Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/03/2015

La Guerre contre la Serbie : Laboratoire des « guerres humanitaires »

 

Yves Bataille, serbie, otan,Camp Bondsteel,  agression, yougoslavie

 

22 MARS 1999 : IL Y A 16 ANS, L'AGRESSION DE L'OTAN CONTRE LA YOUGOSLAVIE. La guerre faite à la Yougoslavie en général et à la Serbie en particulier dans les années 1990 a pris un éclairage nouveau après celles menées contre la Libye hier et la Syrie aujourd’hui. Ces deux derniers conflits provoqués par les mêmes ont été conduits selon un mode opératoire déjà utilisé dans les Balkans mais rendu peu lisible à l’époque par le fait de sa nouveauté et d’une intense désinformation facilitée par la complexité historique des lieux et le bouleversement de la période post-soviétique.La guerre contre la Serbie a été une bonne opération pour les Etats-Unis. Elle a permis d’étendre l’Otan dans les anciennes démocraties populaires, dans les pays baltes et dans deux républiques de l’ancienne Yougoslavie. Elle a permis aussi à la puissance globale d’établir une confusion dans les esprits et les pratiques entre l’Union européenne et l’Otan, la première ne se distinguant plus de la seconde, laissant les Etats-Unis maîtres de l’appendice ouest-européen du grand continent eurasiatique et seuls habilités à décider et à commander.

A partir de 1991 la « guerre yougoslave pour les nuls » a consisté à mettre en scène de manière grossière deux camps, les bons et les méchants: d’un côté le chef croate Franjo Tudjman , le bosniaque (musulman) Alija Izetbegovic, plus tard l’albanais Ibrahim Rugova et leurs groupes séparatistes (les bons, les victimes), de l’autre Slobodan Milosevic, l’Armée nationale yougoslave (Jna), les milices serbes, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, l’Armée des Serbes de Bosnie et les Etats de Serbie et de Republika Srpska (les méchants, les bourreaux). Pendant toute cette guerre que l’on ne peut pas terminer avec la chute de Slobodan Milosevic en octobre 2000 puisque ses effets se font encore sentir au Kossovo, la propagande américano-occidentale a fonctionné sur ce mode sommaire, grandement alimentée et orchestrée par des sociétés de relations publiques (1), des Organisations non gouvernementales, la presse industrielle et les agents d’influence de l’American Vertigo. On retrouve les mêmes en Libye et en Syrie.

En 1991 la Yougoslavie traversée par un mouvement séparatiste en Croatie n’est pas encore démantelée. La bataille de Vukovar qui met aux prises les forces yougoslaves aux séparatistes croates, se termine par la défaite de ces derniers le 18 novembre 1991. Dès le début de la guerre on remarque en Krajina, du côté des forces séparatistes, l’emploi de Sociétés militaires privées (Smp) (2). En 1992, des officiers à la retraîte de L’Us Army et des services secrets opérant au sein de la société Military Professional Resources Inc - Mpri sont envoyés en Croatie pour encadrer l’embryon d’armée croate faite de morceaux ethniques de l’Armée nationale yougoslave. Mpri apprend à ses protégés à appliquer les paramètres de la guerre moderne (C3ISR (Command, Control, Communications, Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) tout en dirigeant les opérations. C’est Mpri qui chapeautera du 4 au 7 août 1995 le blitzkrieg contre la Krajina de Knin, l’opération Oluja (Tempête) qui fera suite à l’opération Bljesak(Eclair) menée en mai en Slavonie occidentale. Dès 1992 la Cia avait établi un poste de surveillance électronique de la région en mer adriatique sur l’île de Krk (3).

En 1990 un rapport de la Cia prévoyait un éclatement de la Yougoslavie à court terme. Le mur de Berlin tombé, la phase soviétique de la guerre afghane terminée, les Américains et leurs alliés ciblent maintenant l’espace yougoslave. Pour plusieurs raisons.

L’Anglosphère entend profiter du reflux soviétique d’Europe de l’Est pour y étendre son emprise. Y exporter la démocratie et les droits de l’homme, y introduire son système économique « Free Market », y installer ses bases militaires. Y parrainer de nouveaux Etats. C’est ce que les Etats-Unis appellent « nation building. La Yougoslavie ne fait pas partie du bloc de l’Est sous la férule soviétique. Son expérience politico-sociale d’autogestion, sa doctrine du non alignement, l’idée d’une troisième voie entre l’Est et l’Ouest n’en sont que plus dangereux. La Yougoslavie devient un Etat à abattre.

Slobodan Milosevic a accédé au pouvoir en Serbie en 1989. En 1986, une étude de l’Académie Serbe des Sciences et des Arts (Sanu) avait été dévoilée, qui établissait un audit sur la condition des Serbes dans la Fédération yougoslave. Le texte de 60 pages analysait la crise économique et politique et en en évaluait les conséquences. Dans sa deuxième partie l’étude posait le problème de la situation difficile des Serbes au Kossovo. Rien d’autre. Dès le déclenchement des hostilités, ce Mémorandum sera dénoncé dans la presse occidentale comme un « manifeste du nationalisme grand serbe » de Slobodan Milosevic pour la « conquête de la Yougoslavie ». La mise en avant du Mémorandum et son interprétation fantaisiste permettent d’occulter un autre texte qui est, lui, un véritable manifeste, La Déclaration Islamique d’Alija Izetbegović(4). Homme des Américains, Izetbegović qui deviendra le premier président de la Bosnie musulmane, est le seul leader yougoslave à n’avoir jamais appartenu à la Ligue des Communistes. Proche de la mouvance des Frères Musulmans, son orientation « panislamiste » en fait une recrue de choix pour les Américains qui, avec les Britanniques captent à leur profit et promeuvent le « revival islamique », se livrant à un intense travail d’infiltration et de manipulation: de l’Asie centrale aux Balkans en passant par le Caucase, l’Afrique du Nord et le Proche Orient, les services secrets anglo-américains vont aider, équiper et parfois fabriquer les groupes de la mouvance islamique mis sur orbite à leur profit ou dénoncés comme terroristes selon l’utilité, le lieu et la période. C’est ainsi que les « combattants de la liberté » afghans aidés par les services secrets séoudiens et pakistanais, ayant servi contre les Soviétiques, vont aussi servir en Bosnie et au Kosovo (5 ) comme ils serviront sur d’autres théâtres d’opération dans le Caucase (Tchétchénie, Dagestan), en Irak, en Libye et aujourd’hui la Syrie. On peut suivre ce travail de manipulation d’islamistes, qu’ils soient affublés de l’étiquette d’Al Qaeda ou de celle de Frères Musulmans dans la série de crises et de guerres qui ont affecté ou affectent les points chauds de l’actualité. On a vu l’usage fait d’Al Qaeda et des Frères Musulmans dans ce que l’on a appelé le « Printemps arabe ». Il n’y a pas plus de Printemps arabe que de « révolutions colorées ». Dans la diversité des lieux et des cas, ces appellations ne recouvrent que des coups de force destinés à changer les régimes (« regime change ») à imposer les intérêts occidentaux et à assurer la mainmise anglo-américaine sur les pays-cibles.

Héritier régional du système de Tito, au début des années de la guerre (1992) et des premières sécessions slovène et croate, Milosevic n’était pas plus communiste que nationaliste et son qualificatif de « national-communiste » a plus procédé de la volonté de nuire ou de l’illusion qu’à la science politique. Simplement en attaquant la Yougoslavie et la Serbie ses ennemis devaient faire de lui par défaut un nationaliste. Avant 1990 les Américains n’avaient rien contre cet ancien banquier. Ils lui proposèrent même de l’aider à devenir un nouveau Tito moyennant une concession de taille: ouvrir la Fédération yougoslave au libre marché. L’un des motifs occultés de la guerre yougoslave est le refus de Slobodan Milosevic d’accepter cette offre. Dès lors, les Américains et leurs alliés, en particulier l’Allemagne atlantiste d’Helmut Kohl, vont activer les cercles séparatistes des diasporas des républiques yougoslaves dans les différents pays. C’est l’époque où après leur réunification les Allemands se voient à nouveau les maîtres de la « Mitteleuropa » ( l’ Europe centrale) et des Balkans et organisent avec l’ Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, l’ Otan le transfert des stocks d’armements de l’ancienne République Démocratique Allemande, la Rda, en Yougoslavie. Ces armes et les nombreux stocks existants dans les diverses républiques expliquent la durée et l’intensité du conflit. Elles rendront l’embargo sur les armes des belligérants inefficient, un embargo par ailleurs violé par les parties croate et bosniaque. Si on la cadre entre les premiers coups de feu en Slovénie en 1991 et la chute de Slobodan Milosevic en octobre 2000, la guerre yougoslave a duré 10 ans. En réalité, la guerre yougoslave devenue la guerre faite à la Serbie continue encore…

Carrefour entre l’Est et l’Ouest, la mer adriatique et la mer noire, le monde slave et méditerranéen, l’aire chrétienne orthodoxe, catholique et musulmane, héritière du Mouvement des Pays Non Alignés lancé après la Conférence de Bandung (1955) par Josip Broz Tito, Gamal Abdel Nasser et le prince Norodom Sihanouk, dotée d’un système d’autogestion qui la faisait prendre pour modèle par une partie de la gauche internationale, la Yougoslavie titiste avait noué des liens avec les nombreux pays souhaitant maintenir une égale distance entre Washington et Moscou. En ouvrant la route à un nouveau Drang Nach Osten, américain cette fois, la réunification allemande et la disparition du bloc soviétique allaient permettre l’éclatement de la Yougoslavie.

