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07/02/2011

Editorial du numéro 46 : L'impérialisme occidental destabilisé

Ceux qui pensaient que le capital était définitivement conforté dans la stabilité en sont désormais pour leurs frais. A le tempête financière suivie de la spoliation des peuples et de l'application de plans d'austérité répond un peu partout dans le monde la colère des "damnés de la terre". A la montée des luttes ouvrières en Europe, font écho des soulèvements populaires là où on les attendait le moins : dans le monde arabe. La propagande habituelle met en avant le déficit de démocratie dans lequel ces pays sont depuis longtemps enlisés. Les manifestants combattraient au nom des idéaux droits-de-l'hommistes. Point de vue faussée sur la réalité ; il ne peut même plus y avoir de démocratie classique, si tant que celle-ci ait jamais été adéquate à son concept dans le monde réel, dans une situation historique où le fossé entre les classes sociales est constitué d'un abîme. Cet abîme qui est en train de se creuser sous nos pieds également en Europe.

La bourgeoisie est devenue une oligarchie parasitant le corps social à l'échelle planétaire et totalement coupée des classes populaires. Le ploutogérontokleptocrate Ben Ali n'en était que l'expression dans le miroir grossissant et caricatural propre aux pays vivant en marge du coeur des puissances dominantes et où la politique prend souvent des aspects tragiques et ubuesques. Que sont en réalité les fameuses "classes moyennes" se révoltant dans les pays arabes au nom de la démocratie, en Tunisie par exemple? L'arbre qui cache la forêt de la paupérisation de l'immense majorité. Ce n'est pas parce que nombre de ces manifestants sont des diplômés ayant un bon niveau culturel qu'ils constituent en majorité une "classe moyenne". Ils sont tout simplement prolétarisés, sans espoir de promotion sociale quelconque significative, végétant au chômage, sans ressources financières. Seule une minorité peut espérer tirer son épingle du jeu, quand bien même des réformes politiques "démocratiques" interviendraient.

Pour s'immoler, il faut vraiment être dans une impasse absolue. Lorsque les médias ont bien voulu leur donner la parole, des manifestants ont bien dit que derrière le sentiment de ne plus pouvoir supporter la répression de toute forme de liberté, il y avait la terrible nécessité matérielle qui les poussait dans la rue. Ce fut le cas également en Algérie où le FIS ne fait plus recette. Il existe un début de processus révolutionnaire dans le monde arabe, telle est notre thèse, mais pas encore des révolutions. La vague de mécontentement a également touché la Jordanie et le Yémen avant que l'Egypte ne s'embrase. Le pouvoir politique est remis en question car les contradictions sociales sont exacerbées ; les gouvernements fantoches soutenus par l'impérialisme occidental sont dépassés, le fossé est définitivement creusé entre l'oligarchie affairiste et des masses déshéritées.

Personne ne peut faire de prédiction quant à l'avenir mais la leçon qui nous paraît devoir être tirée dans l'immédiat et qui a une portée historique considérable est que l'impérialisme étasunien avec ses valets atlantistes ne maîtrisent plus la situation mondiale, en particulier dans leurs zones d'influence directe où les "gouvernements" collaborateurs du néocolonialisme sont en train de tomber ou d'être ébranlés les uns après les autres. . La théorie du maillon faible du capitalisme devient en ce début du 21° siècle, la théorie des maillons faibles, des failles géopolitiques en train de s'ouvrir et de s'approfondir et que les puissances impérialistes ne pourront plus bientôt colmater. Les interventions militaires au Moyen Orient sont des échecs retentissants, tous les plans de recomposition de la région ne débouchent que sur le chaos duquel les Etats-Unis ne pourront pas à long terme tirer profit.

