience de l’ouvrier parisien de 1871 et l’anomie dans laquelle végète le plus souvent l’exploité de 2015. Au préalable, il avait bien fallu soumettre ce petit peuple parisien et le dissoudre géographiquement, d’abord grâce aux violences de l’urbanisme concentrationnaire des années 60 puis par son expulsion définitive hors de Paris dans les années 70.

On ne peut que souhaiter le retour de la critique sociale de manière radicale afin que ce monde ignominieux et dépourvu de style, misérable dans ses plaisirs et ses intérêts, image de la médiocrité de ses dirigeants infatués et bornés, soit abattu. La catastrophe, c’est-à-dire le début d’une profonde déshumanisation dans l’inconscience générale, a déjà eu lieu et se renforce de manière continue. Il s’agit désormais de tenter de la faire reculer.

Saluons encore une fois les victimes de la Semaine sanglante et le courage du peuple parisien de 1871 en espérant raviver, même dans ces conditions d’extrême confidentialité, le flambeau de ce vieux projet d’émancipation.

Et osons scander que décidément « la Commune n’est pas morte ».

 

Texte de l'hommage au Mur des Fédérés par Patrick Visconti

 

 

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Réflexions sur la Commune de Paris : Les Héros du peuple sont immortels !

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Devenue un mythe pour le mouvement ouvrier, la Commune de Paris a fait l’objet d’une multitude d’attaques et de récupérations. Aujourd’hui avec l’oubli progressif des enseignements de l’Histoire, son souvenir est menacé de disparaître derrière les vitrines poussiéreuses de musées ou d’être dénaturé par ses fossoyeurs. Il nous paraît important de revenir sur cet événement fondateur de notre courant de pensée, de réfléchir à ce qu’il fut réellement et d’en tirer de vigoureuses leçons pour notre combat actuel. La Commune fut une révolution mue par le patriotisme, porteuse d’une conception du socialisme hostile à la centralisation étatique et animée par l’amour de la justice et de la liberté. Elle n’a pas jailli ex-nihilo le 18 mars 1871.C’est le fruit d’une longue maturation, de la conjonction d’un crise sociale profonde, d’une catastrophe et de l’engagement d’hommes et de femmes portés par une foi inébranlable dans la Révolution.

 

Le Paris populaire se lève

La crise sociale est le fruit de cette colère populaire devant une bourgeoisie qui s’enrichissait seule, soutenue par le Second Empire puis par Thiers. Et face à cette classe arrogante de plus en plus riche, nous avons une population ouvrière dont la condition ne cesse de se dégrader. De 1852 à 1870, l’indice moyen des salaires parisiens a augmenté de 30 % alors que le coût de la vie a progressé de 42 %. La catastrophe, c’est la défaite de Sedan devant les Prussiens, le 2 septembre 1870. Le régime de Napoléon III s ‘effondre lamentablement à la suite d’une guerre mal préparée. Deux jours plus tard le peuple parisien chasse les derniers fonctionnaires de l’Empire. Mais les politiciens beaux parleurs s’empressent de reprendre les choses en main. Comme en 1789 et en 1848, le pouvoir est confisqué par la bourgeoisie. Dès lors, elle ne pense qu’à capituler, car, les hommes du nouveau gouvernement «  haïssent moins les Prussiens que les ouvriers ». La peur les gagne quand ils voient que les éléments les plus résolus du Peuple – ouvriers et artisans ainsi que les petits commerçants des faubourgs parisiens- veulent poursuivre la guerre et libérer le pays de l’envahisseur. Regroupés au sein de la Garde Nationale, ils réclament des armes pour résister. Jules Ferry, membre du gouvernement, dira avec mépris : « on ne met pas des armes dans les mains de tant de mauvais sujets ». Dans la capitale, on ne compte plus les associations de quartiers, patriotiques et révolutionnaires, qui s’organisent pour faire face à la menace prussienne. Les milieux ouvriers des grandes villes travaillés par les activistes révolutionnaires (principalement blanquistes) sont les plus ardents pour refuser un armistice qui mutilerait le pays et pour réclamer, comme en 1792, une levée en masse afin de défendre la patrie en danger. Après que le siège fût mis devant Paris, ils mèneront un combat héroïque de cinq mois. Malgré la famine et le froid de l’hiver, les Parisiens tiennent bon. Mais pendant ce temps, le gouvernement négociera en sous main avec Bismarck et refusera de venir à l’aide de la capitale. C’est l’immonde Thiers, l’homme des grands patrons et des banques, qui se voit confier la direction des négociations. Thiers c’est encore ce politicien sans scrupule, élu par républicains et conservateurs réunis, celui qui en 1850, voulut supprimer le suffrage universel en faisant retirer le droit de vote à trois millions d’indigents qu’il traitait de « vile multitude ». Son but est clair : « Faire la paix et soumettre Paris ». La capitulation est signée le 28 janvier 1871. Les souffrances et les pénuries accumulées, la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine et le versement d’une indemnité de guerre de cinq milliards de francs, rendent la défaite odieuse et inacceptable à beaucoup. Le patriotisme révolutionnaire de la Commune se nourrira d’un terrible symbole : l’entrée des troupes allemandes victorieuses dans Paris sous la protection apparente des troupes restées fidèles au gouvernement. L’élection douteuse d’une assemblée acquise à cette politique défaitiste donne les pleins pouvoirs à Thiers pour rétablir l’ordre. Sa première mesure est de supprimer la Garde Nationale et de tenter de la désarmer. En même temps, il réclame le paiement immédiat des loyers, suspendu durant le siège et des dettes des artisans et petits commerçants. Face à cette provocation intolérable, le Peuple s’unit. Les événements s’enchaînent dès lors rapidement. Dans la nuit du 18 Mars, l’armée régulière tente de s’emparer des canons de la Garde Nationale sur la Butte Montmartre. Mais l’opération échoue dans la confusion, en particulier grâce aux femmes des quartiers populaires, des travailleuses parisiennes accourues pour bloquer la confiscation des canons. Les soldats fraternisent avec la foule et rejoignent les gardes nationaux. Le gouvernement, Thiers en tête, détalle dès l’annonce de la nouvelle et se réfugie à Versailles sous la protection de l’Armée. Le Peuple s’insurge et proclame la Commune, le pouvoir aux travailleurs.

 Le Pouvoir au Peuple !