Pourl’Otan la guerre yougoslave devenait en effet une opportunité. Désireuse de s’étendre à l’Est dans l’espace laissé vacant par l’Union Soviétique et le Pacte de Varsovie, désormais dépourvue d’ennemi désigné, l’Otan avait besoin d’un nouveau prétexte et d’un nouvel ennemi pour continuer à exister et pour s’étendre en direction de l’Eurasie. A ce moment-là le thème de la « guerre à la terreur » n’avait pas encore vu le jour, il ne verra le jour qu’ après le 11 septembre 2001; ce prétexte allait donc être la guerre yougoslave au non du « droit d’ingérence » devenu « devoir d’ingérence » avec un Bernard Kouchner futur administrateur du Kossovo, lié à Georges Soros par sa femme Christine Ockrent. (6)

 

En Yougoslavie le « sans-frontiérisme » a multiplié les frontières

La propagande américano-occidentale a présenté les Serbes comme les agresseurs d’autres peuples en Yougoslavie. Elle a complètement occulté une réalité qui a échappé à beaucoup: que les Serbes étaient non seulement l’élément prépondérant de la Fédération mais encore qu’ils en peuplaient l’espace depuis des siècles, bien avant la création en 1918 de la première Yougoslavie. Présents en Krajina dès le XVIème siècle, pourvus en terres, les Serbes s’étaient vu confier par Vienne la mission militaire de garder le Limes de l’Empire Austro-Hongrois face à l’Empire Ottoman. (7)

En Yougoslavie, à cheval sur les républiques de Serbie, de Bosnie et de Croatie, l’élément serbe et monténégrin, c’est-à-dire slave orthodoxe écrivant en cyrillique, constituait plus de la moitié d’une population évaluée en 1991 à 24 millions. L’imbrication des populations en Croatie (Krajina) et Bosnie et Herzégovine allait permettre aux Occidentaux de pousser leurs pions et de déclencher la guerre nécessaire à l’Otan pour justifier son existence et faciliter son extension. Des attentats opportuns à Sarajevo (8) et des mises en scène médiatisées de massacres allaient jalonner les différents stades de la guerre et favoriser les plans Du Pacte atlantiste. Profitant de la faiblesse de la Russie amie des Serbes déstabilisée par le désordre post-soviétique et le pillage des oligarques, l’Otan devait fêter ses 50 ans pendant les bombardements de la République fédérale de Yougoslavie (RfY, Serbie et le Monténégro) après l’éclatement de la Fédération sans susciter de réaction concrète de la partie russe.

Parallèlement à la Krajina, la guerre est portée en Bosnie et Herzégovine où les Occidentaux soutiennent le camp musulman dit « bosniaque ». Hostiles à l’indépendance bosniaque, favorables au maintien d’une Yougoslavie, les Serbes déclarent leur indépendance le 9 janvier 1992 sur le territoire qu’ils contrôlent. Une intense propagande relayée dans le monde occidental et arabo-musulman va les diaboliser, les présenter comme les agresseurs. Après bien des péripéties, cela permettra d’envoyer des Casques Bleus de l’Onu et d’introduire des hommes des forces spéciales américano-occidentales. Ces derniers effectuent un travail de renseignement, de soutien et de sabotage. Des incidents avec les Serbes serviront de prétexte à l’envoie par Jacques Chirac de la Force de Réaction Rapide, première intervention ouverte d’un pays liée à l’Otan avant les bombardements de la Republika Srpska).

La Bosnie et Herzégovine (c’est son appellation réelle et non « Bosnie-Herzégovine » comme on le voit écrit) était une véritable peau de léopard où les populations se trouvaient mêlées. Adossés à la République de Serbie, les Serbes de Bosnie vont assurer militairement l’homogénéisation du territoire en confinant les Bosniaques musulmans à la partie centrale. Contrairement à ce que l’on a pu entendre la bataille pour Sarajevo (400. 000 habitants) ne consistait pas à encercler les Musulmans mais à essayer d’y préserver les Serbes qui y constituaient le tiers de la population. Les premiers tireurs embusqués (« snipers ») sont bosniaques musulmans et l’apparition de tireurs serbes est une riposte. De même les premières embuscades sanglantes qui prennent pour cible de jeunes recrues de l’Armée Yougoslave (Jna) sont l’oeuvre des hommes d’Alija Izetbegovic. La zone musulmane s’étend des environs de Mostar aux villes de Tuzla et de Zenica. Bihac deviendra la pointe musulmane à l’ouest. Peu nombreux (18%) les Croates, qui seront associés aux Musulmans dans la Fédération Croato-Musulmane, ne contrôlent que des poches à l’ouest de Sarajevo, dans le nord et dans le sud (partie de l’Herzégovine et confins de la Dalmatie). Des enclaves musulmanes subsistent à l’est. Abritant une usine d’armement, objet d’âpres batailles au sud-est de Sarajevo, Goradze sera maintenue dans la zone musulmane grâce à l’appui des S.a.s. britannique. Plus au nord, l’enclave de Zepa sera conquise par les Serbes en même temps que sa voisine de Srebrenica. La propagande de guerre devait faire de Srebrenica une sorte de nouveau Guernica. Après avoir pris cette enclave de 30.000 habitants, les soldats de l’Armée de la Republika Srpska (Vrs) se seraient livrés à un « massacre ». 8000 habitants de l’enclave auraient été passés par les armes. Cette présentation n’est pas corroborée par les faits, la seule vidéo montrée ayant consisté à un règlement de compte concernant six personnes intervenu à 150 kilomètres de là, à Trnovo. Placée sous la protection de l’Onu, Srebrenica était une base de moudjahidines alimentée en armes par des parachutages turcs. Quand les autorités civiles de la ville décident de se rendre, des milliers de moudjahidines en armes tentent de percer les lignes serbes et de s’échapper vers les lignes bosniaques distantes de 50 kilomètres. Durant ce mouvement un certain nombre d’entre eux sont tués. Les Serbes ont publié les noms de leurs propres victimes locales, qui s’élèvent à plus de 3000 personnes. Le « massacre de Srebrenica » est une opération de guerre psychologique et médiatique qui occulte les tueries opérées par Nacer Oric, le chef militaire musulman de la place, à l’encontre des habitants et des villageois serbes de l’enclave et des alentours. Il devait permettre le bombardement des Serbes de Bosnie par l’Otan et la « conférence de paix de Dayton ».

Le 14 décembre 1995, les Accords de Dayton (paraphés en novembre à Paris) associaient les parties en conflit et établissaient avec la participation de Slobodan Milosevic le découpage interne de la Bosnie et Herzégovine, créant deux secteurs, la Fédération Croato-Musulmane et la Republika Srpska. Les Musulmans mettaient la main sur Sarajevo, obtenaient le désenclavement de Gorazde et la partie centrale de la Bosnie. Les Serbes obtenaient la moitié de l’ex république sur un découpage pour le moins problématique. Le corridor de la Posavina (Brcko), goulet d’étranglement entre la Bosnie musulmane et la Slavonie croate coupant presque en deux la Republika Srpska, était maintenu. La disparition des enclaves de Srebrenica et de Zepa était avalisée. Les Serbes déplaçaient leur capitale de Pale, petite localité montagnarde près de Sarajevo, à Banja Luka, deuxième ville de Bosnie (200.000 habitants). Les Accords de Dayton marquaient aussi la mise à l’écart politique de Radovan Karadzic, le chef des Serbes de Bosnie, par la collusion des intérêts de Milosevic et des Occidentaux. Mis sur la liste des « criminels de guerre » de La Haye, Radovan Karadzic, par son dévouement et sa popularité, faisait de l’ombre à un président serbe considéré par les Occidentaux comme le tuteur de la Republika Srpska. Cette collusion n’allait pas changer le destin de Milosevic qui devait par la suite être arrêté, kidnappé et déporté à la prison hollandaise de Scheveningen où il devait mourir au cours de son procès. On sait que Radovan Karadzic et le général Ratko Mladic devaient eux-aussi être emprisonnés à La Haye pour y subir, comme Vojislav Seselj et quelques autres chefs serbes, le procès rituel du Sanhédrin de la « communauté internationale ».

La « guerre du Kossovo » dernier épisode de la guerre contre la Serbie

Par rapport au détachement de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie, l’affaire du Kossovo est intervenue très tard dans le processus de démantèlement de la Yougoslavie, ce qui tend à prouver que la conduite de ce processus correspondait à un plan par étapes soigneusement élaboré. Les troubles dans la région autonome (9) devaient s’intensifier en 1998 après que le ministre allemand des affaires étrangères Klaus Kinkel ait déclaré de manière péremptoire que « le Kossovo ne resterait pas une affaire intérieure serbe ». A partir de ce moment-là en effet le groupe apparu sous le nom d’Armée de libération du Kossovo (Alk) (10) qui développe ses activités d’assassinats et de sabotages avec le soutien extérieur des mentors des Croates et des Bosniaques musulmans passe à une vitesse supérieure en recrutant des centaines d’hommes armés dans la diaspora albanaise et en faisant de l’Albanie sa base arrière. Dans la presse occidentale les opérations des forces de l’ordre yougoslaves sont présentées comme des actions de répression d’un peuple privé de liberté. C’est facile parce que l’on connait déjà la chanson et les mots qui ont servi à dénigrer les Serbes en Croatie et en Bosnie.

Après une parenthèse due à sa participation aux accords de Dayton, Milosevic redevient le « boucher des Balkans » et les organisations de droits de l’homme et sociétés de relations publiques donnent à nouveau le ton pour faire monter la tension. Posant la question « Acceptez-vous la participation de représentants étrangers à la résolution du problème du Kosovo?» le référendum serbe du 23 avril 1998 est qualifié de « manœuvre dilatoire » par le secrétaire général de l’Otan Javier Solana et les pays occidentaux le dénoncent. L’opinion des Serbes qui se prononcent massivement contre l’ingérence étrangère dans les affaires de leur propre pays ne compte pas. La Serbie n’a aucun droit chez elle et c’est l’étranger qui doit lui dicter sa loi.

La presse occidentale évite la mise en perspective historique et présente la situation au Kossovo comme la seule conséquence de la politique « nationaliste » de Slobodan Milsosevic et de la répression serbe. Rien ou très peu de choses sur le rôle des Albanais pendant le régime ottoman, rien sur les exodes serbes pour fuir les persécutions turco-albanaises sous ce régime comme plus tard lors de la création de la Grande Albanie par les forces de l’Axe. Aucune référence à La Ligue de Prizren ni au nationalisme albanais avant même qu’un Etat albanais n’apparaisse (10) sur les bords du canal d’Otrante. Rien non plus sur le fait qu’un Acte du Congrès américain (« Acte pour la Paix et la Démocratie au Kossovo ») apporte au tout début de la guerre yougoslave un soutien aux séparatistes albanais. Relayés par les sociétés de relations publiques et les Ong américaines habituelles (11), les reportages biaisés présentant systématiquement les Serbes comme des oppresseurs de la minorité albanaise servent de prétexte à la condamnation de la Serbie par la « communauté internationale » et le mécanisme déjà rodé en Bosnie se met en marche. Là ce ne seront pas des Casques Bleus des Nations Unies mais des observateurs de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (Osce) que Milosevic commet l’erreur d’accepter dans la province troublée et ce sont bien entendu les Américains qui en prennent le commandement.