Au Liban, le Hezbollah devient majoritaire donnant un écho à la la voix de l'Iran. Quant au Maghreb et à l'Egypte, les Etats-Unis n'avaient rien vu venir (1), ils ont pris le train en marche pensant pouvoir amortir la radicalisation du mouvement de contestation en soutenant des solutions réformistes mitigées s'il le faut d'un soupçon d'islamisme fondamentaliste toujours instrumentalisable. Le recours à l'utilisation de l'armée tunisienne pour écraser la rébellion eût été contreproductif - radicalisant la colère des masses du monde arabe - pour un retour à l'ordre dans une région moins sensible stratégiquement que le Proche-Orient. Washington lâcha donc Ben Ali afin de tenter d'endiguer le processus révolutionnaire. La situation est plus délicate en Egypte où l'armée est au pouvoir et où sa présence est renforcée par les dernières nominations ministérielles prises par Moubarak. La clique militaro-capitaliste joue son existence de classe parasite financée depuis longtemps par les Etats-Unis, ceux-ci hésitent à la lâcher pour des raisons géostratégiques évidentes ; la solution El Baradeï ne s'impose pas d'elle-même sur ce plan-là pas plus que dans une perspective de consensus sociétal et politique. Obama en demandant de façon voilée et assez rapidement à Moubarak de laisser sa place a essayé de sauver ce qui pouvait encore l'être du fragile équilibre de la région.

Le rapport de forces et son évolution au sein de la "révolution" égyptienne sont difficilement prévisibles mais d'ores et déjà il apparaît que les Etats-Unis lâchèrent Moubarak presqu'explicitement à partir du 4 février pour tenter de s'appuyer sur Souleimane et les éléments les plus fiables de la haute hiérarchie de l'armée afin de maintenir l'équilibre géopolitique leur étant favorable ainsi qu'à Israël. L'armée elle-même doit être parcourue de contradictions, certains rares éléments y étant relativement plus proches du peuple que les autres. Au fil des jours les manifestants encadrés par l'armée ont en un sens échappé en partie à la répression de la police qui avait fait au début de la révolution de très nombreux morts, donnant à la situation un aspect insurrectionnel. Néanmoins, sous l'aile protectrice de l'encadrement militaire étrangement inefficace lorsque les éléments pro Moubarak intervinrent violemment - ramassis de policiers des services secrets et de représentants du lumpenproletariat - le mouvement à partir du 4 février commença à tourner un peu en rond. Ceci est en grande partie causé par le caractère double du processus révolutionnaire à la dimension à la fois sociale, s'enracinant dans les luttes ouvrières récentes, en particulier celles de 2008 - expressions de la misère dans laquelle survit difficilement presque la moitié de la population - et à la fois politique de réaction contre le blocage de la confiscation du pouvoir entre les mains d'une oligarchie au service des puissances impérialistes (Etats-Unis et Israël principalement). L'armée qui est la clef de voûte du système égyptien en tant que premier entrepreneur capitaliste national (foncier, immobilier, industriel) se trouve confrontée à l'émergence de cette contestation à deux instances que nous venons d'évoquer. Sa stratégie est de tenter d'atténuer la virulence de celle-ci. La politique de libéralisation économique conduite par l'ex-premier ministre Ahmed Nazif à partir de 2004 a accru les inégalités sociales, approfondi le pouvoir des affairistes ; le haut niveau de corruption du régime suscitant l'approfondissement de la misère et le décrochage des couches moyennes de la société. L'armée s'est inquiétée de la réaction de ces dernières, ce qui peut expliquer sa relative sollicitude à l'égard des manifestants jusqu'à maintenant et son désir de pousser Moubarak vers la porte de sortie ainsi que dans son sillage, le fils de ce dernier, Gamal, très lié aux technocrates mondialistes montés en puissance ces dernières années à l'occasion de ces orientations économiques libérales. C'est donc plutôt vers une redistribution des cartes et des rôles au sein de la classe dominante à laquelle nous devrions assister qu'à une authentique révolution populaire réussie. Ajoutons que l'armée lors des récentes négociations en vue d'une transition politique a soigneusement choisi ses interlocuteurs parmi les Frères Musulmans. Il n'y a là aucun symptôme d'une montée de l'islamisme radical comme feignent de s'en indigner actuellement certains soutiens de la politique sioniste. L'armée afin de sauver son pouvoir se doit de composer avec certaines forces et de les recomposer également. Cette ouverture envers les Frères Musulmans a pour fonction de diviser la puissance de la contestation.

