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06/08/2013

Les Réprouvés d'Ernst Von Salomon : Grandeurs et limites de l'activisme

Bréviaire de plusieurs générations d'aventuriers et de militants (de « gauche » comme de « droite »), « Les Réprouvés » est l'analyse la plus fine des grandeurs et des limites de l'activisme. A travers le récit d'Ernst Von Salomon, on découvre une époque troublée où les explosifs les plus violents étaient les esprits embrasés et où les hommes pouvaient encore jouer à avoir un destin. « Nous croyons aux instants où toute une vie se trouve ramassée, nous croyons au bonheur d'une prompte décision ». 

« Peu importe ce qu'on pense. Ce qui compte c'est la manière de le penser »

L'épopée romantique, ne doit pas faire oublier que ce récit est surtout un témoignage sur une expérience personnelle à laquelle l'Histoire a donné une dimension tragique. Von Salomon se garde de tomber dans le manichéisme, sachant par expérience que les idéologies ne sont que des masques pudiques pour les passions humaines. Reconnaissant la valeur de l'adversaire, que ce soit les insurgés communistes poursuivant sous d'autres drapeaux un combat comparable au sien ou bien Walter Rathenau, à qui il rend un hommage riche d'enseignement, il tire de son époque une morale de l'action qui transcende les clivages : « Agir, agir n'importe comment, tête baissée, se révolter par principe, tendre ses énergies par tous les moyens, avec toutes les audaces, le sang ne coule jamais en vain ! ». Les seuls être qui ne trouvent nulle grâce à ses yeux sont les bourgeois, leur lâcheté les lui rend à jamais méprisables.

Malheureusement cet élan vital ne suffira pas pour faire triompher les valeurs portées par les « réprouvés ». Car le manque d'expérience politique et l'ignorance des forces en jeu amènera les soldats perdus à servir les intérêts de cette classe bourgeoise tant haïe. Qui ne s'enracine pas dans le peuple, se laisse emporter par le vent de l'Histoire. C'est toute l'ambiguïté d'une partie de cette génération de combattants qui s'était sacrifiée pour sa Nation. En réalité, celle-ci les avait cyniquement instrumentalisés alors qu'ils pensaient lutter pour des valeurs héritées, dignes d'êtres défendues. Néanmoins, ils s'étaient plutôt construit une Nation idéale mais, d'une certaine façon, concrètement vécue sur la ligne du front, au coeur de la guerre. Toutefois, que pouvait-elle valoir, lorsque que ces hommes revinrent à la vie civile? Condamner la médiocrité de la vie bourgeoise prosaïque témoigne bien d'une certaine conscience de l'aliénation vécue quotidiennement mais ne suffit pas, pour remettre clairement en question, les fondements du système ayant conduit à la boucherie de la guerre impérialiste.

« La guerre est finie : les guerriers marchent toujours »

Elevé pour servir un ordre qui s'écroule avec l'armistice de Novembre 1918, Von Salomon se retrouve orphelin d'un Empire idéalisé. Il va rejoindre les colonnes revenant du front et, qui comme lui se sentent perdues dans cette Allemagne au bord du chaos.

Seules subsistent encore les valeurs guerrières forgées par les années de tranchées, la communauté fraternelle des camarades servant de refuge face aux bouleversement de leur époque. « La Patrie était en eux, et en eux était la Nation » écrit Von Salomon qui comprit que lorsque la majorité décide de capituler, il ne reste aux hommes libres qu'à rester fidèles à eux-mêmes.

Ces troupes seront mises à contribution par la République de Weimar afin de liquider la révolution spartakiste dans un Berlin surréaliste, où la luxure des cabarets côtoie les derniers combats de rue. Sale besogne qui entachera les drapeaux des corps-francs. Les guerriers vont comprendre trop tard qu'ils ont sauvé leur pire ennemi, la bourgeoisie, et se condamner. C'est alors que vers l'Est de nouveaux combats éclatèrent. La nouvelle époque, celle du Baltikum, permit d'oublier l'amère « victoire » de Berlin. Voulant garantir les frontières de l'Allemagne à l'Est, ils furent utilisés par le système pour faire barrage à l'avancée communiste de la jeune Union Soviétique.

