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18/01/2010

Qui sommes nous ?

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Une brochure de 12 pages contenant nos entretiens, ainsi que des chroniques sur nos actions sera très prochainement disponible.
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15/12/2009

Entretien avec Costanzo Preve

 


Sur le sentier étroit et abrupt de l’authentique engagement révolutionnaire

Traduction de l’italien par Yves Branca

 

Rébellion : Tu rejettes la pertinence de la dichotomie gauche/droite. Tu as été, semble-t-il, vilipendé pour cela en Italie. Peux-tu expliquer ta pensée à ce sujet ainsi que la genèse de celle-ci ? Comment faire pour traduire politiquement la critique de cette dichotomie ?

 

Costanzo Preve : Les attaques dont j’ai été l’objet en Italie (et par là-même, la rupture ou l’affaiblissement d’amitiés vieilles de plusieurs dizaines d’années) n’ont pas pu modifier le moins du monde mon programme de travail et de recherches, qui s’étend sur cent quatre vingt degrés ; je ne peux donc admettre le chantage de ceux qui veulent imposer de se borner à l’angle droit. Quand on cherche des voies nouvelles, on a toujours un prix à payer, et je considère que celui que je paie est minime. Comme enseignant à la retraite, je n’ai pas eu à payer économiquement (expulsions politiques, licenciements, refus d’embauche, etc.). Encore une preuve du principe marxiste selon lequel la liberté spirituelle n’est possible que sur la base d’une liberté matérielle qui la précède : dans mon cas, la fonction publique.

Ces attaques ont eu trois raison essentielles: d’abord, mon refus argumenté de la pertinence actuelle de la dichotomie droite/gauche, comme critère pour s’orienter dans les grandes questions politiques, économiques, géopolitiques, et culturelles présentes. Deuxièmement, j’ai accordé des entretiens et collaboré à des revues et des périodiques réputés de «droite » par préjugé, parmi lesquelles les revues françaises d’Alain de Benoist. J’en profite en passant pour dire que je ne considère pas les revues d’Alain de Benoist comme de « droite », que je les considère plutôt comme des revues qui critiquent l’actuelle évolution « mercatiste » de la droite. Si je devais les définir en un mot, je dirais : « revues critiques ouvertes à cent quatre vingt degrés ». Troisièmement, j’ai publié certains livres sans n’avoir fait aucune distinction entre des éditeurs réputés de « gauche »

( Bollati Boringhieri, Citta’ del Sole : La Cité du Soleil)) et des éditeurs réputés de « droite » : ( Settimo Sigillo : Le Septième Sceau, All’ insegna del Veltro : Le signe du Lévrier (1)). Vous savez bien comme il est difficile d’être publié si l’on est hors des circuits universitaires ou politiques « protégés ». Je n’ai jamais et seulement exigé que deux choses : qu’on ne me demande pas d’argent pour me publier, et aucune censure explicite ni implicite. Il me semblait que j’avais, pour ainsi dire, « joué franc jeu ».

Il n’en a pas été ainsi. Non sans un peu de naïveté, je pensais que, de même qu’un juge s’exprime par ses sentences, et un médecin par ses observations cliniques et ses diagnostics, de même fait un philosophe , par ses positions, absolument indépendantes de la couleur de la couverture du livre où elles sont exprimées. Mais évidemment, ce n’est pas comme cela que les choses se passent. Dans le monde manipulé de la paranoïa politique et identitaire de l’appartenance tribale, les positions philosophiques ne comptent pour rien, ce qui compte, c’est la couleur de la couverture. Et ce problème-là est sans solution, parce que c’est le problème lui-même qui prétend être la solution, et nous sommes dans un cercle vicieux. Je suis certainement un penseur original, mais aussi très modeste. Je suis certain que si des penseurs comme Sartre ou Althusser avaient publié chez des éditeurs considérés comme «  impurs », ils auraient été eux-mêmes passés sous silence.

 