En conclusion, les récents soubresauts du soulèvement populaire auront constitué un banc d'essai pour les fractions les plus avancées, les plus conscientes, des peuples arabes en ébullition. Nous avons assisté aux prodromes de changements qui vont affecter le monde arabe, le statu quo ne peut plus y être maintenu. Désormais s'esquisse probablement un renouveau du nationalisme arabe, un nationalisme arabe ayant l'intelligence de s'articuler à la critique du monde unipolaire. Corrélativement s'ébauche la disparition des régimes de marionnettes, soutenus par les Etats-Unis. Les nations arabes exigeront d'être traitées en égales par l'Occident, en particulier par Israël. La stratégie du diktat impérialiste est en train de vaciller. Une faille géopolitique s'est ouverte dans l'espace d'influence de l'impérialisme atlantiste comme nous le soulignions précédemment. Pour le cas de l'Egypte, il va devenir de plus en plus difficile d'asphyxier la bande de Gaza (asphyxie mise en oeuvre par Souleimane!) et le Hamas. Voilà de quoi inquiéter les faucons israéliens... Pour le capital, il va falloir compter avec la colère des plus déhérités. Nous nous associons à celle-ci.

7 février 2011.

NOTE :

1) Le cas de la France est à cet égard pitoyable et montre à l'envi la médiocrité consternante du personnel politique en place y compris de celui des services de renseignements. D'ailleurs "selon un ancien du Quai, qui a eu accès à la plupart des télégrammes diplomatiques échangés entre Tunis et Paris au cours des vingt dernières années, 'sur les huit ambassadeurs successifs de l'ère Ben Ali, un seul a vraiment tiré la sonnette d'alarme sur les dérives mafieuses du système, mais il n'a pas été écouté'. Il s'agit d'Yves Aubin de la Messuzière, en poste de juillet 2002 à juillet 2005." Jeune Afrique. p.10 n°2611. Concernant l'Egypte, le président français s'est empressé de faire le perroquet d'Obama. Le tournant atlantiste radical de la présidence de Sarkozy a détruit le peu de cohérence existant encore dans la politique arabe de la France en la faisant tout simplement disparaître.

 

 

17/01/2011

Rébellion 45 disponible !

Rébellion45-1.png

P04EDITORIAL

Impuissance démocratique

P07IN MEMORIAM

Jean Parvulesco

P08ENTRETIEN

Bernard Conte/La tiers-mondialisation

de la planète en marche

P10CHRONIQUES EUROPEENNES

D’anti-européiste  à euro-phobe :

Le passage d’une opinion politique à une pathologie

P11>Il neige à Dublin

P12SOCIETE

Liberté des anciens et liberté des modernes

P14ACTIVISME

Manipulation, infiltration, provocation...

Ce qu’un révolutionnaire doit savoir de la répression

P15>Qui fut Victor Serge ?

P16POLEMIQUE

Communisme & Complotisme.

Contre les délires complotistes anti-communistes

P21LIVRE

L’Occident vire t-il à droite ?

P22CULTURE

Chuck Palahniuk.

American Psycho

 

Disponible contre 4 euros à notre adresse :

Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02.

 

21/12/2010

Editorial du numéro 45 de la revue Rébellion : L'impuissance Démocratique

Le numéro 45 de Rébellion sera disponible d'ici quinze jours.

  Il arrive souvent que l'on ne fasse guère ce dont on parle beaucoup. Il y a là un phénomène rendu possible paradoxalement par la nature même de la conscience et du langage humains. Conscience et langage se conditionnent mutuellement et s'édifient à partir de la distance qu'elles instaurent entre l'homme et le monde. "La conscience et le monde sont donnés d'un même coup ; extérieur par essence à la conscience, le monde est, par essence relatif à elle", écrivait Jean-Paul Sartre (Situations I). Ainsi pour prendre conscience du monde dans lequel il vit, l'homme s'arrache à l'immédiateté naturelle, du rapport purement instinctif au réel. il prend connaissance de ce dernier et agit téléologiquement à son égard, posant de manière plus ou moins adéquate les instruments nécessaires pour atteindre ses finalités. La représentation qu'il se donne toujours de celles-ci fait l'objet d'élaborations conscientes plus ou moins pertinentes. C'est le rapport à la pratique qui témoigne de l'efficacité de ces dernières et du caractère atteignable ou pas de ces finalités. En ce sens, l'homme peut être plus ou moins "réaliste" ou bien délirer ou encore se faire des illusions. Le langage lui donne paradoxalement alors, la possibilité de s'éloigner toujours plus de l'efficacité d'une activité pratique portant sur le réel.