Les « desperados de la Nation » traînèrent leurs guêtres de la Lettonie à la Silésie, combattant sans cesse pour finir une nouvelle fois poignardés dans le dos par le régime de Weimar. « Nous avons tendu la victoire comme une coupe précieuse sur nos mains prêtes au sacrifice. Mais ils l'ont laissé tomber par terre, et elle s'est brisée sur leurs pieds ». La marche vers l'Est avait été un moyen de fuir les bassesses de la démocratie, qui finirent pourtant par les rattraper. Leur retour à la vie civile les laissèrent sans repère : « A l'époque, l'Allemagne était pour lui un pays de soixante millions d'hommes qui avaient le sentiment de ne pas être à leur place et de quelques autres qui n'étaient pas du tout à leur vraie place ». 

La Nation Impossible

Condamnés à revenir vers ce monde qu'ils fuyaient, soldats sans armée, il ne leur restait qu'à devenir des terroristes. Ce plongeon dans la clandestinité donne à l'aventure un tournant individualiste qui fait de Von Salomon plus un aventurier qu'un militant. D'abord, dans la Ruhr occupée par les alliés, puis en menant un activisme débridé contre l'Etat. La violence que ces soldats perdus exerceront contre leur propre gouvernement ne pouvait être comprise par les masses.

Le choix d'assassiner Walter Rathenau s'éclaire au soleil noir d'un nihilisme refusant totalement une société négatrice de leurs valeurs (dont le ministre social-démocrate était l'incarnation intolérable). Il fut donc leur victime expiatrice, non du fait qu'il était le responsable de l'armistice ou parce qu'il était d'origine israélite, mais parce qu'il incarnait, par sa valeur, l'avenir du système...

Fournissant la voiture qui servit aux lieutenant de vaisseaux Kerm et Fischer pour abattre leur victime, Von Salomon sera traqué dans sa tentative de retrouver ses camarades encerclés. Ils se suicideront pour éviter la capture, ce destin ne sera pas offert à l'auteur. Arrêté, il passera plusieurs années en prison. Au bout de trois années d'isolement, on l'autorisera à recevoir un livre, Le Rouge et le Noir de Stendhal et à en écrire un, Les Réprouvés. Dès sa publication, il exercera une fascination qui est loin d'être éteinte.

Von Salomon à sa sortie de prison devra assurer sa survie par de multiple petits boulots, avant de trouver sa voie comme scénariste pour les studios de cinéma. Amoureux de la France, il s'installe un temps au Pays Basque. Toujours en contact avec la mouvance national-révolutionnaire, il observe la montée du nazisme. Après la prise de pouvoir par Hitler, il refuse les honneurs que lui offre le régime et s'enferme dans un «exil intérieur» comparable à celui d'Ernst Jünger. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il sera inquiété par les Américains . Ceux-ci n'ayant rien à lui reprocher au final, il sera libéré après plusieurs mois d'internement et reprendra son activité cinématographique,avant de mourir en 1972.

 

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01/08/2013

La pensée sauvage de Michel Maffesoli

 

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Entretien paru dans le numéro 42 de la revue Rébellion ( Juin 2010).  


Universiatire reconnu, membre de l’Institut universitaire de France, Michel Maffesoli est le sociologue qui a probablement analisé le plus finement le retour d'une forme inconsciente de tribalisme festif et tragique dans notre société contemporaine. Sa lecture est essentielle pour comprendre le phénomène du néo-paganisme.

 

R/ Vous êtes issu d’une famille du Midi, vous avez grandi dans le bassin minier de Graissessac (Hérault), quelle influence vos origines eurent sur votre travail et votre perception du monde universitaire ?

 

MM - En effet, ma jeunesse dans le petit village ouvrier de Graissessac, a eu une influence à la fois sur mon travail et sur ce qu’on peut appeler ma perception du monde.

Pour ce qui concerne mon travail, je m’en suis expliqué dans certains de mes livres, (cf. en particulier le livre d’entretiens avec Christophe Bourseiller : Qui êtes vous Michel Maffesoli, Bourrin éditeur, 2010). J’ai appris de ce milieu ouvrier où j’ai vécu toute ma jeunesse le sens du travail bien fait, voire une certaine « addiction » à celui-ci. Ce qui par parenthèses me fait juger sévèrement ceux que j’ai appelés les « rentiers de la République », à savoir tous ces intellectuels, et prétendus chercheurs qui ne trouvent rien. Mais dans le même temps « l’ambiance » de ce village minier m’a donné le sens de la fête et du tragique. Ainsi, par exemple, la fête de la Sainte Barbe, le 4 décembre était un moment paroxystique, où l’effervescence sous toutes ses formes, s’exprimait avec force, durant toute une semaine. Quand j’ai écrit L’ombre de Dionysos, (1982), j’entendais montrer l’importance des passions et des émotions collectives dans l’organisation du lien social.

