03/05/2010
Les Nouveaux habits du Libéralisme
Développement durable, commerce équitable, investissements socialement responsables, fonds éthiques, etc. Tous ces termes positifs envahissent les chroniques économiques des médias et donnent l'impression d'une moralisation du système libéral, par une prise en compte de données extra-financières.
Tout a commencé avec l'apparition de fonds éthiques, instruments financiers créés à la demande des milieux religieux, nommés aussi « Fonds d'exclusion » car ils rejettent certains secteurs d'investissement : tabac, alcool, armement, jeux de hasard ainsi que l'industrie liée à la pornographie. A l'origine de cette demande éthique figurent des organismes chrétiens ainsi que les banques « vertes » de la finance islamique.
Le commerce équitable est aussi un principe éthique, inventé par les hollandais et les anglais, il vise à offrir un juste prix aux producteurs café, thé, coton, etc.) afin qu'ils puissent vivre décemment, malgré les spéculations boursières et l'emprise des intermédiaires. L'exemple le plus célèbre est le café Max Havelaar, dont on ignore souvent que le nom est le titre d'un célèbre roman de Eduard Douwes Dekker paru en Hollande en 1860, qui dénonçait les pratiques d'exploitation de la population de Java, dans la culture du café. En France, le commerce équitable est surtout représenté par Artisans du Monde, association qui vend à travers un réseau de boutiques, de l'artisanat et des produits du tiers monde, venant de coopératives.
Le concept de développement durable est beaucoup plus large, il apparaît pour la première fois en 1987 dans un rapport de la Commission Mondiale sur l'environnement, appelé rapport Brundtland ; sa définition est la suivante : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette idée de durabilité s'est s'imposée dans tous les domaines, économique, social, environnemental et culturel, d'autant que les dangers se précisent sur l'environnement : effet de serre, déforestation, crise énergétique, croissance démographique, etc. Ce concept n'est pas nouveau, mais dans les sociétés traditionnelles on n'en parlait pas, cela allait de soi.
Face à cette mobilisation en faveur de la responsabilité sociale et environnementale, le libéralisme a dû s'adapter et présenter un visage plus « éthique ». Alors pour que leurs actions boursières soient classées ISR (Investissement Socialement Responsable) et pour préserver leur image, les entreprises multiplient les publications et semblent vouloir jouer la carte de la transparence ; pour ce faire elles publient, en plus du rapport financier annuel, un rapport de développement durable, qui comprend deux volets :
1) Social : avec des infos sur différents thèmes : emplois, salaires, plans de formation, pyramide des ages, accords d'entreprises, plan d'intéressement, conditions de travail, concertation, etc.
2) Environnemental : lutte contre la pollution, diminution de la consommation d'énergie, traitement des déchets, coopération avec des associations qui oeuvrent pour la protection de l'environnement etc.
Edités sur papier glacé, rédigés par des cadres proches de la direction, ces rapports ne servent souvent qu'à maquiller la réalité et à obtenir une bonne appréciation de la part des agences de notation sociale, tel Vigéo, qui n'ont pas les moyens de vérifier les informations. Peut-on imaginer Coca-Cola, IBM ou Union Carbide dire la vérité ?
De même que les multinationales demandent aux cabinets d'audit de faire de faux rapports financiers, aux avocats d'affaires de contourner le droit, elles tentent de donner à leur course aux profits un visage éthique et en font même un argument de vente. Telle est la puissance de récupération de la société du spectacle.
Faut-il pour autant abandonner le développement durable à ses ennemis ? Non, l'urgence est trop proche et notre responsabilité vis à vis des générations suivantes nous l'interdit. Une des solutions serait d'impliquer les salariés dans le contrôle des informations, sociales et environnementales, publiées par l'entreprise, soit par l'intermédiaires des sections syndicales, du comité d'entreprise soit par démarche individuelle. La responsabilité individuelle est très importante, par exemple, si nous avons connaissance par un document à diffusion « restreinte », que notre entreprise pollue, en France ou à l'étranger, nous avons le devoir de diffuser l'information à la presse, aux ONG et aux agences de notations sociales.
Pour défendre la planète, sauver la faune, la flore et les peuples qui y vivent, nous devons nous considérer en état de mobilisation permanente et employer tous les moyens légaux ou illégaux (comme pour les OGM) pour transmettre à nos enfants, une planète DURABLE.
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25/04/2010
Il était une fois la révolution Zapatiste
Article paru dans Rébellion 15 ( Novembre-Décembre 2005)
Le 1 er Mai janvier 1994 alors que rentrait en vigueur l'Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, débutait dans la province mexicaine du Chiapas la première rébellion contre le mondialisme. Sortant de la clandestinité des forêts, les membres de l'Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional ( EZLN) allait tenter, par la prise de quelques bourgades, de signifier au monde moderne le refus des peuples indigènes, dominés et exploités depuis la conquête espagnole, de voir leurs cultures et leur vie disparaître au nom de la globalisation capitaliste.
La réalité mexicaine et le rêve zapatiste
Par ses richesses naturelles, le Chiapas est une des provinces mexicaines au plus grand potentiel de développement ; pourtant la population indienne, majoritaire avec prés d'un million d'individus, se voit écrasée par une oligarchie de grands propriétaires qui contrôlent la quasi-totalité des terres cultivables et par les firmes multinationales exploitant les réserves en bois et en pétrole. La corruption endémique de l'Etat aux mains du Parti Révolutionnaire Institué et sa complicité avec les lobbies des exploiteurs ne laissaient comme seule solution au début des années 90 que la révolte aux masses indigènes. Constitués de communautés de tribus vivant à cheval entre la tradition et le mode de vie occidental, les indiens sont les exclus de la nation, confrontés à la déculturation et au ravage du monde moderne ( drogue, alcool...). Devant l'échec sanglant du mouvement pacifiste de protestation, ils durent faire appel à un noyau de guérilleros isolés dans les montagnes du Chiapas. Des indiens politisés ayant une grande expérience d'organisation et de lutte acquises dans les combat pour la propriété de la terre, servit d'intermédiaire avec ce noyau d'à peine dix hommes. Ils survivaient depuis une dizaine d'années dans la Selva Lacondona, coupés de leur base urbaine. Branche militaire d'une organisation clandestine née dans le milieu de l'université de Mexico et inspirée par l'expérience militaire de Castro et de Che Guevara, ce groupe se proposait de mener une guerre de libération nationale sur le modèle « foquiste » des mouvements révolutionnaires sud-américains. Mais il refusait pour autant de sombrer dans les mêmes erreurs que certains d'entre eux, comme les FARC de Colombie ou le Sentier Lumineux du Pérou, avec une politique de terreur des populations, d'enlèvements et de dérives vers la narco-guerilla. Constitué en 1983, avec des effectifs ridicules et privé de contact avec le reste du monde, le groupe traverse un désert de solitude : « Rien dans la réalité mondiale ou nationale n'indiquait que ce sacrifice valait la peine ou qu'on avait une chance de gagner » se rappelle le Sous Commandant Marcos qui fit partie de ce petit carré de convaincus. Leur ténacité devait être payée de retour. La répression militaire et les raids des paramilitaires payés par les grands propriétaires, entraîna un rapprochement entre eux et les populations locales à partir de 1985. Ils tombent d'accord sur la nécessité d'une lutte armée populaire organisée par une armée régulière. Les militants vont former militairement les paysans. Leurs techniques insurrectionnelles, ils les ont apprises eux-mêmes dans les manuels anti-subversions des Rangers et des Marines Américains. Mais une plus grande leçon leur sera donnée par les indiens en retour. Un choc culturel se produit avec l'apprentissage des langues indiennes et de la culture traditionnelle avec sa mythologie et ses symboles spécifiques. Devant cette réalité inconnue ces jeunes idéalistes issus des milieux urbains vont remettre en question toute leur stratégie. De plus, l'effondrement du bloc soviétique, les oblige à cette remise en question idéologique. La dimension identitaire et nationale de la lutte leur apparaît alors clairement, ainsi que le bouleversement, sans précédent, de la mondialisation dans l'existence des peuples.
Vivre pour la Patrie, Mourir pour la Liberté (Devise de l'EZLN)
10 % de la population mexicaine est d'origine amérindienne, la majorité restante est constituée de métis et d'une minorité de blancs issus des cadres de la Conquête. Oubliés de tous, les indiens sont victimes d'un ethnocide silencieux. Le zapatisme est une analyse propre au problème des communautés indiennes du Chiapas, qui peut être étendue au niveau international, du fait de la mondialisation. Les problèmes de misère, de perte de l'identité et de l'exploitation se retrouvent sur l'ensemble du globe du fait de l'extension des marchés et des échanges économiques qui les diffusent. De cette conclusion, les zapatistes vont tirer l'idée de pensée globale pour agir localement.