   Dans le cadre de la vie sociale et envisagées de ce point de vue, les illusions prennent globalement la forme de l'idéologie au sens de Marx. Celle-ci est avant tout conçue par lui , sur fond de conflits. Parlant des grands bouleversements économiques conflictuels au cours de l'histoire, Marx écrit : "...il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques, philosophiques, bref les formes idéologiques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout". (1). Ce qui par voie de conséquence n'implique pas que les hommes aient toujours une connaissance adéquate de la réalité (mais ceci a toujours malgré tout des conséquences pratiques multiples) au sein de laquelle ils pensent et agissent. Marx ajoute d'ailleurs immédiatement : "On ne juge pas un individu sur l'idée qu'il a de lui-même. On ne juge pas une époque de révolution d'après la conscience qu'elle a d'elle-même. Cette conscience s'expliquera plutôt par les contrariétés de la vie matérielle." (2). Alors justement la conscience sociale s'explique par les "contrariétés de la vie matérielle", encore que cette conscience se départage (conséquence de ces "contrariétés") en fonction du versant de la réalité sur lequel on se trouve - parce que celle-ci est divisée -  ou encore plus précisément de celui dont on a conscience sur lequel se trouver. Il en est ainsi de la conscience de classe. Les choses ne sont jamais très simples car, par exemple, - pour ce qui nous intéresse - il faut déjà être conscient d'un certain type de conscience de classe pour se considérer soi-même comme visant à dépasser le monde capitaliste dans lequel nous nous trouvons. Le membre de la classe dominante et satisfait de l'être, quant à lui, ne perçoit dans le fonctionnement structurel du capitalisme que quelques dysfonctionnements passagers, des "contrariétés" au sens courant et banal du terme. Dans l'opposition du prolétariat au système il sent bien une contradiction à l'oeuvre mais au sens où on lui "porterait la contradiction" au sein du débat "démocratique", "républicain" et non l'expression d'une contradiction structurelle et dynamique inhérente au mode de production capitaliste. Cette idée relève déjà d'une analyse critique de ce dernier faite par le mouvement communiste. Mais la critique à son tour si elle dispose d'outils d'analyse opératoires, efficaces ne saurait se passer non seulement de vérifications de ce qu'elle annonce (la situation catastrophique faite à l'homme par le capital témoigne pour elle) mais également de la mise en oeuvre de finalités qu'elle se propose d'atteindre réellement. Pour l'authentique mouvement révolutionnaire ces finalités sont vécues sous le mode du pas-encore. Historiquement ce pas-encore a fait l'objet de multiples et diverses voire contradictoires évaluations comme l'utopisme, le maximalisme, le possibilisme etc. ; autant de versions de l'espérance socialiste signifiant que la partie est loin d'être jouée.

   On pourrait voir dans cette situation un cas particulier de la confrontation plus générale du désir humain au réel. Chacun comprend que celui-ci ne se plie guère aisément à celui-là. Par voie de compensation le premier peut s'offrir des satisfactions substitutives. Le mode illusoire en est une. Néanmoins ce type d'explication doit être renversé car le désir humain ou même le simple besoin sont amplement modelés par l'histoire humaine et le développement des rapports sociaux. Le mode illusoire de compensation dont nous parlions ci-dessus peut, certes, être qualifié anthropologiquement de manière générale mais ne saurait échapper dans ses formulations symboliques aux conditions sociales et historiques qui l'ont fondamentalement produit. Ainsi en est-il du besoin de démocratie qui traduit bien l'aspiration de la majorité des hommes à participer à la sphère publique, à l'expression de propositions cohérentes quant à leur existence sociale mais besoin qui se trouve réellement contrarié par les contradictions à l'oeuvre au sein du système. Celui-ci ne peut en effet que procurer à ce besoin/désir qu'une satisfaction substitutive, purement formelle, à faible valeur symbolique d'ailleurs et dont la nature ne lui renverra que l'occasion de la perception plus ou moins aiguë de son impuissance réelle. Cette aspiration sociale ne peut donc être satisfaite : "Là où l'Etat politique est arrivé à son véritable épanouissement, l'homme mène, non seulement dans la pensée, dans la conscience mais dans la réalité, dans la vie, une existence double, céleste et terrestre, l'existence dans la communauté politique, où il se considère comme un être communautaire, et l'existence dans la société civile, où il travaille comme homme privé. [...] Aucun des prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme en tant que membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé." Marx. (3).