Je rappelle que ces phénomènes festifs, et ce dans toutes les sociétés, sont corolaires du sens du tragique. C’est parce que l’on sait, si je peux dire d’un savoir incorporé, que l’accident, la mort, la finitude sont là, toujours présents, qu’il peut y avoir l’exacerbation des sens et le désir de jouir au présent.

Puis je également souligner, in fine, que c’est dans cette ambiance là que j’ai pu mesurer l’hypocrisie des responsables politiques et syndicaux, véritables dames patronnesses de la vie sociale qui s’employaient à faire le bien, en demandant la sujétion de ceux auxquels cette bienfaisance s’adressait. C’est ce que j’ai appelé La violence totalitaire. D’où le développement d’une sensibilité libertaire qui est une composante essentielle de toute mon œuvre.

R/ Vous avez eu l'occasion de croiser dans votre parcours le politologue Julien Freund. Quel souvenir gardez-vous de ce chercheur, dont les travaux connaissent un regain d'intérêt ? Quelles furent les autres figures intellectuelles qui vous ont marqué ou influencé ?

J’ai rencontré Julien Freund à Strasbourg en 1968 et à cette époque nous étions opposés dans le sens où avec courage il mettait en question les motivations des étudiants en révolte dont je faisais partie. Mais à la différence de nombre de professeurs de l’université en général, il avait le courage de le dire. Par après, il a été le codirecteur de mon travail sur « Marx et Heidegger et la technique » et a participé aux jurys des mes deux thèses. Enfin, en 1978, il m’a rappelé à Strasbourg afin que je prenne sa succession à l’Institut de Polémologie . C’était un homme intègre, un esprit libre et même si nous étions sur bien des points en opposition, il y avait entre nous une estime intellectuelle réciproque. J’en garde le souvenir d’un universitaire de qualité, d’un vrai Professeur, dont il faut dire que la race est actuellement en voie d’épuisement. Il y a bien sûr d’autres figures intellectuelles qui m’ont marqué, je noterai essentiellement Jean Baudrillard, Edgar Morin et Gilbert Durand. Mais comme je l’ai indiqué, je n’ai été lié qu’à des gens qui respectaient ma liberté intellectuelle et qui s’employaient essentiellement à nous aider à penser par nous mêmes. C’est exactement ce modèle que depuis quarante ans, j’essaie d’appliquer avec mes propres étudiants.

 

R/ On vous doit la création du terme de «tribu» pour décrire les nouveaux groupes sociaux nés dans l’espace urbain des années 1980 en Occident. Quel regard rétrospectif portez-vous sur ce terme que vous avez forgé et sur son utilisation par les médias ?

En effet, c’est dans les années soixante-dix que j’ai commencé à employer la métaphore de « tribus ». Il s’agissait par là de montrer qu’au-delà des grandes institutions qui s’étaient forgées ainsi que le montre Michel Foucault tout au long du 19° siècle, on voyait émerger un nouveau lien social, dont l’élément essentiel était le sentiment d’appartenance et le partage d’un « goût » ou pour reprendre un mot heideggérien d’une « humeur » commune.

Je persiste et signe et il me semble que nous ne sommes qu’au début du « Temps des tribus ». Bien sûr ce terme a été marchandise de diverses manières, les médias s’en sont emparé, et il est parfois utilisé sans discernement. Là n’est pas l’essentiel, pour moi il suffit de lui laisser son statut de métaphore (et non de concept) , métaphore décrivant bien le rôle renouvelé que vont jouer les « affinités électives » dans la vie sociale.

R/ L’émergence et le développement du mouvement techno et des raves dans les années 1990 fut un de vos champs de recherche. Comment jugez-vous ce courant et le mode de vie qu'il tente de faire perdurer ?

Dans le CEAQ (Centre d’Etude sur l’Actuel et le Quotidien) que j’ai fondé, avec Georges Balandier, en 1982, et que je continue actuellement de diriger à la Sorbonne, nous avons mené de nombreuses recherches sur les divers affoulements musicaux. Mouvements technos, « Raves », et même « gothique ».

Je considère que ces effervescences musicales sont une des expressions de ce que j’ai appelé l’orgiasme, c’est à dire le partage des passions, la nécessité de se regrouper, et de vivre ensemble, d’une manière paroxystique, les émotions collectives. Pour le dire d’une manière quelque peu familière, cela traduit bien ce que les jeunes générations expriment en disant « je m’éclate ». Ce qui me permet de préciser qu’à l’encontre du supposé individualisme seriné à longueur de page par des journalistes et des penseurs de la « série B » ce qui est en jeu dans nos sociétés est bien le renouveau du désir communautaire.