Ils vont poser la question du rôle de la Nation dans un monde globalisé. L'attachement à l'unité nationale et les déclarations patriotiques des insurgés dérouteront certains. Les indiens ne remettent pas en cause l'existence de la nation Mexicaine et ne réclament pas l'indépendance du Chiapas. Ils veulent la reconnaissance de leur propre existence, de leur culture et de leur identité dans la Nation. Leur attachement à la patrie est sincère, ils l'accusent seulement d'avoir abandonné et oublié ses enfants. Ils se réclament les héritiers de la révolution mexicaine et d'Emilio Zapata, héros populaire, pour faire sortir la notion de Nation des musées et en faire un espace de résistance et de protection des plus démunis.
L'armée zapatiste, au moment où triomphe la globalisation, va se lancer dans une offensive désespérée pour attirer le regard de la Nation sur le Chiapas. Conçue comme une opération suicide, l'EZLN forte de quelques 2000 combattants masqués et armés de quelques vieilles pétoires lance l'occupation des principales villes de la province. Les zapatistes vont réussir l'impensable à leurs yeux : briser la belle vitrine de l'Etat mexicain qui s'apprêtait à rejoindre « le nouveau monde » capitaliste et susciter un mouvement de soutien national et international à la cause indienne.
L'armée mexicaine dans un premier temps intervint massivement pour écraser l'insurrection. Mais elle doit stopper ses opérations sur ordre du gouvernement, qui veut éviter un bain de sang préjudiciable à son image médiatique. Quand on connaît l'efficacité et la brutalité des opérations anti-subversion des militaires d'Amérique latine, on peut se poser des questions sur la passivité de l'armée (qui avait fait ses preuves dans la lutte contre le mouvement révolutionnaire des années 60-70). La déstabilisation du PRI et les désaccords internes au parti-état sur la politique à suivre au Chiapas, ont donné aux zapatistes le temps d'alerter l'opinion et les médias sur leur situation. La mobilisation massive d'un mouvement de soutien international va forcer le gouvernement mexicain à dialoguer avec les rebelles.
Une expérience alternative
Né de l'identification d'une jeune génération avec le discours novateur des zapatistes et de la popularité de l'image de Marcos, ce mouvement de soutien fut à l'origine des premières mobilisations anti-mondialisation. Des squats de Barcelone aux universités américaines, la stratégie de communication de Marcos a fourni un réseau de soutien et un bouclier médiatique aux indiens, leur permettant d'opter pour une stratégie de paix des armes sur le terrain militaire. La présence des agaçants humanistes patentés de l'intelligensia de gauche, comme Danielle Mitterand ou José Bové venus au Chiapas rencontrer Marcos et s'en faire ensuite une gloire dans les salons parisiens, rentre dans une logique de communication visant à écarter l'épée de Damoclès de la répression. Première cyber-guerilla, le zapatisme a, le premier, utilisé le net comme outil de lutte. Communiqués de presse, analyse, textes doctrinaux et poèmes, les sites de soutien à l'EZLN fournissent matière à penser à toute une frange de la contestation mondiale.
Après les opérations de 1994, l'armée mexicaine s'est officiellement retirée du Chiapas laissant le champ libre aux zapatistes (elle a pourtant continué ses interventions comme lors de l'offensive de février 1995). Ils ont profité de cette paix armée pour organiser une expérience sociale originale faisant du Chiapas un îlot de résistance à la mondialisation. Une réforme agraire est mise en place avec un partage des terres de l'oligarchie au profit des paysans qui en étaient privés. Un projet d'éducation se développe et on promulgue l'interdiction de la consommation d'alcool, fléau qui détruisait les familles et la santé des indiens. Au niveau des institutions, un système de démocratie directe et participative est instauré dans les communautés avec la participation des femmes et des enfants aux décisions. Cette organisation remplacera d'ailleurs l'administration étatique.
La zone zapatiste n'a jamais eu comme vocation de rester un réduit, elle a servi de cadre à des rencontres sociales nationales et internationales, comme « la Rencontre continentale pour l'humanité et contre le néo-libéralisme » de 1996, projetant l'expérience de résistance zapatiste sur le devant de la scène. L'originalité du mouvement repose sur le fait, qu'il invente au fur et à mesure de ses avancées des alternatives nouvelles, se lance des perpétuels défis de créativité pour répondre aux demandes de sa base populaire.
Où en est le Chiapas zapatiste maintenant ?
Le 2 juillet 2000, pour la première fois le PRI doit s'avouer battu lors d'élections régulières. Un nouveau président de droite, Vincente Fox, est élu avec le soutien de la Maison Blanche. Les zapatistes voient s'effondrer le pouvoir corrompu qui avait tenté de les museler. Des négociations débutent avec le nouveau gouvernement, qui aboutissent le 11 mars 2001 à l'arrivée à Mexico, après une marche pacifique de 3000 Km, des cadres de l'EZLN. Marcos dans un vieux car blanc traverse le pays suivant la route de Zapata en 1914, lors de la révolution mexicaine. Il est acclamé par des milliers de partisans et déclare devant la foule de la capitale : « Nous voici, nous sommes la dignité rebelle, le cœur oublié de la Patrie ».
Si l'opération eut une portée symbolique forte, elle ne résolut pas le problème du Chiapas. Fox tente de récupérer le mouvement à son profit sans apporter aucune réponse aux demandes zapatistes. Le dialogue avec le nouveau gouvernement n'aboutit à rien et les rebelles sont repartis dans leur montagne. Les zapatistes ont du mal à trouver leur place dans le jeu politique. Ils sont confrontés à une impasse. Marcos déclare « j'ai peur de mettre les pieds dans le champs politique boueux où je risque de m'enliser ».
Malgré les accords de San Andrès, reconnaissant les droits des autochtones, rien n'a changé. Les zapatistes réclament le droit à l'autodétermination, le retrait de l'armée des régions indigènes et l'annulation de tous les projets économiques colossaux mis en place par le gouvernement et les sociétés transnationales pour exploiter les ressources naturelles de la région. Ne pouvant trouver dans l'Etat et les forces politiques mexicaines un partenaire honnête, les zapatistes vont développer l'autonomie politique des communautés indiennes. L'EZLN va ainsi transmettre progressivement le pouvoir aux « conseils de bon gouvernement » (créés en 2003 pour réunir toutes les communautés indiennes insurgées). Ils se chargent d'assurer la défense des populations contre les incursions des militaires et des milices patronales. D'autant que le gouvernement fait toujours planer la menace d'une intervention militaire massive pour nettoyer le Chiapas des zapatistes. Ainsi en juin 2005, Marcos décréta une alerte rouge générale pour l'EZLN en réponse aux manœuvres d'encerclement de l'armée mexicaine.
On peut préjuger que bientôt douze ans après le début de l'insurrection, la situation au Chiapas est loin d'avoir trouvé une solution. Il faudra une fois encore aux zapatistes de l'imagination pour bâtir une route vers la paix. « C'est notre pensée et ce que nous éprouvons dans notre cœur, affirme la Dixième déclaration zapatiste, qui nous font dire que nous en sommes arrivés à un seuil limite et qu'il se peut même que nous perdions tout ce que nous avons, si nous en restons là et si nous ne faisons rien pour avancer encore. Alors, l'heure est venue de prendre à nouveau des risques et de faire un pas dangereux mais qui en vaut la peine (...). Un nouveau pas en avant dans la lutte indigène n'est possible que si les indigènes s'unissent aux ouvriers, aux paysans, aux étudiants, aux professeurs, aux employés, c'est-à-dire aux travailleurs des villes et des campagnes ».
Le sous-commandant Marcos : « un libertaire qui pense en patriote »
(Régis Debray)
Qui se cache derrière le passe-montagne le plus célèbre de notre époque ? Est-ce que Marcos est un certain Rafaël Guillén comme l'affirme la propagande étatique mexicaine ? Qu'il soit ou non, cet universitaire brillant, formé politiquement à Cuba et qui a participé à l'expérience sandiniste au Nicaragua a peu d'importance. Il déclare qu'en débutant l'insurrection au Chiapas, il dit avoir tiré un trait sur son passé, laissant derrière lui « assez de morts pour comprendre qu'il fallait s'en aller pour revenir sous une autre forme, sans visage, sans nom, sans passé, mais de nouveau pour ces morts ». La symbolique étant au cœur de sa démarche -de son nom de guerre pris à un camarade mort au combat, au passe- montagne utilisé d'abord pour éviter d'être reconnu- il a acquis une autre dimension : « N'importe quel mexicain peut l'enfiler et devenir Marcos, devenir qui je suis » déclare-t-il. Adopté par le vieil Antonio, chef d'une communauté indienne, il s'est imprégné de cette culture pour devenir un pont entre le monde moderne et le monde traditionnel. Par ses poèmes et ses fables naïves, il a fait découvrir la cause indienne au monde. Comme pour le Che, il ne faut pas confondre la légende héroïque avec la réalité, par exemple on ne connaît pas réellement son rôle au sein de l'organisation révolutionnaire, mais il est devenu le porte-parole international des zapatistes.
« POURQUOI NOUS COMBATTONS »
La quatrième guerre mondiale a commencé...