On connait la suite. La dé-légitimation de la présence des forces de sécurité serbes dans la province, l’annonce par les Américains qu’une « catastrophe humanitaire » est imminente, la présentation des opérations de la police et de l’armée comme des opérations de « nettoyage ethnique » et puis le point d’orgue nécessaire à toute « guerre humanitaire », la révélation du « massacre de Racak ». A Racak, petit village du Kossovo, 45 corps sont présentés à la presse internationale par le chef de l’Osce, l’américain William Walker, comme ceux de villageois tués par les Serbes. Une expertise réalisée par une équipe de médecins légistes dirigée par la finlandaise Hélène Ranta, aura raison de cette mise en scène (des cadavres de membres de l’Uçk tués dans les combats rassemblés et habillés à la hâte en villageois) mais l’émotion provoquée par la médiatisation du « massacre » permettra à l’Otan de déclencher près de trois mois de bombardements intensifs de la Serbie et du Monténégro le 24 mars 1999 et de pénétrer au Kossovo le lendemain des « Accords de Kumanovo » (9 juin).

Ces accords techniques ne sont pas une capitulation de la partie serbe. Sont mis au point dans cette ville de Macédoine le retrait des forces serbes et l’entrée de forces des Nations unies, « une part substantiellerevenant à l’OTAN » (…). Le 10 juin 1999 le Conseil de Sécurité de l’Onu adopte la « résolution 1244 » qui «  invite les présences internationales militaires et civiles à maintenir l'ordre public, à promouvoir les droits de l'homme et à faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et le relèvement de l'économie ».

Déjà positionnée en Macédoine, l’Otan qui va prendre le nom de « Kosovo Force » (Kfor) entre au Kossovo derrière le général britannique Michael Jackson et la province est divisée en cinq zones d’occupation attribuées à cinq pays membres de l’OTAN, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Un contingent russe se fraiera un chemin sans être invité mais ne restera pas.

Le départ en bon ordre de la troupe serbe et l’entrée de l’Otan lâchent les terroristes albanais de l’Uçk dans la nature et entrainent l’exode de 220.000 serbes et d’une bonne partie des minorités non albanaises. Ceux qui restent (environ 160.000) sont en butte à la violence et aux assassinats en présence d’une Otan qui vient de leur faire la guerre. Le chiffre évoqué des victimes albanaises du conflit étaient faux. Comme celui de la population albanaise grossi lui aussi en son temps pour les besoins de la propagande séparatiste (12).

La résolution 1244 devait être violée sur trois points. La présence d’une force de sécurité serbe est refusée. Le retour des réfugiés (Povratak) ne se fait pas (ou à une dose infime). Rien ne sera fait pour la favoriser. La résolution prévoit aussi le maintien de la province dans le cadre serbe contre une autonomie substantielle. En cautionnant en février 2008 la proclamation unilatérale d’indépendance de la minorité albanaise, la « communauté internationale » viole clairement le contenu de cette résolution.

Berceau historique de la Serbie et son cœur spirituel, le Kossovo occupé est toujours au centre des préoccupations serbes et, quoi qu’il arrive, cela n’est pas prêt de finir. A l’exception d’individus et de groupes marginaux, rares sont en effet les politiciens de Belgrade qui remettraient en cause la « serbité » de la province. Les pogroms de serbes de mars 2004 ont montré les limites de la « force de protection du Kossovo » (Otan) qui prétendait être là pour assurer la paix. Les préoccupations des Américains sont autres. Dès le début de l’occupation, Halliburton installe pour l’Us Army près de la frontière macédonienne la grande base militaire de Camp Bondsteel.

Purement théorique, sous la tutelle des Américains, l’administration de Pristina n’a aucune autre raison d’existence que les trafics et les crimes de la Mafia albanaise dont les deux principales spécialités sont le trafic de drogue (héroïne) et la prostitution. L’Union Européenne s’est mise en tête de fournir des institutions à cette entité virtuelle et de l’aider à étendre sa juridiction sur le nord de la province encore majoritairement peuplé de serbes. Ceci explique le mouvement de révolte serbe des barricades érigées depuis un an et dressé aussi bien contre la Kfor (Otan) que contre Eulex (l’Ue). Les quatre districts du nord de la rivière Ibar, Leposavic, Zvecan, Zubin Potok et Kosovska Mitrovica Nord ont ainsi formé une communauté d’intérêt et de défense civile qui s’oppose au tracé d’une frontière dans le même pays et fait des deux postes de la ligne de démarcation défendus par l’Otan (Jarinje et Brnjak) un enjeu et un défi permanents.

Yves Bataille

Article paru dans le rébellion 55

 

NOTES

  1. En Yougoslavie la société de relations publiques Ruder FinnInc a joué le même rôle que Hill & Knowlton dans la guerre contre l’Irak. Chargée de diffuser des informations favorables à l’intervention militaire américano-occidentale et de noircir Saddam Hussein, cette dernière ne se contentait pas de la diffusion de nouvelles, elle en fabriquait aussi.

  1. Une spécialité des Anglo-Saxons et le nouveau nom donné aux mercenaires. Créées dans le cadre de la privatisation de la guerre, ces sociétés opèrent là où les armées conventionnelles ne peuvent intervenir ouvertement ou en complément de ces dernières comme on l’a vu en Irak et en Afghanistan.

  1. Sur la genèse de la guerre et le hiatus entre les déclarations officielles des Etats-Unis et la réalité on consultera un document parlant: Yougoslavie, une guerre évitable : http://www.dailymotion.com/video/x6qd1q_1-3-yougoslavie-une-guerre-evitable_news

  1. Auteur de la Déclaration Islamique, Alija Izetbegovic a été qualifié de panislamiste: « Nous voulons la réalisation de l'Islam dans tous les domaines de la vie privée des particuliers, dans la famille et dans la société, par la renaissance de la pensée religieuse islamique et la création d'une communauté Islamique unique, du Maroc à l'Indonésie ». Publié en 1990, ce manifeste lui a permis d’obtenir le soutien de pays musulmans aussi différents que le Maroc, le Pakistan, la Malaisie, les Emirats et l’Arabie Séoudite mais pas de l’Irak, de la Libye et de la Syrie qui entretenaient de bonnes relations avec la Yougoslavie puis quand la guerre éclata soutinrent la République fédérale de Yougoslavie, Serbie et Monténégro.

  1. La présence de ces moudjahidines a été soigneusement occultée par la presse occidentale qui préférait focaliser sur les milices serbes. A partir de 1992, après avoir servi en Afghanistan, des milliers d’islamistes de la mouvance Al Qaeda ont été acheminés en Bosnie par les forces spéciales britanniques et étatsuniennes pour devenir le fer de lance de l’armée musulmane d’Izetbegović. Opération effectuée avec le concours de l’armée turque. Présent à Sarajevo, Ousama Ben Laden devait même recevoir d’Alija Izetbegović la nationalité bosniaque. Les livraisons d’armes aux musulmans sous la supervision de l’Otan passaient par le port croate de Split où les Croates prélevaient leur dime. A la suite d’un différent croato-musulman dû à la fois au prélèvement de cette dime et à une série d’affrontements entre les deux camps, les Croates interdirent les livraisons et c’est l’armée turque sui devait oprendre le relais en parachutant des armes dans le nord de la Bosnie, entre Srebrenica et Tuzla.

  1. Droit ou devoir d’ingérence devenu l’idéologie du Conseil de Sécurité de Nations Unies sous la coupe des Anglo-Saxons sous la formule sournoise de « responsabilité de protéger », la « R2P ». On a vu son usage contre la Libye.

  1. Sur le sujet : Histoire de frontières, l’Autriche et l’Empire ottoman, Jean Nouzille, Berg International, Paris 1991.

  1. A Sarajevo, attentat devant une boulangerie de la rue Vasa Miskin, le 27 mai 1992, 30 morts, attentat du marché (Markale) le 5 février 1994, 68 morts, autre attentat presque au même endroit le 28 août 1995, 37 morts. Ces provocations débouchèrent sur des sanctions comme l’embargo, le renforcement de l’embargo, les bombardements de la Republika Srpska

  2. Autonomie supprimée en 1987 par Slobodan Milosevic dont le discours de Gazimestan en 1989 marqua les esprits par sa détermination à vouloir défendre les Serbes. L’ancienne Yougoslavie ne comprenait que deux régions autonomes, le Kossovo et la Vojvodine. Il faut noter que le Kossovo n’a pas toujours eu les mêmes lignes administratives. Après la deuxième guerre mondiale, les districts du nord (Leposavic et Zvecan) appartenant à la Serbie proprement dite furent rattachés à la région autonome. D’autre part la région de Pec en Métochie avait appartenue naguère au Monténégro.

L’Armée de libération du Kossovo, Ushtria Çlirimtare e Kosovës, Uçk, fait connaître son existence en 1996. Son action est tournée aussi bien contre les représentants de l’Etat yougoslave que contre les Albanais de la province vivant en bonne entente avec les Serbes. Ibrahim Rugova, longtemps présenté comme le symbole de la « résistance albanaise » avec sa Ligue démocratique du Kossovo (Ldk) émettra des doutes sur l’origine du groupe et le dénoncera comme un produit des services secrets serbes. Considérée comme un groupe terroriste par les pays occidentaux, l’Uçk se verra reconnaître comme interlocuteur valable après le revirement des Etats-Unis à son égard. Les bad guys deviennent du jour au lendemain des « combattants de la liberté ».