Durant 72 jours, le peuple de Paris va entreprendre une expérience sans précédent dans l’Histoire. Un témoin, Arthur Arnoul, rapporte ainsi cet élan libérateur : «  A l’Hôtel de Ville, il y a des hommes dont personne ne connaissait les noms, parce que ces hommes n’avaient qu’un nom : Le Peuple. La tradition était rompue. Quelque chose d’inattendu venait de se produire dans le monde. Pas un membre des classes gouvernantes n’était là. Une révolution éclatait qui n’était représentée ni par un avocat, ni par un député, ni par un journaliste, ni par un général. À la place, un mineur du Creusot, un ouvrier relieur, un cuisinier, etc. Un pareil fait se produisant à Paris révélait, je le répète, une situation sans précédent dans le livre de l’Histoire, on avait tourné un page, on entamait un nouveau chapitre ». Pour sa part, Jules Vallès dans le Cri du peuple, le journal qu’il dirige et qui sera le plus populaire durant toute la révolte, s’exclame : « La commune est proclamée dans une journée de fête révolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, d'ivresse et de solennité, de grandeur et d'allégresse, digne de celles qui ont vu les hommes de 93 et qui console de vingt ans d'empire, de six mois de défaites et de trahisons. Le Peuple de Paris, debout en armes, a proclamé la Commune, qui lui a épargné la honte de la capitulation, l'outrage de la victoire prussienne et qui le rendra libre comme elle l'eut rendu vainqueur ».Face à la République bourgeoise et versaillaise, la Commune oppose une République Sociale et fédérative. Pour elle, il faut d’abord garantir la justice sociale et l’équilibre entre le pouvoir central et les libertés locales. Un des clubs révolutionnaires, dans une déclaration solennelle, traduit cette volonté : « Il est temps d'en finir avec le vieux monde pourri et corrompu qui vit à nos dépens. Il faut que le travail soit maître ! vainquons et proclamons universellement que celui qui ne produit pas ne doit pas consommer et notre œuvre splendide et grandiose sera reçue comme la délivrance ". Comment décrire la diversité idéologique et sociale des communards ? On peut discerner plusieurs tendances. On retrouve ainsi dans les rangs des insurgés des républicains sincères, encore animés par le souvenir de la « grande révolution » de 1789. Anticlérical viscéral et conscient des questions sociales, leur engagement était porté par l’idéalisme. Plus structurés étaient les blanquistes, activistes révolutionnaires éprouvés, leurs expériences des coups de force n’étaient plus à prouver. Mais l’absence de Blanqui et de leurs principaux chefs, arrêtés par les versaillais, les avaient désorganisés au début de l’insurrection. Ils s’investiront, sous la direction de Rigault et d’Eudes, dans l’organisation de la défense de la ville et seront partisans d’un Comité de salut public devant prendre en main la direction des opérations. L’Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale regroupant les socialistes européens fondés en 1864) avait, elle aussi, souffert de la répression impériale. Les hommes de l'Internationale restent dans l'expectative. En son sein Marx et les marxistes se trouvaient encore en minorité face aux socialistes français inspirés par Proudhon et aux anarchistes regroupés autour de Bakounine. L’attitude méprisante de Karl Marx envers les ouvriers parisiens a vraisemblablement pour origine la vive querelle qu’il entretint avec les représentants français de l’AIT. Durant la guerre, il les abreuva d'insultes et se réjouit de la victoire du militarisme allemand, espérant par là même que l’axe de la révolution s’incline du côté du mouvement ouvrier allemand. L’écrasement de la Commune ne semble pas l’avoir ému outre mesure, bien que par la suite il se solidarisa effectivement avec l’émigration des proscrits parisiens à Londres. Son attitude changera seulement quand il verra l’importance que l’événement avait pris dans l’imaginaire collectif des travailleurs de toute l’Europe. Dans la Guerre Civile en France, il tirera les leçons de cette expérience fondatrice. Parmi les figures les plus marquantes de l’AIT, Eugène Varlin fut célèbre parmi les ouvriers pour sa bonté et sa générosité. Il était aussi reconnu pour son intelligence et sa scrupuleuse honnêteté. Il sera en première ligne jusqu ’aux derniers jours de l’insurrection. À ses côtés, Louise Michel, une institutrice de 41 ans, libertaire convaincue et alors proche des blanquistes, qui fera preuve d’un courage admirable sur les barricades. L’insurrection sut aussi gagner à sa cause quelques aventuriers et soldats perdus comme Louis Rossel, officier patriote qui refusa la capitulation et rejoint le « dernier lambeau de Patrie » que représentait la Commune. Pendant les sept semaines de sa résistance à la marche impitoyable des troupes versaillaises, la Commune fut un creuset d’aspirations généreuses qui se traduisit par toute une série de mesures sociales. Si certaines restèrent au niveau de la proclamation, elles donnèrent sa signification véritable à son combat : Constitution d’une véritable armée populaire autour de la Garde Nationale, abolition de la peine de mort, séparation de l’Eglise et de l’Etat, Justice et enseignement gratuits, réquisition des logements bourgeois vides et remise aux associations de travailleurs des usines, suppression de l’usure, lois améliorant les conditions de travail …

La semaine sanglante

Creuset révolutionnaire, la Commune va succomber sous les coups de ses adversaires et mais surtout à cause de son manque d’organisation. Dès les premiers jours de l’insurrection, l’absence d’une véritable direction se fait sentir. Les hésitations des débuts vont bientôt obliger les communards à se cantonner à la défensive. L’isolement va aussi être fatal à la Commune. Bien que les villes de Marseille, Lyon, Toulouse, Narbonne, le Creusot et Limoges s’insurgent de leur côté, l’intervention rapide de l’Armée impose le calme dans les villes de province. Dans les campagnes, la propagande réactionnaire fait naître la peur des « partageux », des « bandits rouges ». La Commune ne réussit pas à faire l’unité de la nation autour d’elle et à vaincre le conservatisme de la Province rurale. Le Général Galliffet va diriger la répression avec une implacable sévérité. Le 21 mai, après un bombardement en règle, les versaillais entrent dans Paris. Face à 130000 soldats professionnels, la Commune aligne entre 3 et 5 000 combattants gardes nationaux. Le peuple va faire preuve d’un courage fantastique, jusqu’aux femmes et aux enfants qui vont participer aux combats des barricades. Chaque barricade devient en effet un barrage à la marche de l’Armée, devant cette résistance acharnée les versaillais massacrent sans pitié les prisonniers. Les principales figures de la Commune se retrouvent en première ligne et c’est dans le plus complet désordre que les derniers combats sont livrés. Dans cette folie des erreurs ont pu être commises (l’incendie de monuments ou l’exécution d’otages), mais elles allaient être dépassées en horreur par la répression versaillaise. Les quartiers populaires de la Bastille, de Belleville ou du Temple seront le théâtre de la lutte désespérée d’une poignée de résistants. Retranchés dans le cimetière des Père-Lachaise, les derniers communards seront capturés et fusillés. Au final, on estime à 30 000 le nombre de fusillés, femmes et enfants compris. Pendant plusieurs jours, la Seine est rouge de sang et les jardins publics sont transformés en charnier. Les prisonniers qui ont échappé a l’exécution sommaire, manquent souvent d’être lynchés dans les beaux quartiers. La bourgeoisie versaillaise courageusement accourue, insulte et frappe, parfois à mort, les captifs. Mais la répression ne s’arrête pas là. L’Armée et la Police traquent sans pitié les fugitifs dont beaucoup prendront le chemin de l’exil. Près de 40000 personnes sont arrêtées. Les procès s’enchaînent devant les tribunaux militaires, 270 exécutions et 7500 déportations en Nouvelle-Calédonie s’ensuivent.Mais la bourgeoisie ne sera pas parvenue à briser l’espérance. L’espoir que la Commune a fait naître, sera transmis. Des enseignements seront tirés de cette défaite et les travailleurs partiront de nouveau à l’assaut. À notre tour, nous pouvons prendre exemple sur ces héros du peuple pour mener notre combat pour la libération de l’Europe et la justice sociale.