« Le néolibéralisme, comme système mondial, est une nouvelle guerre de conquête de territoires. La fin de la troisième guerre mondiale, ou guerre froide, ne signifie nullement que le monde ait surmonté la bipolarité et retrouvé la stabilité sous l'hégémonie du vainqueur. Car, s'il y a eu un vaincu (le camp socialiste), il est difficile de nommer le vainqueur. Les Etats-Unis ? L'Union européenne ? Le Japon ? Tous trois ? La défaite de l'« Empire du mal » ouvre de nouveaux marchés, dont la conquête provoque une nouvelle guerre mondiale, la quatrième.
Comme tous les conflits, celui-ci contraint les Etats nationaux à redéfinir leur identité. L'ordre mondial est revenu aux vieilles époques des conquêtes de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Océanie. Etrange modernité qui avance à reculons. Le crépuscule du XXe siècle ressemble davantage aux siècles barbares précédents qu'au futur rationnel décrit par tant de romans de science-fiction. De vastes territoires, des richesses et, surtout, une immense force de travail disponible attendent leur nouveau seigneur. Unique est la fonction de maître du monde, mais nombreux sont les candidats. D'où la nouvelle guerre entre ceux qui prétendent faire partie de l'« Empire du bien ».
Si la troisième guerre mondiale a vu l'affrontement du capitalisme et du socialisme sur divers terrains et avec des degrés d'intensité variables, la quatrième se livre entre grands centres financiers, sur des théâtres mondiaux et avec une formidable et constante intensité. La « guerre froide », la mal nommée, atteignit de très hautes températures : des catacombes de l'espionnage international jusqu'à l'espace sidéral de la fameuse « guerre des étoiles » de Ronald Reagan ; des sables de la baie des Cochons, à Cuba, jusqu'au delta du Mékong, au Vietnam ; de la course effrénée aux armes nucléaires jusqu'aux coups d'Etat sauvages en Amérique latine ; des coupables manoeuvres des armées de l'OTAN aux menées des agents de la CIA en Bolivie, où fut assassiné Che Guevara. Tous ces événements ont fini par faire fondre le camp socialiste comme système mondial, et par le dissoudre comme alternative sociale.
La troisième guerre mondiale a montré les bienfaits de la « guerre totale » pour le vainqueur : le capitalisme. L'après-guerre laisse entrevoir un nouveau dispositif planétaire dont les principaux éléments conflictuels sont l'accroissement important des no man's land (du fait de la débâcle de l'Est), le développement de quelques puissances (les Etats-Unis, l'Union européenne et le Japon), la crise économique mondiale et la nouvelle révolution informatique.
Grâce aux ordinateurs, les marchés financiers, depuis les salles de change et selon leur bon plaisir, imposent leurs lois et leurs préceptes à la planète. La « mondialisation » n'est rien de plus que l'extension totalitaire de leurs logiques à tous les aspects de la vie. Naguère maîtres de l'économie, les Etats-Unis sont désormais dirigés, télédirigés, par la dynamique même du pouvoir financier : le libre-échange commercial. Et cette logique a profité de la porosité provoquée par le développement des télécommunications pour s'approprier tous les aspects de l'activité du spectre social. Enfin une guerre mondiale totalement totale ! Une de ses premières victimes est le marché national. A la manière d'une balle tirée à l'intérieur d'une pièce blindée, la guerre déclenchée par le néolibéralisme ricoche et finit par blesser le tireur. Une des bases fondamentales du pouvoir de l'Etat capitaliste moderne, le marché national, est liquidée par la canonnade de l'économie financière globale. Le nouveau capitalisme international rend les capitalismes nationaux caducs, et en affame jusqu'à l'inanition les pouvoirs publics. Le coup a été si brutal que les Etats nationaux n'ont pas la force de défendre les intérêts des citoyens.
La belle vitrine héritée de la guerre froide -le nouvel ordre mondial- a été brisée en mille morceaux par l'explosion néolibérale. Quelques minutes suffisent pour que les entreprises et les Etats s'effondrent ; non pas à cause du souffle des révolutions prolétariennes, mais en raison de la violence des ouragans financiers. Le fils (le néolibéralisme) dévore le père (le capital national) et, au passage, détruit les mensonges de l'idéologie capitaliste : dans le nouvel ordre mondial, il n'y a ni démocratie, ni liberté, ni égalité, ni fraternité. La scène planétaire est transformée en nouveau champ de bataille où règne le chaos (...). L'Union européenne vit dans sa chair les effets de la quatrième guerre mondiale. La mondialisation a réussi à y effacer les frontières entre des Etats rivaux, ennemis depuis des siècles, et les a obligés à converger vers l'union politique. Des Etats-nations jusqu'à la fédération européenne, le chemin sera pavé de destructions et de ruines, à commencer par celles de la civilisation européenne.
Les mégapoles se reproduisent sur toute la planète. Les zones d'intégration commerciale constituent leur terrain de prédilection. En Amérique du Nord, l'Accord de libre échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique précède l'accomplissement d'un vieux rêve de conquête : « L'Amérique aux Américains ». Les mégapoles remplacent-elles les nations ? Non, ou plutôt pas seulement. Elles leur attribuent de nouvelles fonctions, de nouvelles limites et de nouvelles perspectives. Des pays entiers deviennent des départements de la méga-entreprise néolibérale, qui produit ainsi, d'un côté, la destruction/dépeuplement, et, de l'autre, la reconstruction/réorganisation de régions et de nations.
Si les bombes nucléaires avaient un caractère dissuasif, comminatoire et coercitif lors de la troisième guerre mondiale, les hyperbombes financières, au cours de la quatrième, sont d'une autre nature. Elles servent à attaquer les territoires (Etats-nations) en détruisant les bases matérielles de leur souveraineté et en produisant leur dépeuplement qualitatif, l'exclusion de tous les inaptes à la nouvelle économie (par exemple, les indigènes). Mais, simultanément, les centres financiers opèrent une reconstruction des Etats-nations et les réorganisent selon la nouvelle logique : l'économique l'emporte sur le social (...) Dans cette nouvelle guerre, la politique, en tant que moteur de l'Etat-nation, n'existe plus. Elle sert seulement à gérer l'économie, et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d'entreprise. Les nouveaux maîtres du monde n'ont pas besoin de gouverner directement. Les gouvernements nationaux se chargent d'administrer les affaires pour leur compte. Le nouvel ordre, c'est l'unification du monde en un unique marché. Les Etats ne sont que des entreprises avec des gérants en guise de gouvernements, et les nouvelles alliances régionales ressemblent davantage à une fusion commerciale qu'à une fédération politique. L'unification que produit le néolibéralisme est économique ; dans le gigantesque hypermarché planétaire ne circulent librement que les marchandises, pas les personnes. Cette mondialisation répand aussi un modèle général de pensée. L'American way of life, qui avait suivi les troupes américaines en Europe lors de la deuxième guerre mondiale, puis au Vietnam et, plus récemment, dans le Golfe, s'étend maintenant à la planète par le biais des ordinateurs. Il s'agit d'une destruction des bases matérielles des Etats-nations, mais également d'une destruction historique et culturelle. Toutes les cultures que les nations ont forgées - le noble passé indigène de l'Amérique, la brillante civilisation européenne, la sage histoire des nations asiatiques et la richesse ancestrale de l'Afrique et de l'Océanie - sont corrodées par le mode de vie américain. Le néolibéralisme impose ainsi la destruction de nations et de groupes de nations pour les fondre dans un seul modèle. Il s'agit donc bien d'une guerre planétaire, la pire et la plus cruelle, que le néolibéralisme livre contre l'humanité (...).
Les extraits suivants sont issus du MONDE DIPLOMATIQUE d'août 1997. Pour l'ensemble du texte consulté le site du journal :
http://www.monde-diplomatique.fr
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17/04/2010
Réinventons la patrie ! (2)
Patrie et Socialisme
La Patrie à réinventer. Le Devenir du Socialisme
Article publié dans le numéro 39 de Rébellion Novembre/Décembre 2009
Deuxième partie de nos positions du dossier sur les régions, la Nation et l’Europe
Nous poursuivons ici l’analyse débutée dans le numéro 38 de Rébellion sur la question nationale. Au moment où le gouvernement de Nicolas Sarkozy entreprend une nouvelle campagne médiatique bidon autour de l’ « Identité Nationale », probablement pour faire oublier les dernières affaires révélatrices de son niveau de corruption et la faillite du « sarkozisme » face à la dure réalité d’un monde en crise, il nous paraît utile de réaffirmer certains principes fondamentaux et de présenter une alternative à ces écrans de fumée.
La Nation aux travailleurs !
Une rupture radicale doit être clairement faite, aussi bien, avec les conceptions réactionnaires et bourgeoises de l’idée nationale qu’avec les tenants d’une mondialisation « post nationale » (qu’ils soient des représentants des multinationales, des bobos altermondialistes ou les derniers rejetons des groupuscules gauchistes). L’enjeu est de faire le lien entre la question nationale et la question sociale, c'est-à-dire de poser clairement la priorité de la libération de la France et de l’Europe de la domination capitaliste, ce qui aurait par voie de conséquence une portée internationale essentielle.