R/ Tatouages, piercings et modifications corporelles de toutes sortes sont aujourd’hui banalisés dans le monde occidental. Hier encore réservés aux « marginaux » et aux « hors la loi », qu'éveillent-ils dans notre perception du corps ?

Une des pistes de mon travail a consisté à rendre attentif à l’importance du corps. Peut-être même faudrait-il dire du corporéisme. J’ai publié en 1990 un livre intitulé « Au creux des apparences, pour une éthique de l’esthétique. » Dans ce livre je rendais attentif au fait qu’au-delà de la simple raison, les sens, le sensible, les sensations retrouvaient une place de choix dans la vie personnelle ou collective.

Ce phénomène de l’exacerbation du corps continue d’une manière exponentielle. Et il est vrai que les divers tatouages, piercings et autres modifications corporelles jouent un rôle de plus en plus important et constituent une part essentielle de la théâtralité urbaine. Ce ne sont plus des marginaux et autres hors la loi qui en font usage, mais il s’agit bien là d’une pratique courante et qui est totalement transversale à toutes les couches et classes de la société. Phénomène qui est également transgénérationnel. En bref, et c’est cela que j’ai appelé une éthique de l’esthétique, le corps n’est plus simplement un outil de production ou de reproduction, mais est bien un élément structurel de la vie en général. Magasins et magazines aidant on voit en quoi ce corporéisme, pour le meilleur et pour le pire, est appelé à se développer dans nos sociétés.

 

R/ Votre analyse des « nouvelles tribus » insiste sur l'aspect subversif de leurs pratiques. Mais n'assistons-nous pas à une récupération ( par les modes de la société de consommation) et une assimilation par le système, de ces comportements ? Les nouveaux communautarismes ne sont-ils pas un moyen pour l'Etat d'éclater la Société pour mieux la contrôler ?

Il me semble en effet qu’il y a dans les tribus postmodernes une dimension subversive d’importance. Je tiens tout d’abord à souligner que le mot communautarisme fréquemment employé par une intelligentsia en perdition ou en tout cas totalement déconnectée de la réalité sociale n’est pas à même de décrire le fort idéal communautaire en gestation. Cela dit, ces nouvelles tribus ne se situent pas ou ne se situent plus par rapport à l’Etat. On peut même dire qu’elles se préoccupent fort peu de la politique et des organisations qui lui sont afférentes. Mais c’est une chose qu’il est difficile pour nous de comprendre compte tenu de notre colbertisme, ou de notre étatisme natifs qui ne nous prédisposent pas à saisir le fait qu’il puisse y avoir une ordonnancement social sans instance surplombante.

C’est ainsi qu’Elysée Reclus qualifiait l’anarchie : « Un ordre sans l’Etat ». Idée que l’on retrouve chez Hakim Bey lorsqu’il parle de ces fameuses TAZ, « zones d’autonomie temporaire ». Ce qui est en jeu dans le tribalisme postmoderne, si je peux utiliser une image topographique, c’est le remplacement de la verticalité de la loi du Père, par l’horizontalité de la loi des frères. Et là encore repérons que le développement technologique, en la matière Internet, permet de bien saisir l’importance d’un tel glissement.

 

R/ Il y a une indéniable désaffection vis-à-vis de la Politique. Mais vous remarquez, en même temps, que cela n’est nullement la fin de «l'être ensemble», dans vos derniers écrits. Quelles sont les nouvelles formes prises par ce mouvement qui dépasse les élites instituées ? Une coupure définitive entre le Peuple et ses représentants?

Tout cela est l’expression d’une désaffection du politique, d’un désamour vis à vis des politiques. Relevons d’un point de vue sémantique qu’en son sens étymologique, le politique était la prise en charge commune de la « Polis », de la proximité que je vivais avec d’autres. Or cette proximité est devenue quelque chose d’éminemment lointain, si bien que par un processus antiphrasique, la politique et c’était bien ainsi que la définissait Julien Freund, se caractérise par le projet lointain. En même temps de nouvelles manières « d’être ensemble » sont en train d’émerger. C’est ce qu’on peut appeler la sensibilité écologique ou même ce que j’ai appelé dans mon dernier petit opuscule « Ecosophie » (CNRS Editions 2010). C’est cette dernière que ne comprennent pas les élites instituées qui justement ont du mal à saisir ce qui est instituant. Il s’agit là, je dois dire, d’un drame contemporain. En précisant toutefois que ce n’est pas la première fois que l’on peut assister à une véritable « Secessio plebis ». Il suffit de voir, dans ce que Vilfredo Pareto nommait la « circulation des élites » qu’elles vont être celles qui seront capables de trouver les mots pertinents pour dire ce qui est vécu. C’est bien cela qui est le problème essentiel de la période que nous vivons.