[article dans Rébellion 19 - Juillet/ Août 2006] 

À lire :

O.P Lissagaray - Histoire de la Commune – La Découverte/Maspero. Karl Marx – La Guerre Civile en France – Poche. Louise Michel - Histoire et souvenirs de la Commune – Stock. Revue Itinéraire - Eugène Varlin – Plusieurs portraits de Communard. Le journal officiel de la Commune de Paris ; Jules Vallès : l'Enfant, le Bachelier, l'Insurgé, les Blouses, Romans disponibles en Folio/poche.Le Cri du Peuple : Roman de Vautrin et album BD de Tardi.

11/05/2015

Entretien avec Francis Cousin : « L’être contre l’avoir ».

 L'AUTEUR VIENT DE PUBLIER UN LIVRE "L'ETRE CONTRE L'AVOIR"SOUS-TITRÉ "POUR UNE CRITIQUE RADICALE DU FAUX OMNIPRÉSENT..." 1  D'UN GRAND INTÉRÊT POUR CE QUI CONCERNE LE REJET DE TOUTE LA DYNAMIQUE NOUS AYANT CONDUIT JUSQU'À L'ÉPOQUE CONTEMPORAINE DE LA POURRITURE ENVAHISSANTE DU CAPITAL ET NOUS PROPOSE DE NOUS RÉENRACINER DANS L'ANCESTRALE RÉSISTANCE À LA DICTATURE DE L'AVOIR AFIN D'ABANDONNER CELLE-CI ET DE LA SURMONTER DÉFINITIVEMENT.

 

Rébellion/ Même si un communiste authentique ne ressent pas la nécessité de mettre en avant des détails autobiographiques, vous serait-il possible d'évoquer les étapes de votre prise de conscience vous ayant conduit au communisme ?

Francis Cousin/ Au début des années 1970, juste au sortir de la grande grève générale de 1968 qu'avaient eu tant de mal à étouffer l'extrême gauche et la gauche du Capital, je me suis enthousiasmé, alors jeune collégien, pour ce grand temps fort de parole émancipée où par-delà les impostures du carnaval estudiantin de la modernisation mercantile des mœurs, les êtres humains s'étaient employés à retrouver massivement le chemin d'un vrai dialogue de vie remettant en cause le spectacle démocratique du despotisme de l'argent. A l'époque existait tout un milieu radical maximaliste qui savait bien que les pays de l'Est n'avaient jamais été que des capitalismes d'Etat et que le bolchévisme avait dès l'origine prouvé qu'il n'était qu'une structure d'exploitation et de domination qui s'était d'ailleurs prioritairement employée à massacrer les prolétaires qui tels ceux de la Commune de Kronstadt, expliquèrent que l'étatisation policière des forces productives de l'aliénation n'était rien d'autre qu'une forme culminante de l'asservissement de l'homme à la machinerie du profit.

Durant les années 70-80, en tant qu'expression de la lutte des classes réelle qui se développait dans les entreprises contre les garde-chiourme syndicaux et leurs laquais gauchistes (trotskystes, maoïstes ou libertaires), toute une série de groupes pour l'autonomie ouvrière et l'abolition du salariat se formèrent à mesure que les premiers effets significatifs de la crise capitaliste se faisaient sentir. À contre-courant de toutes les modes obligatoires de la pensée servile, ces groupes sur tous les sujets de mystification où travaillaient à se cultiver les tyrannies de la liberté du marché, intervenaient pour rappeler que dans le monde du fétichisme marchand où toute réalité est renversée, la totalité du vrai est toujours réécrite sous la forme du faux et que toutes les fractions politiques du Capital sont des organes de la vie fausse et qu'il s'agit donc bien de les liquider afin de permettre l'émergence d'une communauté humaine dont l'activité pourra alors s'orienter vers la pleine satisfaction des besoins humains enfin sortis des enfermements du calcul, du commerce et du bénéfice. Evidemment, les positions de ces groupes révolutionnaires et leur activité avaient une histoire puisqu'elles étaient le produit des expériences passées de toutes les luttes que les hommes n'avaient cessé de mener contre le travail de la prolétarisation capitaliste et des leçons théoriques qui en avaient été tirées tout au long du fil du temps. Ces groupes se réclamaient ainsi des apports successifs de la Ligue des Communistes et de l'Association Internationale des Travailleurs, des positions radicales pour la suppression de l'argent et de l'Etat qui s'en étaient dégagées, à partir de Marx récusant lui-même le marxisme et contestant toutes les falsifications et tromperies propres à la modernisation et à l'actualisation marchandes, en particulier toutes les gauches ultérieures social-démocrates et bolchéviques de tout acabit.

Bien entendu, à l'encontre de tous les totems et tous les tabous du despotisme de la circulation marchande, ces groupes m'ont transmis le patrimoine le plus essentiel qui soit, celui-ci, si bien symbolisé par la devise de Marx lui-même : Douter de Tout...Dès lors, contre l'absolutisme du faux omniprésent, j'ai là pu apprendre que derrière tous les mythes et mystères de l'anti-fascisme, de l'anti-racisme, des luttes de libération nationale, du terrorisme étatique et de tous les embrigadements nécessaires à la consécration du gouvernement du spectacle mondial, il convenait toujours de savoir et de réaffirmer tel le vieux communard Gustave Lefrançais que tout Pouvoir est pourriture et qu'il ne s'agit point de ré-agencer les chaînes de l'économie et de la politique mais qu'il convient bien et uniquement de les briser.

R/ Vous revendiquez explicitement la perspective communiste. Pouvez-vous expliciter le sens du terme «communisme» pour nos lecteurs ?

F.C/ Le communisme c'est d'abord la communauté sacrale de ces groupes archaïques qui, des Germains de la forêt profonde aux Sioux des vastes plaines, ont durant des millénaires vécu au rythme cosmique de l'anti-argent et de l'anti-Etat, en ignorant le travail pour la vente, les divisions fonctionnalistes et la cristallisation aliénatoire en spécialités séparées puisqu'ils ne connaissaient que le produire ensemble pour la vie humaine. La communauté (la fameuse Gemeinwesen) expose ainsi l'être générique vrai de l'humain authentique selon la vieille racine mun qui définit la réciprocité organique propre à ce fait historique total qu'est le mouvement de la tradition primordiale, en un univers où tout est sacral dans l'anti- monnayable et dans l'anti-appropriable. C'est la tradition falsifiée des égarements dans la tri- fonctionnalité, à l'heure des effets ravageurs de la révolution néo-lithique, qui cassera le groupe originaire pour aller l'enfermer dans les enclosures classistes du guerrier, du paysan et du prêtre qui, à partir de l'alliage sacré/profane éclairé par la dialectique du mouvement de l'argent, pulvériseront le sacral ancestral pour le profaner toujours davantage vers cette apothéose contemporaine du triomphe démocratique de la marchandise schizophrénique.