Dans le cas français, le cadre national est riche en perspectives novatrices et révolutionnaires que nous ne devons pas laisser corrompre ou dénigrer par les discours démagogiques et les illusions de ses récupérateurs ou opposants. Historiquement porteuse d’un esprit frondeur et rebelle, la France est née de l’idée que toute injustice devait obligatoirement donner naissance à une résistance capable de la vaincre. Que la liberté de la Nation et de son Peuple ne pouvait être divisée, que la communauté nationale offrait à l’individu un cadre pour son épanouissement en lui garantissant la solidarité de l’ensemble de ses concitoyens. « Un grand peuple ne vit pas de son passé, comme un rentier de ses rentes » comme l’écrivait Bernanos, il nous appartient de redonner son sens à ses anciennes notions de justice, de liberté et de souveraineté populaire. L’oligarchie qui nous dirige ayant renié la Nation, les travailleurs doivent la réinventer et en faire tout autre chose.
C’est dans cette optique que nous mettons en exergue l’idée de Nation des travailleurs, signifiant avant toute chose le renversement du rapport de force entre le capital et le prolétariat (immense majorité de la population). La domination réelle du capital bien qu’ayant fait diminué en quantité relative la classe ouvrière traditionnelle (délocalisation et chômage de larges secteurs industriels) n’en a pas moins plongé la majorité des travailleurs et des chômeurs dans une situation de prolétarisation, c’est-à-dire de précarité grandissante du point de vue de leurs conditions d’existence la plus élémentaire. Face à cette attaque de grande envergure déclenchée par le capital (lutte de classe), la réponse adéquate ne passe pas par trente six mille chemins. Les illusions réformistes ont fait long feu. Il n’y a qu’une seule solution, celle de renverser le rapport de force, non pas simplement de manière ponctuelle en essayant, même si cela est légitime, de compenser les pertes « économiques » de niveau de vie mais en tentant d’établir une hégémonie politique en faveur du plus grand nombre : le prolétariat, et cela afin que ce dernier dépasse sa condition.
Le cadre national est l’instrument adéquat au sein duquel le prolétariat peut redonner sens à sa vie sans être atomisé dans une néo barbarie sociale, qui serait son seul horizon possible avec le maintien du système en place. Qu’on le veuille ou non, l’Etat républicain offre encore l’opportunité d’exercer la puissance souveraine et de choisir les grandes orientations comme celles de sortir de l’OTAN, du carcan d’impotence de l’UE en proposant aux autres peuples européens une voie autonome de destin, par exemple. De même sur le plan intérieur, il s’agit de combattre ce qui peut malheureusement apparaître comme une « fatalité » économique, la condition au plus haut point précaire et soumise à la contingence la plus arbitraire, imposée aux classes populaires par le capital.
La socialisation des conditions de production et de distribution n’a pas uniquement une portée économique. Sa signification l’outrepasse. Il s’agit de renverser les finalités de l’être social qui sont actuellement aliénées au productivisme et au consumérisme par le processus d’instrumentalisation/manipulation des consciences. Sans se faire d’illusions sur la nature humaine, nous pouvons raisonnablement soutenir la thèse selon laquelle le capital dans sa domination réelle (soumission du rapport social à l’économie productiviste) entrave toute créativité humaine chez la plupart des hommes. Le socialisme prend alors le sens de participation consciente de chacun aux décisions le concernant sur le plan social. C’est notre réponse à la question de l’identité nationale qui ne se situe pas dans une essence intemporelle mais dans un effort constructif et qualitatif de la part d’un peuple prenant ses destinées en mains, y compris dans le contexte international de la lutte de classe et de la lutte pour une vision culturelle d’ensemble (monde multipolaire dans lequel l’Europe a son mot à dire).
En France, la conscience nationale fut toujours naturellement liée à une conscience socialiste et révolutionnaire forte dans le mouvement ouvrier. Elle connaît aujourd’hui un regain d’intérêt causé par le fait que toutes les attaques dont sont victimes les travailleurs français viennent de la logique d’un capitalisme mondialisé. Pour cela, la Nation peut servir de base à la création d’un rapport de force politique favorable car elle est encore un frein à l’extension de la globalisation et un lieu d’expression pour la solidarité. Elle est un levier pour faire basculer le Peuple dans le combat pour sa libération nationale et sociale.
Le rôle de la Nation dans la construction du socialisme
Car le débat sur la question nationale nous ramène à celui du choix de société dans laquelle nous voulons vivre. Pour nous, qui combattons pour le socialisme, nous ne voulons pas nous libérer de l’oppression du capitalisme mondialiste, pour retomber sous le joug d’un capitalisme « national ».
Dans un premier temps, la (re)nationalisation totale des secteurs clés économiques et des services publics doit permettre de remettre au service du peuple, l’outil économique. Le retour dans le cadre national de larges pans de la production et de la distribution économique s’accompagne d’une socialisation progressive de la Nation. Ainsi les conseils d’entreprise seront amenés à diriger l’activité de ces nouvelles structures. Cela passe par une redéfinition des besoins et des moyens de les satisfaire par une praxis sociale non aliénante. La dimension de la coopération des producteurs doit être l’axe central de cette nouvelle praxis, celle qui justement ne les réduirait pas à être de simples agents économiques.
Cela a, par exemple, de vastes répercussions sur le rôle de la formation, de l’éducation qui doit fournir aux travailleurs les outils leur permettant d’intervenir « théoriquement » dans le cadre de leur activité (cf. les analyses de Marx lorsqu’il explique que le travail devient de plus en plus « théorique »).
A partir de là, il ne faut plus considérer la technique sous son seul aspect de l’arraisonnement du monde mais comme pratique dialectisée par l’enrichissement du lien social. C’est la réponse au débat biaisé sur la croissance /décroissance. La liberté est toujours au-delà de la nécessité, en conséquence il n’y a un destin de la domination technique productiviste à croissance exponentielle que parce que la téléologie propre à l’être social est sous l’emprise de la domination réelle du capital. Dit autrement, le travail n’est pas que du travail ! Il peut apparaître comme lien social non aliéné s’il débouche sur autre chose que sur la seule préoccupation de la nécessité économique.
Ontologiquement, il est moyen de produire et de reproduire ses conditions d’existence au sens large, en d’autres termes il ne permet pas seulement de vivre mais de « bien vivre », c’est-à-dire non dans l’illimité de la quête marchande et financière mais dans l’ouverture à sa signification communautaire et à la réalisation personnelle des individualités.
Concrètement, un système de production et de distribution socialiste prendra en compte d’autres critères que la recherche du profit. On peut imaginer sans mal que les conditions de travail, la recherche de la qualité des produits, la valorisation de la production décentralisée et locale, le respect des équilibres naturels, seront des objectifs tout à fait réalisables pour ce nouveau rapport social.
Cela le capital l’interdit à jamais. L’idée utopique qu’il existerait un « bon capitalisme populaire », basée sur les entrepreneurs de PME familiales à la démarche paternaliste et d’honnêtes petits actionnaires, est un doux rêve qui ne résiste pas aux faits. S’il est évident que nombreux d’entre eux souffrent des retombées de la mondialisation et des dérèglements de l’économie, et qu’ils glissent progressivement vers les couches populaires du fait de leur paupérisation, ils n’en peuvent pas pour autant donner la direction aux luttes de l’ensemble des travailleurs (trop attachés à la croyance en l’éternisation d’un « bon » capitalisme). Ils doivent prendre conscience que la socialisation progressive des rapports de production est la seule solution pour sortir de leur impasse actuelle, la collectivisation de vastes secteurs de l’économie (au sens défini ci-dessus) pouvant même représenter pour eux une amélioration de leurs conditions de vie.
Communautés locales et régions : un rôle crucial dans la socialisation
Au cœur de notre réflexion et de notre action, l’idée de la socialisation est à nos yeux la seule solution pour que chacun s’habitue à prendre une part active et consciente au travail qui a toujours une portée collective et cesse d’être instrument ou spectateur passif de la domination capitaliste. La socialisation doit s’appuyer sur des bases « saines » (c’est-à-dire non mercantiles et liées à l’idée de solidarité et d’un minimum de décence morale commune, la « common decency » d’Orwell) que représentent les rapports humains authentiques existant encore dans nos sociétés. Pour cela, les communautés locales constituées par des communes populaires auront un rôle important à jouer. Nous serons amenés à développer dans un futur article cette idée mais nous pouvons d’ores et déjà la définir comme étant une unité politique et territoriale assez proche de l’esprit des premiers soviets de la Révolution Russe ou du fédéralisme avancé par la Commune de Paris.
Partisan de la subsidiarité, nous pensons qu’une articulation est possible entre les divers niveaux de compétence. Il s’agit évidemment du fameux principe de subsidiarité évoqué par les instances de l’UE mais qui pour cette dernière est un peu comme l’Arlésienne que l’on attend toujours… Cela n’est d’ailleurs pas si étonnant que cela car ce principe se situe aux antipodes du fonctionnement de la société capitaliste, de ses nécessités fondamentales. La subsidiarité consiste si l’on veut le dire le plus simplement du monde à s’occuper de ce qui nous regarde ! Justement, la démocratie représentative si chère au capital contemporain consiste à nous faire croire que l’on s’occupe, grâce à elle, de ce qui nous regarde. Le citoyen y est invité à participer à sa propre mystification et à s’identifier aux décisions inhérentes au fonctionnement optimal du capital dans sa quête illimitée du profit. Restent alors quelques miettes de pouvoir et de prébendes concédées à ceux qui veulent bien entrer dans le jeu de la politique du système.