   Cela nous conduit à envisager l'impasse dans laquelle paraît être la lutte de la classe la plus nombreuse contre les mesures de "rigueur", dit plus clairement, d'exploitation croissante dont elle est victime. L'année écoulée aura été, partout en Europe, marquée par un gigantesque recul du niveau des conditions d'existence sociale et économique du prolétariat. La crise débutée aux Etats-Unis, qui n'était pas financière mais qui traduisait un appauvrissement de larges couches surendettées de la population, a frappé de plein fouet les pays européens dont les Etats vont faire payer les conséquences avant tout aux travailleurs. Malgré la réaction de ceux-ci, et en particulier en France durant l'automne, l'impuissance de la protestation (même les émeutes récentes en Grèce et en Angleterre ne changent rien à ce constat) a été largement vérifiée. Celle-ci est en effet amplement affublée de la panoplie démocratique. Utilisée du côté des gouvernants, elle leur permet d'affirmer la légitimité de leur action au nom de l'élection les ayant portés au pouvoir (et d'ailleurs même en pleine crise les élections locales çà et là n'ont rien bouleversé) et du côté de l'opposition de gauche, l'appel à la démocratie est revendiqué comme signifiant un moment du débat au sein de la vie publique ("la communauté politique" de Marx cité ci-dessus) dont ferait partie la protestation/procession circumanbulatoire urbaine. Qui ne voit que cela ne change absolument rien pour ce qui concerne le rapport de force dans la lutte des classes? Même les actions paraissant les plus radicales comme le blocage de dépôts de carburant et autres empêchements de circulation, si on y réfléchit bien, vont à l'encontre d'une lutte de classe efficace, qui elle, suppose que les travailleurs puissent entrer en contact entre eux en se déplaçant au cours des luttes. De là, l'importance symbolique, du propos d'Eric Cantona, relayé par un échauffement virtuel, concernant justement l'inefficacité des récents mouvements de grève et la nécessité de trouver autre chose afin de faire vaciller le système (retirer les dépôts d'argent dans les banques). Evidemment la proposition était vouée au fiasco mais ce qui est signifiant en la matière, c'est l'interrogation, certes posée de façon un peu malhabile, sur la force et la pérennité du capital, cause de l'impuissance des contestataires. Tant que la panoplie démocratique illusionnera, rien ne changera fondamentalement. La démocratie est l'arôme spirituel offert au citoyen, plongé par ailleurs jusqu'au cou dans la fange terrestre de la vie réelle aliénée. (4). L'Etat politique démocratique est fort de l'impuissance effective de l'homme privé livré à l'esclavage du travail salarié. "Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres... il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire... J'ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible ... pourrait se combiner mieux qu'on ne l'imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu'il ne lui serait pas impossible de s'établir à l'ombre même de la souveraineté du peuple." Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique.

   En fait, le "pouvoir immense et tutélaire" s'élevant au-dessus des peuples à l'époque de la mondialisation en voie de parachèvement ne s'identifie plus totalement avec l'Etat politique de chaque nation. Actuellement, il représente les forces économiques se chargeant bien souvent de mettre au pas tout Etat récalcitrant à ses injonctions transnationales ou à celles de telle puissance étatique impérialiste dominante. L'Etat n'est alors plus que la courroie de transmission de ces dernières. La perte de souveraineté nationale et vraiment populaire est en conséquence le symbole même de l'impuissance démocratique nationale. Ou bien l'appareil étatique est lui-même à la pointe de la mise en léthargie de toute aspiration démocratique populaire. La plupart du temps la réalité effective de la situation constitue un dosage plus ou moins équilibré entre les deux pôles de ce schéma. Sous la pression de la nécessité matérielle, les travailleurs n'en continuent pas moins de pressentir que la solution au problème de leur condition d'exploités ne se situe pas dans le cadre de ce système. Mais l'expression de leur espérance est paralysée par le modèle dominant pratico-social de compréhension du monde. S'agit-il vraiment de revendiquer "plus de démocratie"? S'agit-il encore de participer à une forme de culture, de vie politique, hostile aux nouveaux besoins vitaux des hommes? Le recours à l'idée de démocratie est un recours à une performance verbale d'une forme de vie qui a produit tout ce qu'elle pouvait contenir de positif jusqu'ici. Cette forme d'existence sociale est devenue désormais largement délétère. Le prolétariat doit créer et recréer son langage de rupture avec le système capitaliste qui lui, de son côté, a amplement parachevé sa tâche de rupture, de séparation entre les particuliers, et entre les classes sociales. Il est hors de question de participer à sa tentative d'unification factice de la société par le "haut", l'Etat démocratique. Le prolétariat ne peut que mettre en branle ses propres organes de lutte, les conseils de travailleurs, afin de faire vivre sa démocratie. "C'est seulement [...] lorsque l'homme aura reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne retranchera donc plus de lui la force sociale sous l'aspect de la force politique ; c'est alors seulement que l'émancipation humaine sera accomplie." Marx. (5).