Le communisme c'est ensuite, après que les sociétés de l'avoir se furent imposées postérieurement à la mise à mort des communautés de l'être, cette perpétuelle et insistante tendance historique à vouloir néanmoins refonder le communautaire perdu pour échapper à l'angoisse, la tristesse et la séquestration de l'économie politique du servilisme. Ce sont tous ces cris, ces troubles, ces perturbations, ces agitations, ces mé- contentements, ces tempêtes et ces violences qui marquent la permanente lutte des classes universelle des hommes chosifiés contre la mise au travail forcé à mesure que tout l'avant-marchandise est balayé et colonisé par la désagrégation de l'humanité en monades du spectacle du profit. Ainsi, pendant des siècles, la paysannerie autour de l'ontologie des espaces de ses communaux séculaires, n'a jamais cessé de se battre contre les progrès infernaux du fiscalisme étatique de la marchandise jusqu'à être finalement dispersée dans la déportation usinière des grandes villes de l'atomisation capitaliste, là où le prolétariat de tous les êtres sans pouvoir sur leur vie, a retrouvé et redéfini théorico-pratiquement la nécessité de faire renaître en une forme supérieurement déployée l'être générique et archaïque (au sens du principiel !) du communisme de la sacralité cosmique.

De la sorte et pour finir, le communisme est à la fois cette essentialité qui fut exilée quand la vérité de la vie humaine dut passer sous les fourches caudines du dressage civilisationnel mais en même temps cette même substantialité qui continue d'exister cependant et malgré tout ce qui entend la faire disparaître...C'est pourquoi le communisme est la théorie de la dynamique révolutionnaire par laquelle le capitalisme engendre le communisme universel en sa forme supérieure consécutivement au fait qu'il soit né de sa forme inférieure et localiste qui permit, à partir du troc puis de l'échange, le développement de la liberté totalitaire de la science et du marché. Comme le dit Marx : « L'anatomie de l'homme est une clef pour l'anatomie du singe. Les virtualités qui annoncent dans les espèces animales inférieures une forme supérieure ne peuvent au contraire être comprises que lorsque la forme supérieure est elle -même connue. Ainsi l'économie bourgeoise fournit la clef de l'économie antique...»[Introduction générale à la critique de l'économie politique...].

R/ Pourquoi le communisme serait-il une nécessité alors qu'il n'est guère soutenable de comprendre l'histoire comme obéissant à une téléologie objective ?

F.C/ Le communisme n'est pas un état qu'il faut créer, ni un idéal vers lequel la réalité doit s'orienter. Le communisme est le mouvement réel des contradictions de la marchandise qui abolit l'ordre établi de la marchandise elle-même. Les conditions de ce mouvement résultent des facteurs qui existent dans le présent de la crise historique du spectacle marchand en tant que tel lorsque les délires de l'économie du crédit invalident directement le crédit de l'économie et que l'opposition valorisation/dévalorisation qui fonde la dialectique de possibilisation du capitalisme devient nécessité d'une transformation révolutionnaire par laquelle la totalité de l'appareil productif de la plus-value est contraint de rejeter la loi de la valeur, devenue, selon l'expression même de Marx, procès de sa propre auto-caducité...

Le capital est une structure fondamentalement contradictoire. Il ne se valorise que par le travail vivant de l'homme exploité mais pour produire de plus en plus vite et de moins en moins cher, il doit simultanément user toujours plus du travail mort machinique qui, lui, ne créant aucune valeur, se contente de transmettre aux marchandises par lui mises en mouvement, la part de valeur que le travail humain extorqué y a préalablement placé. Cela ne l'empêche pas d'exister mais il doit en payer le prix par des crises périodiques toujours plus fortes qui ne le mèneront à disparaître que du jour où cette contradiction sera devenue impossible quand la baisse du taux de profit (continuellement compensée par sa masse !) produira un tel seuil de saturation mondiale des marchés qu'aucune dimension de crédit ne pourra venir la contrebalancer. Ainsi, nous vivons désormais l'époque de la fin du cycle historique capitaliste, qui, tout en se développant de plus belle au milieu des massacres et de la misère sociale généralisée, fait mûrir en son sein les conditions mêmes du communisme. Cette période historique de crise financière galopante marque la dernière phase du devenir de la valeur et de l'argent, celle où la totale domination réalisée du spectacle de la marchandise commence à se traduire comme processus visible de l'impossible reproduction réciproque du couple travail/Capital.

Ce qui caractérise là la société capitaliste des années qui viennent, c'est qu'elle est en train de parvenir au point où sa production ne va plus pouvoir re-produire les conditions matérielles de son existence car son existence ne va plus pouvoir produire les conditions de reproduction de la matérialité de sa production.

C'est ce que Marx écrivait déjà en 1859 sans sa préface à la Critique de l'économie politique lorsqu'il déclarait : « Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses au sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre ; car, à y regarder de près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie d'advenir. »

R/ Vous écrivez p.47 dans votre livre : «L'immigration est le mouvement dialectique par lequel le capital entend faire migrer le prolétariat européen hors de sa propre histoire pour le sortir du territoire de sa radicalité subversive ancestrale.» Est-ce dire qu'à côté de la formation d'un lumpenprolerariat dont on perçoit fort bien la fonction au sein du système, il n'y a rien à attendre de révolutionnaire sur le plan de la lutte de classe de la part de populations plus ou moins récemment immigrées sur notre continent ?

F.C/ À la suite de Marx et en relation avec le mouvement réel des luttes de classe réellement existantes, les groupes radicaux du maximalisme critique ont toujours considéré que si la formulation théorique la plus aboutie de la tradition communiste était née sur le sol charnel des mouvements insurrectionnels qui en Europe avaient poussé au plus loin la réalité pratique et réfractaire du refus de la dictature de l'avoir, cela n'était nullement un hasard. Certes, tous les continents ont pu expérimenter des soulèvements agraires ou urbains mais seul le continent de l'éco-système mental européen a su faire jaillir des agitations et des affrontements qui purent déboucher massivement sur de vastes séditions extrémistes qui permirent la (re)formulation la plus méticuleusement aboutie du projet communiste qui, des soulèvements millénaristes aux Communes de Paris, Barcelone et Budapest, en passant par le Manifeste de Babeuf condamnant le populicide vendéen, firent de la vieille terre européenne la pointe incontestable de la concience historique la plus critique.