Il est étrange que l’on ait peu insisté sur la compatibilité du socialisme et de la subsidiarité. Le premier ne peut vraiment se concrétiser et répondre aux attentes des citoyens que par le moyen de leur large participation à l’élaboration des orientations les concernant le plus immédiatement, c’est-à-dire sur le plan local plus ou moins proche selon les circonstances. Quant au second, si l’on ne veut pas seulement l’envisager comme une simple figure de style, il ne peut gagner en contenu que dans la mesure où il pourrait donner forme aux aspirations les plus communautaires et non à l’imposition d’intérêts particuliers à la majorité.
C’est en ce sens, la concrétisation des termes du Contrat Social évoqué par Rousseau, qui a été trop souvent mal compris. Qu’ « il n’y ait pas de sociétés particulières dans l’Etat » écrit le philosophe. On croit devoir lire cette affirmation comme étant un plaidoyer pour la centralisation artificielle à tout prix. C’est à notre avis un contresens puisque l’auteur précise que s’il doit en exister (réalisme !) il faut alors favoriser leur multiplication ! Comment alors les articuler si l’on veut qu’en résulte la « volonté générale » (qui n’a rien d’abstraite !).
Réponse : par la subsidiarité, c’est-à-dire par l’espace public se dégageant de la discussion concernant ce qui semble être le plus pertinent pour telle ou telle instance communautaire existant à telle ou telle échelle ; les communautés plus larges (au sens d’instances de décisions à portée plus large comme la région par rapport à la commune et ainsi de suite) englobant celles du stade inférieur non pour les phagocyter mais pour leur donner les moyens d’exister dans un monde complexe (par exemple, questions de sécurité nationale, approvisionnements divers, etc.).
Sans entrer dans une description de notre futur qui serait utopique, qui ne perçoit qu’un tel fonctionnement porte en lui l’empreinte de la socialisation de nombreux facteurs de notre activité, de notre existence sociale ? Les nouvelles réalisations que le Socialisme apportera ainsi, laissent entrevoir un vaste champ du possible pour faire revivre les collectivités et communautés locales. L’attachement à des cultures enracinées ne sera nullement incompatible avec la participation à cette transformation radicale de la société. Elles trouveront leur place naturellement dans cette nouvelle organisation.
Mais nous devons préciser qu’une relative centralisation sera toujours nécessaire. Si la relocalisation de l’économie veut être efficace, elle doit être coordonnée au niveau de la France et de l’Europe par une planification intelligente dans le domaine de la production et de la distribution. Nous ne pouvons que souscrire à l’analyse d’un collectif issu du PCF sur la question de la centralisation: « Elle constitue la meilleure garantie dans l’élévation de la productivité, dans la lutte contre les gaspillages, dans la diminution de la bureaucratie. De plus, c’est elle qui assure un développement homogène de la communauté nationale sur l’ensemble du territoire. (…) La première des libertés locales reste la liberté de pouvoir atteindre un niveau de développement identique aux autres collectivités. (…) Un contre-exemple remarquable à l’efficacité de ces politiques peut être celui de l’Espagne où peuvent se côtoyer une Catalogne richissime et un Sud du pays en quasi sous-développement. L’homogénéité des niveaux de vie à l’intérieur du pays ne peut donc se faire que par une répartition des richesses par l’action de l’État central. En revanche, il convient que l’élaboration des politiques mises en œuvre par la nation soit un projet concerté, associant les citoyens de base, par l’intermédiaire de structures locales, aux pouvoirs importants, qui soit le fondement de la démocratie dans le pays. De même, il est impératif que la mise en place réelle des politiques de développement se fasse, sur le terrain, par des organismes responsables et révocables par les citoyens en cas d’incompétence, de mauvaise volonté ou de procédés douteux [1] ».
La crise économique et financière actuelle laisse entrevoir la possibilité de sortir du capitalisme. Il est nécessaire de décoloniser notre imaginaire de la marchandise, selon la formule de Serge Latouche (de son existence sensible/suprasensible, ajouterons-nous avec Marx), et de proposer une alternative viable au système capitaliste. Cette alternative ne saurait prendre la forme d’un inenvisageable retour à un mirifique âge d’or et ne sera en aucun cas unique, mais conforme au génie propre de chaque culture. Elle devra nécessairement tenir compte de la finitude de la Terre et de ses productions naturelles et sera donc libérée du tropisme du consumérisme. L’Europe, et plus généralement les pays du Nord, devront repenser intégralement leur système de production et de consommation pour le rendre compatible avec les limites des ressources naturelles. La théorie de la décroissance signifiant pour nous la fin de l’accumulation capitaliste, fin inhérente au socialisme, pourrait être le paradigme permettant de concilier le caractère prométhéen de la civilisation européenne (non réductible à l’économisme) et la réduction de notre empreinte écologique. Elle préconise entre autres choses de relocaliser la production des biens et des services, et par voie de conséquence, les emplois. Elle est en ce sens un frein à la mondialisation car elle conduit au réenracinement en s’opposant à la logique de la nomadisation. Elle s’articule logiquement avec une conception subsidiariste de la société dans le cadre d’une Europe réellement fédérale que nous appelons de nos vœux<.
NOTE
1>Collectif, « L’idéologie Européenne », Editions Adem, 2008.
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Réinventons la patrie ! (1)
Article publié dans le numéro 38 de Rébellion Septembre/Octobre 2009
Introduction de la première partie du dossier sur les régions, la nation et l’Europe
Communautés locales – Régions – Nation – Europe
Une unité harmonieuse dans une diversité enrichissante
Quand nous avons lancé l’idée d’un dossier sur les rapports entre les diverses corps sociaux, dans le but de dégager des positions claires sur le sujet, nous ne pensions pas que tant de questions et de pistes de réflexion en sortiraient. Il apparaît que loin d’être un simple débat sur de froides institutions, c’est une réflexion profonde sur notre société qui en ressort. Cars toutes ces interrogations sont liées à notre conception et notre perception de la réalité sociale.
L’atomisation, par le triomphe de la néo-modernité (c’est-à-dire le règne idéologique et pratique du capitalisme sur l’ensemble des aspects de nos vies), des liens qui unissaient le « Peuple », laisse la majorité de celui-ci sans repaires autres que ceux que lui fournit le système. « La guerre de tous contre tous » a brisé et rendu l’idée d’une destinée commune impossible. Certains ont cru voir en cela une « liberté », une émancipation, débarrassant l’individu du poids de la communauté. Mais ces naïfs (pour ne pas dire idiots) célèbrent simplement l’événement d’une nouvelle servitude. Cars les hommes sont avant tout des constructeurs de société (« l’animal politique » d’Aristote) ; en se réunissant ils savent créer solidarité et fraternité dans un élan commun. Cette créativité communautaire donne un sens à l’existence sociale et humaine. Elle est nécessairement à reconstruire sur des bases inédites car il n’est pas possible de retourner à des bases antécapitalistes. Elle est aussi le point de rupture avec la communauté despotique du capital, « communauté réelle de l’argent » (Marx). Elle est, encore moins, un projet utopique édifié a priori, ignorant les limites et imperfections de la condition humaine. Elle serait probablement la concrétisation et la libération des potentialités humaines qui sont, aujourd’hui, instrumentalisées à des fins de profit par le capital. Pour briser toute résistance, le capitalisme s’est appliqué à détruire les liens traditionnels (ceux des communautés agraires, des communautés précapitalistes) et ceux qui naissent de son exploitation, de la lutte contre celle-ci (comme l’unité de la classe ouvrière). Avec la mondialisation, il a étendu son œuvre aux nations et aux civilisations. La perte, qu’entraîne cet acte de guerre contre les peuples, est d’autant plus ressentie cruellement qu’elle a laissé le terrain libre à des reconstructions d’identités bancales, oscillant entre des modes consuméristes et un communautarisme menant à la ghettoïsation.
Dans un premier temps, nous avons voulu ouvrir un débat pour mettre en relief les diverses positions sur la question des rapports entre les communautés locales, les régions, la Nation et l’Europe. Nous avons très vite constaté que la remise en cause de « l’Etat-Nation » n’a pas encore permis de faire naître une réflexion globale pouvant trouver une alternative à son impasse actuelle. A la suite de ce panorama, il nous paraît important de réaffirmer que face au bulldozer capitaliste seule une lutte dont le but est de (re)créer une société harmonieuse sur des bases nouvelles est capable de vaincre. Notre projet socialiste révolutionnaire se fixe comme objectif d’être un moteur de la réappropriation par les travailleurs de leur destin. En arrachant des mains de l'Etat capitaliste la Nation, nous ne reprenons que notre bien. La Patrie mérite mieux que les faux éloges que lui ont adressé un Sarkozy ou une Royal lors des dernières présidentielles. Elle est porteuse d'une idée révolutionnaire que nous devons faire renaître. La « Nation aux Travailleurs » peu devenir un « mythe mobilisateur », un pôle de regroupement et de lutte face au capitalisme international comme « national » ( les grands groupes français du style Bouygues ou ELF ne nous sont pas plus sympathiques que ceux venus d'autres parties du monde). La bourgeoisie nationale n’est plus « progressiste » comme on pouvait parfois le penser au 19° siècle lorsqu’elle s’opposait à des résidus de la société féodale (perspective de Marx alors, quoique ce schéma ne lui parût pas absolument de portée universelle à la fin de sa vie). Elle ne peut ni ne souhaite, d’ailleurs, le redevenir.
