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25/11/2014

Autocentrer le développement pour en finir avec la mondialisation néolibérale

 

autocentrer le développement pour en finir avec la mondialisatio

 

Article de Bernard Conte pour le numéro 49 de la revue Rébellion

( septembre 2011) 

Depuis la fin des années 1970, l’idéologie néolibérale s’est imposée, justifiant le libre-échange, c’est-à-dire le « laisser faire » - « laisser passer », tant pour les marchandises que pour les flux financiers. La « main invisible » du marché était présumée plus efficace que la régulation étatique. En conséquence, un « consensus » a été imposé : place au marché et haro sur l’État « social », présenté comme malveillant, dépensier, inefficace, voire inutile. Le désarmement douanier s’est progressivement opéré à travers les négociations du GATT à partir de 1947, puis avec la création de l’OMC en 1995. À partir du milieu des années 1970, la libéralisation financière a engendré la dérégulation et le libre mouvement des capitaux. Au Sud, le libre-échange des marchandises et des capitaux a été imposé à travers les programmes d’ajustement structurels (PAS) du FMI, tandis qu’au Nord, la prescription a emprunté des voies plus « subtiles ».

Le libre-échange est une condition nécessaire à la réussite de la mondialisation néolibérale qui jette l’ensemble des salariés dans une compétition sauvage où le gagnant est le moins disant, assurant ainsi un nivellement par le bas des conditions sociales du plus grand nombre, au plus grand profit de la finance internationale et de ses serviteurs zélés des cercles rapprochés. Le libre-échange autorise la délocalisation des productions dans des lieux où les coûts sont réduits et il permet aussi la localisation des profits dans des « paradis fiscaux » où les prélèvements sont minimes, voire nuls. Le libre-échange engendre la désindustrialisation du Nord, le laminage des classes moyennes et la Tiers-mondialisation qui désarticule et réarrange les structures économiques, institutionnelles, sociales et politiques dans le sens le plus favorable au capitalisme financiarisé mondialisé. La priorité donnée à la croissance des profits diminue proportionnellement la capacité à couvrir les « coûts de l’homme ».

Sortir de la dynamique de Tiers-mondialisation implique un ajustement des structures pour réduire la domination du capitalisme financiarisé, pour autocentrer le développement et pour redonner la priorité à l’homme. Dans cette démarche, la thérapie protectionniste occupe une place de choix.

Le libre-échange imposé

L’oligarchie et ses valets : politiques, médiatiques, économiques… ont œuvré sans relâche pour persuader les populations des avantages du libre-échange et de la division internationale du travail néolibérale. Par exemple, les recherches économiques, mettant à jour des  « évidences empiriques » sur le lien entre l’ouverture commerciale des pays et leur croissance économique, ont bénéficié de généreux financements, notamment de la part de la Banque mondiale et du FMI1. Peu importe s’il a été souvent nécessaire de prendre des « libertés » avec les hypothèses, avec la fiabilité des statistiques et avec les traitements économétriques, mais l’essentiel était de prouver que plus un pays est ouvert sur l’extérieur, plus il pratique le libre-échange et plus sa croissance économique est forte. Car, pour l’oligarchie, le libre-échange est une condition nécessaire à la réussite des délocalisations industrielles caractéristiques de la mondialisation néolibérale

Pour la réussite de la délocalisation des productions

L’objectif est de maximiser les profits par la mise en concurrence des salariés, non plus uniquement sur le plan national, mais au niveau mondial. Grâce au libre-échange, la délocalisation des activités économiques des pays du Nord vers les pays à bas salaires a permis d’inonder le marché mondial de produits à des prix sans concurrence. La libéralisation financière a autorisé le transfert des profits réalisés vers des zones « accueillantes », comme les paradis fiscaux. Par la défaisance des régulations étatiques, par l’imposition du libre-échange des marchandises et des capitaux… le capitalisme a réussi, sans réelles entraves, à restructurer la planète à son plus grand profit, en négligeant les coûts économiques et sociaux de ladite restructuration. La mondialisation néolibérale permet aux capitalistes de profiter, sur l’ensemble des territoires, des avantages comparatifs économiques et financiers qui sont étroitement corrélés aux « désavantages » comparatifs sociaux des populations résidentes. En d’autres mots, il s’agit d’organiser la misère et son exploitation, à travers l’imposition d’une division internationale du travail inégale, pour des profits sans cesse croissants.

Avec pour conséquence la désindustrialisation du Nord

La concurrence débridée des pays à bas salaires a largement contribué à la désindustrialisation des pays du Nord. En 1970, l’industrie représentait 48% du PIB de l’Allemagne, 39% de celui de l’Italie et 35% de celui des Etats-Unis. En 2008, ces proportions s’élevaient respectivement à 29%, 26% et 21%. En France, entre 1970 et 2009, le poids de l’industrie a presque été divisé par deux, passant de 34,9 % du PIB à 18,8 %. En 30 ans, la France a perdu près de 2 millions d’emplois dans le secteur industriel et plus d’un demi-million depuis 20072. Le cas de la France est singulier, puissance industrielle « moyenne », son effeuillage industriel s’est opéré à la fois « par le bas » au profit de pays émergents (Chine) et « par le haut » au bénéfice de pays plus industrialisés (Allemagne). Cet effet de « cisaille » accélère la paupérisation de la majorité de la population, phénomène que ne sauraient encore longtemps cacher les vestiges, sans cesse amenuisés, de la protection sociale de l’État-providence. Le Nord s’appauvrit, en voie de sous-développement, il se Tiers mondialise3.

 Le laminage des classes moyennes

La désindustrialisation engendre la Tiers-mondialisation à travers le laminage des classes moyennes4 qui s’étaient progressivement constituées au cours de la période d’après-guerre. Ce phénomène n’épargne pas le centre impérial : les États-Unis. Ainsi, « le revenu réel médian américain a baissé de 5261 dollars durant la dernière décennie5 ». En conséquence, l’épargne des ménages a été progressivement réduite à néant. «  Au cours des Trente glorieuses, la classe moyenne américaine épargnait environ 9 % de son revenu annuel après impôt. Au tournant des années 1980, cette proportion était d’environ 7 %. Le taux d’épargne a ensuite chuté à 6 % en 1994, puis à 3 % en 1999. En 2008, les américains n’épargnaient plus rien. Parallèlement, l’endettement des ménages a explosé. En 2007, la dette de l’américain-type représentait 138 % de son revenu après impôt6 ». Paupérisation et réduction en « esclavage » par le biais du crédit, telles sont les conséquences de la mondialisation néolibérale et de la Tiers-mondialisation qui l’accompagne.

