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17/04/2010

Réinventons la patrie ! (1)

Article publié dans le numéro 38 de Rébellion Septembre/Octobre 2009

Introduction de la première partie du dossier sur les régions, la nation et l’Europe

 

 

Communautés locales – Régions – Nation – Europe

Une unité harmonieuse dans une diversité enrichissante

 

EUROPA.jpgQuand nous avons lancé l’idée d’un dossier sur les rapports entre les diverses corps sociaux, dans le but de dégager des positions claires sur le sujet, nous ne pensions pas que tant de questions et de pistes de réflexion en sortiraient. Il apparaît que loin d’être un simple débat sur de froides institutions, c’est une réflexion profonde sur notre société qui en ressort. Cars toutes ces interrogations sont liées à notre conception et notre perception de la réalité sociale.

 

L’atomisation, par le triomphe de la néo-modernité (c’est-à-dire le règne idéologique et pratique du capitalisme sur l’ensemble des aspects de nos vies), des liens qui unissaient le «  Peuple », laisse la majorité de celui-ci sans repaires autres que ceux que lui fournit le système. « La guerre de tous contre tous » a brisé et rendu l’idée d’une destinée commune impossible. Certains ont cru voir en cela une « liberté », une émancipation, débarrassant l’individu du poids de la communauté. Mais ces naïfs (pour ne pas dire idiots) célèbrent simplement l’événement d’une nouvelle servitude. Cars les hommes sont avant tout des constructeurs de société (« l’animal politique » d’Aristote) ; en se réunissant ils savent créer solidarité et fraternité dans un élan commun. Cette créativité communautaire donne un sens à l’existence sociale et humaine. Elle est nécessairement à reconstruire sur des bases inédites car il n’est pas possible de retourner à des bases antécapitalistes. Elle est aussi le point de rupture avec la communauté despotique du capital, « communauté réelle de l’argent » (Marx). Elle est, encore moins, un projet utopique édifié a priori, ignorant les limites et imperfections de la condition humaine. Elle serait probablement la concrétisation et la libération des potentialités humaines qui sont, aujourd’hui, instrumentalisées à des fins de profit par le capital. Pour briser toute résistance, le capitalisme s’est appliqué à détruire les liens traditionnels (ceux des communautés agraires, des communautés précapitalistes) et ceux qui naissent de son exploitation, de la lutte contre celle-ci (comme l’unité de la classe ouvrière). Avec la mondialisation, il a étendu son œuvre aux nations et aux civilisations. La perte, qu’entraîne cet acte de guerre contre les peuples, est d’autant plus ressentie cruellement qu’elle a laissé le terrain libre à des reconstructions d’identités bancales, oscillant entre des modes consuméristes et un communautarisme menant à la ghettoïsation.

 

Dans un premier temps, nous avons voulu ouvrir un débat pour mettre en relief les diverses positions sur la question des rapports entre les communautés locales, les régions, la Nation et l’Europe. Nous avons très vite constaté que la remise en cause de « l’Etat-Nation » n’a pas encore permis de faire naître une réflexion globale pouvant trouver une alternative à son impasse actuelle. A la suite de ce panorama, il nous paraît important de réaffirmer que face au bulldozer capitaliste seule une lutte dont le but est de (re)créer une société harmonieuse sur des bases nouvelles est capable de vaincre. Notre projet socialiste révolutionnaire se fixe comme objectif d’être un moteur de la réappropriation par les travailleurs de leur destin. En arrachant des mains de l'Etat capitaliste la Nation, nous ne reprenons que notre bien. La Patrie mérite mieux que les faux éloges que lui ont adressé un Sarkozy ou une Royal lors des dernières présidentielles. Elle est porteuse d'une idée révolutionnaire que nous devons faire renaître. La « Nation aux Travailleurs » peu devenir un « mythe mobilisateur », un pôle de regroupement et de lutte face au capitalisme international comme « national » ( les grands groupes français du style Bouygues ou ELF ne nous sont pas plus sympathiques que ceux venus d'autres parties du monde). La bourgeoisie nationale n’est plus « progressiste » comme on pouvait parfois le penser au 19° siècle lorsqu’elle s’opposait à des résidus de la société féodale (perspective de Marx alors, quoique ce schéma ne lui parût pas absolument de portée universelle à la fin de sa vie). Elle ne peut ni ne souhaite, d’ailleurs, le redevenir.