Slobodan Milosevic a été présenté à tort comme le chantre de la « Grande Serbie », une formule absente de ses discours. La Grande Serbie n’a jamais été le projet du président serbe mais celui de son concurrent du Parti radical serbe (Srs) Vojislav Seselj. Placé sur la longue liste des « criminels de guerre » supposés du Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie (TPIY), Seselj s’est livré volontairement à ce tribunal qu’il ne cesse de dénoncer comme une arme dérivée de l’Otan. Son interminable procès dure depuis 9 ans.

(9)L’Etat albanais fut fondé en 1912 avec l’idée de permettre une « alliance de revers » contre la Serbie. Dans un registre voisin et concernant toujours les Serbes, on impute à l’un d’entre eux, Gavrilo Prinzip et à l’attentat de Sarajevo la responsabilité du déclenchement de la première guerre mondiale. C’est inverser les responsabilités en oubliant l’annexion de la Bonie et Herzégovine par Vienne en 1908 et la répression des mouvements d’unité slave dans la région.

(10)Une de ces officines devait retenir particulièrement l’attention, International Crisis Group de Morton Abramowitz. Cet ancien ambassadeur des Etats-Unis en Turquie, ex responsable du service de renseignements du Département d’Etat, Abramowitz est l’homme qui avait organisé la livraison de 500 missiles Stinger aux moudjahidine de Gulbuddin Ekmatyar, trafiquant de drogue et associé d’Ossama Ben Laden au milieu des années 1980. On retrouve Abramowitz et Icg tout au long du conflit yougoslave dans le camp antiserbe. L’individu qui a pour collaborateurs Christine Ockrent, la femme de Kouchner, s’invitera même aux « négociations » de Rambouillet comme conseiller spécial de la délégation séparatiste albanaise. A Rambouillet, il n’y eut pas de négociations mais un diktat américain. Ces derniers exigeaient des Serbes le libre passage de leur territoire aux troupes de l’Otan. La « diplomatie coercitive » de Madeleine Albright dans toute sa splendeur. Le refus devait déboucher sur les bombardements de l’Otan (24 mars 1999) après la mise en scène de Racak.

(11) Un recensement effectué en avril 2011 estime la population du Kossovo à 1.700.000 habitants alors que les Albanais prétendaient être en 1999 « plus de 2 millions ». Le mouvement d’émigration vers les pays de l’Union européenne est insuffisant pour justifier cette différence. La majorité des Albanais ayant depuis l’ « indépendance » émigré dans l’Ue viennent des pays voisins, Albanie, Macédoine, Monténégro etc). Question de passeports et de visas, très peu d’Albanais du Kossovo ont émigré vers leurs pays de prédilection, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et la Suisse. Le chiffre de la population serbe et non albanaise du Kossovo a en revanche été minimisé pour les mêmes raisons : délégitimer la présence serbe en Kossovo et Métochie.

 

Yves Bataille, serbie, otan,Camp Bondsteel,  agression, yougoslavie

 

 

13/03/2015

Campagne : Non au Traité Transatlantique !

Le milliardaire américain Warren Buffett déclarait en 2005 sur la chaîne de télévision CNN : « Il y a une lutte des classes, ma classe la gagne, alors qu'elle ne le devrait pas »

En ce début de siècle où le pouvoir de l’argent peut désormais s’exhiber avec le plus parfait cynisme et un mépris toujours plus exacerbé des populations, faut-il s’étonner de voir surgir un nouveau projet de traité rédigé par les têtes-pensantes de l’oligarchie occidentale ?

D’abord l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement), hier le TAFTA pour Trans-Atlantic Free Trade Agreement (Traité de Libre-échange Transatlantique), aujourd’hui le TTIP pour Transatlantic Trade and Investment Partnership Agreement (Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement), les acronymes changent, peu importe, car les objectifs demeurent les mêmes. Quant aux causes de la réactivation actuelle d’un projet qui remonte aux années 90, elles sont intimement liées aux difficultés des Etats-Unis à imposer leur hégémonie par l’intermédiaire de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Le TTIP a pour particularité de s’élaborer dans le secret, afin de créer fait accompli et irréversibilité. Comme le disait un technocrate d’EDF à l’époque de la montée en puissance du nucléaire français sans consultation des populations : « On ne prévient pas les grenouilles quand on assèche les marais ». Les décisions sont prises à huis clos par des « décideurs » appartenant aux multinationales, aux groupes financiers et bancaires, aux divers groupes de pression mais aussi à la technocratie des différents Etats concernés. Les medias officiels ne vont donc pas s’empresser de vous informer de la teneur de ce traité ni même de son existence.

Mais de quoi s’agit-il ?

L’Europe persiste à faire respecter, très modestement, un certain nombre de normes de production. C’est à l’évidence une anomalie insupportable pour les détenteurs de capitaux mondialisés, un frein obsolète et ringard à la « libre circulation des marchandises », et donc à la nécessaire recherche du profit le plus abject.

Dans la religion du libre-échangisme, nos gourous mondialistes ont donc l’intention d’y remédier en réalisant une parfaite harmonisation des réglementations européenne et américaine.

C’est en Europe que l’œuvre de destruction aura le plus fort impact. Les Etats-Unis sont en effet d’ores et déjà le lieu d’une protection sociale minimale et de normes de production peu contraignantes à l’image du fast-food, néo-bouffe synthétique.

Ne soyons pas candides, il ne s’agit pas d’une inféodation économique de l’Europe à la puissance américaine, mais d’une parfaite collaboration des pseudo-élites européenne et américaine dans une même direction, y compris bien sûr des personnels politiques nationaux.

 Bœuf aux hormones, néo-poulet nettoyé à l’eau de Javel, omniprésence totalitaire des OGM, disparition des AOC (Appellations d’Origine Contrôlée) sont à l’ordre du jour. L’agriculture française subira l’estocade et les suicides d’agriculteurs vont pouvoir s’accélérer jusqu’à leur disparition, leur transformation en animateurs culturels de bord d’autoroutes ou au mieux leur reconversion dans le tourisme rural.

Mais c’est aussi le sort des salariés ou des professions libérales qui sera fragilisé par la destruction du droit du travail et la déréglementation des conditions d’accès à certaines professions. Les projets de l’insignifiant Macron – petit soldat du Système fraîchement sorti des entrailles de Rothschild – participent à l’évidence de cette désagrégation organisée des métiers dont l’idée saugrenue de transformer des postiers en inspecteurs du permis de conduire est emblématique.

Le TTIP organise aussi la possibilité de réaliser « juridiquement » la totale dictature des marchés et du Capital mondialisé sur les hommes et leurs institutions. En effet, au plus grand mépris de notre « démocratie représentative », fiction d’une représentation populaire, il sera possible d’avoir recours à un « mécanisme de règlement des différends » entre Etats et investisseurs privés : l’Investor-to-State Dispute Settlement (ISDS). Ainsi, les investisseurs outrés par le maintien d’une norme ou une quelconque résistance locale à l’invasion de leurs produits ou de leur mode de production, pourront poursuivre en justice l’Etat signataire récalcitrant devant un tribunal arbitral international tel que le CIRDI (Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs à l’Investissement) situé à Washington. La signature du Traité impliquera dès lors condamnation et peines financières lourdes jusqu’à assujettissement total.

La création d’un grand marché européen tant vanté par nos pseudo-élites n’a apporté que dérégulation, régression sociale, chômage, délocalisations, pauvreté, endettement organisé. Le grand marché transatlantique programmé sera un fantastique accélérateur de cette dégradation de nos conditions de vie.

Comment expliquer l’apparition de ce funeste projet des mondialistes ? Depuis plus de 30 ans maintenant, toute critique sociale un tant soit peu solide et organisée a disparu du continent européen. Les peuples tétanisés et sans perspective politique subissent et tentent d’ignorer la violence qui leur est faite. Or, le système capitaliste n’a connu de frein à son ignominie intrinsèque que parce que des obstacles à sa toute-puissance s’étaient maintenus. Dès lors que ces obstacles ont disparu, ce système apparaît sans fard dans sa pure logique d’oppression et d’écrasement des peuples.

 L’Europe est une anomalie, un reste de frein à l’expansion nihiliste du Capital, du fait de ses particularités historiques, culturelles, un lieu de la conscience et du conflit politique, elle doit donc plier et s’aligner sur le diktat anglo-saxon ultra libéral.

Le TTIP c’est la négation du droit des peuples, la baisse de qualité généralisée, le règne définitif de l’ersatz et de la falsification des produits sur fond d’esclavage par la dette. Ce que nos ennemis souhaitent c’est l’avènement d’un monde d’hommes soumis et corvéables à merci, atomisés, déracinés, acculturés, abêtis, à durée de vie courte, mais producteurs et consommateurs de poisons à bas coût de production pour la victoire insensée du profit et de l’accumulation de capital.

Le TTIP constitue avec l’OTAN les deux faces d’une même pièce, économique pour la première, militaire pour la seconde, signifiant la destruction planifiée de toute souveraineté des peuples européens.

Il est urgent de comprendre la nature de ce projet mortifère, véritable fosse commune de notre civilisation. Lutter contre le TTIP, c’est s’opposer à la barbarie et à la déshumanisation programmée. Le TTIP est l’aboutissement logique d’une oppression qui a débuté au Royaume-Uni au début du XIXème siècle instaurant la déraison marchande et la dictature de la marchandise pour le profit d’une élite nihiliste et débilitante. Ce Système doit être abattu et la dénonciation du TTIP est l’occasion de la prise de conscience de cette nécessité historique.

 

tafta,trans-atlantic free trade agreement,traité de libre-échange transatlantique

 

10/03/2015

Proudhon et Marx : Toujours irréconciliables ?

Proudhon-e-Karl-Marx-1.png

L’affrontement entre le Français et l’Allemand a fait couler beaucoup d’encre. « Entre le socialisme proudhonien et le socialisme marxiste, il y a un désaccord plus grave qu’une querelle politique ou une rivalité d’école. Ce sont deux tempéraments qui s’affrontent, deux conceptions de la vie qui s’opposent » écrivait Robert Aron. La brouille des deux philosophes ne s’est pas apaisée avec le temps, les plus dogmatiques de leurs partisans respectifs entretenant la rivalité.