 

La Tiers-mondialisation

En s’inspirant de François Perroux et de son analyse du sous-développement, il est possible de définir le phénomène de la Tiers-mondialisation comme le résultat d’une dynamique de domination7. Pour Perroux, le sous-développement était principalement engendré par la domination coloniale ou néocoloniale. De façon similaire, la Tiers-mondialisation est le produit de la domination du capitalisme financiarisé qui désarticule les structures économiques, sociales, institutionnelles et politiques de l’ancienne configuration (le libéralisme régulé) et les réarrange dans une configuration « nouvelle » fondée sur une base géographique plus vaste, en vue de la maximisation des profits. Cet ajustement structurel, imposé sous la contrainte (FMI…), engendre la Tiers-mondialisation qui s’exprime « concrètement non dans les termes ambigus d’un chiffre unique comme le PNB par tête, mais dans un phénomène plus profond et plus complexe : l’absence de couverture des ‘coûts de l’homme’8 ».

 

L’absence de couverture des ‘coûts de l’homme’ 

Pour François Perroux : « Dans un ensemble humain, les coûts de l’homme se répartissent opérationnellement en trois groupes. Ce sont : 1°Ceux qui empêchent les êtres humains de mourir (lutte contre la mortalité dans le travail professionnel et hors des limites de ce travail) ; 2°Ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie physique et mentale minima (activités de préventions hygiéniques, de soins médicaux, de secours invalidité, vieillesse, chômage) ; 3°Ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie spécifiquement humaine, c’est-à-dire caractérisée par un minimum de connaissances et un minimum de loisirs (essentiellement : coûts d’instruction élémentaire, coût de loisir minimum)9 ». Selon Perroux, les coûts humains constituent un minimum à couvrir avant tout autre besoin. Dans le cadre de la mondialisation néolibérale, si l’on excepte une petite minorité, la couverture des coûts humains n’est pas assurée pour une large part de la population et se réduit, comme peau de chagrin, pour le restant. 

Sortir de la dynamique de Tiers-mondialisation

Pour cela, il faut minimiser, voire supprimer les effets négatifs de la domination du capitalisme financiarisé. Bien que multidimensionnelle, la solution inclut forcément une réorientation de l’économie vers les ressources endogènes et le marché intérieur pour réaliser un développement autocentré. L’autocentrage peut être envisagé sur une base nationale ou sur celle, plus large, d’un regroupement régional. Dans tous les cas, il conviendra notamment d’assurer la relocalisation de certaines activités, non pas en vue d’une « autosuffisance » ou d’une autarcie systématiques, mais dans un but de « sécurité » économique et sociale10 permettant une réelle couverture des coûts humains. Dans cette optique, assurer la « sécurité » implique la réduction des aspects de la dépendance porteurs d’effets pernicieux de domination11.

 

Avec l’aide d’un protectionnisme « thérapeutique »

Auto-centrer le développement suppose la mise en œuvre d’un protectionnisme thérapeutique qui doit s’accompagner de politiques incitatives, de politiques de régulation… et surtout d’un projet collectif. La thérapie pourra s’inspirer du « protectionnisme éducateur12 » de Friedrich List et des théories et des expériences du desarrollismo13 Sud-américain. Le protectionnisme envisagé n’est pas un repli sur soi, n’est pas du nationalisme agressif, ni de l’isolationnisme. Il se propose de développer le commerce et les échanges sur la base du respect d’une concurrence loyale. Il s’agit d’un protectionnisme « souple » et « mesuré » prévoyant des droits d’entrée variables portant sur certains types de produits jugés sensibles.

En renchérissant les produits importés, le protectionnisme va susciter la création d’entreprises produisant des biens de substitution des importations, générant emplois, revenus, impôts…, permettant de démarrer et d’alimenter un processus de développement autocentré, c’est-à-dire centré sur le marché intérieur. Comme la délocalisation des activités a engendré une perte de connaissances et de savoir faire, un effort important d’éducation - formation devra être opéré pour recouvrer les capacités perdues, mais aussi pour accompagner le développement de la recherche et de l’innovation. L’intervention de la puissance publique s’avèrera nécessaire pour susciter, harmoniser et coordonner les initiatives de développement, ce qui impliquera une planification indicative

Au fur et à mesure de l’ajustement des structures, en vue de la couverture effective des « coûts de l’homme », les modalités de la thérapie protectionniste évolueront en fonction de l’avancée du processus et du respect des règles d’une concurrence loyale par les partenaires à l’échange.

1 Dans ce genre de mise en lumière « d’évidences empiriques », voir : Krueger, Ann O. 1978. Foreign Trade Regimes and Economic Development: Liberalization Attempts and Consequences, Cambridge: MA: Ballinger.

2 Lilas Demmou, La désindustrialisation en France, Paris, Document de travail de la DG Trésor, n° 2010/01, juin 2010, http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgtpe/etudes/doctrav/pdf/cahiers-2010-01.pdf

3 Bernard Conte, La Tiers-Mondialisation de la planète, Bordeaux, PUB, 2009.

4 Bernard Conte, « Néolibéralisme et euthanasie des classes moyennes », http://www.mecanopolis.org/?p=20157 13/10/2010.

5 Bryce Covert,“New Low Paying Jobs Will Lead to High Debt”, New deal 2.0, 8/6/2011,http://www.newdeal20.org/2011/06/08/new-low-paying-jobs-will-lead-to-high-debt-47281/?author=130 traduction de l’auteur.

6 Idem, traduction de l’auteur.

7 Pour Perroux, « L’effet de domination est la relation entre inégaux qui se constate entre agents, entreprises et nations. Cet effet est lié non seulement à la dimension de la dotation initiale des biens mais aussi au pouvoir de négociation (ou de transformation des règles du jeu), à la nature de l’activité ou à l’appartenance à une zone d’activité dominante », Hector Guillem Romo, « François Perroux : Pionnier oublié de l’économie du développement », Colloque : Economie politique internationale et nouvelles régulations de la mondialisation, Poitiers 14-15 mai 2009, p.11.

8Hector Guillem Romo, art. cit.