NOTES :

1) Avant-propos de la Critique de l'Economie politique. Oeuvres. Economie I. Ed. Gallimard. p.272.73.

2) Ibidem. p.273.

3) La Question juive. Ed. 10/18, 1968. p. 23-24, p.32, p.39-40.

4) Les capitalistes et leurs représentants gouvernementaux essaient de fourguer la camelotte démocratique dans le moindre recoin de la planète. A l'heure où nous écrivons c'est la Côte d'Ivoire qui fait l'objet de leur sollicitude, énième version de l'intervention impérialiste dans les affaires d'un Etat issu de la décolonisation et sensé être souverain. La version proposée ici est le modèle de l'alternance ayant valeur en soi. Le président Gbabgo ne plaît plus à la bourgeoisie internationale. Il n'est pas dans notre propos de valoriser particulièrement sa politique mais il avait probablement encore trop d'indépendance d'esprit envers les requins qui tentent de dépouiller son pays. Son rival issu du FMI a sans doute l'échine plus souple (soutenu qu'il est par Obama intervenu en personne auprès des autorités des pays d'Afrique de l'Ouest n'ayant pas encore lâché Gbagbo, notamment auprès du Ghana et par les rodomontades de l'atlantiste Sarkozy intervenant également en catimini auprès de Barroso pour que celui-ci fasse pression sur le lusophone Pedro Pires au Cap-Vert). La fureur propagandiste nous vante depuis des jours la validité d'élections dont il est à peu près certain qu'elles n'ont pas été "libres" dans le nord du pays vivant depuis des années dans une quasi sécession. Que dire des bétés appartenant à l'ethnie du président sortant, vivant reclus dans la peur lorsqu'ils résident dans le nord du pays? Pas un mot à ce sujet dans nos médias démocratiques. Mais l'impérialisme préfère mettre de l'huile sur le feu et le candidat du FMI ne risque rien à instrumentaliser quelques milliers de pauvres diables qu'il enverra se faire occire à sa place. Autre sujet de colère pour l'idéologie dominante : la récente réélection de Lukashenko à la tête du Bélarus, bastion résistant du socialisme, et dont nous nous réjouissons ouvertement sans complexe. Il est vrai que le bourgeois préfère les pays de l'Est (ainsi que toutes les destinations exotiques) où sévissent maffia, misère et trafic d'êtres humains et où il peut aller s'encanailler...

5) La Question juive. p.373. Oeuvres III. Philosophie. Ed. Gallimard.

01/12/2010

Rébellion 44 Disponible !

 

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Sommaire du numéro

P04EDITO

Travail salarié et Capital

Idéologie et praxis

P06SOCIETE

Sécurité collective

et responsabilité individuelle

P08DOSSIER

>Entretien avec Michel Drac :

La stratégie du Choc

>P12Entretien avec Alain De Benoist :

A l’aube d’un nouveau Monde ?

>P16Entretien avec Pierre Le Vigan :

Combattre pour une nation Européenne

>P19Nos positions :

Des années décisives !

P20FIGURE

Panait Istrati :

L’homme révolté

P22CULTURE

Mystiques, bandits et révolutionnaires :

Petites histoires des hors-la-loi brésiliens

 

Disponible contre 4 euros à notre adresse :

Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02.

 

11/10/2010

TRAVAIL SALARIE ET CAPITAL : IDEOLOGIE ET PRAXIS.