Et voici, en bref, ce que je pense: la dichotomie Droite/Gauche a globalement exprimé un ensemble de vraies contradictions politiques et sociales, grosso modo, pendant deux siècles : de 1789 à 1989 ; mais cette dichotomie tend à disparaître, en entrant dans une nouvelle phase du capitalisme, que Hegel aurait définie comme « spéculative », et non plus dialectique, où la structure des classes antagonistes subsiste encore, mais ne peut plus être connotée par le conflit entre une bourgeoisie et un prolétariat dans le vieux sens du terme ; et par conséquent , si nous nous trouvons vraiment dans une phase inédite d’un capitalisme absolument post-bourgeois et post-prolétarien, et donc aussi post-fasciste et post-communiste, dans lequel s’est rompue la vieille alliance entre intellectuels et salariés(V. Boltanski-Chiapello (2) ), il est alors inévitable que toutes les anciennes catégories politiques et culturelles dichotomiques soient à redéfinir et à réécrire. Mais c’est cela qui est empêché, présentement, par la force d’inertie, qui ralentit tout, des formes institutionnelles des trois structures de domination : la classe politique d’administration du système, dépourvue de toute conscience malheureuse (3) ; le cirque médiatique de manipulation spectaculaire ; la cléricature intellectuelle universitaire de la philosophie et des sciences sociales. Ce ralentissement ne durera pas toujours, mais il peut durer encore pendant tout le cours de la vie terrestre de qui est entré dans le troisième âge, et peut-être bien même du deuxième âge. La genèse de ma pensée doit être reconstituée par d’autres, parce que tout point de vue autobiographique sur soi-même, par définition, n’est pas digne de créance. Mais si je dois répondre à tout prix, je dirai qu’il faut en trouver la genèse dans un processus d’autocritique radicale, interne, du point de vue révolutionnaire marxiste d’extrême gauche auquel j’ai adhéré dans ma jeunesse, dans les trois pays où j’ai vécu et dont je connais bien la langue et la situation politique: l’Italie, la France, et la Grèce. Cette autocritique politique radicale m’a pris plusieurs dizaines d’années ; elle s’est évidemment assortie d’inévitables désillusions existentielles, et de ruptures, quelquefois tragiques, quelquefois comiques, toujours tragi-comiques, avec d’anciennes appartenances et solidarités politiques et culturelles. Mais ici, mon expérience personnelle rejoint celle de ceux de ma génération politique, celle des quarante années qui vont de 1960 à 2000.


Comment faire pour traduire politiquement la critique de cette dichotomie ? Il est bien connu que la principale difficulté pratique et quotidienne consiste à être amalgamés et diffamés comme « fascistes infiltrés » dans le corps sacré de la vraie gauche politiquement correcte. Ces gens de gauche ne sont certainement pas les ennemis principaux, évidemment, mais ils sont les adversaires directs, immédiats, qui de fait empêchent la communication politique et la légitimation culturelle publique de cette position. A court terme, sur la base d’une évaluation réaliste et sans gémissements inutiles, nécessairement impuissants, j’estime que, malheureusement, les conditions politiques et culturelles ne sont pas mûres encore pour que cet obstacle soit surmonté. Je voudrais, évidemment, qu’il en fût autrement. Mais pour le moment, c’est comme cela. Je me rends compte parfaitement que l’ on s’use assez vite, lorsqu’on doit concentrer quatre-vingt quinze pour cent de ses propres efforts pour expliquer qu’ on ne fait pas partie des émules de Barbe-bleue, de Landru, du Marquis de Sade, ou de Jack l’éventreur.

De même que la pensée des Lumières fut la condition préalable et indispensable à la formation consécutive d’organisations politiques, je considère qu’il est aujourd’hui nécessaire qu’apparaisse un équivalent nouveau des anciennes Lumières, qui puisse donner jour à une nouvelle configuration symbolique et philosophique, qui fasse évanouir peu à peu non seulement la dichotomie Droite/Gauche, mais encore tout le cirque des dichotomies qui l’accompagnent : (Athéisme/religion ; Progressisme/ Conservatisme, Bourgeoisie/Prolétariat – dans le vieux sens du terme, Fascisme/ Antifascisme, Communisme/Anticommunisme, etc.). Aujourd’hui, ces dichotomies ne sont pas seulement erronées, elles se sont incorporées à des structures matérielles de pouvoir et de légitimation. Or, la force d’inertie de ces structures parasitaires est énorme.

Et cependant, ce n’est pas une raison pour se retirer dans la vie privée, ou se contenter d’une simple attitude de témoignage culturel, d’ ailleurs nécessaire. Mais le « militant » de cette position doit savoir, hélas, que l’obstacle symbolique de la diffamation sera dévastateur ; et s’il n’en allait pas ainsi, cela voudrait dire que sa propre proposition est inoffensive, et insignifiante. C’est justement parce qu’elle n’est ni insignifiante ni inoffensive, mais explosive en puissance et éruptive, qu’il faut s’attendre à ce que le « vieux monde » symbolique s’accroche et lutte avec bec et ongles avant de disparaître.

 

R : Que veut dire être «  marxiste » de nos jours ? Que signifie ta position de «  communisme critique » ?

 

C.P : Se déclarer « communiste critique » est une tautologie, parce qu’il est impossible de ne pas être tout ensemble communiste, et critique. Comme l’a fait remarquer Emmanuel Renault avec justesse, la pensée de Marx se base sur l’idée de critique comme fondement essentiel, d’où il suit que sa prétention propre à la véracité dérive de là-même – mais ceci, Renault ne l’affirme sans doute pas.

C’est du reste ce que Kant appelle un jugement analytique, où le prédicat est contenu dans le sujet. Le communiste est critique comme le corps est étendu.