9 François Perroux, L’Economie du XXème siècle, Paris, PUF, 1964, p. 344. Voir aussi, Sandrine Michel, « Rationalité économique des coûts de l’homme. Une transformation structurelle constitue-t-elle une rupture ? », Bordeaux, 2004, http://conte.u-bordeaux4.fr/Perroux/Com/Michel.pdf

10 Cette distinction peut être rapprochée de celle qui existe entre autosuffisance alimentaire et sécurité alimentaire.

11La dépendance économique d’un pays, c’est-à-dire, le fait que l’économie de ce pays dépende de variables externes peut revêtir deux formes principales. Elle peut être réciproque, à la limite symétrique (A dépend de B et B dépend de A selon diverses modalités). Dans ce cas on dit qu’il y a interdépendance. Elle peut être unilatérale ou asymétrique (A dépend de B et B ne dépend pas ou dépend peu de A). Dans ce deuxième cas on dit qu’il y a domination de B sur A. Hector Guillem Romo, art.cit. p 10-11.

12 Friedrich List, Système national d’économie politique, Paris, Gallimard, 1998 [1841].

13 Voir par exemple : Celso Furtado, Théorie du développement économique. Paris, PUF, 1970.

09/11/2014

René Riesel L’enragé n’en démord pas…

Article du numéro 16 de la revue Rébellion  ( Mars-Avril 2006) 

Dans la lutte contre les Organismes Génétiquement Modifiés que veulent nous imposer les multinationales et la classe politique, certains ont su faire le lien en paroles et en actes entre la critique des OGM et celle de l’organisation sociale qui les a produits. Par leurs actions, ils ont remis en question les fausses évidences d’un « destin technologique » inéluctable, du contrôle et d’une artificialisation de la vie biologique au nom du profit. Loin des altermodialistes de salon et des citoyennistes serviles, René Riesel est l’un de ces véritables rebelles au meilleur des mondes que l’on nous prépare. Petit résumé de son parcours et des idées qu’il défend…

 

 

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René Riesel (à gauche), le 6 mai 1968 avec une autre personne.

 

« Les damnés de Nanterre »

Né en juin 1950 à Alger, René Riesel est vite sorti de l’enfance, au milieu des "évenèments" d’Algérie. Son père, horloger-bijoutier, est militant communiste dans l’un des quartiers populaires de la ville. En 1962, rapatrié avec sa famille, le jeune René est émerveillé par la découverte de Paris. Il parcourt avec passion ses rues non encore livrées aux promoteurs et aux bobos. Lecteur avide, il débute son engagement politique au sein d’un groupe anarchiste, nommé Sisyphe en référence à Camus, qu’il fonde avec des amis. La révolte est à l’heure du jour, il est fasciné par les provos d’Amsterdam (squatteurs autonomes) et s’implique dans la mouvance libertaire. Emancipé à 16 ans, il jette le trouble au congrès anarchiste de Bordeaux de janvier 1967, croise Daniel Cohn-Bendit, alors proche du groupe anarcho-communiste Noir et Rouge, avant de le retrouver à l’université de Nanterre qu’il rejoint, bac en poche.

Il sera au cœur des événements qui déboucheront sur Mai 68. Riesel et ses camarades qui commencent à s’appeler les Enragés, entretiennent une agitation permanente sur le campus. Ils squattent les bâtiments des filles, manifestant pour le Vietnam en critiquant les staliniens, interrompant les cours d’Alain Touraine, Edgar Morin ou Henri Lefebvre à coups de fumigènes et de boules puantes. L’orientation du petit groupe est franchement libertaire et festive, ils se heurtent souvent au dogmatisme des sérieux représentants des groupuscules troskystes ou maoïstes. Pourtant une nouvelle provocation amène les gauchistes à soutenir ces enragés pourtant peu orthodoxes. Le 22 mars 68, l’occupation d’un bâtiment universitaire, amène huit étudiants en conseil de discipline à la Sorbonne.

Le 6 mai, Cohn-Bendit et Riesel font partie des convoqués. Mais dans la rue, l’émeute éclate, Mai 68 est parti. Riesel se retrouve le 14 mai président du comité d’occupation de la Sorbonne, vite contourné par les gauchistes plus organisés. Il est ensuite de toutes les actions, mais il comprend que Mai s’est achevé quand les "staliniens" (PCF et CGT) bouclent les usines pour empêcher le lien avec les étudiants. Riesel pénètre alors le cercle très fermé de l’Internationale situationniste. Mais en 1971, il est exclu du groupe après une retentissante dispute avec Guy Debord. Au contact des « situs », Riesel a approfondi ses connaissances théoriques et affiné un talent d’écriture et de pensée claires.

 

La Révolte est dans le champ.

Après avoir conspué la médiocrité du temps et le massacre de son vieux Paris (on détruit les Halles et les derniers quartiers populaires), il quitte la ville pour la campagne, débute des années de galère faites de petits boulots, de rencontres et de lectures. Dans les années 1980, il s’installe avec sa compagne dans le Sud-Ouest. Ils se lancent dans l’élevage des moutons : « Je suis parti dans les Pyrénées-Orientales et me suis fait éleveur, mode de vie qui me convenait et me permettait de reconstituer une "base arrière", non pas au sens militaire, mais au sens de réapprendre des pratiques qui constituent à bien des égards la véritable richesse humaine. Dans l´état actuel de déliquescence de nos sociétés, il faut réinvestir un certain nombre de savoir-faire perdus. On connaît la blague classique du môme qui demande si les poissons sont carrés parce qu´il ne les a vus que sous forme de surgelés panés, des gens de 40 ans ne savent pas où est le devant et le derrière d´une vache: cet état d´ignorance tragique se généralise. Mais devant l´espèce de panique qui saisit les gens face à l´abîme, on tente de les rassurer avec le retour à de pseudo-traditions rurales, qui seraient un refuge possible de la qualité en matière agricole, alors qu´en réalité on libère seulement l´inventivité publicitaire pour rhabiller la même merde industrielle ». Ils se heurtent à l’hostilité des paysans locaux, qui leur refusent le libre usage des terrains communaux : « : L´industrialisation de l´élevage du mouton était la tendance dominante et, comme éleveur, j´ai pratiqué exactement l´inverse. Ce fut l´union sacrée pour me dégager (...) J´ai vu les choses se dégrader à vive allure. Il n´y a plus de paysannerie en France, seulement des agriculteurs, plus ou moins intégrés, qu´ils l´admettent ou pas, dans un segment de la production agro-industrielle ». Pourtant, ils s’accrochent et découvrent un monde rural riche en diversité.