Si l'Afrique et l'Asie expriment d'abord un temps immobile propre au despotisme oriental qui ne connut jamais que des effervescences pour remodeler différemment l'ordre de la soumission, seule l'Europe, qui revitalisée par les invasions germaniques de la marche communiste antique et médiévale si bien analysée par Engels dans l'origine de l'Etat, eut systématiquement l'habitude remuante et trépidante d'engendrer des contestations et des conflagrations enragées et jusqu'au-boutistes qui ne se contentant jamais de simplement vouloir arranger l'obéissance, prétendaient ouvertement l'annihiler. On comprend dès lors pour quelles raisons de longue durée cosmique et comportementale, la France patronale d'après 1968 qui voulait absolument échapper au cauchemar de l'éternel retour du maudit prolétariat communard, décida de recourir massivement à la plasticité malléable d'une main -d'œuvre nord-africaine puis subsaharienne...Le grand dérangement démographique ainsi mis en chantier sous les lampions laudateurs des galeries marchandes de l'anti-racisme publicitaire, a d'abord pour fonction d'éliminer l'objectivité bouillonnante de l'insubordination ouvrière d'antan et d'édifier un nouveau salariat cosmopolite et bien apprivoisé, chose d'autant plus facile que la temporalité dormante du grand Sud se marrie fort bien avec l'histoire voulue arrêtée par la dogmatique du bonheur commercial de l'américanisation et du hors-sol de l'interchangeabilité programmée.

Le lumpenprolétariat racailleux des souterraines banlieues milliardaires s'accouplant là, lui, avec extase et discipline aux banquiers cossus des quartiers huppés de la maffia étatique afin de préparer ensemble l'union sacrée de toutes les appropriations capitalistes en haine absolue de toute intelligence humaine. Entre parenthèses, l'on pourra ici noter avec humour que le Japon traditionnel des observances et des conformités inépuisables n'a eu nul besoin pour la modernité industrielle du temps présent de recourir à une main-d'œuvre externe, ce que Marx nommait la passivité endémique de l'histoire orientale a suffi nonobstant quelques in-disciplines épisodiques...

R/ Si la question de la vérité ne rélève pas exclusivement et fondamentalement d'une question de logique ou de théorie de la connaissance, pourquoi la vérité occupe-t-elle une place aussi centrale dans votre livre ?

F.C/ L'analyse révolutionnaire du concept de vérité prend son départ ontologique dans l'identification présocratique de la vérité de l'être et de l'être de la vérité propre aux communautés de l'organique primordial et donc en récusation de la conception socratique selon laquelle (adéquatement aux nécessités de la société de l'avoir !) le lieu du vrai se trouve dans un jugement d'acquisition et de possession dont la vérité consiste dans une similitude d'efficacité et de rentabilité telle qu'elle s'exprime dans la correspondance utilitaire entre l'esprit et la chose. Lorsque Hegel et Marx – en restaurant Héraclite et Parménide – démasquent de fond en comble toute l'illusion métaphysique qui de Platon à Kant a construit l'édifice des faux savoirs confectionnés par le bagne civilisationnel des rentabilisations du fallacieux fractionné (mathématiques, physique, chimie, histoire, sociologie, morale...), ils démontrent que la vérité scientifique occidentale est l'adéquation de la chosification du monde à la connaissance dictatoriale de la mesure. Et ils précisent que seul est véridique l'accueillement du Tout du vivre en tant qu'il est la véritable vérité du monde de l'être comme l'histoire de la prise de conscience du cosmos communautaire en l'essence rationnelle et émotionnelle de l'être du monde de la vérité.

L'essence de la vérité se révèle donc à nous dans la coïncidence révolutionnaire du regard et du regardé, du dé-voiler et du dé-voilé en l'acte communiste du dé-voilement du travesti scientifique de toutes les expériences reproductibles de l'emprise capitaliste de rentabilisation de la vie technologiquement arraisonnée.

R/ Le triomphe de l'Avoir sur l'Etre dont vous montrez la trajectoire jusqu'à la domination contemporaine du capital semble aujourd'hui quasi totale. Néanmoins, dans le dernier chapitre de votre livre vous évoquez une «colère qui approche». Pouvez-vous justifier cette dernière idée ?

F.C/ Cette colère qui approche c'est celle du possible renversement subversif quand la négation de la négation se met en mouvement et que la rage de vivre la qualité du jouir humain devient plus forte que l'habitude de se soumettre à la dictature démocratique de la quantité réifiante. Ce moment crisique historiquement décisif aura lieu si l'économie politique de la domination perd la force de pouvoir reproduire son pouvoir et si dès lors l'humanité se dresse pour faire surgir une véritable communauté de l'être...La vieille taupe ne cesse pas de creuser comme disait Marx... Les mois qui viennent, en fonction de l'écroulement prévisible des fictions monétaires et de l'accélération des manipulations terroristes, seront décisifs...Nous verrons alors si l'appel de l'Être a capacité à devenir plus fort que le contrôle capitaliste de la vie par l'Avoir...Comme l'a démontré Le Capital ; l'universalité aliénatoire à laquelle tend inlassablement le catastrophisme de la marchandise trouve des limites dans sa propre nature contradictoire qui, à un certain niveau de son évolution, révèlent que la logique des dépliements du profit est elle-même l'entrave la plus grande au dépliement des logiques du profit, et le poussent donc à sa propre abolition obligée.

Entretien paru dans le Rébellion de Novembre 2012 ( épuisé) .
 
Edition «Le retour aux sources» 2012. 329 p. 21 euros. 
www.scriptoblog.com

 
 

 

21/04/2015

A quoi sert Rébellion ?

 

“On ne s'appuie que sur ce qui résiste” Bernanos 

Nous constatons depuis plusieurs années que le rôle de notre revue reste toujours un mystère pour beaucoup. Nous allons tenter de les éclairer sur le sens de notre travail et sa modeste contribution aux luttes en cours.

Certains s'étonnent que leurs collègues enseignants, fidèles abonnés de Télérama, ne trouvent rien d'intéressant dans Rébellion. C'est un fait que nous ne donnons pas les programmes de la TNT. Il est aussi évident que nous n'avons pas l'objectif de faire réfléchir les personnes qui s'accomodent très bien du système actuel.

Notre lectorat est composé d'esprits libres se donnant les moyens intellectuels de comprendre le monde qui les entoure et le système social dans lequel ils sont pris. Ces personnes sont issues de toutes les classes sociales et nombreux sont les autodictactes qui nous lisent. Nous avons toujours refusé les postures élitistes, mais nous considérons qu'une éducation politique implique des efforts plus importants que la lecture d'une fiche wikipedia. C'est une démarche intellectuelle nécessaire pour acquérir les armes nécessaires afin de décrypter le monde et le transformer.