Alors - pourra-t-on dire - comment expliquer que l’immense majorité des communistes réels (et non l’idée platonicienne du communiste, ou son idéal-type weberien) n’ont pas été critiques, mais acritiques, c’est-à-dire, dogmatiques? Marx lui-même l’a expliqué. Lorsqu’une théorie originairement critique est idéologiquement incorporée à des stratégies de légitimation du pouvoir, vient s’y greffer la fausse-conscience qui est par nécessité celle des agents historiques, et qui est « organisée » en structures administratives de pouvoir. Il s’agit d’un phénomène dialectique, que la seule lecture de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel permet de conceptualiser.

L’idée de critique se retourne dialectiquement en idéologie de légitimation, sitôt que la nécessaire fausse-conscience des agents historiques s’en empare, si la situation historique objective ne permet pas une élaboration communautaire plus appropriée aux possibilités historiques.

En ce qui me concerne, plutôt qu’un « marxiste critique », je suis un marxiste qui essaie, presque toujours vainement, d’être critique. J’y réussis quelquefois, mais pas toujours.

Quant à ce que peut signifier être marxiste aujourd’hui, il faudrait le demander aux quelques marxistes encore en activité. Je ne peux répondre que pour moi-même, en utilisant nécessairement ce petit mot, «  je », que l’écrivain italien Carlo Emilio Gadda (4) a défini autrefois comme « le plus odieux des pronoms ». Par manque de place, je suis obligé d’être extrêmement synthétique.

En premier lieu, je serais souvent tenté de suivre mon défunt ami Jean-Marie Vincent, qui a indiqué que la première chose à faire pour celui qui veut se relier à Marx, c’est de « se débarrasser du marxis-me ». Mais le contexte symbolique où je me trouve m’oblige malgré que j’en aie à revendiquer fièrement mon marxisme, comme le signe provocateur de mon refus de me confondre avec la pittoresque bande des « soixante-huitards repentis ». Il ne s’agit pas tant du vieil et glorieux mot d’ordre d’ « épater le bourgeois » ; et c’est aussi parce que dans l’entre-temps, le bourgeois est devenu impossible à repérer, et a entièrement «  libéralisé » ses puissances d’indignation. Si nous nous déclarons marxistes en face d’un post-bourgeois d’aujourd’hui, il va nous répondre, comme le marquis de Sade : « Français, encore un effort ! ».

En second lieu, le modèle de Marx demeure le seul à unir une philosophie universaliste de l’émancipation à une théorie des modes de production, et du mode de production capitaliste en particulier. Chez Althusser, j’accepte la critique de l’historicisme et de l’économisme, mais certainement pas celle de l’humanisme. Je considère celui de Marx comme un humanisme révolutionnaire intégral. Je ne crois pas aux sciences de l’histoire. A mes yeux, les seules sciences proprement dites sont les sciences naturelles. Quitte à faire scandale, je tiens Marx pour la troisième et dernière grande figure de la philosophie classique allemande, après Fichte et Hegel (quant à Schelling, pour être bref, je le considère comme un panthéiste romantique et un spinoziste kantien(5)). Je ne crois pas du tout que Marx soit « matérialiste », à moins d’user de ce terme dans un sens métaphorique, comme une triple métaphore représentant l’athéisme, la « praxis », et surtout la structure si on l’oppose à la superstructure. Je tiens véritablement Marx pour un penseur traditionaliste, parce qu’il se relie à la tradition communautaire de la philosophie européenne, qui s’oppose à la nouveauté de l’individualisme moderne atomisé (Hobbes, Locke, Hume, Adam Smith, et quant à Smith, je partage son approche par Michéa). Je considère Denis Collin comme l’un des penseurs marxistes français les plus intéressants, parce qu’il a eu le courage de critiquer les aspects utopiques de la pensée de Marx, sympathiques mais erronés, devant lesquels, en général, les « marxistes » se prosternent avec vénération.

Pour faire bref, si l’on veut être des critiques vrais, et non pas feints et domestiqués, il faut que la critique adopte ce que Descartes appelait le doute hyperbolique. Se contenter du vieil et ennuyeux doute méthodique n’est digne que d’appariteurs de la philosophie. En un mot, voici ma définition du marxiste critique: c’est celui qui, fidèle à l’anticapitalisme radical de Marx, porte sa critique jusqu’au niveau du doute hyperbolique, sans se laisser épouvanter par la force d’inertie des positions erronées solidifiées en plus d’un siècle (et erronées surtout par historicisme et/ou par utopisme). Tout le reste doit être laissé au libre débat. Lequel, cependant, n’est en fait pas même commencé, nonobstant quelques pionniers courageux (l’un d’eux me vient à l’esprit : Georges Labica, mon ami disparu.)

 

R : Quels sont les grands axes de ta critique du capitalisme ? Est-ce que la crise actuelle du capitalisme rend légitime un projet communiste de dépassement de celui-ci ?

 

C.P : Deux remarques préliminaires, avant d’aborder la partie essentielle de ta question.