A grains des années, ils se retrouvent avec leurs moutons sur le Causse Méjean en Lozère. En 1991, il rejoint la Confédération paysanne et se retrouve, en 1995, au secrétariat national du syndicat paysan : « les gens de la Confédération du cru sont venus me chercher et, avec eux, j´ai eu la tentation d´élargir un peu la bagarre. La Confédération rassemble des socialistes, des babas, des gauchos repentis, des Verts, un club d´idées assez paradoxal qui fonctionne sur le consensus de façon à présenter une unité de façade, avec toutes sortes de tendances qui cohabitent sans jamais aller au bout de leurs discussions… J´ai cru pouvoir faire avancer des questions pour moi centrales. Nombre de ces gens étaient ou sont vraiment de bonne foi. Il y avait des choses à faire sur le terrain; ensuite, je n´ai jamais renoncé à rien, j´ai toujours dit ce que je pensais du fonctionnement de l´organisation, des illusions qui y étaient répandues. Mais bon, j´y ai fait ce que je pouvais faire (contre les OGM en particulier), et j´en suis parti en mars 1999, quand rien n´est plus resté possible ».

La lutte contre les OGM

Les OGM rentrent dans leur vie en 1996. Pour Riesel, ce sont les agents de "l’intégration des paysans dans un complexe agro-industriel déresponsabilisant". Il organise l’invasion d’un stockage de maïs transgénique à Nerac, en 1998.  Le 10 septembre 1998, une centaine d´agriculteurs opposés au génie génétique procédaient à la destruction de micro-parcelles de maïs et de soja transgéniques lors d´une journée "portes ouvertes", organisée par la compagnie MONSANTO, à l´intention de ses distributeurs et des "leaders" de la maïsiculture régionale, sur son site d´expérimentation de Monbéqui dans le Tarn-et-Garonne. La cible n’a pas été choisie au hasard. Lors de son procès, Riesel explique ce choix :  «  Monsanto est, on le sait, une des toutes premières firmes à s´être engouffrée dans l´exploitation des technologies génétiques. Mais ce n´est pas le seul mérite de cet honnête industriel dont le métier, comme on dit dans son monde, a d´abord été la chimie. Célèbre pour avoir été le principal producteur de l´Agent Orange, l´efficace défoliant de la guerre du Viêt-Nam, il a également conçu et fabriqué depuis 1901 de nombreux désinfectants, spécialités pharmaceutiques et pesticides réputés pour leurs propriétés cancérigènes ou leur teneur en dioxines. Rien ne saurait ternir un tel palmarès. Ni l´impressionnante sollicitude qu´il a constamment témoignée aux ouvriers et populations exposés aux contaminations dispensées par ses usines. Ni les centaines de millions de dollars dont il a dû s´acquitter en dépit, et parfois en raison, des manipulations ou des subornations de témoins et de membres de l´administration, auxquelles il s´est fréquemment résigné dans l´intérêt de la liberté du commerce et de l´industrie.

Sa reconversion dans le génie génétique n´allait pas mener Monsanto à renoncer aux pratiques qui sont le fondement de sa culture d´entreprise. Contrats léonins imposés aux cotonniers nord-américains, poursuites judiciaires contre des agriculteurs soupçonnés d´avoir conservé une partie de leur récolte pour la ressemer, mise sur le marché à grande échelle, en Inde et aux Etats-Unis, de variétés transgéniques défectueuses, pressions sur l´imprimeur britannique du mensuel The Ecologist pour l´amener à détruire un dossier consacré à la firme, incitations ouvertes à la délation, intox, recours aux plus sinistres polices privées, Monsanto continue de défendre la liberté du commerce et de l´industrie.

 J´ai un point d´accord avec les conclusions présentées par Monsanto au Tribunal: je considère aussi que ce serait "se tromper de débat" que de se perdre ici "en digressions à propos des effets prétendument négatifs des organismes génétiquement modifiés". Les faits bien établis que je viens d´évoquer attestent suffisamment que si les effroyables promesses de la technoscience génétique avaient eu un seul avantage prévisible pour les hommes, elles n´auraient pas intéressé Monsanto ! On ne cherche pas à se justifier des accusations portées par un tel accusateur.  Mais en jugeant s´il y a lieu de donner droit aux réclamations de Monsanto, le Tribunal dira du même coup s´il juge bon de garantir à Monsanto le libre exercice de ces activités »1.

L’année suivante, Riesel rompt avec la Confédération paysanne, jugée trop réformiste et médiatisée. Pour autant, il ne cesse pas son action. Avec José Bové et bien d’autres, il détruit des plants de riz transgénique au CIRAD (Centre international de recherche en agronomie développement) de Montpellier dans le cadre de la Caravane intercontinentale dont il avait assuré une partie de la coordination. Le procès sera, pour René Riesel, l´occasion de manifester l´existence d´un courant critique anti-industriel2 : « Mais sobrement: l´activisme spectaculaire ne m´intéresse pas, surtout quand il cache la pauvreté de l´analyse. Ma critique de la technoscience est effectivement radicale: recherche publique, recherche privée, peu importe quand ces gens, littéralement, ne savent pas ce qu´ils font, bricolent - sans en avoir, de leur propre aveu, la moindre compréhension théorique - des chimères génétiques aux effets imprévisibles. Le sabotage contre le CIRAD était une attaque frontale contre des recherches publiques, afin de casser le mythe selon lequel une recherche contrôlée citoyennement pourrait être régulée: il faut commencer par comprendre que cette technologie est par essence incontrôlable. Le fameux "principe de précaution" dont on parle tant, nous l´appliquons, de la seule manière dont il peut l´être ».

Condamné à 6 mois de prison ferme, René Riesel a été incarcéré à la prison de Mende le 1er décembre 2003. Il a refusé de quémander une quelconque grâce présidentielle et tout aménagement de peine. L’enragé se trouvait, une fois de plus, en contradiction avec José Bové qui n’avait pas hésité à faire appel à la bienveillance du gouvernement pour adoucir sa condamnation.

Résistance au totalitarisme technologique.