Pour nous l’unité de la France comme de l’Europe n’est pas une chose immuable, existant hors du temps, comme toutes les réalités sociales. Elle définit un ensemble de rapports très complexes et très riches qui s’insèrent dans un vaste mouvement social. Nous pensons donc qu'une juste articulation est possible entre les deux, nous avons voulu montrer grâce à certaines pistes de réflexion qu'il n'y a aucune fatalité au chaos capitaliste<
Rébellion
Patrie et Socialisme
L'idée nationale à réinventer
Le capitalisme triomphant est parvenu à faire croire qu'aucune alternative n'était possible à sa domination sur nos vies. Pour détruire ses fondements idéologiques, il est important de redonner leur sens aux mots qu'il détourne ou stigmatise. La Nation est un de ceux-là. Pensée comme un archaïsme par les tenants de l'oligarchie dominante, que la mondialisation va heureusement, à leurs yeux, faire disparaître, elle est un symbole puissant qui pourrait devenir une force pour le mouvement révolutionnaire. Pour mieux faire comprendre notre conception de l'idée nationale, et ses nombreuses articulations, nous livrons ici la première partie d'un article de synthèse sur la question.
Comprendre le sens de son héritage historique
Définir la Nation française, c'est d'abord reconnaître l'importance de son héritage historique dans sa forme actuelle. Si le rôle de la royauté capétienne est reconnu dans l'unification des diverses composantes qui la constituent, la naissance d'un fort sentiment national est plus difficilement situable. Faire remonter son apparition à la fin du Moyen Age ou à l'Epoque Moderne est possible, mais l'idée de Nation se révèlera pleinement au peuple français avec la Révolution de 1789.
« L'Etat-Nation » naîtra de ce phénomène fondateur et en conservera les ambiguïtés. La Révolution est, en effet, à la fois un élan populaire, révolutionnaire, patriotique et un attachement à des valeurs positives et collectives fortes comme la souveraineté populaire, l'égalité, la liberté. Des idées qui seront à l'origine d'un « esprit français » spécifique, qui viendra renforcer une communauté nationale née de la langue, de la culture et de l'histoire. Mais elle est aussi l’avènement de l'ère bourgeoise. La déchéance des élites de l'Ancien Régime, laissa le champ libre à la nouvelle classe dirigeante qui imposa la modernisation à la société française pour son seul profit. Le capitalisme naissant transforma les structures nationales pour permettre son extension et n'hésita pas à détourner le patriotisme français dans des entreprises guerrières, en Europe, puis dans le Monde.
Une division s'opérera et se renforcera entre « l'Etat » (l’organisme dirigeant aux mains de la bourgeoisie qui pourra prendre successivement la forme de la Monarchie, de l'Empire ou de la République) et la « Nation » (comprise au sens du Peuple participant au politique). Un divorce qui ne cessera de se renforcer au gré de la lutte que les classes populaires auront à mener au cours du XIX siècle contre le Patronat et les gouvernements à ses ordres. Les acquis faisant la spécificité d'un pseudo « modèle social français » sont les fruits d'un combat sans cesse renouvelé : « Si en France le système de redistribution sociale possède un caractère plus égalitaire que chez beaucoup de nos voisins, cela n’est nullement un don du ciel ou un particularisme insulaire ; ce n’est que la résultante d’une lutte, d’un combat de classes, qui s’est avéré en France particulièrement dur et précoce. Ce n’est pas sans raison qu’un Karl Marx, pouvait déjà dire que la France est le théâtre de la lutte des classes. Ce n’est pas sans raison non plus que, pendant deux siècles, les plus brillants révolutionnaires séjourneront en France et en étudieront l’histoire ».
La construction du socialisme français prendra en compte la réalité de la Nation, en établissant le lien entre un patriotisme révolutionnaire et une solidarité internationale forte. Cette spécificité trouvera un écho dans le combat de la Commune de Paris, symbole de la tentative de création d'une société plus juste et égalitaire et de régénération nationale. Elle traversera l'ensemble des courants du socialisme français jusqu'à la Grande Guerre. Jean Jaurès pouvait ainsi écrire « Mais ce qui est certain, c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini dans la démocratie et dans la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène ».
Pour nous, l'héritage historique de la Nation n'est pas une fin en soi, il est un point de départ. Il doit nous permettre de poursuivre l'aventure collective qu'est la France, en l'orientant vers une voie spécifique de construction du socialisme à l'échelle d'une Europe libérée du Capitalisme. En pratique, les formes que peuvent prendre la Nation sont appelées à se transformer pour faire face aux défis de notre époque. Les travailleurs en reprenant en mains leur destin, seront amenés à redéfinir le rôle des institutions et à remettre en cause le fonctionnement d'un Etat qui appartenait à ses ennemis de classe depuis l'origine. Pour cette raison, nous n'avons jamais idéalisé l'ancien modèle républicain jacobin et nous rejetons ses mythes, de même des nationalismes barrésien ou maurassien liés à la défense d'une « société traditionnelle » qui n'exista jamais, telle qu’ils se la représentaient et qui servit à justifier leur alliance avec les forces conservatrices et réactionnaires.
La contradiction historique entre la Nation et l'Etat se retrouvera jusqu'à nos jours, cars elle est le fruit du maintien du système capitaliste. Nous avons souvent évoqué dans Rébellion les étapes de cette lutte et l'histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire pour ne pas avoir à y revenir en détail dans cet article de synthèse.
Durant la mise en place de sa domination, la bourgeoise entreprit de mener une politique impérialiste et belliciste dans le cadre européen ou international (par exemple avec le colonialisme). Elle se drapa toujours dans le drapeau tricolore, pour mieux le trahir ensuite. Les travailleurs étant régulièrement sacrifiés sur l'autel de ses intérêts, on ne saurait les tenir pour responsables de sa folie meurtrière. Les entreprises de culpabilisation des classes populaires, menées depuis les années 1970, ne peuvent apparaître que pour ce qu'elles sont : des outils servant à désarmer, désorienter et à diviser la résistance à la véritable oppression capitaliste dans son stade mondialisé. Bien au contraire, les classes populaires maintiendront l'honneur de la France et l'attachement à ses valeurs quand l'oligarchie du capitalisme « national » passera à son extension mondialiste.
L'oligarchie mondialiste contre les Peuples
En effet, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les classes dirigeantes françaises ont bien compris qu'une nouvelle époque s’ouvrait pour le capitalisme (le fameux plan Marshall). Sur les ruines de notre pays, elles allaient entreprendre une vaste braderie de notre indépendance nationale. Le phénomène de mondialisation de l'économie ouvrait de nouveaux terrains à sa soif de richesse, le carcan national devait voler en éclats. L'ouverture de la France aux capitaux et aux entreprises américaines, puis la construction du Marché Commun Européen permirent à de nombreuses « entreprises familiales » françaises de s'internationaliser et de conquérir des parts de marché non négligeables (voir le cas emblématique de l’Oréal). Ce virage mondialiste allait s'accélérer dans les années 1970 et 1980, de nombreuses firmes, poussées par la quête d’un taux de profit satisfaisant, s'acharnèrent à détruire le tissu industriel français par des restructurations et délocalisations sauvages avec la complicité des gouvernements successifs. Dans cette oeuvre, le grand patronat français joua à fond son rôle et ne laissa aucune chance à des millions de travailleurs réduits au chômage ou à la précarité. Il y gagna le droit de prendre sa place au sein des quelques multinationales qui se partagent les marchés mondiaux. A l'heure actuelle, certains de ses représentants manifestent leurs talents dans l'exploitation, en se hissant aux premiers rangs de la bourgeoisie internationale. Au niveau politique, on assista au même phénomène, les institutions supranationales intégrant les dirigeants français de Droite comme de Gauche. Du FMI aux institutions « Européennes », ceux-ci surent faire preuve de servilité à l’égard des nouvelles règles et amener la France à se « moderniser » par des privatisations massives et la disparition des dernières lois sociales. Le vieil impérialisme français participa lui aussi à cette affaire, en tentant de conserver ses prés carrés (l’Afrique de l'Ouest, le Liban, la Méditerranée) et de profiter de son intégration à l'OTAN afin de concourir à la défense de l’ordre capitaliste mondial qui lui concèdera toujours quelques miettes. Pour participer à cette vaste curée, les représentants français ont intégré et fait leur, l'idéologie dominante de la globalisation des échanges marchands tous azimuts (« le monothéisme de marché »). Ils se sont parfaitement adaptés et sont totalement intégrés à ce système de domination mondiale, servant leurs propres intérêts dans un monde de concurrence effrénée et ne se sentant plus appartenir à la Nation française.