Premièrement, je ne pense pas qu’il existe quelque chose qui s’appelle un « projet communiste pour dépasser le capitalisme ». Sur ce point, je reste fidèle à la manière dont Marx posait le problème: il ne croyait pas à l’élaboration d’un projet communiste, qu’il tenait pour la formulation d’une utopie. En admettant qu’il soit possible (comme d’ ailleurs je le crois), et que nous puissions nous accorder aussi sur les seuls linéaments généraux de son profil historique, économique, politique, et culturel (et tout cela reste évidemment encore à vérifier), le communisme, à mon avis, n’est pas un projet, mais plutôt un ensemble de conditions économiques, sociales, et surtout culturelles préalables, qui d’ailleurs ne me paraissent pas encore mûres du tout, pour le moment, et sur la base desquelles les agents sociaux concrets peuvent alors éventuellement tenter de greffer des pratiques visant à dépasser la synthèse sociale capitaliste. J’espère que tu apprécieras ma démarche prudente pour définir les choses. Le défaut des groupes communistes d’extrême gauche est justement selon moi celui de se présenter devant des militants et des électeurs avec une sorte de « projet », qu’il s’agirait évidemment d’appliquer. Mais le communisme n’est jamais un projet à appliquer. Si c’est un projet, alors, cela ressemble comme deux gouttes d’eau au défunt communisme historique du XX° siècle mort depuis peu ( 1917-1991), qui était exactement un projet d’ ingénierie sociale, ensemble despotique et égalitaire, sous coupole géodésique protégée ( cette expression est de Jameson (6)). Il s’agit là d’une conception positiviste, qui trouve sa source non pas chez Karl Marx, mais chez Auguste Comte. Rien là de très grave, évidemment, pourvu qu’on en soit pleinement conscient. Partant, plutôt que de recommencer à se promettre un impossible projet (et déjà, Spinoza disait de se garder de concevoir Dieu comme un sujet qui projette la construction du monde naturel et moral), mieux vaut essayer de construire les conditions culturelles et sociales au sein desquelles, libres de toute omnipotence « projective », les sujets individuels et sociaux puissent développer leurs « potentialités » (ici encore dans le sens spinozien de « puissance » : en France, vous avez le bonheur d’avoir d’excellents commentateurs de Spinoza, comme mon ami André Tosel (7)).

En second lieu, je crois que c’est une erreur que de relier trop hâtivement les possibilités d’une révolution anticapitaliste à la montée d’une crise structurelle du capitalisme lui-même (comme il me semble que le soit celle qui est en cours, qui a éclaté il y a à peu près un an). Ses deux grands précédents historiques ne sont pas rassurants.

La grande crise du capitalisme qu’on appelle la « grande dépression » des années 1873 à 1896 a donné lieu à la période la plus contre-révolutionnaire de l’histoire contemporaine (colonialisme, racisme, impérialisme, antisémitisme, etc.). Si nous passons à la grande crise de 1929: elle a donné lieu à une période de contre-révolution : fascisme et guerre. Le communisme historiquement constitué en Europe après 1945 (non seulement dans les pays de l’Est, mais aussi en Italie et en France) n’a pas été un résultat de la crise économique, mais exclusivement des victoires militaires de l’U.R.S.S. Par conséquent, sans avoir la place ici d’approfondir ce sujet, j’affirme que je trouve imprudent de fonder d’excessifs espoirs anticapitalistes sur l’existence d’une telle crise, pour grave et structurelle qu’elle soit.

L’axe principal de ma critique à l’égard du capitalisme se base sans aucun doute aussi sur le scandale moral de l’inégalité croissante et sur le scandale culturel des manipulations médiatiques et de la dégradation anthropologique des sujets de l’individualisme absolu, mais je dois reconnaître que ce ne sont pas là pour moi les deux éléments philosophiques fondamentaux. L’aliénation et le fétichisme de la marchandise sont affreux, mais on a toujours pu jusqu’ici, d’une certaine façon, coexister avec eux. Le problème fondamental pour moi consiste dans cette dynamique de développement sans limites de la production capitaliste, et en ceci, que l’infini-illimité (en grec ancien apeiron, comme dans le fragment d’Anaximandre (8)), est le facteur principal de désagrégation et de dissolution de toute quelconque forme de vie communautaire. Et d’ailleurs, j’interprète la dynamique même de la philosophie grecque classique comme un combat entre l’élément communautaire et l’élément privé ; plus spécifiquement : dans tout le cours de la lutte entre les classes subalternes qui aspirent à sauvegarder la cohésion sociale et économique de la communauté, et les classes supérieures qui visent à dissoudre les liens communautaires, en se libérant de liens de dépendance économique de la communauté, ouvrant ainsi les portes à l’accumulation chrématistique (9), dont Aristote avait déjà formulé une critique radicale, qui n’a rien à envier à celle que fit Marx dans d’autres circonstances ( voir, à ce sujet, les développements jamais dépassés de Karl Polanyi (10)).