Quelles sont les bases de la critique radicale de René Riesel de la société industrielle ? « Depuis plus d'un siècle, à chaque innovation des sciences et des techniques… ce sont les mêmes grosses ficelles qu'on débobine : demain, la physique, la chimie, la biologie auront vaincu la misère, la maladie, la faim et — pourquoi pas ? — la mort elle-même. Rire de ces sornettes toujours démenties, c'est être rétrograde, "obscurantiste" comme dit le brillant Jean Glavany, c'est aller contre l'esprit démocratique du temps, qui se nourrit d'espoir et de participation "citoyenne". Et cela, alors même que nous pouvons juger sur pièces des résultats concrets du millénarisme de la science industrielle — nonobstant d'autres nouveaux virus, des prions inédits, l'intensification du rayonnement ultraviolet, ou tout autre désastre qui permettra aux nouvelles générations de chercheurs d'exercer leur ingéniosité dans ce gigantesque laboratoire-usine qu'est à leurs yeux la Terre. Ce scientisme utilitariste et réducteur, qui ne croit comprendre que lorsqu'il croit dominer, ne sait rien imaginer qui soit gratuit, non brevetable, non manipulable ; il regarde avec haine tout ce qui, dans la nature, contredit encore la pauvreté de la survie industrielle. Il a expliqué aux parents que le cerveau est un ordinateur et le corps une voiture désormais livrée avec pièces de rechange ; il enseigne maintenant aux enfants que la cellule est une "machinerie génétique", et une mitochondrie une "centrale" énergétique » . C'est bien à l'ensemble des prémisses de la recherche scientifique moderne, privée comme publique, à tout l'arsenal technologique de contrôle et de conditionnement qu'elle met au service de l'industrialisation de la vie, jusqu'à l'artificialisation intégrale, auxquels il s'oppose.

Il voit dans la tradition du monde paysan un élément pour la renaissance d’une alternative à ce système mortifère par les valeurs qu’il cultivait: «  Eleveur, j´ai vu de près la fin du blitzkrieg dont a été victime le monde rural et agricole dans les pays développés. On a cassé la civilisation paysanne, ou du moins ce qu´il en restait. La paysannerie traditionnelle n´était certes pas porteuse de valeurs mirifiques, à préserver à tout prix ; simplement elle conservait vivante une mémoire permettant de suivre des chemins autres que ceux imposés par le développement industriel. On y trouvait des attitudes par rapport à la vie, et notamment à la vie sociale, très antinomiques avec le rationalisme dominant, un mode de vie, en tout cas, moins séparé de ce à quoi a abouti l´industrialisation en réduisant l´homme au travail et en colonisant ensuite le temps libre. J'ai vu l'ancienne société rurale se liquéfier, pourrir sur pied, des comportements se raidir. On ne peut se contenter des simplifications des antimondialistes, avec les méchantes transnationales qu'on substitue aux 200 familles et aux capitalistes à haut-de-forme et gros cigares pour avoir un ennemi clairement identifiable, alors que la domination fonctionne essentiellement grâce à la soumission: la soumission à l'industrialisation, à l'emprise d'un système technique ».

La lutte contre la soumission volontaire passe donc par une pensée et une action directe ( pas simplement médiatisé) radicale : « La radicalité c´est, littéralement, "prendre les choses à la racine" (…)Prendre les choses à la racine, c'est critiquer les bases technoscientifiques de la société moderne, comprendre la parenté idéologique profonde entre le progressisme politique ou social (c'est-à-dire la mentalité de gauche telle que la définit Théodore Kaczynski dans La société industrielle et son avenir (éd. EdN, 1998)) et le progressisme scientifique. L'industrialisation est depuis la "révolution industrielle" en Angleterre une rupture absolument fondamentale avec l'essentiel du processus d'humanisation. Sans civilisation paysanne c'est la civilisation tout court qui se défait, on le constate aujourd'hui ».

Riesel rejette en bloc José Bové, Attac, l’ensemble des altermondialistes et des "citoyennistes", qui, selon lui, ne veulent qu’aménager le système techno-marchand. Il les accuse d’avoir noyé la critique des OGM et ce qu’elle implique dans une démarche médiatique et réformiste. Pathétiques, ces croisés de la servitude active assistée par ordinateur en appellent encore une fois à l’État pour discuter de la couleur du collier et de la longueur de la chaîne.

Dans ce monde en décomposition, les solutions passent par la lutte. « Les progrès de la soumission vont à une vitesse absolument effroyable. Par l'Internet ou tout autre artifice de la quincaillerie technologique, la "culture" industrielle se répand partout. Le temps nous est compté, car la vieille idée selon laquelle le capitalisme ou l'économie s'effondreront sous leurs contradictions est évidemment fausse. Notre sort est entre nos mains: il s'agit de renouer avec le processus historique de l'humanisation »3.

 

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Livres de René Riesel parus aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances (Catalogue disponible à l’adresse suivante : 80, rue de Ménilmontant - 75020 Paris) :

  • Encyclopédie des NuisancesRemarques sur l'agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1999.
  • Déclarations sur l'agriculture transgénique et ceux qui prétendent s'y opposer, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2000.
  • Aveux complets des véritables mobiles du crime commis au CIRAD le 5 juin 1999, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2001.
  • Du progrès dans la domestication, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2003.
  • Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, (avec Jaime Semprun), Paris, 2008.
  • Surveiller et guérir (les moutons) ; l'administration du désastre en action : une étude de cas, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2014.

 

 

Note : 

1 René Riesel, L' Empoisonneur Monsanto demande protection à la justice française », Janvier 1999.

2 Aveux complets des véritables mobiles du crime commis au CIRAD le 5 juin 1999, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2001.

3 L’ensemble des citations de René Riesel est issu d’un entretien avec Alain Léhautier. « LES PROGRÈS DE LA SOUMISSION VONT À UNE VITESSE EFFROYABLE » dans Libération, du 3-4 février 2001.

 

 

 

21/10/2014

Pourquoi veulent-ils tuer le français ?

La défense de la langue française est- elle réactionnaire ? Cette article paru dans le numéro 29 Mars/Avril 2008) prouve le contraire.