 

R/ Le réflexion sur la nature de la violence fut l’un de vos points de départ dans vos recherches sociologiques. Comment s’exprime son retour ?

Ma réflexion sur la violence est à la fois ancienne et actuelle. L’idée de base que j’ai développée en particulier dans « Essais sur la violence banale et fondatrice » (première édition 1976. CNRS éditions 2010) est qu’une société ne s’élabore que quand elle sait non pas évacuer, mais ritualiser, homéopathiser la violence.

Le propre de la modernité, au XIX° siècle a consisté à « pasteuriser », aseptiser l’existence sociale. L’idéologie du risque zéro ou de la sécurisation de l’existence en est l’expression achevée. Une telle idéologie et ce n’est pas un vain paradoxe est on ne peut plus dangereuse, en ce que elle ne peut que favoriser les formes paroxystiques, et donc perverses d’une violence non ritualisée. Et l’on peut voir, au travers des 34 000 voitures brûlant sur les pourtours de nos grandes villes, au travers des explosions ponctuelles des formes de révolte et de rébellion, au travers des rodéos de voitures, au travers des jeux de strangulation dans les cours de nos écoles et autres phénomènes paroxystiques, on peut y voir le fait que quand on ne sait pas utiliser ce que les philosophes médiévaux appelaient le de usu, c’est à dire le bon usage de la violence, celle-ci s’exaspère et devient totalement immaîtrisable. Si prévaut cette idéologie de sécurisation, on peut, sans erreur, supposer que des explosions de plus en plus nombreuses verront le jour.

R/ Hédonisme et mal être sont paradoxalement liés dans notre monde actuel. Comment expliquer ce «malaise dans la civilisation» ?

Je ne pense nullement que l’on assiste à un malaise dans la civilisation. Voir toujours pour paraphraser un sociologue défunt, « la misère du monde » est peut être l’expression de la misère de l’intelligentsia dont j’ai souligné la déconnection. Il y a en effet un hédonisme ambiant, mais comme je l’ai indiqué plus haut, l’hédonisme va toujours de pair avec le tragique. Cet hédonisme tragique traduit l’expression d’un « plus être » et non d’un mal être. Mais le propre de l’hédonisme est qu’il se vit au présent, et qu’il est conscient de sa finitude.

R/ De nouvelle formes de spiritualité apparaissent régulièrement depuis les années 1970. Cette explosion du besoin religieux a permis un retour de formes liées au Paganisme. Ce phénomène est- il durable ou va-t-il disparaître devant la montée des «intégrismes» ?

La finitude propre au tragique tout à la fois prémodernes et postmoderne doit être mise en rapport avec le retour d’un certain « paganisme ». Disons le tout net le paganisme est cela même qui me lie à cette terre-ci, c’est à dire à ce qui fait que l’on soit « paysan » de ce monde-ci qui est notre « pays ». Le développement des nouvelles formes du New Age contemporain en sont l’expression, c’est à dire qu’au delà des diverses religions instituées et rationnelles, il y a retour d’une idolâtrie dont les manifestations sont multiples. Je m’en suis expliqué » dans mon livre « Iconologie » (Albin Michel, 2008). Un tel paganisme qui signe la fin des deux millénaires qui ont marqué la fin des monothéismes n’est pas sans susciter de nombreuses réactions dont les divers intégrismes et moralismes chrétiens ou musulmans sont des expressions achevées. Mais il s’agit là de combats d’arrière garde. Combats qui comme on le sait peuvent être sanglants, car ils pressentent bien que la cause est perdue.

R/ «L’Ombre de Dionysos» est particulièrement présente dans vos travaux. Que représente pour vous cette figure du Panthéon antique ?

La figure de Dionysos est en effet une figure centrale dans mon travail, en bref c’est pour reprendre d’une historienne des religions (Claude Mossé) « une divinité arbustive » ou encore « chtonienne », c’est à dire « autochtone », c’est à dire de cette terre-ci. C’est ce qui en fait la figure emblématique de la postmodernité.