Pourtant les choses avaient si bien commencé. Dès sa jeunesse, Proudhon a exercé sur Marx une influence constante.  C’est en disciple et en continuateur de Proudhon qu’il a entrepris en 1844 ce qui deviendra la tâche exclusive de son existence. Marx a dit l’impression extraordinaire que firent sur lui les premiers écrits du "penseur le plus hardi du socialisme français" (1842). La Sainte Famille (1845) contient une véritable défense de Proudhon qui y est reconnu maître du socialisme scientifique, père des théories de la valeur-travail et de la plus-value. Il y défend le penseur français contre les attaques des « jeunes hégéliens ». Néanmoins, Marx pense déjà aller plus loin que Proudhon dans l’optique de la critique de l’économie politique :

« Dire que Proudhon veut supprimer le non-avoir et le mode ancien d’avoir revient exactement à dire qu’il veut abolir l’état d’aliénation pratique de l’homme par rapport à son essence objective, l’expression économique de l’auto-aliénation humaine. Mais comme sa critique de l’économie politique est encore prisonnière des présuppositions de l’économie politique, la réappropriation du monde objectif lui-même reste conçue sous la forme que la possession revêt dans l’économie politique. ». Lénine notera à propos de cet ouvrage : « Marx quitte ici la philosophie hégélienne et s’engage sur le chemin du socialisme. Cette évolution est évidente. On voit que Marx a déjà acquis et comment il passe à un nouveau cercle d’idées. ». (Cahiers philosophiques) .

Dans L’Idéologie allemande (1846) il réitèrera sa critique selon laquelle « Proudhon critique l’économie politique en se plaçant au point de vue de l’économiste, le droit en se plaçant au point de vue du juriste » tout en reconnaissant que « Proudhon oppose les illusions des juristes et des économistes à leur pratique ». Ces évaluations impartiales se situent dans sa polémique contre certains représentants d’un socialisme fumeux (« le socialisme vrai ») en Allemagne, qui s’attaquent malhonnêtement à Proudhon. Concernant l’idée de dialectique sérielle, formulée par ce dernier, Marx la qualifie de : «… tentative de fournir une méthode de pensée grâce à laquelle on substitue aux idées considérées comme des entités le processus même de la pensée. Partant du point de vue français, Proudhon est en quête d’une dialectique, comme celle que Hegel a réellement fournie. Il y a donc ici parenté de fait avec Hegel… Il était donc facile […] de faire une critique de la dialectique proudhonienne pour peu qu’on ait réussi à faire celle de la dialectique hégélienne ».

De fait, on comprend ici que Marx reproche au français ce qu’il a déjà critiqué chez Hegel, c’est-à-dire son idéalisme. Mais rappelons que Marx parlera également du « noyau rationnel » de la dialectique hégélienne. Hegel supérieur aux matérialistes vulgaires ! Alors, mutatis mutandis, qu’en est-il de Proudhon ? Ultérieurement, Marx écrira à propos de la dialectique proudhonienne, dans une lettre datée du 24 janvier 1865 : « Il s’efforçait en même temps d’exposer par la méthode dialectique le système des catégories économiques. Dans sa méthode d’analyse, la « contradiction » hégélienne devait se substituer à l’insoluble « antinomie kantienne ».

Pour la critique de ces deux gros volumes, je vous renvoie à ma réplique. J’y montrais, entre autres, qu’il n’avait pas percé le secret de la dialectique scientifique ; et d’autre part, qu’il partageait les illusions de la philosophie spéculative : au lieu de saisir les catégories économiques comme des expressions théoriques des rapports de production historiques qui correspondent à un niveau donné du développement de la production matérielle, sa divagation les transforme en idées éternelles, préexistantes. […] Proudhon avait un penchant naturel pour la dialectique, mais il n’a jamais compris la vraie dialectique scientifique ; il n’a réussi que dans le sophisme. »

Ce jugement sera définitif aux yeux de Marx.

 

La pensée émancipée de Marx va mettre au clair de nombreux concepts que Proudhon n’avait fait qu’aborder. 

En mai 1846, Marx avait choisi Proudhon comme correspondant français du "réseau de propagande socialiste" qu’il organise. Mais, dans sa lettre d’acceptation, Proudhon, son aîné de dix ans, lui donne des conseils le mettant en garde contre le dogmatisme autoritaire, le romantisme révolutionnaire et l’esprit d’exclusion, néfastes à la cause socialiste. Piqué au vif, le jeune Marx rompit avec Proudhon, et aussitôt son admiration de disciple se changea en une rancune tenace et une sorte de fascination négative. Sa réponse aux thèses de Proudhon, Misère de la philosophie (écrite en 1847) si elle pointe certaines des insuffisances de l’œuvre du Français reste marquée par la rancoeur. Proudhon ne s’y trompe pas, loin d’attribuer leur brouille à un antagonisme doctrinal, il note : « En vérité Marx est jaloux… Le véritable sens de l’ouvrage de Marx, c’est qu’il a le regret que partout j’ai pensé comme lui et que je l’ai dit avant lui ». La pensée émancipée de Marx va mettre au clair de nombreux concepts que Proudhon n’avait fait qu’aborder. Sur le fond, Marx définit assez bien ce qui le sépare de Proudhon, dans un passage biffé de L’idéologie allemande : « Proudhon, que critiquait violemment, dès 1841, le journal des ouvriers communistes, La Fraternité, pour ses thèses du salaire égal, de la qualité de travailleur en général, et les autres préjugés en matière économique que l’on rencontrait chez cet excellent écrivain et dont les communistes n’ont adopté rien d’autre que sa critique de la propriété. »

A l’heure actuelle, Proudhon et Marx sont-ils encore irréconciliables ? Pour reprendre la démarche de Gurvitch, il nous paraît intéressant de les confronter et d’en tirer des éléments d’analyse pour notre époque : « La pensée de Proudhon et celle de Marx, au lieu de s’exclure, se complètent et se corrigent mutuellement ». Sur quel plan ? Probablement sur le plan des objectifs politiques que nous nourrissons contre le capitalisme et que les communards de 1871 avaient repris à leur compte sous l’appellation de fédéralisme. Proudhon écrivait en 1863 dans Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la révolution : « Toutes mes idées économiques, élaborées depuis vingt-cinq ans, peuvent se résumer en ces trois mots : Fédération agricole-industrielle ; Toutes mes vues politiques se réduisent à une formule semblable : Fédération politique ou Décentralisation ; […] toutes mes espérances d’actualité et d’avenir sont exprimées par ce troisième terme, corollaire des deux autres : Fédération progressive. »

Le véritable fédéralisme est aux antipodes des caricatures que veulent nous en donner les politiciens européistes. Redonner le pouvoir aux travailleurs selon le principe de subsidiarité serait une amorce de réappropriation du politique en vue du dépassement de la logique du capital et de l’aliénation salariée que Marx, lui-même, a si bien analysée et dénoncée. Pendant que les zélateurs des deux « prophètes » s’acharnent à faire une différenciation tranchée, le mouvement ouvrier peut puiser sans dogmatisme dans leurs pensées. 

Pierre Joseph Proudhon : Philosophe de la révolte

Un Homme Libre

Né le 15 janvier 1809 à Besançon dans une famille très modeste. Proudhon est l’un des rares fondateurs du socialisme issu véritablement du peuple. Plus tard, il pourra dire avec fierté : « je suis pauvre, fils de pauvre ; j’ai passé ma vie avec les pauvres et, selon toute apparence, je mourrai pauvre ». Proche de la terre, c’est un homme rustique et fier. Nostalgique de son terroir franc-comtois dans son exil parisien, il éprouvera toujours un fort attachement pour la Nature. C’est à son contact quotidien qu’il passe son enfance. À la campagne, il sera garçon de ferme jusqu’à douze ans pour aider sa famille dans le besoin. « Proudhon n'est pas seulement issu du peuple, il lui reste attaché par toutes les fibres de son corps et de son esprit. Ce n'est pas lui que la révolte pousserait vers un nihilisme négateur de toutes les valeurs. Au contraire, c'est pour défendre les anciennes valeurs morales chères au petit peuple de France et menacées par la corruption de la Société moderne qu'il arbore le drapeau de l'insoumission. Ainsi s'explique le double caractère si surprenant de sa doctrine qui est traditionaliste et révolutionnaire à la fois. ».

Cette éducation populaire le vaccine à jamais contre l ‘Eglise. « Dieu c’est le mal » déclarait «  le plus grand blasphémateur du siècle » comme l’avait bombardé un ecclésiastique réactionnaire dans un de ses prêches. Mais les rapports de Proudhon avec la foi sont loin d’avoir été aussi simples que certaines de ses formules à l’emporte-pièce. Ainsi, Proudhon croit que notre destin est entièrement entre nos mains et que nous ne relevons pas d’une autorité divine. « Ma conscience est mienne, ma justice est mienne et ma liberté est souveraine. Que je meure pour l’éternité, mais que du moins je sois homme, pendant une révolution du soleil ». S’il est profondément anticlérical et combat les prises de positions conservatrices des Eglises (« Mon Père, réplique-t-il un jour au curé de sa paroisse, mon Pâques ne vaut pas votre Vendredi saint »), il ne nie pas l’importance d’une démarche spirituelle, qui est pour lui une recherche d’un Absolu et la négation du matérialisme, et considère que « l’athéisme n’est pas une solution ». Provocateur et espiègle, il voit dans le Christ « Le Grand Prolétaire de Nazareth », un ancêtre du socialisme en quelque sorte, qui aurait bien du mal à se retrouver dans la bureaucratie qui prétend le servir.

Au début de son adolescence, il quitte sa campagne pour devenir élève boursier au collège de Besançon : «  Il a bien fallu me civiliser, mais l’avouerais-je ? Le peu que j’en ai pris me dégoûte. Je trouve que dans cette prétendue civilisation, saturée d’hypocrisie, la vie est sans couleur ni saveur, les passions sans énergie, sans franchise : l’imagination étriquée, le style affecté ou plat ». Manquant des livres les plus nécessaires, il fait toutes ses études de latinité sans un dictionnaire.

La faillite de son père l’oblige à arrêter prématurément ses prometteuses études. Il rentre en apprentissage dans une imprimerie comme typographe. À partir de là, il va exercer une multitude de métiers et poursuivre en parallèle son éducation en autodidacte. Il se forgera une culture prodigieuse et un sens critique unique.