Devenu sous François I°, par l'édit de Villers-Cotterêts de 1539, langue administrative du pays à la place du latin, le français a été déclaré langue de la République par un décret du 2 Thermidor (20 juillet 1794).Par la suite, le statut de langue de la République attribué au français a été maintes fois rappelé, la dernière fois par la loi Toubon du 4 août 1994 visant à assurer la primauté de la langue française en France. Mais nous constatons que cette primauté proclamée par les textes est dans la réalité de plus en plus menacée par une extension de l'anglais dont nos élites illégitimes se rendent complices.

L'anglais dans l'entreprise


L'anglais est installé et jugé irremplaçable dans une part toujours plus importante de l'activité des entreprises. Les raisons fréquemment invoquées sont que l'internationalisation des échanges impose l'utilisation d'une langue commune, l'anglais, qui envahit le monde du commerce, des affaires, de la diplomatie, de la recherche et des technologies.
Le passage à l'anglais dans les entreprises est aussi favorisé par les fusions ou alliances que la mondialisation implique et ne concerne plus seulement le sommet de l'entreprise. Une bonne maîtrise de l'anglais est de plus en plus exigée pour les cadres supérieurs ou moyens mais aussi parfois pour le personnel d'exécution.
A quelques trop rares exceptions près, les syndicats ne réagissent quasiment pas à cette vaste offensive de l'anglais dans le monde de l'entreprise afin de ne surtout pas paraître rétrogrades, fermés au progrès ou franchouillards. Il faut être moderne !

Valets de l'Empire

Les politiciens, eux, montrent leur volonté d'obéir aux désirs des grands patrons.
Nicolas Sarkozy a ainsi décidé dès sa prise de fonction d'imposer l'apprentissage de l'anglais à l'école dès le CE1 afin de mieux adapter l'offre à la demande des entreprises.
En septembre 2007, l'Assemblée Nationale - faisant fi des avertissements du Comité contre le protocole de Londres qui, par la voix de son président Claude Hagège, a dénoncé "un grave danger pour l'avenir de la langue française dans le domaine scientifique et technique et un vaste programme de domination qui revêt le masque de la mondialisation." - a ratifié le protocole de Londres qui permet à tous les brevets déposés en anglais d'être applicables en France sans traduction. En février 2008, Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement Supérieur, a exprimé officiellement sa volonté de "faire sauter la tabou de l'anglais" comme langue d'enseignement à l'université. (1). 

Si les atlantistes de droite agissent directement par un travail de sape en faveur de la langue de l'Empire, les atlantistes de gauche ne sont cependant pas en reste de par leurs déclarations. C'est ainsi que selon Bernard Kouchner, "le français n'est pas indispensable, l'avenir de la francophonie, c'est l'anglais". Il ajoute dans son livre Deux ou trois choses que je sais de nous : «  Nouveau venu dans le gouvernement de la République, j’avais été étonné, en 1988, que l’on insistât sur l’usage obligatoire du français pour les ministres ». Dans sa logique libérale, le français n’est plus rentable : «  Après tout, même riche d’incomparable potentiel, la langue française n’est pas indispensable : le monde a bien vécu avant elle. Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient ». Citons aussi Claude Allègre qui considère qu'il faut "cesser de considérer l'anglais comme une langue étrangère en France."
De manière plus symbolique mais non moins importante, l'Etat et ses représentants (chef de l'Etat, Premier Ministre, diplomates,.....) n'hésitent plus à s'exprimer en anglais hors de nos frontières. La palme revenant à Madame Christine Lagarde qui va jusqu'à diriger son ministère en utilisant la langue anglaise.

Le tout-anglais est injuste et inefficace

Pour justifier leur collaboration active, les politiciens avancent souvent l'argument de l'efficacité du tout-anglais, pour ne pas devoir avouer qu'ils se plient aux injonctions bruxelloises.
Pourtant, un rapport publié en 2005 par l'université de Genève a établi que le tout-anglais était d'un coût très élevé, sans compter qu'il est très injuste pour les pays d'Europe sauf pour la Grande-Bretagne qui y gagne des milliards de livres. Ce même rapport propose une alternative au tout-anglais : le plurilinguisme ou l'esperanto qui, pour une question de faible coût, d'équité (chaque pays serait à égalité de situation et chaque langue maternelle serait protégée), de précision et de rapidité d'apprentissage pourrait être une solution à privilégier.

Au lieu de combattre le tout-anglais, de défendre notre langue nationale qui est aussi celle de la francophonie (et qui est par exemple bien mieux défendue au Québec qu'en France dans la mesure où la charte québécoise de la langue française - à l'inverse de la charte française - proclame que le français est la langue du commerce et des affaires), au lieu de protéger la diversité linguistique à l'heure où des études montrent que 95% des langues disparaîtront au XXIème siècle à cause de la mondialisation (dont l'UE est le cheval de Troie), la classe politique s'inscrit dans la stratégie collabo du grand patronat qui veut ouvertement faire de l'anglais l'unique langue des affaires et de l'entreprise.

Où est la résistance du peuple de France ?

Face à cette trahison des élus de la Nation, la résignation voire l'indifférence générale l'emportent sur les volontés de résistance et de combat.Un fait essentiel semble en attester : lors d'un Conseil Européen de mars 2006 qui se déroulait durant la semaine de la francophonie, le baron Ernest-Antoine Seillière, patron des patrons "français", n'avait pas hésité à s'exprimer en anglais. Jacques Chirac avait alors su faire preuve d'un relatif courage (ce qui n'est pas arrivé souvent dans sa carrière politique) en quittant la salle avec sa délégation.

Hélas, les réactions n'ont pas été à la hauteur du geste. Les élites et les intellos autoproclamés ont ironisé sur un "geste ringard" et un combat d'arrière-garde. S'exprimer publiquement en anglais était à une époque pas si lointaine considéré comme incompatible avec une fonction de représentant officiel de la France ; aujourd'hui cela est plutôt considéré comme un signe de modernité. C'est ainsi que la nouvelle génération de ministres choisit souvent de parler anglais à l'étranger à l'occasion des points de presse, des conférences,.....
Les "petites gens" n'ont pas relevé le niveau en manifestant leur indifférence entre un haussement d'épaules et deux ballons de rouge (ou deux canettes de coca-cola).