R/ Plus que jamais notre vision de l’avenir est sombre. Comment voyez-vous les évolutions possibles de notre société postmoderne ?

Dès lors, à l’encontre des idées convenues sur la période sombre dans laquelle nous vivrions, Dionysos met l’accent sur le clair-obscur qu’est toute existence. Un homme sans ombre n’existe pas, des romanciers comme Chamiso l’ont intelligemment illustré, il en est de même de toute vie en société.

C’est une telle ambivalence qu’il convient de penser, c’est ce qui fait la grandeur et la pertinence d’une réflexion s’attachant à montrer l’importance de l’humus dans l’humain, ce qui est ma prétention, ou mon ambition.

 

Sur le net : www.michelmaffesoli.org

19/04/2013

La rue abattra les tyrans !

 

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Plus de trois millions de chômeurs en France, mille usines fermées depuis 2009, de nouveaux plans sociaux chaque semaine... Délocalisation, chômage de masse, austérité : la situation économique et sociale est une réalité que nous ne pouvons fuir. Le retour des conflits sociaux durs dans plusieurs grosses entreprises, accompagné de fortes tensions dans l’ensemble du tissu économique des PME, révèe la montée d’un malaise dans le société. Une rupture est en train de se produire.

Dans le même temps, des milliers de personnes se retrouvent dans la rue pour refuser une loi sur le «mariage pour tous» qui se révèle être une étape supplémentaire vers le règne de la marchandisation de l'homme par le capital. Ce refus moral de voir disparaître les liens de la filiation est sûrement une surprise pour les tenants du libéralisme sociétal qui ne pensaient pas qu'il existait encore une telle force dans le peuple.

Le constat est là, implacable. Alors comment pouvons nous combattre efficacement le système qui est responsable de cette situation? Vous connaissez peut-être le vieux principe de Lénine : «Avoir raison est une chose, en convaincre les classes populaires est une autre chose». C’est là tout l’enjeu pour que les idées SRE ne s’épuisent pas en vains bavardages mais trouvent un écho dans le peuple.

Que faire alors? La priorité est de rassembler nos forces et de les organiser. Pour cela, nous devons être clairs. Notre autre priorité est d’agir pour de nouvelles convergences. L’unité d’action permettra de réunir sur le terrain les «dissidents» du système. La mise en commun de connaissances et d’expériences est nécessaire pour vaincre les pièges du système. Concrètement, Rébellion doit devenir le carrefour de la réflexion et de l’action de tous ceux qui recherchent une alternative à la crise du monde moderne.

Plus largement, nous voulons que la révolte d'Aulney rejoigne la révolte des Champs Elysées. Nous savons que les « limites sociologiques » peuvent être dépassées dans le refus d'un avenir préparé par le capitalisme. Nous savons que la colère peut devenir positive, que le combat est la source de la création !

Pour nous, ce projet a déjà son incarnation. Hugo Chavez était pour nous un symbole de la force qui pouvait naître de la rencontre du socialisme et du patriotisme. Il incarna la volonté d'un peuple de refuser la pauvreté et le pouvoir d'une l'oligarchie qui confisque toutes les richesses de son pays à son seul profit. Rejetant la domination impérialiste, il mena son pays dans la voie de l'indépendance et montra l'exemple à toute l'Amérique du Sud. Même si beaucoup de choses restent à faire,il a redonné la liberté et la justice sociale à son peuple. Ne pleurons pas Hugo Chavez, soyons dignes de son combat et soyons fiers d'oeuvrer pour la construction d'un socialisme du XXI° Siècle !

 

Note :

Nous souhaitons remercier les nombreux lecteurs qui ont pris le temps de répondre à notre enquête. Nous vous livrons les résultats dans le bulletin interne de notre revue.