Si j’insiste beaucoup sur cette référence aux anciens grecs, ce n’est pas pour faire étalage d’archaïsme ou d’érudition, mais parce que mon interprétation de Marx en est directement influencée. La principale erreur qu’on fait généralement sur le communisme, c’est celle de le considérer comme une sorte d’« affaire privée » des contradictions spécifiques au seul mode de production capitaliste, alors qu’il s’agit au contraire de la forme spécifiquement moderne (moderne = capitaliste) d’ un courant de l’histoire universelle beaucoup plus profond, et de longue durée : celui de la toujours résurgente opposition entre la tendance communautaire, agrégative, solidariste des hommes, et leur tendance individualiste, dissolutive, privative (11).

Au moins, ceci est ma conception personnelle et spécifique du communisme. D’où il dérive pour moi, que, paradoxalement (mais c’est un paradoxe dont j’ai bien conscience, et Jean-Jacques Rousseau disait qu’entre paradoxe et préjugé, il faut choisir le paradoxe) Marx a été non seulement un philosophe idéaliste allemand classique, mais encore un grand penseur traditionnel classique, parce que tout simplement il a redéfini et reformulé la tradition communautaire et anti-individualiste (fondée par Aristote dès les temps antiques, renouvelée et présentée d’ une nouvelle manière par Hegel à l‘époque moderne), dans une opposition radicale à la nouveauté individualiste du capitalisme anglais robinsonien (12), destructrice de tout fondement communautaire de la société ; fondement que John Locke exprima métaphoriquement par le terme de « substance » (le mot vient de sub stare :être dessous, tenir bon), précisément pour en proclamer l’inexistence, en tant que, selon sa conception de la société privée de toute «substance » ( qui représente la communauté), elle était redéfinie en termes de réseau de relations mercantiles individuelles. David Hume compléta l’ouvrage en concevant une auto-fondation intégrale économique de la société sur l’habitude de l’échange marchand, éliminant toute référence philosophique (le droit naturel) et politique

(le contrat social). Jean-Claude Michéa a entièrement raison de dire que la contradiction propre à la « gauche » consiste à nier les conséquences du modèle de Smith, tout en recevant ses présupposés philosophiques et anthropologiques (13).

Je pourrais m’étendre sur ce propos ; je dois m’arrêter par manque de place. Mais j’estime qu’il est déjà clair que j’apporte une image radicalement nouvelle de Marx, et des raisons fondamentales qui légitiment une critique du capitalisme après l’échec du communisme historique du XX°siècle tel qu’il fut réellement; et après la découverte des apories du modèle original utopico-scientifique de Marx – cet oxymoron n’est évidemment pas le fruit d’une distraction, il est absolument voulu, et intentionnel.


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Suite de l’entretien dans Rébellion n°37 juillet>Août 2009

Le numéro est disponible à notre adresse postale contre 4 euros :

Rébellion c/o RSE

BP 62124

31020 TOULOUSE Cedex 02 France

rebellion_larevue@yahoo.fr

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NOTES

1>Le nom de ces maisons d’édition est significatif : La Cité du Soleil est une allusion à l’ouvrage le plus célèbre de Tommaso Campanella, et le « Lévrier » est une allusion à la « prophétie du lévrier » du Virgile de Dante, au Chant premier de l’Enfer de la Divine Comédie. Virgile annonce à Dante qu’un lévrier fabuleux (que les uns ont interprété comme le Christ à son retour glorieux, d’autres comme un grand Empereur ou un saint pape) renverra en enfer la louve hideuse et effrayante, symbole de l’avidité et de la cupidité qui dévastait la malheureuse Italie, et dont l’apparition l’épouvante au début de son voyage mystique. .

2> V. Luc Boltanski et Eve Chiapello : « Le nouvel esprit du capitalisme », Gallimard, coll. Essais.

3> Ce terme, d’ ailleurs très heureux, est un des signes de l’attachement de l’auteur à la pensée de Hegel.

4>Carlo Emilio Gadda (1893-1973) est un de plus grands romanciers et essayistes italiens du XX° siècle : (La mécanique, La connaissance de la douleur, Le château d’ Udine, Eros et Priape, etc.)

5> Raccourci qui exprime bien le déchirement de Schelling entre l’influence de Kant et de Fichte (le moi, l’ego transcendantal) et celle de Giordano Bruno et de Spinoza (la Nature), dans la formation de sa pensée.

6>Fredric Jameson (né le 14 avril 1934) est un critique littéraire américain et un théoricien politique marxiste. Il est particulièrement connu pour son analyse des courants culturels contemporains ; il décrit le postmodernisme comme une spatialisation de la culture sous la pression du capitalisme.

7>André Tosel, professeur à l’ Université de Nice, a travaillé sur Spinoza, Hegel, Marx et des philosophes marxistes. Ses travaux portent sur la rationalité moderne, ainsi que sur les philosophies de la mondialisation. V : « Spinoza ou l’autre (in)finitude », L’ Harmattan, 2009. (Par ailleurs, C. Preve a bien écrit dans cette phrase   « spinozien » (spinoziano), et non pas « spinoziste » (spinozista).