Le rôle essentiel des médias

C'est bien là, la principale différence avec d'autres périodes de notre histoire. Si les élites ont derrière elles une longue tradition de trahison de la Patrie (des éternels Versaillais), les classes populaires avaient toujours su répondre « présent » pour "rester fidèles à la France profanée".
C'était avant que de grands capitaines d'industrie commencent à posséder des journaux, des radios et des chaînes de télévision, c'était avant que l'information ne devienne plus qu'une simple marchandise ayant pour objectif de conformer l'opinion publique aux idées et aux intérêts des propriétaires des grands groupes.  En parallèle à cette concentration de l'outil médiatique entre les mains de quelques-uns (les plus riches), la télévision a pris une place hégémonique au détriment de la presse d'opinion, facilitant ainsi d'autant plus la transmission de valeurs identiques à l'ensemble de la population. Tout le monde regarde les mêmes programmes, tout le monde est soumis aux mêmes référents culturels et à la même propagande du 20h dont le mépris pour tout ce qui fait la grandeur et la spécificité de la France est une des caractéristiques essentielles.

Guerre totale contre la France

La France est triste, la France est toujours en retard, la France est archaïque, la France n'est jamais suffisamment alignée sur ses voisins, la France est en faillite, la France n'est pas compétitive, la France est surendettée, la France est étouffée par le fiscalisme, la France est refermée sur elle-même, moisie, raciste,......Tels sont les poncifs qui sont inlassablement rabâchés par les médias jusqu'à ce qu'ils deviennent des vérités dans les esprits de bien des gens de bonne volonté.

Ces attaques s'inscrivent dans une stratégie globale qui vise un seul et unique objectif : mater définitivement ce vieux pays contestataire qu'est la France, ce potentiel "mouton noir" qui pourrait avoir la mauvaise idée de montrer la voie d'une alternative au libéralisme. Car malgré la résignation apparente du peuple de France, toutes les enquêtes démontrent que nos concitoyens sont en Europe les plus réfractaires à un libéralisme qui fout le bordel dans tous les domaines, en matière économique et sociale avec sa défense des profits et des actionnaires comme sur le plan des moeurs en désintégrant toutes les structures traditionnelles de notre société ou au niveau identitaire en favorisant l'immigration favorable au capitalisme (libre circulation des travailleurs), le supranationalisme (gouvernance mondiale) et l'uniformisation culturelle.

Nous comprenons ainsi que la défense de la langue française - loin d'être un combat d'arrière-garde ou de vieux croûtons - s'inscrit dans une lutte globale contre le libéralisme et ses conséquences que sont la destruction des acquis sociaux, de la souveraineté nationale, des identités et de la diversité culturelle.


Face à ce libéralisme destructeur, il nous faut opposer un "anti-libéralisme grand angle" corrigeant les lacunes d'une gauche "anti-libérale" qui combat le libéralisme économique tout en favorisant le libéralisme sociétal et en s'inscrivant dans un cadre mondialiste mais aussi celles d'une droite nationale qui combat le libéralisme sociétal et défend le cadre national tout en défendant le libéralisme économique.
Un libéralisme destructeur venant des Etats-Unis qu'un François Mitterrand - parmi tant d'autres - a largement contribué à mettre en place tout au long de sa carrière. Mais se sachant condamné par la maladie et n'ayant donc plus rien à perdre ou à gagner, ce même François Mitterrand a, au soir de sa vie, averti les français du danger par une réplique énigmatique mais révélatrice : "Les français sont en guerre mais ils ne le savent pas, ils sont féroces ces américains »......

 

JULIEN.

Note :

(1). Un exemple de la cuistrerie universitaire, la substitution du terme « master » issu des institutions universitaires anglo-saxonnes au terme français de « maîtrise ». Même si l’on désirait un terme commun pour désigner un cursus universitaire analogue dans les pays de l’U.E, il eût été possible de trouver un mot issu non pas d’une origine directe linguistique commune, ce qui est impossible en Europe mais, par exemple, d’une culture commune comme le latin ou le grec. Il fut un temps où l’on parlait encore d’alma mater pour désigner l’Université…

 

19/10/2014

Manipulation, infiltration, provocation... Ce qu’un révolutionnaire doit savoir de la répression

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Article paru dans le Rébellion 45 ( Janvier 2011) 

Le récent mouvement contre la « réforme » des retraites aura révélé aux plus naïfs l’existence de méthodes policières aussi anciennes que son rôle de maintien de l’ordre du Capital.

Des policiers déguisés en casseurs, des casseurs utilisés par des policiers pour semer le désordre dans un mouvement social, le fichage des plus actifs et l’infiltration des manifs… Rien de nouveau, cela étant déjà exposé et décrit dans un petit livre rédigé dans les années 1920. « Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression » fait partie de ces lectures importantes pour tous ceux qui veulent sérieusement s’impliquer dans l’action révolutionnaire.

Des méthodes qui ont fait leurs preuves

Victor Serge, son auteur, a voulu donner à l’ensemble des militants communistes européens une leçon sur les méthodes policières après la victoire de la Révolution d’Octobre 1917 en Russie. Les Bolcheviks pouvaient s’appuyer pour cela sur les archives colossales laissées par l’Okhrana, la police politique du Tsar. Elles détaillaient le fonctionnement interne de ce service de renseignement, l’enseignement et la mise en pratique des méthodes qui ont fait sa réputation dès la fin du 19ème siècle. On remarque d’ailleurs qu’elles sont toujours d’actualité, même si les nouvelles technologies les ont perfectionnées.

Toute surveillance policière débute d’abord par la mise en place d’un suivi et du repérage des éléments potentiellement subversifs. Il s’agit de filer l’homme, de connaitre ses faits et gestes, ses connexions et ensuite de découvrir son rôle et ses objectifs. Victor Serge indique qu’il est important de garder les yeux ouverts dans ses déplacements quotidiens et durant des actions politiques.

La base de tout travail policier est le renseignement et le fichage des activistes. Dès la seconde moitié du 19ème siècle, les institutions pratiquent la mise sur fiches de renseignements collectés sur les militants révolutionnaires. Toutes les innovations scientifiques modernes trouvent rapidement des applications policières (de la photographie au fichage génétique) et la connaissance des organisations révolutionnaires est un savoir enseigné dans les Ecoles de Police. Comme pour les bandes de délinquants, certains policiers sont ainsi formés à reconnaître les codes et les symboles des divers groupes politiques. A l’époque Tsariste, l’enseignement des structures internes des futurs bolcheviks était au programme. Aujourd’hui, un fonctionnaire du renseignement se spécialisera lors de stages sur les « nouveaux dangers » de l’extrême droite radicale, de la mouvance salafiste ou de l’ultra-gauche. Le principe de base est simple : laisser se développer le mouvement, le connaître pour mieux le liquider ensuite !