15/04/2013

La critique moralisante

Décidément la République a du mal à se moraliser et plus largement le monde est devenu la proie, comme chacun le sait, de rapaces de la finance dont la turpitude n'a d'égale que la cupidité et la malhonnêteté d'hommes politiques confondant les finances publiques avec leur porte-monnaie. De même, le carriérisme politique ne serait plus à l'ordre du jour au nom de l'idéal démocratique et de "transparence". Au sein des convulsions du système mondialisé en crise et des lézardes profondes traversant notre régime politique se font entendre les voix scandalisées de la critique moralisante. Il faut mettre des barrières, des limites à tous ces abus et toutes les bonnes volontés sont convoquées à s'exprimer en ce sens. Qui ne souhaiterait la mise en oeuvre de nouvelles pratiques vertueuses au sein de l'Etat et de la société civile? Les "méchants", les "dictateurs", n'ont-ils pas été mis au ban de l'humanité et éradiqués manu militari par les puissances démocratiques ces dernières décennies? Bref, la République démocratique est potentiellement l'incarnation, la réalité effective de l'idée morale, il faut qu'elle devienne adéquate à son concept. Nous dispenserons le lecteur de l'évocation des devises sacrées au nom desquelles son épiderme devrait être parcourue de frissons indescriptibles. En conséquence, le bon citoyen doit payer ses impôts et ne pas avoir de compte bancaire à l'étranger, les banquiers doivent restreindre leurs appétits et les hommes politiques ne pas trop exagérer dans leur quête de sinécures et tout irait au mieux dans le meilleur des mondes capitaliste possible.

Le problème est que le réel est toujours un possible actualisé mais que le possible n'est pas toujours réalisé. Quel est donc l'obstacle métaphysique se dressant entre le meilleur possible et le réel présentifié et objectivé? Doit-on incriminer la nature humaine, le péché originel, "l'insociable sociabilité" (Kant) de l'homme? Et suffirait-il de psalmodier les très spiritualistes vertus républicaines pour qu'enfin règne la justice sociale (1) puisque celle-ci serait l'horizon insurpassable du devenir humain? Comment faire admettre aux prolétaires qu'il est souhaitable d'admettre que les inégalités sociales pourraient être admissibles au cas où, s'ils avaient à tirer au sort leur condition, la moins bonne parmi celles mises en jeu leur étant échue, ils s'en satisferaient quand même (version social-démocrate du contractualisme, chère à John Rawls)? Car enfin, le citoyen démocratisé est seul, individu ayant son "contrat" en poche avec écrit dessus, "droits de l'homme" et tout le saint-frusquin. E n effet, la dimension communautaire des hommes s'est évanouie dans les souvenirs obscurcis et manipulés des formes d'existence antécapitalistes et les prolétaires ne devraient se satisfaire que d'un lien juridico-politique les liant/aliénant à la sphère autonomisée de l'Etat et des instances de la "gouvernance" bureaucratique idéalisée et purifiée par le mensonge spectacliste. Puisque les "représentants" du "peuple" ne sont pas des parangons de vertu nous devrions nous satisfaire du devoir-être de la représentation de la vertu qui, somme toute, ne vaut que comme vertu de la représentation. C'est tout dire. Mais les prolétaires ne seront jamais qu'au pied du mur de la reproduction sans cesse approfondie du rapport central, essentiel, capital-travail. Peu nous chaut l'état d'âme du membre citoyen de la classe dominante, filou authentique ou mystique de sa condition sociale profane. Le prolétaire se heurte quotidiennement à la plus grande injustice que l'on puisse infliger à un homme. Il ne souffre pas d'un tort particulier qu'une panacée administrative pourrait redresser comme le suggère le réformisme définitivement irréformable mais du tort plus essentiel et universel : celui d'être étranger à toute communauté humaine digne de ce nom. La condition du travail salarié, fondamentalement soumise aux aléas de la quête financière guidée par la nécessité du processus de valorisation du capital ne peut avoir d'autre destin. Afin de maintenir le flot de la colère face aux exactions des bandes mafieuses de la bourgeoisie, l'idéologie spectacliste tente de nous revendre une énième version d'une opération "mains propres". Cela ne sera jamais plus comme avant, le système est capable de se corriger et Cahuzac ira à Canossa. Mais sous le règne despotique du capital, il n'y a jamais que la répétition pseudo-cyclique du Même, l'autocratie des instances du pouvoir. Le machiavélisme de celui-ci avec ses combinaisons malhonnêtes ne traduit que le rapport essentiellement machiavélien au monde dans lequel le moyen (équivalent général abstrait) ne peut être qu'une fin, celle issue de la production pour soi traduisible en argent comptant. En dernière instance qu'importe comment celui-ci sera capté. Tel est l'impératif catégorique de la pratique aliénée.