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Editorial du numéro 44 de la revue Rébellion ( disponible prochainement) 

Il y aurait actuellement, en France, un "débat" sur les retraites. La bourgeoisie affectionne ce terme, un peu moins sa réalité. De débat, il n'y en eut guère, du moins avec ceux qui sont directement concernés : les salariés. Il y eut quelques dialogues médiatiques entre des représentants de la majorité parlementaire et son opposition, histoire de faire tourner la boutique à illusions. Par ailleurs, il est bien connu qu'en France, il n'existe pas suffisamment de "dialogue social". Mais pour parler de quoi? Du dialogue social à la collaboration de classe, il n'y a qu'un pas ; pas que devrait franchir le prolétariat afin d'acquiescer à son dépeçage. La classe dominante ne connaît que les rapports de force, sur ce point elle a, d'ailleurs, raison. C'est à ceux qui pâtissent de cette situation - la grande majorité de la société - de le comprendre. A cet égard, le poids de l'idéologie n'est pas accessoire ni contingent. Pour l'oligarchie capitaliste au pouvoir le calcul serait simple, relevant de l'arithmétique élémentaire. La retraite par répartition serait en mauvaise posture car les prolétaires ne travaillent pas assez longtemps afin de pouvoir payer les retraités futurs, les actifs finançant les inactifs. La décision gouvernementale relèverait d'un humanisme et du souci de l'avenir de la Nation! Nous n'étions pas habitués à ces élans de générosité de la part du capital ; nonobstant le fait que ce n'est pas à ce dernier que l'on demande de faire des efforts en la matière...

Evidemment dans les données du problème évoqué il n'est jamais question de la réalité du rapport social et il est de notoriété que les classes sociales n'existent pas. Subsiste une simple question de comptabilité. Dans la sphère sereine et pieuse de l'idéologie, l'évidence immédiate est de rigueur, le monde tel qu'il est doit se pérenniser : produire des marchandises et faire toujours plus d'argent. Pourquoi parlerait-on alors des finalités de la vie sociale que les hommes pourraient envisager consciemment sans être dominés aveuglément par l'économie devenue nécessité, seconde nature travestie en fatalité transcendante? Pourquoi travaillons-nous? N'y a-t-il pas d'autre voie possible pour l'humanité que celle de l'aliénation de son existence au travail salarié dont la nature est de permettre la valorisation du capital via le marché mondial au sein duquel circulent d'innombrables marchandises desquelles, par ailleurs, beaucoup de prolétaires ne connaîtront jamais la couleur ni la saveur (paupérisation).

Aussi est-il erroné de discuter de la question des retraites en acceptant les termes par lesquels la classe dominante la formule et la présente médiatiquement. La réalité de celle-ci ne relève pas d'une comptabilité financière et/ou démographique - étant donné le développement des forces productives actuel - mais provient du coeur même du système d'exploitation capitaliste dans sa lutte contre la chute du taux de profit aboutissant à une quête indéfinie d'une masse croissante de profit par tous les moyens (intensification de la productivité, allongement du temps de travail, privatisation des secteurs publics, financiarisation d'un maximum d'opérations d'échange). Le temps de non travail est toujours synonyme d'absence de valorisation pour le capital (le loisir lui-même a été aliéné dans sa nature propre pour être marchandisé).

Que faire alors des chômeurs et des prolétaires retraités? Les premiers sont tout à tour bouches inutiles et armée de réserve dans laquelle il est possible de puiser ponctuellement, permettant ainsi de faire pression sur la masse salariale des actifs (capital variable chez Marx). Quant aux autres, ils commencent à vivre un peu trop longtemps (encore que cela soit très relatif) et pour un système dont le calcul égoïste est le moteur essentiel, ils deviennent carrément surnuméraires. Les luttes ouvrières avaient réussi jusqu'à aujourd'hui à contrecarrer cette tendance (1) mais le capital, étranglé par ses contradictions, se doit de reprendre les hostilités contre le prolétariat et de confisquer les miettes qui lui avaient été concédées antérieurement afin de sauvegarder la "paix sociale". La guerre à outrance que se mènent les diverses bandes du capitalisme à travers le monde globalisé lui dicte cette nécessité.

De ce point de vue la mise en oeuvre par les Etats-Unis, à la fin du mois de septembre, de mesures protectionnistes visant directement la Chine marque le début effectif d'un nouveau cycle conflictuel impérialiste dont on avait déjà perçu les prodromes. Les Etats-Unis feront tout afin de déstabiliser intérieurement le pouvoir chinois, dans un premier temps. L'évolution de la situation dépendra également de la façon dont les contradictions sociales internes à la République Populaire seront abordées au sein de celle-ci. Les luttes sociales y sont nombreuses dorénavant et le prolétariat proteste contre la mainmise du capital avec sa soif d'exploitation dans secteurs de la production. Les rapports de force à l'intérieur du Parti Communiste Chinois devront être examinés de près et il est souhaitable que les voix révolutionnaires s'y fassent entendre tout en reprenant le dessus, notamment lors du prochain congrès du PCC. Avec cette situation conflictuelle entre les deux plus grandes puissances mondiales actuelles, nous sommes à un tournant de l'histoire de l'humanité ; il faut en prendre clairement la mesure.