8>Voir à ce sujet l’étude de Costanzo Preve « La sagesse des Grecs », dans la dernière livraison de la revue Nouvelle Ecole sur « LES GRECS » :

9> Chrématistique : proprement : science de la richesse : du grec chrèmatistikos : celui qui fait des affaires et

s’enrichit ; de chrêmata, richesses, biens, dérivé de chraomaï : « j’emploie » et « je possède ».

10> Karl Polanyi (1886-1964) est un philosophe hongrois auquel on n’a commencé à s’intéresser en France que lorsque son œuvre maîtresse de 1944, La grande transformation, fut enfin traduite en français quarante ans plus tard. C’est une étude socio-historique de l'économie des puissances en équilibre à la veille et au cours de la seconde guerre mondiale, fondée sur l'histoire du capitalisme, depuis le XVIII° siècle jusqu’ à la Seconde Guerre mondiale. La pensée de Polanyi est trop profonde et originale pour être résumée en quelques lignes. V en particulier, de Jérôme Maucourant, Polanyi, une biographie intellectuelle dans la Revue du M.A.U.S.S. (2007), dont plusieurs livraisons ont traité de Polanyi depuis 1987. Polanyi écrivait en 1927 : "Une idée abstraite de la démocratie, qui ignorait avec hauteur la réalité de la structure de classe, de la religion, de la guerre, de la violence, méritait ce sort : que les réalités ne la prennent pas en compte".
Polanyi, Lathatar (L'Horizon), 1927.

11>Entende « privatif », au sens propre et juridique de « qui exclut entièrement autrui, qui accorde quelque chose à un seul individu ».

12>Allusion à Robinson Crusoé pris comme symbole de la solitude de l’homme moderne individualiste.

13>V. Jean-Claude Michéa : Impasse Adam Smith, coll. Champs, Flammarion, 2006.

 

29/11/2009

Rébellion 39 Disponible dès cette semaine !

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EDITORIAL

Le livre de la jungle

DOSSIER

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+La longue route de la question Basque

+Normandie, à la croisée des chemins

+NOS POSITIONS.

Réinventer la patrie.

Construire l'Alternative Socialiste Révolutionnaire.

INTERNATIONAL

La révolution indienne d'Evo Morales

CULTURE/CHRONIQUES

+ Krisis Droite/Gauche ?

+Petit traité du bonheur et de la résistance fiscale

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15/11/2009

Petit entretien syndical...

Grace à un militant syndicaliste nous avons pu répondre à quelques questions pour un bulletin syndical niçois « altermondialise ». Les réponses ici exposées n'ont pas pu être totalement reproduites dans le bulletin faute de place...

Etre Socialiste Révolutionnaire Européen, qu'est-ce que c'est ?

Etre SRE, c'est s'inscrire consciemment dans la tradition prolétarienne de lutte née sur notre continent et qui s'est étendue ailleurs postérieurement. Mais c'est également concevoir un projet géopolitique européen alternatif à la domination unipolaire des Etats-Unis dont la classe dominante européiste est la docile servante. Par là même, c'est s'allier aux autres pays et peuples qui, dans le monde tentent d'échapper à la domination impérialiste occidentale. De plus, un mouvement social réellement opposé au capital ne pourrait prendre de l'ampleur qu'à une vaste échelle, en touchant les puissances principales européennes. A l'époque des grands blocs géopolitiques et géoéconomiques (USA, Russie, Inde, Chine, etc.), se replier sur la seule France, est une forme schizoïde de perception du réel, même si, par ailleurs, la lutte débute toujours ici et maintenant.

Sur votre blog* internet, vous mettez en exergue "contre la droite du système" / "contre la gauche du système", pouvez-vous développer ?