Confronté dès l’enfance à l’injustice du Capitalisme, Proudhon ne pouvait que se révolter contre ce système et consacre sa vie entière à l’éveil du Peuple. « Un certain amour de la justice, aidé de beaucoup de passion, m’a fait tout ce que je suis. Je n’aurais probablement jamais songé à écrire sans cela ». Devenu journaliste, il poursuivra sa recherche de la justice à travers les calomnies et les insultes. Emprisonné, tour à tour, par la Monarchie de Juillet, la République et l’Empire, il refusera toujours de se soumettre. Pour lui, l’homme libre ne doit pas connaître le moindre confort. Il faut au contraire qu’il sente toujours l’aiguillon du besoin et qu’il soit prêt à tout sacrifier. «  Je sais ce que c’est que la misère, j’y ai vécu. Tout ce que je sais, je le dois au désespoir… » C’est en prison que Proudhon épousera Euphrasie Piégard, une ouvrière parisienne, qui l’aimera avec un dévouement parfait et lui donna quatre filles. Il nourrira toujours un profond amour pour sa famille, il se montrera un mari exemplaire et un père attentif.

Une philosophie de combat

Faire une synthèse de la pensée de Proudhon est une chose extrêmement difficile. « Philosophe combattant » avant tout, il proclame, dès ses premiers écrits, son horreur de toute doctrine érigée en système complet et définitif. Esprit en perpétuelle évolution, il n’avait pas peur de se remettre en question, au risque de donner une impression de confusion à son œuvre. Conscient de cela, il avait songé à rassembler et clarifier sa pensée foisonnante dans les dernières années de sa vie. Mais les circonstances ne lui en laisseront pas le temps. Malgré cela nous pouvons trouver une ligne directrice à son travail, une unité dans son œuvre.

À la base de la pensée proudhonienne, il y a une conception de la liberté individuelle souveraine. L’homme est d’abord un être libre que rien ne doit venir aliéner. Refusant de voir l’Homme écrasé par l’Homme, il s’oppose à tous les systèmes qui nient l’autonomie des personnes ou des collectivités librement choisies. Il ne suffit pas que la critique démolisse, disait Proudhon, il faut qu’elle affirme et reconstruise. Loin d’être un démolisseur incapable de bâtir, il propose une véritable alternative : le mutualisme et le fédéralisme. Il recherche à trouver un juste équilibre, à « trouver un état d’égalité sociale qui ne soit ni communauté, ni despotisme, ni morcellement, ni anarchie, mais liberté dans l’ordre et indépendance dans l’unité ».

Dans les sociétés basées sur le principe de la Propriété (qu’il définit comme le coeur du mal des sociétés modernes) et le Capitalisme, l’inégalité des conditions résulte de la force et du vol. En même temps, il n’accepte pas de refonder la société sur le principe d’une communauté qui déboucherait sur une étatisation totalisante où l’inégalité viendrait alors de l’enfermement dans l’uniformisation et de l’enchaînement de l’individu à la masse. «  Il ne s’agit pas, écrit-il, de tuer la liberté individuelle mais de la socialiser ». Proudhon accorde un rôle central au Travail, qui est pour lui une activité portant en son sein le sens de la société. Il en fait une force créative qui doit être libérée de son aliénation capitaliste. La mise en place de l’autogestion ouvrière et paysanne garantirait à tous une juste rétribution de leurs efforts, selon l’antique maxime romaine : «  A chacun ce qui lui revient selon sa capacité ».

Pour cela le mutualisme, basé sur un contrat librement accepté, serait l’alternative au communisme et au capitalisme. « Il y a mutualité, quand dans une industrie, tous les travailleurs, au lieu de travailler pour un entrepreneur qui les paye et garde leur produit sont censés travailler les uns pour les autres, et concourent ainsi à un produit commun dont ils partagent le bénéfice ». Le sens du mutualisme, c’est l’exploitation en commun des propriétés individuelles. Ainsi pour Proudhon, le principe mutualiste, bien mieux que le principe d’autorité, fonderait l’union des producteurs et des consommateurs, centraliserait leur force, assurerait l ‘unité et la solidarité de leurs intérêts. Le mutualisme articulé avec le fédéralisme ramènerait à l’unité toutes les divergences, résoudrait toutes les contradictions et, par conséquent, rendrait possible l’essor des sentiments de bienveillance et de dévouement que refoulait l’anarchie économique chère aux libéraux.

Partant de la base, le principe fédéraliste proudhonien visait à permettre la naissance d’une Europe unifiée dans sa diversité et devait limiter les risques de conflits entre les peuples.

Démocratie et Révolution

Une des constantes de la pensée proudhonienne est l’opposition radicale au système démocratique, tel que prétendait l’imposer les libéraux et les conservateurs. Pour lui, le suffrage universel est organisé de manière à servir la tyrannie des professionnels de la politique et à empêcher le peuple de véritablement prendre conscience des enjeux de ses choix. Les citoyens capables et indépendants sont écartés d’office par le jeu des institutions, suspectés d’être honnêtes et d’avoir des velléités de changement. Proudhon, qui fut représentant de la nation, nous a laissé une description de la vie politique sous la République qui garde son actualité : «  Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle une Assemblée Nationale pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état du pays sont presque toujours ceux qui le représentent ».

Les aspects néfastes du système démocratique lui apparurent aux lendemains de la révolution de 1848. Malgré la proclamation de la République, rien n’avait changé dans le jeu politique. La bourgeoisie conservait le pouvoir et s’appuyait sur l’appareil étatique pour se maintenir. Il savait que le Peuple n’était pas encore assez prêt pour la vaincre et s’imposer. Il fallait d’abord passer par une période de prise de conscience collective et d’éducation populaire (démopédie). Le devoir des révolutionnaires étant de servir à ce travail et à démasquer le jeu des démagogues de tous poils qui utilisent l’ignorance du peuple pour faire carrière.

Proudhon accorda une grande importance à « la capacité politique de la classe ouvrière », c’est-à-dire au moment où, d’abord, elle parvient à avoir conscience d’elle-même, à distinguer et à séparer ses intérêts propres de ceux de la bourgeoisie ; puis à concevoir sa propre constitution et à formuler le sens de son existence. Elle devient, au final, une classe capable d’organiser la société sur d’autres bases.

Partisan d’une démocratie directe et partant de la base, Proudhon a développé un anti-parlementarisme qu’il transmettra bien plus tard à une partie du mouvement ouvrier. Cette tradition se retrouvera dans le syndicalisme révolutionnaire pour qui seule l’action directe (grève générale, occupation d’usine, sabotage) est révolutionnaire. Cet aspect de la pensée proudhonienne garde toute son actualité à notre époque.

Permettez, chers camarades lecteurs, une petite digression. Aujourd’hui comme à l’époque de Proudhon, vivons-nous véritablement en démocratie ? Cette question peut paraître provocatrice, on nous rétorquera que malgré ses disfonctionnements notre bonne vieille démocratie n’est pas un système totalitaire avec un appareil répressif sanguinaire. Cela est vrai. Mais là où le bât blesse c’est que lorsque nous en venons, simplement, à l’étymologie du mot “démocratie”, on obtient “pouvoir du peuple” et lorsque nous nous intéressons à la définition proposée par le dictionnaire, nous avons “régime où le peuple exerce sa souveraineté”. Or, pour que le peuple soit détenteur du pouvoir et qu’il exerce sa souveraineté, il faudrait qu’il en ait les moyens et que çà l’intéresse … Cela n’est pas franchement le cas actuellement. D’une part, le peuple est largement manipulé par des « faiseurs d’opinion » à la solde de l’oligarchie. La “démocratie” n’est plus qu’un paravent politiquement correct pour faire accepter ce que les puissants ont décidé d’imposer aux peuples. D’autre part, on remarque que le peuple ne s’intéresse que peu à la vie démocratique (fort taux d’abstention aux élections, faible taux de militantisme au sein des partis et associations politiques), et c’est un cercle vicieux. On notera d’ailleurs que le microcosme politique (élus, militants, permanents…) est composé seulement de quelques dizaines de milliers de personnes dans un pays comme la France : certains d’entre eux sont de simples exécutants et la plupart se partagent les miettes du gâteau… Pour cela, la “démocratie” est devenue un mot vidé de son sens, utilisé à tour de bras pour désigner le consensus mou dans lequel nous vivons. Ainsi, proposer un changement qui déplaît au Système peut vous faire qualifier “d’ennemi de la démocratie” et ainsi permet de vous disqualifier définitivement ... Dans l’absolu, nous pouvons critiquer la démocratie. Le problème sera le risque de confusion entre une critique du Système actuel qui n’a rien de démocratique comme nous venons de le voir et la critique de la Démocratie authentique.

Nous sommes irrémédiablement du côté du peuple, nous sommes le peuple. Nous ne pouvons donc pas opter pour la tyrannie totalitaire ou pour l’oligarchie (dont nous vivons actuellement une forme ploutocratique), mais la démocratie représentative a montré, par ses dérives, ses faiblesses. Les élections ne sont plus l’expression du peuple, mais un simple jeu d’alternance. C’est pour cela que l’enseignement de Proudhon est pour nous un héritage précieux. Il montre que d’autres formes d’organisation sociale et politique sont possibles. Pour cela, une révolution totale est nécessaire : « Une révolution est une force contre laquelle aucune autre puissance, divine ou humaine, ne peut prévaloir, dont la nature est de se fortifier et de grandir par la résistance même qu’elle rencontre. On peut diriger, modérer, ralentir une révolution. On ne refoule pas une révolution, on ne la trompe pas, on ne saurait la dénaturer ni, à plus forte raison, la vaincre. Plus vous la comprimez, plus vous augmentez son ressort et rendez son action irrésistible. La révolution ne démord pas. Et pour une raison toute simple, c’est qu’elle ne peut avoir tort ».