Ce phénomène de rupture entre, d’une part, les élites mondialisées donnant le spectacle du nomadisme au sein du village mondial consumériste et, le Peuple d’autre part, s’avère être une clé d'analyse importante afin de comprendre l'acharnement dont firent preuve les classes dirigeantes dans le musellement de la volonté populaire. La peur du retour du Peuple français, de sa prise de conscience des dysfonctionnements de la société, de ses conséquences et des ravages du capitalisme, mine la bonne conscience de nos maîtres. En s'attaquant à la souveraineté populaire et nationale, ils pensent pouvoir conserver leur régime d’aliénation et d’exploitation. Mais rien n'est moins sûr. (A suivre) ...
12:22 Publié dans La revue Rébellion, Réflexion - Théorie | Lien permanent | Tags : régionalisme, nationalisme, europe, socialisme révolutionnaire, rébellion, rébellion toulouse, sre | Facebook | | Imprimer
Retour sur la grève générale en Guadeloupe
Article publié dans le numéro 37 de Rébellion Juillet/Août 2009
Ce premier article est très largement inspiré d'un témoignage de Sadi Sainton, étudiant à l'université Antilles Guyane en Guadeloupe paru sur le site HNS info qui nous a aimablement autorisé de prendre un certain nombre d'extraits utiles à l'écriture de cet article. Il nous a paru important de revenir sur l'immense mouvement populaire qu’a connu la Guadeloupe à la fin de l’hiver dernier à travers une grève générale contre les profits abusifs (que cessent ceux qui ne parlent que de grève contre la vie chère car il ne s’agit pas tout à fait de cela).
Pourquoi ? Parce que les informations qui sont parvenues sur nos petits écrans de télévision furent forcément quelques peu partielles (et partiales). Parce qu'il peut y avoir méprise.
Une grève contre la vie chère ? Pas vraiment
Le collectif qui a mené la grève était un ensemble de 49 associations syndicales, politiques, associations de consommateurs et associations culturelles. Elle a déposé (un mois avant le début de la grève générale, et personne n’a jugé bon de s’en préoccuper) un cahier de 146 revendications réparties sur 10 chapitres. Parmi ces chapitres, un (un seul !) concerne la vie chère. Mais alors qu'est-ce que cette grève ? Le collectif qui a été à l’initiative de cette grève s’appelle le LKP : Lyannaj kont pwofitasyon (en français : alliance contre le vol et les profits abusifs). Une mobilisation sans précédant. Le LKP parle de 100 000 personnes dans les rues (sur une population de 460 000, soit près du quart de la population). Au delà de la bataille des chiffres, une chose est sûre : c’est historique. Ce fut la plus grande mobilisation de l’histoire de la Guadeloupe et chaque sortie du LKP créa chaque fois un nouveau record. La Martinique emboîta le pas, puis La Réunion, et enfin la Guyane.
Il ne faut pas traduire pwofitasyon par "profit " au sens littéral du terme, mais bien par profit abusif, désignant l’abus de pouvoir qu’un puissant exerce sur quelqu’un dont il sait déjà qu’il est plus faible que lui, pour le rendre encore plus subordonné.
Le constat est le suivant. En Guadeloupe, les prix sont beaucoup plus élevés qu’en France et donc parmi les plus élevés d’Europe et du monde. On constate (pour les mêmes enseignes et les mêmes produits) des écarts de plus de 100% que l’éloignement (voyez par cette expression le transport) n’explique pas (exemple : 84% sur les pâtes alimentaires). Selon tous les experts, après analyse de la chaîne, de la production au caddie du consommateur, en passant par le transport, le surcoût par rapport à l’hexagone ne devrait pas dépasser 10%. Les différences de prix constatées ressemblent donc fortement à.... du vol organisé.
Quelques exemples de pwofitasyon dénoncés par le LKP :
Le LKP a présenté à l’Etat son expertise des méthodes de fixation des prix, résultat : tout le monde fit le même constat : les prix sont anormaux (même aux yeux de ceux qui étaient contre la grève générale comme forme choisie pour les dénoncer). Le malaise ayant pris une extraordinaire envolée médiatique, Yves Jego, secrétaire d'Etat aux DOM, dut se résoudre à annoncer une action en justice de l’Etat contre la SARA(1) - dont l’actionnaire principal (70%) n'est autre que TOTAL - s'il était démontré après enquête que la SARA eût perçu des sommes indues, sommes qui devraient alors être remises aux Guadeloupéens sous la forme d’un fond pour la formation professionnelle.
Autre détail intéressant. Parmi les revendications portant sur le coût de la vie, il y a eu celle concernant la baisse des tarifs des prestations bancaires. Et que s’est-il passé ? Dès que les banques en Guadeloupe (pourtant les mêmes que dans l’hexagone) ont pris connaissance des revendications les concernant, avant même que cette question ait été négociée, celles-ci ont adopté une baisse de leurs tarifs! Est-ce que cela ne signifie pas de manière évidente que ces tarifs étaient abusifs ?
Revendications
Elles traversèrent TOUS les domaines de la société. Vraiment tout. Les 9 autres chapitres : Education, formation professionnelle, emploi, droits syndicaux et libertés syndicales, services publics, aménagement du territoire et infrastructures, culture, et enfin "pwofitasyon" (il s’agit de réclamer des mesures pour contrôler les prix). Ce fut un véritable mouvement sociétal, touchant l’ensemble des acteurs de la société. Rappelons que ces revendications étaient au nombre de 146 et que le LKP en définit 19 à négocier immédiatement, puis d’autres demandant des réponses plus purement politiques voire institutionnelles, qui devront être débattues à long et moyen terme.
Mais alors pourquoi les médias n'ont-ils parlé que de ces foutus 200€ que le LKP demandait ? Parce que c'est sur ce point - comme tout le monde s’y attendait – qu’ont achoppé les négociations. Le LKP n’en démordit pas. Le patronat non plus. Les positions se radicalisèrent logiquement.
Guadeloupe asphyxiée ? Les guadeloupéens morts de faim ?
Laissons plutôt parler le camarade Saiton : " Un ami métropolitain m’a appelé pour me demander si on tenait le coup. Au début j’ai commencé à répondre que malgré la durée du conflit, la mobilisation était toujours de mise. Il me coupe : non, je voulais dire...Arrivez-vous à remplir le réfrigérateur ?"
Certes, la Guadeloupe était en grève générale. Les hyper marchés et super marchés étaient fermés. En revanche, les petits commerces de proximités étaient ouverts, mais les rayons des magasins de plus en plus vides...
Néanmoins: la Guadeloupe s’est organisée. L’UPG (Union des Producteurs Guadeloupéens) ainsi que les pêcheurs font parti du LKP. Les poissons n'étaient pas en grève : les pêcheurs ont continué à pêcher et à vendre leur poisson. Les animaux n'étaient pas non plus en grève : les éleveurs ont continué à s’occuper de leurs bêtes et à vendre leur viande. La terre n’était pas non plus en grève : les cultivateurs ont continué à travailler dans leurs exploitations et à vendre leur denrées. Les réfrigérateurs n’ont jamais été aussi pleins. Les hyper marchés étaient fermés, mais les marchés étaient ouverts. Il y a mieux : des marchés populaires se sont mis en place devant les piquets de grève et un peu partout. Les producteurs y vendaient leurs denrées au prix auxquels ils ont l’habitude de les vendre aux super marchés. Conséquence : ils n'ont pas perdu leur récolte ni leur revenus, et le portefeuille du consommateur a apprécié puisque les marges exorbitantes de la grande distribution étaient supprimées. Les Guadeloupéens ont mangé à leur faim et - fait intéressant- ils n'ont jamais autant consommé local !
"Je n’ai pas de purée mousseline, je n’ai plus de pâtes panzani... et alors ? J’ai des tubercules, des légumes, de la viande, du poisson, des fruits frais, des fruits secs, des fruits de mer... Et ça coûte moins cher que d’habitude. En fait, je crois que je n’avais jamais mangé aussi équilibré de ma vie. Si vous n’avez jamais entendu tout ça, est-ce que la presse nationale fait de la désinformation ? Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on vous ment. Disons que parmi tout ce que les envoyés spéciaux des médias nationaux voient, ils choisissent 5%, et le choisissent d’une manière assez surprenante.