Les concepts de droite et de gauche en politique sont nés lors de la Révolution française et se sont transformés de manière complexe tout au long de notre histoire. Sans pouvoir développer, mais à titre d'exemple, rappelons que la gauche de la première moitié du 19° siècle désignait la bourgeoisie libérale opposée aux anciennes classes sociales devenues obsolètes (aristocratie, etc.). Marx s'est-il jamais dit de « gauche » ? Que l'on nous montre le texte ! Le capital s'accommode fort bien de la mascarade de l'alternance droite/gauche au pouvoir. Il faut rompre avec cette logique. Pour ce faire, il faut repenser le contexte de la lutte de classe au sein de la mondialisation que tout le monde - ou presque -  accepte. Mais ce qui est en jeu, ce n'est même pas la globalisation des échanges. En réalité celle-ci est inséparable de la mondialisation (on ne peut séparer mécaniquement les deux comme si un des deux aspects était neutre et bon en soi) que nous analysons comme étant le devenir-monde de la domination aliénante du capital. Dit autrement, le capital semble être devenu le seul Sujet de l'histoire humaine. Le concept d'altermondialisation (prôné par certains secteurs de gauche et même de droite) n'a, ainsi, pas de portée critique réelle (car non dialectique !). C'est accepter les termes du problème en l'état en leur donnant un autre habillage. La sortie du genre humain de l'aliénation n'a pas de sens économique justement ! Elle ne peut se faire que par le dépassement de l'aliénation de la pratique humaine à l'économie (dépassement qui a été rendu possible par la phase capitaliste et devient dès lors nécessaire). De fait, il ne pourrait se réaliser que par la régénération et le devenir de nouvelles identités collectives humaines et non par le mécanisme séparé des seuls échanges économiques aliénés. De la droite à la gauche y compris à leurs extrêmes, on ne veut surtout pas comprendre cela... En effet, altermondialisme signifie rigoureusement : un autre mondialisme ! Le socialisme n'a jamais été cela. La globalisation des échanges n'est jamais que l'extension/intensification de la domination de l'économie sur le lien social, ce que Marx a critiqué en premier lieu. Le mondialisme n'est que l'expression idéologique tendant à légitimer ce processus. Le communisme était pour Marx le développement libre et riche de sens de l'individualité humaine (« le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures ; il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite », donc au-delà des exigences de l'actuelle globalisation) et non l'uniformisation des peuples et des cultures. A l'opposé, concevoir comme étant inévitable la circulation tous azimuts d'hommes et de marchandises est le vœu le plus cher du capital.

Aujourd'hui le champ syndical est plus que limité, comment voyez-vous les choses ?

Evidemment que le champ syndical est limité, tout autant que la critique effective du capital ! Ce dernier a remporté une manche importante dans les péripéties de la lutte de classe, en particulier, à la suite de la disparition du bloc socialiste de l'Est européen vendu pour quelques deniers par sa classe dirigeante. A partir de cette perte de repères - à tort ou à raison - par le prolétariat mondial, la dynamique du capital n'a pas rencontré d'obstacle majeur y compris sur le plan géopolitique. Lorsque cela lui a été nécessaire, la bourgeoisie a entrepris des guerres impérialistes sanglantes sous couvert de droits de l'Homme (Irak, ex-Yougoslavie, Afghanistan, etc.). Pendant ce temps le prolétariat et ses organes de lutte (politiques et syndicaux) étaient laminés, et l'étaient d'autant plus que la gauche était intégrée depuis longtemps dans les rouages du système. Même les mouvements puissants de contestation (milieu des années 90 en France, par exemple) ne savaient pas réellement sur quoi déboucher, faute d'une finalité révolutionnaire consciente et radicale.

Comment être efficace et aller de l'avant ?

Nous n'avons évidemment pas de panacée universelle. Mais il faut toujours revenir aux aspects fondamentaux de la lutte de classe : articuler lutte immédiate (défense des salaires, de l'emploi, des conditions de travail, etc.) et stratégie à plus long terme visant à faire céder le verrou du rapport social capitaliste. Comment concrétiser cette articulation ? A) Par le principe de l'extension/communication des luttes sur le plan géographique. Ne jamais s'isoler dans l'entreprise pour ne plus en sortir. C'est malheureusement, souvent, cette stratégie du désespoir qui est adoptée. B) Par tous les moyens, la théorie révolutionnaire doit se répandre afin de fournir les principes d'action et de compréhension critique du réel. Ce dernier aspect est trop délaissé de nos jours. Le système possède un pouvoir de sidération/manipulation gigantesque qu'il faut contrecarrer. A Rébellion, nous essayons d'apporter notre contribution à cette tâche.

05/11/2009

Edito : "Le livre de la Jungle"

Editorial du numéro 39 de Rébellion, prochainement disponible.


Nous évoquions dans notre éditorial précédent (n° 38.sept/oct 09) les caractéristiques essentielles de la Ferme Mondiale dans laquelle le capital parque le genre humain. Cette évocation ne serait pas complète sans la description de la Jungle libérale encerclant de toutes parts les bâtiments de la Ferme. Jungle profonde et quasi impénétrable où se trament tous les coups tordus et dans laquelle la sauvagerie (du latin silva, forêt) se donne libre cours. Cette Jungle est qualifiée de « libérale » par un étrange retournement sémantique dont ce qualificatif fait l’objet. Il fut un temps où un homme libéral désignait quelqu’un manifestant de la générosité, faisant preuve de libéralité (vertu suprême du héros cartésien), où une activité libérale qualifiait celle-ci comme étant non contrainte, non mercenaire, témoignant de la dignité de celui qui s’y adonnait. Puis vinrent d’étranges idéologues qui par « libéral », « libéralisme » firent accroire au public qu’il suffisait de poursuivre son intérêt égoïste dans l’objectif de le maximiser au plus près pour être libéral et qu’il n’y avait pas à s’en faire sur le plan moral puisqu’un rapide calcul global et statistique montrerait que l’intérêt général en serait automatiquement satisfait.