Faire avancer la réflexion théorique et organiser la lutte, c'est le rôle d'une revue de combat comme Rébellion. Ce sont les deux modalités complémentaires de l'action révolutionnaire : comprendre le développement de la société pour mieux en saisir la complexité et trouver les moyens de la changer radicalement.

Briser la logique du système et démasquer les illusions idéologiques qui embrument les cerveaux est déjà une tâche immense à l'époque de confusion que nous vivons. Révéler les faux clivages et leurs contradictions est un long travail surtout lorsqu'on connaît les dérives politiciennes ou romantiques des « mouvances dissidentes »

En conséquence, ce qui est défendu théoriquement dans Rébellion, se traduit dans les actions de terrain des Cercles Rébellion et de l'OSRE. Les récentes campagnes contre le Traité transatlantique ou la loi Macron en sont des exemples concrets.

 En prise avec notre vie quotidienne, le combat contre l'aliénation et l'exploitation est l'objectif de notre lutte. Notre stratégie est la mise en place de l'action socialiste révolutionnaire et de l'autonomie populaire dès maintenant. Ce que nous construisons aujourd'hui dans la lutte préfigure demain !

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02/04/2015

Vie et mort du Capitalisme

 Avec la crise mondiale de septembre 2008, nombreux sont ceux qui se sont tournés vers Marx pour chercher des réponses à ce qui apparaissait comme une crise du capitalisme. Des spécialistes ou des marxistes traditionnels ont souvent repris l'analyse de Marx en plaquant son étude du capitalisme libéral de la fin du XIX° siècle sur le capitalisme néolibéral apparu aux débuts des années 80 du XX° siècle et en se contentant de contester le mode de distribution du capitalisme. Ainsi est-il plus ou moins sous-entendu que le capitalisme, qu'ils associent à la démocratie comme si l'un et l'autre ne faisaient qu'un, est de toute façon l'horizon indépassable de l'Histoire, le seul et unique monde possible. Son dévoiement actuel ne serait dû qu'à quelques banquiers peu scrupuleux et la solution passerait par une plus juste redistribution des richesses, un capitalisme à visage humain en quelque sorte.

 

 

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Le théoricien et militant allemand, né en1943 à Nüremberg, Robert Kurz, n'est pas de ceux-là. D'abord autour de la revue-groupe allemande Krisis puis actuellement autour de la revue Exit !, il est parti de Marx pour développer une critique non seulement du mode de distribution du capitalisme, mais aussi du mode de production et ainsi élaborer une critique de la forme de vie qu'il engendre: un monde soumis à la marchandise dont l'unique but est le profit. Dans cette optique il dépasse la simple critique de l'exploitation ou de la mauvaise répartition des richesses sociales d'une classe au profit d'une autre, pour se focaliser sur une critique de la valeur et du travail.

Son dernier livre est un recueil d'articles et d'entretiens parus entre 2007 et 2011. On voit ainsi les prévisions de Kurz se confirmer au fil des évènements provoqués par la crise financière. Mais comme il le rappelle souvent, il n'invente rien, il se contente de reprendre et d'actualiser des idées et des analyses contenues dans l'oeuvre de Marx.

 

LA CRITIQUE DE LA VALEUR

 Pour lui, la 3ème révolution industrielle, celle de la microélectronique (la 2ème étant constituée par le fordisme dans les années 20), avec ses énormes gains de productivité, accélère une contradiction inhérente au capitalisme : « Selon Marx, dans la formation sociale actuelle, la substance de la valeur et de la valorisation (survaleur) est constituée par la dépense de l'énergie humaine abstraite [que Marx appelle le travail abstrait. Pour lui, dans les sociétés capitalistes, le travail se divise en deux: le travail concret, qui existe aussi dans toutes les sociétés traditionnelles, et qui est le moyen de produire un produit particulier. Et plus essentiellement le travail abstrait, qui est le moyen social d'acquérir les produits des autres]. Or la force de travail ne peut être utilisée qu'au niveau atteint par la productivité, lequel est imposé par la concurrence. Ainsi naît une autocontradiction systémique qui devient de plus en plus visible à mesure que l'histoire avance. Plus la force engendrée par la scientificisation est grande, moins chaque marchandise particulière contient de substance-valeur, et plus les coûts de production préalable sont élevés. Le mouvement de cette contradiction a pour conséquence que les marchés doivent croître sans cesse et que la valorisation devient de plus en plus dépendante du crédit comme anticipation de survaleur future. Désormais, la croissance ne peut être obtenue que par un endettement croissant à tous les niveaux, donc par une anticipation toujours plus grande d'une survaleur future, qui ne pourra pas se réaliser parce que l'augmentation de la productivité vide la valeur de sa substance» (p71-72).

Les progrès techniques réalisés font qu'il y a une énorme augmentation du capital constant (machines, infrastructures, etc...) par rapport au capital variable (force de travail) qui est la source de survaleur dans le système capitaliste. Cette augmentation du capital constant amène à prévoir les gains, la survaleur future, dans un futur toujours plus éloigné sous forme de crédit toujours en expansion: «Ainsi, la baisse tendancielle du taux de profit par capital argent utilisé se transforme en baisse absolue de la quantité sociale de survaleur réelle et, par là, en chute de la masse de profit. Le lien entre la lointaine anticipation de survaleur future sous forme de crédit et la production réelle de survaleur se rompt définitivement. Ce qui apparaît sous la forme d'une crise financière dévastatrice n'est que la manifestation empirique de cette contradiction désormais mûre et qui se produit au niveau empiriquement insaisissable des rapports de valeur réels»(p142).

Le capital se détruit ainsi lui-même en rendant obsolète la substance-travail qui en est pourtant son fondement, car lui seul produit de la survaleur réelle, et tente de survivre en devenant capital-argent: «Ainsi un chômage de masse et un sous-emploi structurel dans le monde entier s'associent-ils à l'évasion du capital-argent vers la fameuse économie de bulles financières, car les nouveaux investissements réels sont devenus non rentables -ce qui se voit clairement dans les surcapacités globales de production (notamment dans l'industrie automobile) et les batailles d'OPA spéculatives»(p37).

Loin d'être une transformation profonde du capitalisme, le néolibéralisme «n'a été que la tentative, d'une part, de gérer de façon répressive la crise sociale découlant de cet état de fait, d'autre part, de créer une croissance sans substance du capital fictif par l'expansion effrénée du crédit, de l'endettement et des bulles financières sur les marchés financiers et immobiliers»(p62-63).