Proudhon a cherché à tirer les enseignements des épisodes révolutionnaires de son époque. Pour lui, il n’est pas dans la nature des masses de se révolter si ce n’est contre ce qui la touche directement, comme la misère ou le chômage. La réussite d’une insurrection ne dépend pas d’une véritable bataille, mais uniquement de la généralité et de la rapidité du mouvement. Les forces révolutionnaires doivent être prêtes à prendre le pouvoir et à répondre rapidement à la demande du peuple. Cela implique une préparation minutieuse et une imprégnation des classes populaires par les idées révolutionnaires.

Proudhon meurt en 1865. Il laisse une œuvre immense et de nombreux disciples venus des horizons politiques les plus variés. Comme nous l’avons vu, sa démarche garde son actualité. La pensée proudhonienne peut nourrir (avec d’autres influences) une réflexion plus large et actualisée sur le sens que nous voulons donner à notre combat.

 

proudhon.jpg

 

 

08/03/2015

La loi Macron ou les fonds de tiroir de la dérégulation.

En guise de propos liminaire, précisons que nous parlerons ici par commodité de loi quand bien même il ne s’agit encore que d’un projet de loi à l’heure où nous écrivons. De fait, le contenu du texte est encore susceptible d’évolution. Toutefois, compte tenu de l’usage de l’article 49.3 de la Constitution pour l’adoption en 1ère lecture à l’Assemblée Nationale le 19 février dernier, il apparaît légitime de penser que le gouvernement y attache une grande importance et qu’il sera peu modifié d’ici son adoption définitive. Enfin, il ne sera bien sûr pas ici question de réaliser le catalogue complet de toutes les mesures de ladite loi mais d’en sélectionner et commenter les plus emblématiques dans leur caractère marqué de régression économique et sociale.

____________

 

« Libérer », «investir », « travailler » : Macron plante le décor et nous prévient aussitôt de la nature de sa loi par l’emploi de ces trois mots « magiques », véritables « sésame » de l’hypnose libérale contemporaine. Il fut un temps où les français se voyaient proposer la notion de « participation » ou des projets plus ambitieux de « nouvelle société ». Epoque lointaine et révolue ! Le contenu idéologique du discours oligarchique ne présente désormais plus aucune nouveauté, l’inspiration est dérisoire et tarie, le renouvellement des arguments impossible. Ainsi, depuis plus de trente ans, le Pouvoir se gargarise des mêmes ritournelles sur la nécessité de stimuler la croissance économique et la compétitivité au nom de l’emploi en brisant les blocages, en abolissant les règles poussiéreuses, en simplifiant ce monde encore trop complexe pour permettre l’instauration de la loi de la jungle. Tout comme les séries télévisées se vautrent dans la platitude de scénarios éculés, les « réformes » gouvernementales sont condamnées à l’indigence rhétorique en resservant continuellement le même infâme brouet aux ingrédients indigestes : croissance, compétitivité, libération, simplification, modernisation, égalité des chances… La totale absence d’inventivité de la classe dirigeante est absolument remarquable. Ce phénomène s’explique d’ailleurs parfaitement, tant par l’incroyable dégradation des compétences du personnel politique que par l’outrecuidance d’une caste à l’égard d’une population perçue comme définitivement décérébrée, ce que d’aucuns ont pu décrire dans le passé comme « l’exercice du mépris et de la réussite du mépris ».

En 2007, Sarkozy nous avait déjà gratifiés d’une loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (loi TEPA), en 2015 la loi Macron en est donc le prolongement.

Rien d’étonnant, car la question fondamentale pour le Pouvoir reste invariablement identique : comment gérer les pauvres dont le nombre ne va cesser de croître, comment les faire travailler, comment les occuper et les rendre toujours plus inoffensifs ?

Nous distinguerons trois axes principaux qui sous-tendent les décisions prises dans la loi : d’une part le renforcement de l’oppression dans le Travail, d’autre part la mise en place d’une grande braderie sous couvert d’investissement facilité, enfin la libération de la voracité affairiste.

 

Oppression renforcée dans le Travail

Concernant le Travail - divinité approchant en importance celle de la Croissance sur l’Olympe de l’Economie - il n’est pas question dans cette loi de définir ou de stimuler de nouveaux axes industriels en favorisant la recherche/développement avec des scolarités et des formations professionnelles solides. Si les années soixante avaient vu la constitution d’une couche importante de techniciens, la tiers-mondisation accélérée de l’Europe ne peut plus permettre de tels choix.

Dès lors, il s’agit de renforcer le statut touristique d’une France dégénérée. Le pays pourra ainsi se muer en un immense supermarché aux marchandises standardisées, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 7 jours sur 7 pour des masses touristiques hébétées qui visiteront d’un même élan le Louvre et Disneyland.

En Chine, patrie de la production falsifiée et empoisonnée, il existe depuis longtemps déjà des zones économiques spéciales (ZES). Pas question pour la France d’être en reste : la loi Macron verra fleurir les « zones touristiques internationales ». Après les ZEP, les ZUP, les ZAC, pour ne citer que quelques-unes des Zones, bienvenu au dernier-né, les ZTI. Sans craindre le recours à un langage familier, on peut dire qu’avec la multiplicité des Zones, c’est vraiment la « zone » qui gagne du terrain. Comme l’assène le message du gouvernement il est « de l’intérêt national que ces zones puissent respirer. », en « soutenant le secteur du tourisme, atout de la compétitivité française, et donc du renforcement de l’attractivité de notre pays ». On comprend bien la nature du projet ! Avec la disparition de la notion de territoire et l’accaparement du pouvoir par des affairistes qui peuvent faire produire où bon leur semble dans l’uniformisation ultralibérale planétaire selon la loi du profit et du plus faible coût de production, peut-il encore survivre quelque chose au plan local ? Bien peu, d’où en dernier recours l’unique attractivité touristique. La France se rapproche inexorablement de certains « pays en voie de développement » dont l’appareil productif inexistant ne leur laisse comme seule issue qu’à se mettre entièrement au service des touristes pour tenter en vain de survivre économiquement.

De plus, pour conforter cette France vouée au tourisme de masse, il conviendra désormais de travailler le dimanche, survivance judéo-chrétienne décidément bien obsolète. Il sera possible de travailler jusqu’à 12 dimanches par an au lieu de 5 actuellement, et en soirée jusqu’à minuit dans les fameuses ZTI.

Mais dans un tel contexte, de quel travail est-il réellement question ? On constate alors qu’il s’agit uniquement de l’ouverture des commerces. Quel aveu de misère « intellectuelle » de la part de ces petits technocrates devenus les minables gestionnaires d’une aire administrative que l’on nomme encore « France » ! Dans le passé, l’ouvrier pouvait, malgré son inacceptable condition, s’enorgueillir d’une vraie compétence technique, d’un vrai savoir-faire, et son fils devenu employé dans les services a pu encore croire à une relative « utilité sociale ». Dans un futur proche son petit-fils prolétarisé pourra s’estimer satisfait d’orienter des touristes dans le dédale d’un immense centre commercial, le dimanche vers minuit. Déraison marchande et consommation dérisoire, magnifique évolution civilisationnelle ! Ainsi, à la vue de vendeurs à la sauvette de tours Eiffel miniatures fabriquées en Chine au pied dudit monument, il serait erroné d’ironiser sur la nullité d’une telle activité. En effet, bien qu’avec un peu d’avance, ces vendeurs sont emblématiques de notre avenir dans les ZTI. Toutefois, rassurons-nous, cette évolution misérabiliste du « sens » de la notion de travail, se fera sur la base du volontariat et des compensations salariales.

Toujours dans le but d’aboutir à un renforcement de l’oppression, la loi Macron prévoit aussi d’anéantir quelques « vieilleries », en particulier dans le domaine des conflits du travail.

Jusqu’à maintenant, en cas de licenciement abusif, le salarié peut exercer une saisine des conseils de Prud’hommes avec quatre juges bénévoles élus et non-professionnels (deux issus des salariés, deux issus du patronat). Dans la loi, la lenteur des procédures (une moyenne de 18 mois pour le premier jugement pouvant aller jusqu’à des délais de 5 à 6 ans en région parisienne) sert de prétexte à leur réforme. En réalité l’objectif est de dévitaliser ces juridictions non professionnelles qui ont, malgré les délais, une fâcheuse tendance à donner gain de cause au salarié, anomalie détestable pour nos oligarques. Pour y parvenir, il est donc prévu de mettre fin au système d’élections des juges afin qu’ils soient dorénavant désignés, ce qui ouvre bien sûr la porte au cortège des magouilles et autres petites machinations entre amis. Mais ce n’est pas tout, la loi introduit également des juges professionnels au cours de la procédure ainsi que la possibilité de sanctions disciplinaires à l’encontre de juges nommés encore trop zélés. Enfin, une grille d’indemnisation fait par la même occasion son apparition, avec un barème indicatif concernant l’indemnité accordée à un salarié abusivement licencié, selon des paramètres de jurisprudence, d’âge ou encore d’ancienneté.

En outre, la loi Macron modifie profondément les conséquences d’un plan social pour les salariés en exonérant les groupes de leur responsabilité s’il s’agit d’une filiale faisant l’objet d’une liquidation ou d’un redressement. C’est une disposition particulièrement dangereuse et perverse. Il est en effet légitime de penser que la direction d’un groupe puissant mettra en placel’abandon d’une filiale en y mutant des salariés dont elle voudrait se débarrasser pour initier ensuite un plan social a minima.Or, en cas de licenciements collectifs, la justice prudhommale se verra contrainte à ne considérer que le poids économique de la filiale concernée, et non plus celui du groupe auquel elle appartient, souvent bien plus important. La réparation du préjudice subi par le salarié licencié sera donc à l’évidence plus faible.

Mais qui s’étonnera encore que l’Economie, que l’on sait exercer partout sa dictature, et érigée en Ministère, s’insinue cette fois dans un secteur relevant à l’évidence de la Justice et du droit du Travail ?