Alors les repères, certes mouvants, distinguant la nature de la culture s’estompèrent et le darwinisme social devint le credo de notre temps. Le monde dit civilisé, ainsi dérégulé socialement devint un champ de ruines où la loi de la Jungle s’inscrivit au cœur des cités. Ne vit-on pas ces dernières semaines apparaître en plein Calais, une dite Jungle peuplée d’afghans attirés probablement par la publicité faite à « Bienvenue chez les ch’tis » ? Comme pour la forêt équatoriale, les lianes de la jungle calaisienne repoussent instantanément après avoir été coupées. Les rodomontades policières ne sont que poudre aux yeux afin de faire semblant d’enrayer le processus d’immigration afghane vers notre continent. On vit même évacuer par bus quelques dizaines d’afghans vers des centres de la proche banlieue toulousaine. Le pouvoir espérait-il qu’une partie du comité de rédaction de « Rébellion » sise à Toulouse allait déclencher en leur faveur une campagne de soutien ?

Ce ne peut être notre réaction ! Nous ne nous réjouissons certes pas des conditions d’existence au sein de la Jungle et sommes sensibles à la souffrance humaine. Cela étant dit, nous n’oublions pas que l’Afghanistan a eu la possibilité de tenter une expérience socialiste, aussi imparfaite soit-elle, mais que certaines oreilles afghanes ont été plus sensibles aux sirènes de la CIA armant des fondamentalistes rétrogrades qu’aux orientations sociales d’un régime proposant de tirer le pays d’un immobilisme clanique ancestral (là aussi il ne faut pas confondre défense d’une identité culturelle avec sclérose des rapports humains). Par ailleurs, nous avons été surpris par le silence assourdissant des milieux féministes qui auraient logiquement du se faire entendre. Les nombreuses images diffusées de l’évacuation de la Jungle ne firent pas apparaître une seule silhouette féminine parmi les « malheureux » embarqués. Les femmes sont donc restées aux fourneaux à Kaboul ! Enfin de compatissants journaleux nous présentèrent à la TV, le périple de quelques afghans depuis leur pays d’origine pour lequel long périple, ils avaient déboursé la coquette somme de 20000 dollars ! C’est le fameux bas de laine afghan… Rapatriés vers Kaboul aux frais du peuple français, ils reçurent d’un représentant de notre gouvernement, 2000 euros chacun, à leur arrivée (20 mois de salaire moyen local !) et sont, depuis, gracieusement logés dans un « modeste » hôtel de la capitale afghane aux frais de la généreuse République française. Les prolétaires de notre pays, tirant la langue quotidiennement, apprécieront.

On voit bien là le jeu hypocrite de la bourgeoisie coincée entre ses contradictions : intervention impérialiste otanesque finissant de détruire l’Afghanistan, entraînant une réaction de fuite de ceux qui peuvent encore quitter leur pays d’origine, créant par là même une immigration chaotique avec son commerce maffieux de passeurs et donc une situation hallucinante sur notre sol à laquelle répond un vague humanitarisme de la part des gouvernements européens, assorti de mesures plus ou moins sécuritaires.


L’épisode afghan est le résumé de la situation que le capital fait endurer à tous les peuples de la Terre, c’est la loi de la jungle du profit et de la domination globalisée à son enseigne. C’est l’injonction du « déchirez-vous les uns les autres » à laquelle, les querelles internes à la classe dominante, montrent qu’elle n’échappe pas elle-même. En se donnant en spectacle, celle-ci tente encore de donner à penser que le capitalisme peut se purger de ses pratiques malsaines (cf. les dernières affaires hexagonales de règlement de compte entre politiciens du système : de Villepin, Jean Sarkozy, Pasqua etc.). Cela ne nous intéresse pas le moins du monde, si ce n’est à titre de symptôme signifiant qu’il n’y a pas de catharsis du capital. Cela fait bien longtemps que les révolutionnaires disent que ce système est destiné à disparaître, qu’il est condamné par sa nature même, ses contradictions internes. Cette idée exprimait, certes, le désir de ceux prononçant son arrêt de mort, leur part d’espérance voire d’utopie dans laquelle on a pu percevoir un messianisme sécularisé.

D’accord, il n’y pas de fatalité historique conduisant le capitalisme à sa mort. Certaines formulations du socialisme ont pu être parfois hâtives ou simplificatrices. Néanmoins, cela ne rend pas plus légitime la dévastation de l’humanité par la mondialisation capitaliste. Cela ne justifie pas plus une approche empreinte de tiédeur dans la critique à son égard (les demi mesures du développement durable et de l’altermondialisme entre autres choses). Les penseurs socialistes pensaient que le capitalisme ouvrait un éventail de possibilités pour l’humanité, plus ample que les formes sociales l’ayant précédé (point de vue de Marx sur le communisme). Actuellement, il nous fait courir le danger d’éradiquer ces possibilités en nous léguant une terre dévastée (destruction de la biodiversité) et une jungle sociale sans diversité. Cela reste pour nous l’enjeu principal que doit relever la critique socialiste et révolutionnaire de ce monde aliéné.