LA CRISE

La crise financière n'est au fond qu'un retour au réel pour tous ceux qui s'étaient leurrés sur la nature profonde du capitalisme en rêvant d'un monde capitaliste équitable ou de développement durable: «Mais en réalité, la satisfaction des besoins n'est qu'un simple sous-produit de l'abstraite valorisation de la valeur, en tant que fin en soi sociale. La production n'a pas pour but de produire une quantité suffisante de biens d'usage; elle est au contraire du travail abstrait ayant pour but la richesse abstraite, la transformation de l'argent en plus d'argent, comme on pourrait l'apprendre chez Marx. Et par conséquent, le marché ne sert pas à l'échange de biens d'usage; il n'est que la sphère où se réalise la survaleur, c'est-à-dire la sphère de la retransformation des marchandises dans la forme argent (augmentée). Tout l'emploi, tous les revenus, tous les mécanismes du marché dépendent de la production de survaleur, qui sous-tend la contrainte à la croissance. En même temps, ces catégories de base du capital sont dépourvues de toute sensibilité à l'égard des qualités écologiques et sociales. Elles sont en soi indifférentes à tout contenu, comme on pourrait également l'apprendre chez Marx»(p200).

Les analyses de Kurz lui ont permis d'anticiper la crise actuelle, de la replacer dans une crise profonde du capitalisme, et de ne pas être surpris par la chute boursière et la faillite bancaire. Pour lui cette crise n'est que l'épilogue de celle qui a débuté en 1990 et elle aurait eu lieu bien avant si les Etats-Unis n'avaient pas absorbé la production excédentaire du monde entier en développant à outrance la surconsommation de masse et l'hyperendettement.

Il écrit dans un article de septembre 2008: «Le ressentiment contre la domination anglo-saxonne ne représente nullement une critique du capitalisme et manque de sérieux. En effet, c'était des flux d'exportation à sens unique vers les Etats-Unis que dépendait la conjoncture globale de déficit. Les capacités industrielles en Asie, en Europe et ailleurs ne vivaient pas de bénéfices et de salaires réels, mais directement ou indirectement de l'endettement extérieur des Etats-Unis. L'économie néolibérale de bulles financières était une sorte de keynesianisme mondial, qui se désagrège aujourd'hui comme hier le keynesianisme national. Les nouvelles puissances émergentes n'ont pas la moindre autonomie économique et font partie intégrante du circuit global de déficit. Leur dynamisme était un pur mirage dénué de tout moteur interne.(...). Le capitalisme d'Etat et le capitalisme de libre concurrence se révèlent être les deux faces de la même médaille. Ce qui s'effondre, ce n'est pas un modèle qui pourrait être remplacé par un autre, c'est le mode dominant de production et de vie, base commune du marché mondial»(p64).

Les plans de relance et les sommets européens et mondiaux à répétition ne sont dés lors que de la vaine agitation destinée à satisfaire les médias et à rassurer les populations: «De même que l'éclatement des bulles financières ramène le capitalisme à ses conditions de valorisation réelle, de même la majeure partie des emplois est appelée à disparaître. La quantité de survaleur réelle est bien trop petite pour représenter en objectivité-valeur l'objectivité-circulation de ces secteurs démesurément gonflés. La récession globale qui s'annonce balaiera non seulement la majeure partie des maîtres du monde du capitalisme financier, mais aussi celle des petites entreprises de service qui en dépendent, des travailleurs free lance, des secteurs des salaires à bas coût et du temps partiel,

ainsi que la majeure partie des emplois dans les industries d'exportation. Le système du travail abstrait démontre sa propre absurdité, et le capitalisme global qui profite à une minorité assiste à son Waterloo – tout le monde le devine, quoique tout le monde préfère l'ignorer»(p97). Nous n'assistons pas à une simple crise conjecturale mais à l'effondrement d'un monde.

 

QUE FAIRE ?

Kurz est très critique et sans aucune pitié pour la gauche moderne incapable, par manque d'une analyse critique théorique, de prendre la mesure de ce qui est en train de se passer.

Il lui reproche en particulier son relativisme postmoderne où «tout se vaut» et sa désertion de la critique radicale du capitalisme au profit de la virtualité des bloggers. Cela est dû pour lui à des raisons sociologiques: l'appartenance d'une majorité de ses membres à la classe moyenne éduquée de l'aprés 68,qui s'est développée en même temps que le crédit: «Pendant la période de l'économie de bulles financières, ce sont ces nouvelles classes moyennes, et elles d'abord, qui devinrent de plus en plus dépendantes de l'expansion du crédit privé, parce qu'elles étaient soumises à une précarisation croissante. C'est précisément au cours de ce processus que la vision du monde propre à la conscience des classes moyennes devint la position dominante, y compris au sein de la gauche»(p164).

Cette classe a conscience que sa survie est intimement liée à l'existence du système capitaliste et c'est pourquoi elle veut que «tout change sans que rien ne change». Elle accuse le néolibéralisme et la finance internationale de tous les maux et voit la solution à ses problèmes dans le recours à l'Etat et à une politique keynésienne, c'est-à-dire à un capitalisme national considéré comme plus humain. Elle sous-estime l'imbrication de toutes les économies nationales dans l'économie mondiale et croit que le retour à l'Etat-providence est la solution, alors que dans le même temps, pour éviter une faillite mondiale, les états nationaux sont condamnés à nationaliser les pertes pour éponger les dettes fabuleuses en recourant toujours plus au crédit. Surtout cette classe moyenne se trompe, bercée par son propre discours démocratique, sur la fonction et la raison d'exister de l'Etat qui n'appartient pas à ses citoyens mais est une émanation du capitalisme, qui «n'est pas une agence au service d'une quelconque classe dominante ou au service de certains groupes économiques, il est l'instance générale et supra-sociale de pouvoir qui constitue le cadre externe de la valorisation du capital et de tous ses masques [pour Marx les masques ce sont les hommes et les femmes vivant dans le système capitaliste et, qu'ils exécutent ou qu'ils dirigent, sont agis bien plus qu'ils n'agissent, ne faisant sans en avoir conscience qu'obéir au système dans lequel ils évoluent]. Et c'est précisément pour cela qu'il n'est pas au-dessus des lois de mouvement objectives du capital et ne peut pas les diriger ou les modifier à sa guise. Au contraire, il ne leur est pas moins assujetti que chaque capital individuel; il leur est même assujetti à un niveau social plus élevé»(p148).

Face à l'inévitable déception que ne va pas manquer de susciter cet Etat incapable de juguler une crise du système dans lequel il est partie prenante, face au chômage de masse, à la réduction des financements des programmes sociaux, car tout l'argent sert à rembourser la dette, il ne reste à cette classe moyenne paupérisée qu'à se réfugier dans l'antiaméricanisme ou l'antisémitisme, ce que Kurz appelle l'idéologie économique de l'antisémitisme: «De la globalisation du capital surgit une idéologie mondiale meurtrière. La cause et l'effet sont inversés: la crise du crédit n'apparait pas comme la conséquence d'un épuisement interne de l'accumulation réelle, mais comme le résultat de l'avidité du capitalisme financier (une vision associée depuis deux cents ans à des stéréotypes antisémites); le rôle des Etats-Unis et celui du dollar-armement n'apparaissent pas comme condition commune à tout le capital globalisé, mais comme domination impériale sur le reste du monde»(p50- 51).