La première semaine, ils n’en parlaient pas. La deuxième semaine, ils n’ont montré que des images de touristes dont les vacances ont été gâchées par cette grève (je suis sincèrement désolé pour eux, mais c’est la vie). Ils ont montré des rayons de super marchés vides et ont semblé vouloir dire que la rupture des stocks créait le plus grand désarroi... Ils ont fustigé une grève qui - dit-on - pénaliserait de manière irrémédiable l’économie Guadeloupéenne. Puis Le secrétaire d’Etat aux DOM est arrivé en Guadeloupe. Il y a carrément déplacé son cabinet et son staff. La presse ne pouvait plus se contenter des mini sujets bâclés. Ils ont commencé à en parler un peu plus. Aujourd’hui, l’information que vous recevez est de plus en plus conforme à ce qui se passe. Les "vrais" reportages font leur apparition. France Inter a fait une longue émission dessus, j’ai pu voir un long article sur Elie Domota, porte parole du LKP dans je journal Le Monde. Libération a publié un long texte d’Ernest Pépin (écrivain Guadeloupéen)... Ca commence à changer. "
Lycéens et étudiants, ne voulant pas être en reste, se sont aussi organisés :"J’étais à Paris VI lors de la grève contre le CPE et sur les 12 semaines prévues du semestre, on a pu faire 11 semaines (moyennant le sacrifice des vacances scolaires). Il y a fort à parier que nous ferons la même chose. Tout le monde est prêt à voir disparaître les vacances de Pâques, Pentecôte et les jours fériés. D’ailleurs les cours sont mis en ligne par les enseignants dans de nombreux établissement. Et RFO (2), va bientôt commencer à diffuser des cours faits par des enseignants sur les plateaux de télévision."
La polémique sur la question ethnique
"La Gwadloup sé tan-nou, la Gwadloup sé pa ta yo. Yo péké fè sa yo vlé, adan péyi an-nou! " Traduction littérale : " La Guadeloupe est à nous, La Guadeloupe n’est pas à eux. Ils ne feront pas ce qu’ils veulent dans notre pays! " Tel fut le slogan repris à l'unisson par les milliers de manifestants depuis le 20 janvier dernier, d'où l'interrogation et l'inquiétude de certains : Mais qu'est-ce que ces "nous"? Les Noirs ? et ces "eux" ? Les Blancs ? Et si oui, lesquels ? Les blancs ordinaires, ou plutôt ces "békés", ces descendants des maîtres d’esclaves qui ont conservé leur domination économique et d’influence grâce aux héritages de génération en génération depuis l’époque esclavagiste, et ce jusqu’à aujourd'hui ? Pour Sadi Sainton, il ne s'agit pas de cela. "Moi qui vis ce mouvement de l’intérieur, moi qui reprends ce refrain avec joie depuis 4 semaines, je n’ai jamais désigné le blanc par ce "eux" et tous les gens de mon entourage sans exception sont du même avis." Mais qui alors ?
"Les responsables de la pwofitasyon. La Guadeloupe n’est pas un simple tube digestif, une sorte de terre de consommation, un simple marché où tout le monde peut venir faire ce qu’il veut, comme dans une zone de non droit. Or les "pwofitasyon" révélées par ce collectif, et que plus personne ne conteste donne bien l’impression que c’est le cas depuis déjà trop longtemps. Avec la complicité de l’État Français. (....)On en est à une situation où il a fallu qu’un collectif de 49 associations déclenche une grève générale et les plus grandes manifestations de l’histoire de la Guadeloupe pour que l’Etat, joue enfin son rôle d’arbitre et de répression des fraudes. De nombreuses voix en Guadeloupe avaient déjà dénoncé ces faits, mais de manières isolées et sans réel résultat. Aujourd’hui, la tendance semble s’inverser. C’est ce "eux" là que nous dénonçons depuis 4 semaines. Quant au "nous", il est prometteur de quelque chose de tout à fait nouveau, qui peut être enfin dépassera les clivages de race (ou en tous cas tendra vers ça). La première personne à m’avoir envoyé un sms pour me dire de venir en meeting est une Guadeloupéenne ...blanche !
(...)Pour moi, un Guadeloupéen est quelqu’un qui lie son destin à celui de la Guadeloupe. Il est souvent noir (question de chiffre), mais il est aussi blanc, indien (de nombreux indiens ont débarqué en Guadeloupe après l’abolition de l’esclavage). Il pourrait même être vert pomme que cela ne dérangerait pas les dizaines de milliers de manifestants qui chantent ce slogan. Surtout, nous ne sommes pas prêts à échanger sous prétexte de la race, une pwofitasyon blanche contre une pwofitasyon noire. Ce Nous-Eux est moral, bien plus que racial. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème de racisme en Guadeloupe. Il est clair que la société est pyramidale et que plus on monte vers le sommet de la pyramide, plus les peaux sont claires. (...) Le poids de l’histoire esclavagiste et coloniale est palpable. Nous voilà avec ce mouvement face à un formidable défi qui consiste à poser les problèmes tels qu’ils sont, pour les régler, et les dépasser. Permettez-moi d’ajouter que je suis assez optimiste sur cette question".
Évolution statutaire ?
La question mérite d'être posée. Quoi qu'il en soit, le débat est ranimé. Le mouvement s’est exprimé principalement sous forme de grève mais la densité du cahier de revendications montre clairement que tous les fondements de la société ont été remis en question.
Parmi les meneurs du LKP, nombreux sont ceux qui sont "au moins" autonomistes. Pourtant, après plusieurs semaines, aucun membre (sans exception) n’avait jamais prononcé les mots "évolution statutaire". C’est un débat qui déchaîne les passions et pour le bien du mouvement, il convient de rappeler que ce n’est pas le but du mouvement. Ce mouvement pose des questions et met en avant ce que veulent les Guadeloupéens. Si les hommes politiques apportent parmi leurs réponses une question institutionnelle, elle sera de toutes les façons objet de débats, et de référendum populaire. Les lois françaises ont été conçues pour répondre à une réalité géopolitique précise, celle d’une France au coeur de l’Europe, celle d'une société post-industrielle. Elle n’ont jamais convenu ni aux colonies, ni plus tard aux DOM-TOM et COM. Si bien que pour pallier le "handicap", les guadeloupéens sont toujours passés par des lois qui mettent en avant de nombreuses spécificités. Aujourd’hui, le système d’intégration a clairement montrés ses limites. Ceux qui jadis s’en accommodaient, ont soutenu massivement un mouvement social, qui - bien que ce ne soit pas son objectif – a attiré l’attention sur le fait que rien ne marche et qu’il faut peut-être songer à changer les choses en profondeur.
"Quel que soit ce qui arrive, l’indépendance n’est absolument pas à l’ordre du jour. Ni l’Etat, ni le LKP, ni les nombreux manifestants qui soutiennent le LKP, ni même les organisations anciennement indépendantistes des années 60, 70 et 80 ne considèrent que la question est à l’ordre du jour. Les organisations "anciennement indépendantistes" continuent à énoncer le principe moral du droit des peuples à l’autodétermination qui est un droit inaliénable inscrit dans la charte de l’ONU ; mais s’accordent pour dire qu’il faut aller pas à pas, sans brûler les étapes.(...) Les pistes avancées sont plutôt celles d’une évolution statutaire dans le cadre de la République Français (genre article 73 et 74 de la constitution) vers plus de pouvoir décisionnel local, plus de pouvoir législatif et douanier, afin de répondre à la réalité géopolitique (Nous sommes européens, mais nos îles baignent dans le bassin caraïbéen !!!).
Début de la répression
Plutôt que de longs discours et des montagnes de chiffres, laissons le mot de la fin à Sadi Sainton : "Le mouvement a pris une dimension internationale. Hier, c’est le révérend Jessy Jackson en personne qui a envoyé son soutien au peuple de Guadeloupe et au LKP. Les organisations syndicales du monde entier (je n’exagère pas) rentrent en contact avec le LKP pour leur demander comment ils arrivent à mobiliser 100 000 personnes sans un débordement (3) (...) La Guadeloupe vient de connaître ses jours les plus calmes niveau violences domestiques. Jamais il n’y a eu si peu d’agressions, de faits divers ou d’accidents de voitures.(...) Les Guadeloupéens sont vraiment fiers de ce mouvement.(...)Mais la répression a commencé face à un mouvement pacifiste. Il y a eu une soixantaine d’arrestations de gens qui étaient simplement sur les barrages pacifiques. Un des pontes du LKP a été blessé. Il a subi des injures racistes venant des forces de l’ordre, tous ceux qui s’y connaissent un peu en histoire de la Guadeloupe savent que tout cela est monnaie courante lors des répressions de mouvement sociaux aux DOM.(...) Le préfet et l’Etat jouent à un jeu dangereux. Car l’ensemble des gens mobilisés connaissent le poids de l’histoire, la tension est à son comble et beaucoup ont déjà averti que cette foi- ci, les guadeloupéens ne mourront pas.(...)Le LKP a appelé au calme. Il appelle à la mobilisation massive et pacifiste pour faire reculer la répression. L’immense majorité des interpellés aujourd’hui ont été relâchés grâce - une fois de plus - à la pression populaire de la foule, massée pacifiquement devant la police et le tribunal de Pointe-à-Pitre. La tension redescend petit à petit. (...) Le préfet avait promis que les environ 4000 CRS débarqués en Guadeloupe dès le début du conflit étaient juste une sécurité qu’il souhaitait de tout coeur ne pas utiliser. Depuis que les négociations sont bloquées, d’autres ont débarqué..."<
NOTES
1>SARA : Société Anonyme de Raffinage Antillaise
2>RFO : Principale Chaîne TV locale, branche de France télévision
3>Le SO du LKP s'occupant de la sécurité générale
12:06 Publié dans La revue Rébellion | Lien permanent | Tags : guadeloupe, lkp, grève générale | Facebook | | Imprimer