Grande braderie sous couvert d’investissement facilité

Pour ce qui est de l’investissement, la dérisoire logorrhée gouvernementale nous explique que « si l'on veut que notre économie reparte, il faut simplifier les critères d'investissement, mieux investir l'argent public et l'argent privé." De plus, dans le but de "faire respirer notre portefeuille d'actifs", la loi comporte des mesures permettant de favoriser une intervention plus efficace de l’État actionnaire, en autorisant la réalisation de projets à vocation industrielle de sociétés à participation publique. La loi autoriserait en particulier le Gouvernement à mettre en œuvre le projet de rapprochement entre l’entreprise publique française Nexter et l’entreprise allemande KMW. Il s’agit bien évidemment de permettre aussi des cessions d’actifs publics, sous le prétexte fallacieux du désendettement.Ainsi, en ouvrant le capital d’entreprises publiques, le gouvernement nous promet de mener « une politique industrielle dynamique ou de financer des investissements dans des secteurs prioritaires tels que la transition énergétique ou encore le numérique ».

En fait, ce qui se profile en filigrane de ce genre de mesures n’est rien moins qu’une grande braderie généralisée des outils de production français. Pensons par exemple à la société Alstom qui a récemment cédé sa branche Energie au groupe américain General Electric avec l’accord du fantoche Macron. Cette cession a eu pour conséquence de placer les turbines produites par Alstom et de ce fait la maintenance des centrales nucléaires françaises sous la coupe du groupe américain. Avec un Capital mondialisé à outrance, essentiellement sous domination américaine, et sur fond de Traité transatlantique, on devine donc aisément ce qui se cache derrière les notions de « simplification des critères d’investissement » et de « cession d’actifs publics » : une concentration toujours plus implacable dudit Capital dans la sphère géopolitique « Océania » sous gestion américano-centrée. Après Hollande en 1996, Macron fut comme tant d’autres intronisé en 2012 dans le programme « Young leaders » de la French American Foundation, aussi est-ce sans surprise qu’il s’empresse de rendre service à ses maîtres, à l’image de la récente affaire Alstom.

Enfin, dans le prolongement direct des mesures déjà mentionnées, l’Etat sera autorisé à vendre des participations pour 5 à 10 milliards d’euros à la spéculation internationale. Là encore, avec un Ministre de l’Economie fraichement sorti de la banque Rothschild dont la spécialité est la pratique prédatrice de la fusion-acquisition au service des intérêts des financiers spéculateurs de tout poil, il ne faut pas s’en étonner. Sont concernés en première ligne les barrages hydrauliques ainsi que les aéroports de Nice et de Lyon, après celui de Toulouse.

Libérer la voracité des affairistes

Comme mentionné en introduction, le mot « libérer » constitue un des piliers de la loi. Ne nous y trompons pas, pour les libéraux qui nous gouvernent, voire ultra-libéraux, libérer ne veut rien dire d’autre que libéraliser.

Le sinistre Macron a ainsi déclaré que « les Français sont trop pauvres pour prendre le train », preuve de son mépris pour le peuple et aveu de la situation socio-économique lamentable d’un pays assujetti à la violence des détenteurs de capitaux depuis maintenant plus de 30 ans. L’objectif est en réalité toujours le même : faire en sorte que les pauvres puissent se déplacer alors qu’ils n’en ont pas les moyens. Qu’à cela ne tienne, il est prévu de procéder à une libéralisation totale des transports en autocar. On remédie au problème avec des autocars relevant de compagnies privées mafieuses pratiquant des conditions de précarité totale pour les conducteurs. Et Macron d’affirmer qu’avec l’offre de service de transports en autocar, c’est « un nouveau pan de notre économie qui s’ouvre ». Le mensonge s’étalant sans fard, il est même prétendu que l’autocar est plus « propre » que le train quant à ses émissions de gaz à effet de serre. Adeptes de la notion de « double dividende », nos dirigeants auront réussi l’improbable pari de faire « voyager » les pauvres et de lutter contre le réchauffement climatique !

Dans cette même optique de libéralisation, l’Etat libéral décide dans une certaine urgence de revoir les règles d’accès à certaines professions en dérégulant les conditions d’installation qui prévalaient jusqu’alors afin de modifier un maillage du territoire jugé obsolète. Il s’agit en l’occurrence des professionnels du droit (notaires, huissiers…) dont une demande accrue apparaît, sans doute en grande partie expliquée par l’explosion de population due à une immigration massive organisée par l’Etat.

Afin de faciliter l’installation de jeunes professionnels et de « faire jouer la concurrence », le Ministre prévoyait initialement d’instaurer un dispositif d’encadrement des tarifs, dit « corridor tarifaire ». Ce corridor aurait permis la mise en place de tarifs variables en particulier pour certains actes dont les tarifs étaient fixes jusqu’à maintenant. Mais devant la fronde de ces professions, cette disposition a été abandonnée lors de la discussion à l’Assemblée. D’autre part, les tarifs de ces professions devraient connaître une baisse en fonction du prix coûtant de chaque acte, baisse définie dans un arrêté par l’Autorité de la concurrence après l’adoption de la loi. Nul doute que ces initiatives vont dans le sens de la création d’un vrai marché des services et des actes fournis par ces professionnels. Ce gouvernement, porteur de l’idéologie de la marchandisation tous azimuts, imagine sans doute provoquer ainsi une baisse des tarifs afin de s’accorder aux nouvelles populations, sans doute plus retors face à ce genre de frais subis sans broncher par le reste de la population. Par contre, il est incapable de comprendre que cette déréglementation pourrait surtout avoir comme effet néfaste de faire déraper les tarifs des actes les plus simples et qui ont trait à la vie courante, actes portant notamment sur le droit des personnes et de la famille aux tarifs faibles et fixes jusqu’à présent.

Par ailleurs, l’ouverture du capital entre les différentes professions favorisant ce que la loi dénomme « interprofessionalité » doit aboutir à la création de nouvelles structures associant notaires, huissiers, avocats, sans négliger la création de plateformes Internet pour se positionner sur ce nouveau marché.

Loin de lutter contre une certaine précarité du personnel salarié de ces secteurs (clercs de notaire ou assistants d’avocats dans des cabinets puissants), en faisant miroiter l’espoir d’une installation facilitée, ces mesures contribueront au contraire à renforcer des entreprises à rayonnement hexagonal voire européen au personnel salarié toujours plus précarisé. Cet aspect essentiel de l’ouverture du capital, pour s’ajuster aux phénomènes issus de la mondialisation à outrance, ne peut que nuire à la présence de professionnels du droit dans les campagnes et donc à l’accès au droit dans cette France oubliée. Elle favorisera uniquement les grosses structures et le basculement territorial vers les métropoles en sapant la justice de proximité. Comme pour n’importe quel bien de consommation, les aménageurs ultra-libéraux concourent à fragiliser le « petit commerce » du droit pour établir la toute-puissance des « nouveaux supermarchés du droit ». D’autre part, ce projet menacera, par sa logique de marché, la réponse à toutes les demandes de la clientèle, jusqu’ici toujours honorées, même dans le cas de dossiers peu « profitables » pour un cabinet de notaires (complexité, durée des recherches). Désormais, dans une logique de l’offre et de la demande, il y a fort à craindre que cela devienne moins évident. Une manière dans la « mondialisation heureuse » qui nous est imposée d’adapter ces professions à des conditions purement affairistes, sources de conflits juridiques croissants.

Comme le signalait déjà fort lucidement le Manifeste du Parti communiste en 1847 :

« La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions jusque-là réputées vénérables et vénérées. Du médecin, du juriste, du prêtre, du poète, du savant, elle a fait des travailleurs salariés.»

Signalons enfin que cette loi fourre-tout n’hésite pas à bousculer la fiscalité de manière à favoriser les hauts revenus au détriment de la collectivité. Sous le prétexte de favoriser les start-ups, de lutter contre la fuite des « cerveaux », ou encore de rémunérer les « talents » à leur juste valeur, tous arguments éculés de l’ultralibéralisme le plus agressif, il est prévu de ne plus taxer l’acquisition des actions gratuites selon le barème de l’impôt sur le revenu (il s’agit pourtant de rémunérations !) mais selon les modalités des plus-values mobilières (actions, obligations,…). Cela signifie que le cadre dirigeant bénéficiera d’un abattement de 50 % sur l’imposition de la valeur de ces actions s’il les conserve entre 2 et 8 ans, et de 65 % au-delà. Sous couvert de soutien aux start-ups, ce sont plutôt les cadres supérieurs des entreprises du CAC 40 qui vont profiter de cette initiative. En effet, dans les grandes entreprises la distribution d’actions gratuites se substitue toujours plus aux stock-options à la fiscalité alourdie ces dernières années. Ainsi, en 2014, les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 ont attribué un montant de 6,4 milliards d’actions gratuites essentiellement à leurs cadres dirigeants les mieux rémunérés. Cette modification d’imposition ne représenterait pas moins qu’un manque à gagner annuel de 900 millions d’euros.

 

En conclusion, que souhaite la nomenklatura actuelle par cette loi ? Assurer une gestion toujours plus efficace des « pauvres » et accélérer dans ce but la déréglementation tous azimuts pour s’harmoniser aux conditions dictées par la technocratie européenne en s’adaptant aux conditions américaines.

Avec ses soi-disant objectifs de croissance économique, cette loi n’envisage aucun développement au niveau de la recherche, de la technologie ou de filières de production industrielle « nobles ». Rien ne va dans le sens d’un pays qui se voudrait une puissance industrielle et innovatrice majeure. Et, s’il n’est pas question de regretter ce type de voie de développement capitalistique qui mérite d’être critiqué de manière radicale, il est néanmoins important de signaler l’état de décomposition avancée du pays dans la logique de la mondialisation. Ainsi, dans la France de 2015, c’est la voie des sous-sols de l’activité économique qui est visée par les « réformistes », celle du « bas de gamme » en tout genre. Ne survivront que BTP, grande distribution, transport massifié et services non délocalisables, sans oublier l’animation culturelle et les singeries du divertissement de masse.

La régression sociale et l’oppression s’intensifient toujours plus.

Macron vient de rendre sa misérable copie, assuré qu’il est pour l’instant d’une certaine impunité.

Il est urgent d’en prendre conscience et de savoir reconnaître ses ennemis. 

 

 

patron_courbe.jpeg

Le tract est le matériel de diffusion de masse par excellence, la diffusion de manière autonome ou en groupe est indispensable pour faire vivre les idées SRE dans la réalité ! 

 

Notre dernier tract sur les conséquences de la loi Macron :  

MACRON.pdf