Pour autant Kurz ne place pas ses espoirs dans une classe ouvrière qui n'est pas une classe hors système capitaliste mais qui doit son existence même au capitalisme: «Historiquement la représentation politique et syndicale du prolétariat ne fut pas autre chose que la représentation du capital variable s'auto-affirmant et, par là même, la représentation du travail abstrait. C'est ainsi que fut construit un antagonisme purement relatif entre le principe du travail prétendument transhistorique et anthropologique et la forme propriété privée comprise dans un sens juridique, alors qu'en réalité le travail abstrait et la propriété juridique des moyens de production ne représentent que différentes déterminations de forme au sein d'un même système de référence qui englobe tout: le système de valorisation de la valeur. Ce contexte qui subsume tout, Marx l'a appelé le sujet automate de la société fétichiste moderne, et dans ce système toutes les classes sociales sont des fonctions de la logique de la valorisation. Il n'existe aucun principe ontologique dont l'émancipation sociale pourrait se réclamer. Le capitalisme ne peut être dépassé que par la critique concrète et historique de ses formes fondamentales. La lutte des classes fut pour l'essentiel la lutte pour la reconnaissance sur le terrain des catégories capitalistes»(p161-162). Mais aujourd'hui même ce sentiment d'appartenance à une classe n'existe plus car avec la 3éme révolution industrielle est apparue une nouvelle organisation du travail (développement des CDD, de l'intérim, du chômage, ...) qui a toujours plus atomisé et isolé les individus.

Kurz est aussi très critique envers une gauche activiste qui «bouge pour faire oublier qu'elle est vide» et dont les actions se réduisent à des luttes symboliques et ponctuelles. Il s'en prend aussi aux mouvements antiproductivistes et décroissants, les accusant d'abandonner le réel social au profit du repli sur soi: «De telles idées constituent une simple fuite. Elles ne veulent pas s'opposer à une gestion de crise, mais cultiver leur propre monde prétendument idyllique à côté de la synthèse sociale réelle effectuée par le capital. Du point de vue pratique, de tels projets sont parfaitement insignifiants. Ils ne sont qu'une idéologie du bien être de la part d'une gauche désorientée qui essaie d'échapper en douce au capitalisme de crise, et qui menace de devenir elle-même une ressource de la gestion de crise»(p22). Pour lui ni les communautés locales ni les luttes ponctuelles ne permettent d'effectuer une synthèse sociale et par là même de dépasser le capitalisme.

Il ne veut pas pour autant assister passif face à la crise systémique en cours: «la résistance commence là où les individus s'élèvent au-dessus de leur quotidien déterminé par le capitalisme jusque dans ses pores même et deviennent ainsi capable de s'organiser»(p169). On doit abandonner les vieilles divisions du socialisme historique car ce qui compte ce n'est pas l'appartenance à une classe mais la conscience, «non une conscience idéaliste dans les termes d'une éthique philosophico-morale, mais une conscience qui fait face à la limite historique de la valorisation et au déclin d'un niveau de civilisation»(p163).

La théorie critique et la relecture de Marx sont là pour aider à cette prise de conscience car tout doit être arraché des mains du capital, de la marchandise et de cette «marchandise reine» qu'est l'argent. Mais cela ne peut se faire que par un contre- mouvement social qui pense la société dans son entier,qui a pris conscience d'assister à la fin d'un monde et qui rejette toutes les formes-fétiches liées au capital. Cela passe par une appropriation des forces productives dans un sens socialiste c'est-à-dire les détacher de l'univers de la marchandise et les rendre aux hommes. «A la fin de l'histoire de la modernisation, le socialisme doit lui aussi être réinventé»(p52).

Ce livre est un recueil de textes courts, ce qui permet d'aborder plusieurs fois la même question et force l'auteur a être le plus précis et concis possible. Sa force réside dans son analyse implacable de la situation présente d'un point de vue radicalement anticapitaliste, loin de toute critique des Etats- Unis, des banques, de l'oligarchie mondialiste, où il voit justement des leurres destinés à nous détourner d'une remise en cause du capitalisme, leurres dont bien souvent on se satisfait, trop heureux de trouver des responsables humains, alors que ce qui arrive n'est que la marche inéluctable d'un système. Il nous rappelle que capitalisme mondialisé et capitalisme national sont les deux faces d'une même médaille, quelle que soit la forme prise par ce capitalisme national au cours du XX°siècle: Etat-providence des pays occidentaux, fascisme ou le «socialisme réel» des pays de l'Est. Et en portant un regard très critique sur la gauche traditionnelle et ses actions, en soulignant en particulier son attachement à un système qu'elle croit combattre, il sous-entend le nécessaire dépassement de la dichotomie gauche/droite.

Ce qu'on peut reprocher à l'auteur c'est son ton dogmatique et sa «clé» de la critique de la valeur qui pourrait, et elle seule, expliquer tout le capitalisme et prophétiser sa fin. Sa critique des mouvements antiproductivistes et de l'écologie radicale, qu'il accuse de déserter le réel social, n'est pas entièrement justifiée car il ne faut pas oublier l'importance qu'ont eu et qu'ont toujours ces mouvements pour élargir la critique du capitalisme qui était souvent cantonnée à son seul aspect économique. Ils ont développé une critique de la technique et de ses ravages écologiques qui a fait prendre conscience que le règne de la marchandise n'était pas seulement un système économique mais menaçait la vie elle-même. Leurs actions ont le grand mérite d'être sorties de la théorie pour se confronter à la pratique.

Tout comme la crise actuelle du capitalisme réside dans la convergence de plusieurs facteurs, les solutions pour y faire face sont multiples. Mais ce qui est certain c'est que s'en tenir à la seule common decency, à une juste mais bien insuffisante indignation ou à une posture sentimentale de révolte contre le monde moderne sont plus des preuves d'impuissance que le prélude à un véritable combat anticapitaliste. Kurz souligne lui-même l'impossibilité de la gauche à analyser la gravité et la profondeur de la crise actuelle et donc d'y apporter les réponses adéquates. C'est donc à nous qui avons dépassé ces clivages obsolètes de participer à la fondation d'un contre-mouvement social. Mais il ne faut pas se jeter aveuglément dans l'action, ce qu'il appelle fort justement «bouger pour faire oublier qu'on est vide», sans avoir donné de solides fondations à notre anticapitalisme et préparer ainsi son dépassement. La critique théorique est indispensable, et même vitale, pour fonder durablement une action sociale d'opposition radicale au capitalisme et de transformation de la société. La lecture de cet ouvrage y participe.

 

VIE ET MORT DU CAPITALISME de Robert Kurz

Nouvelles Editions Lignes, 224 pages, 20 Euros.

 

 

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On peut trouver sur internet un site consacré à la critique de la valeur:

http://palim-psao.over-blog.fr/

Et des textes de Robert Kurz en français sur le site de la revue Exit !: http://www.exit-online.org/text1.php