L’infiltration et la provocation, aveu de faiblesse du système

Victor Serge évoque dans son livre un des éléments qui fit le plus de mal au mouvement révolutionnaire russe : l’infiltration d’agents de l’Etat dans ses organisations. A la chute du tsarisme, les bolcheviks surent ainsi que leur direction avait elle-même était infiltrée par des agents provocateurs à la solde du régime. Ils purent se rendre compte, en dépouillant les archives des services secrets, de la trace de 35000 «  infiltrés » au sein du mouvement révolutionnaire.

L’Okhrana avait établi une démarche précise dans le recrutement de ses agents. Elle révèle une bonne connaissance des zones d’ombres de l’âme humaine et les moyens de les utiliser pour des basses œuvres. Les éléments prédisposés à prendre du service sont « les révolutionnaires d’un caractère faible, déçus ou blessés par le parti, vivant dans la misère, évadés de lieux de déportation ou désignés pour la déportation». Il est recommandé d’étudier «avec soin» leurs faiblesses et de s’en servir, de leur faire croire que l’on possède des chefs d’inculpation assez graves pour de lourdes condamnations. Afin de les convaincre, il faut aussi tirer parti des querelles internes au groupe militant dont ils sont membres, de la misère affective et des blessures d’amour-propre.

L’infiltration doit fournir une information directe sur la vie et les évolutions du mouvement révolutionnaire, mais elle peut très vite glisser vers la provocation. Elle vise à décrédibiliser un mouvement ou de donner un motif à son écrasement. Elle est un aveu de faiblesse d’un système qui ne trouve plus aucun autre moyen pour enrayer la progression des idées révolutionnaires. Elle utilise la peur qu’elle inspire pour couper le soutien populaire, mais elle peut aussi échapper au système. L’exécution du ministre Stolypine qui avait tenté de sauver le conservatisme tsariste, par un anarchiste qui appartenait à la Police politique du Tsar en est un exemple.

 

Rien ne peut arrêter une Révolution

« La police tsariste devait tout voir, tout entendre, tout savoir, tout pouvoir… Et, pourtant, elle n’a rien su empêcher» écrivait Victor Serge. «On aurait tort de se laisser impressionner par le schéma du mécanisme apparemment si perfectionné de la société impériale. Il y avait bien au sommet quelques hommes intelligents, quelques techniciens d’une haute valeur professionnelle : mais toute la machine reposait sur le travail d’une nuée de fonctionnaires ignares. Dans les rapports les mieux confectionnés, on trouvera les énormités les plus réjouissantes. L’argent huilait tous les engrenages de la vaste machine, le gain est un stimulant sérieux, mais insuffisant. Rien de grand ne se fait sans désintéressement. Et l’autocratie n’avait pas de défenseurs désintéressés».

En 1917, le tsarisme s’est effondré sans que l’appareil répressif puisse arrêter le cours de l’Histoire. Car la Révolution était le fruit de causes économiques, psychologiques, politiques et morales, situées au-dessus d’eux et en dehors de leur atteinte.

En vérité, la police était débordée par la popularité grandissante d’une idée qui avait la sympathie instinctive de l’immense majorité des russes. La révolution avait ainsi "pour eux la puissance morale, celle des idées et des sentiments. L’autocratie n’était plus un principe vivant. Nul ne croyait à sa nécessité. Elle n’avait plus d’idéologie. La religion même, par la voix de ses penseurs les plus sincère, condamnait le régime». Or une société qui ne repose plus sur des idées vivantes, dont les principes fondamentaux sont morts, peut tout au plus se maintenir quelques temps par la force de l’inertie.

Un parti révolutionnaire aura comme objectif d’être le plus imperméable à l’appareil répressif de l’Etat. La principale leçon de Victor Serge est qu’un mouvement qui n’a pas de base solide n’a pas besoin de la Police pour se dissoudre de lui-même. Certains groupuscules par leur faiblesse même (aussi bien au niveau théorique que par leur recrutement fa it à la sortie d’hôpitaux psychiatriques) sont d’utiles éléments pour toutes les provocations policières ou médiatiques.

Victor Serge donne des règles simples à suivre pour que les militants deviennent des  "révolutionnaires professionnels» : «Se garder de la manie de la conspiration, des airs initiés, des airs mystérieux, de la dramatisation des choses simples, des attitudes *conspiratives*. La plus grande vertu du révolutionnaire, c’est la simplicité, le dédain de toute pose même *révolutionnaire*».

Bibliographie : Victor Serge

«Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression» Ed. La découverte, coll. ZONES, 2010, 177 pages.

 

Qui fut Victor Serge ?

Pseudonyme de Victor Kibalchiche, il est né en 1890 de parents russes réfugiés en Belgique. En 1910, il installe à Paris et milite dans les rangs anarchistes. A ce titre, il côtoie la « bande à Bonnot » et a été condamné à 5 ans de prison pour activisme à l’explosif. A sa libération, il s'installe en Espagne. En 1917, il tente de rejoindre la Russie via la France mais il est arrêté. Ce n’est qu’en 1919, qu’il arrive à Moscou et rejoint immédiatement le Parti Communiste. Il est alors un proche collaborateur de Zinoviev à l'International Communiste. Lors du soulèvement des marins de Cronstadt, Serge se prononce contre les excès de la Tchekha. Opposant interne, c’est en 1928 qu'il est exclu du P.C. puis incarcéré en 1933. Une campagne internationale initiée par Trotsky et l'Opposition de Gauche arrache sa libération en 1936. Mais il rompt rapidement avec Trotsky, en désaccord sur nombre de questions - notamment son "sectarisme" vis-à-vis du P.O.U.M. espagnol.

En 1940, il quitte l'Europe pour Mexico où il meurt dans la pauvreté en 1947. Il laisse une importante œuvre littéraire sur l’histoire de la Révolution Russe et de l’International Communiste.

 

 

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14/10/2014

La déshumanisation capitaliste

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L’observation de la société actuelle appelle une condamnation définitive du système qui l’a produite. Le capitalisme aura généré un monde déshumanisé, où l’homme n’est plus qu’une statistique abstraite dans un tableau de perte et profit, et sans autre finalité que la destruction de la planète.