Aussi la critique que nous conduisons ne consiste pas à dénoncer les symptômes d'un système corrompu que nous aimerions voir reconnaître ses fautes. Le mensonge est au coeur de sa structure inversant le rapport humain à son être. Il est la réalité de son irréalité foncière au sens de la déréalisation inhérente à l'activité salariée. L'être du capital est le non-être du prolétaire, son existence appauvrie de son inexistence. Celle-ci est sa radicale altérité générée dans son rapport au travail mort incarné dans les diverses métamorphoses du cycle de reproduction capitaliste. Nous ne savons pas quand le prolétariat rejettera "les écorces mortes" de la "fatalité" économique ni sous quelle latitude. Mais cela est, non pas son impératif catégorique de classe qui témoignerait d'une autonomie subjective classiste (qui est à la recherche du sujet révolutionnaire transcendantal?), mais une nécessité en devenir complexe constituée de sa défense réformiste obligée aux attaques agressives incessantes des organes d'exploitation et de la conscience afférente à cette lutte productrice d'un savoir-faire susceptible de miner les fondements du vieux monde ; susceptible et non mécaniquement imposé par une instance miraculeusement tapie et agissante au coeur de la lutte ni importé de l'extérieur par une officine éclairée et éclairante. L'autonomie du prolétariat se forge dans sa communication agissante à portée universelle et polyvalente lors de ses combats. Et dans la guerre sociale, il peut, certes, y avoir des régressions, des défaites lourdes dont aucune recette dialectique ne peut assurer qu'elles seront suivies d'une avancée majeure à venir. La légitimité éthique de nos motivations trouve son fondement dans cette communication agissante de classe et nous pose aux antipodes des mobiles propres aux illusionnistes du système.

D'ailleurs, ce dernier ne développerait pas des trésors d'ingéniosité pour pérenniser son règne s'il ne savait que le prolétariat n'est pas définitivement vaincu , qu'il peut resurgir dans toute sa force là où lui ont été imposées les conditions modernes de production. Dès lors, oeuvrer en vue de la communauté humaine constitue réellement une finalité pour soi. Nous sommes les héritiers de la perspective de la liberté concrète.

NOTE :

1) Nous ne savons guère ce qu'est la justice sociale. L'égalité? De quel ordre? La justice commutative? Distributive? L'expression est certes attrayante mais remarquons que toutes ces évaluations normatives reposent sur l'existence de la réduction de l'existence humaine au règne de la valeur dans son sens marxien. Au mieux, elle fonctionne dans ce que Marx a appelé la phase inférieure de la société communiste ( néanmoins "le droit égal" y "reste prisonnier d'une limitation bourgeoise") dès lors que le temps de travail humain est encore comptabilisé bien que dépouillé de la forme de la production et de l'échange marchands. 


 

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06/04/2013

Rejeter le Pessimisme !

 

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 "Nous sommes trop jeunes pour attendre le Kali-Yuga dans un réduit. La civilisation occidentale qui se meurt ne doit pas nous arracher une seule larme. Ses valeurs marchandes n'ayant jamais été les nôtres, nous laissons à d'autres le soin de pleurer sur son tombeau pour nous consacrer à bâtir des temps nouveaux. Nous sommes porteurs d'avenir, d’espérance et pour cela nous rejetons la culture du pessimisme très fréquente dans la sphère de la dissidence. Avec son enfermement dans un passé mythifié et son attentisme devant les évènements, cette attitude stérile doit être combattue par l'affirmation révolutionnaire de la dimension proprement futuriste de notre lutte. 

On ne construit pas de civilisations sur des nostalgies. Si nous n’oublions pas le passé nous ne lui sacrifions pas le futur. Nous sommes trop jeunes pour attendre le Kali-Yuga dans un réduit. 
La convergence des catastrophes n'est nullement certaine, le système ayant montré plusieurs fois montré sa capacité de surmonter momentanément ses contradictions. Nous risquons bien de voir ce monstre se transformer à nouveau. Nous assistons actuellement à un pourrissement de la situation qui se poursuivra tant qu'aucune force ne viendra l'arrêter. 
Il peut y avoir des secousses sociales, des révoltes populaires comme des raz-de-marées populistes, mais qui demeureront inefficaces tant que rien ne viendra les canaliser vers une orientation révolutionnaire. 
Il est temps de comprendre que ça n'est pas de Mormons survivalistes que l'Europe à besoin, mais de combattants politiques qui ne laisseront pas les évènements agir seuls. 
Ils essaieront, au contraire, de faire naitre un esprit nouveau en Europe. Le changement révolutionnaire ne suivra pas un calendrier strict et aucun scénario ne devant être écarté, chacun devant se tenir prêt à toutes les situations." 

Extrait de l'article "La rébellion des peuples européens" parut dans le magazine "Rébellion" n°56, page 7.