Les deux sujets évoqués précédemment paraissent être éloignés et étrangers l'un à l'égard de l'autre. Il n'en est rien en réalité. Nous traitons de la même dynamique : la course à l'abîme de la trajectoire du capital avec la multiplications des conflits interimpérialistes plus ou moins ouverts, des coups tordus entre Etats et bandes concurrentes, des dispositions guerrières envers les Etats essayant de sauvegarder un minimum d'indépendance, des mesures imposées d'exploitation intensive de la force de travail disponible du prolétariat et cela en fonction des conditions historiques et géopolitiques propres à chaque aire culturelle.

Bien entendu, la fonction de l'idéologie dominante est de minimiser ces problèmes et d'en brosser un tableau édulcoré comme nous le disions ci-dessus. En Europe, et particulièrement en France, la fonction de l'opposition "démocratique", de "gauche", "républicaine" et autres sornettes est de valider cette mystification idéologique. Ainsi la contestation des dispositions concernant les retraites ne vise pas, pour les partis de gauche, à remettre en question le coeur du système d'exploitation et d'aliénation mais à se remettre en selle pour l'élection présidentielle de 2012 ; jeu dérisoire dont il est souhaitable que le mouvement ouvrier se débarrasse rapidement. Dans l'immédiat la façon, néanmoins, dont celui-ci pourrait déjouer ce piège n'est pas encore directement perceptible.

Depuis quelques semaines plusieurs journées d'actions syndicales s'enchaînent sans résultats, le gouvernement à clairement affirmé qu'il ne reculerait pas et que nous devions nous préparer à une augmentation progressive de l'âge de départ à la retraite.Durant ces vingt dernières années, rien n'est venu véritablement gêner le programme clair des instances mondialistes pour détruire les acquis sociaux conquis par les prolétaires européens au prix de longues luttes.

 

La mobilisation actuelle est loin de donner corps au mythe de la grève générale (2). Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte pour expliquer cela. La fin des « bastions ouvriers », les grandes entreprises que les délocalisations et les restructurations ont quasiment tuées, et le développement de petites structures où le droit de grève est uniquement théorique, rendent les mobilisations sociales difficiles. Les directions syndicales majoritaires refusent d'être dépassées par une base potentiellement incontrôlable et de toute manière veulent simplement trouver un accord ménageant leur rôle de partenaires sociaux du capital. Si le refus de la réforme est largement majoritaire dans la population française, il ne débouche pas sur une mobilisation populaire. Au final, on ressort juste les figures de la Gauche pour préparer le futur cirque de la prochaine présidentielle.

La leçon à tirer de tout cela ? Que la simple défense des « acquis sociaux » est vouée à l'échec si elle n'est pas d'abord une offensive pour le socialisme révolutionnaire. Que défiler de manière festive et moutonnière est stupide, qu'il vaut mieux s'organiser et se former sérieusement pour frapper fort. Il est donc nécessaire que les révolutionnaires poursuivent leur travail d'explication en vue de l'approfondissement de la lutte et de l'élévation du niveau de conscience afin que celle-ci s'actualise adéquatement au sein du prolétariat, en tant que conscience de classe.

NOTES:

1) Les luttes du prolétariat sur le terrain économique sont justifiées. C'est un combat contre l'exploitation qu'il ne faut jamais cesser. Néanmoins, elles ne constituent pas une fin en soi; leur intérêt les transcende. Elles permettent d'apprendre à lutter à la base et sont les prémisses d'une éducation politique.

D'autre part, pour le socialisme la question des "retraites" serait autrement envisageable. C'est le travail salarié qui est un bagne, pas l'activité de production et de création qui pourrait être vécue sous des modalités encore inexplorées.

2) Si tant est que la grève générale soit la réalité sur la base de laquelle puisse s'exercer un renversement du système capitaliste. Il est possible d'en douter; les processus historiques sont plus complexes que cela, en particulier les processus révolutionnaires. La grève générale ne peut être qu'un épisode parmi d'autres dans l'offensive révolutionnaire.