 

Pour nous l’unité de la France comme de l’Europe n’est pas une chose immuable, existant hors du temps, comme toutes les réalités sociales. Elle définit un ensemble de rapports très complexes et très riches qui s’insèrent dans un vaste mouvement social. Nous pensons donc qu'une juste articulation est possible entre les deux, nous avons voulu montrer grâce à certaines pistes de réflexion qu'il n'y a aucune fatalité au chaos capitaliste<

 

Rébellion

 

 

Patrie et Socialisme

L'idée nationale à réinventer

 

SREB.jpgLe capitalisme triomphant est parvenu à faire croire qu'aucune alternative n'était possible à sa domination sur nos vies. Pour détruire ses fondements idéologiques, il est important de redonner leur sens aux mots qu'il détourne ou stigmatise. La Nation est un de ceux-là. Pensée comme un archaïsme par les tenants de l'oligarchie dominante, que la mondialisation va heureusement, à leurs yeux, faire disparaître, elle est un symbole puissant qui pourrait devenir une force pour le mouvement révolutionnaire. Pour mieux faire comprendre notre conception de l'idée nationale, et ses nombreuses articulations, nous livrons ici la première partie d'un article de synthèse sur la question.

 

Comprendre le sens de son héritage historique

Définir la Nation française, c'est d'abord reconnaître l'importance de son héritage historique dans sa forme actuelle. Si le rôle de la royauté capétienne est reconnu dans l'unification des diverses composantes qui la constituent, la naissance d'un fort sentiment national est plus difficilement situable. Faire remonter son apparition à la fin du Moyen Age ou à l'Epoque Moderne est possible, mais l'idée de Nation se révèlera pleinement au peuple français avec la Révolution de 1789.

 

« L'Etat-Nation » naîtra de ce phénomène fondateur et en conservera les ambiguïtés. La Révolution est, en effet, à la fois un élan populaire, révolutionnaire, patriotique et un attachement à des valeurs positives et collectives fortes comme la souveraineté populaire, l'égalité, la liberté. Des idées qui seront à l'origine d'un « esprit français » spécifique, qui viendra renforcer une communauté nationale née de la langue, de la culture et de l'histoire. Mais elle est aussi l’avènement de l'ère bourgeoise. La déchéance des élites de l'Ancien Régime, laissa le champ libre à la nouvelle classe dirigeante qui imposa la modernisation à la société française pour son seul profit. Le capitalisme naissant transforma les structures nationales pour permettre son extension et n'hésita pas à détourner le patriotisme français dans des entreprises guerrières, en Europe, puis dans le Monde.

Une division s'opérera et se renforcera entre « l'Etat » (l’organisme dirigeant aux mains de la bourgeoisie qui pourra prendre successivement la forme de la Monarchie, de l'Empire ou de la République) et la « Nation » (comprise au sens du Peuple participant au politique). Un divorce qui ne cessera de se renforcer au gré de la lutte que les classes populaires auront à mener au cours du XIX siècle contre le Patronat et les gouvernements à ses ordres. Les acquis faisant la spécificité d'un pseudo « modèle social français » sont les fruits d'un combat sans cesse renouvelé : « Si en France le système de redistribution sociale possède un caractère plus égalitaire que chez beaucoup de nos voisins, cela n’est nullement un don du ciel ou un particularisme insulaire ; ce n’est que la résultante d’une lutte, d’un combat de classes, qui s’est avéré en France particulièrement dur et précoce. Ce n’est pas sans raison qu’un Karl Marx, pouvait déjà dire que la France est le théâtre de la lutte des classes. Ce n’est pas sans raison non plus que, pendant deux siècles, les plus brillants révolutionnaires séjourneront en France et en étudieront l’histoire ».

 

La construction du socialisme français prendra en compte la réalité de la Nation, en établissant le lien entre un patriotisme révolutionnaire et une solidarité internationale forte. Cette spécificité trouvera un écho dans le combat de la Commune de Paris, symbole de la tentative de création d'une société plus juste et égalitaire et de régénération nationale. Elle traversera l'ensemble des courants du socialisme français jusqu'à la Grande Guerre. Jean Jaurès pouvait ainsi écrire « Mais ce qui est certain, c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini dans la démocratie et dans la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène ».

 

Pour nous, l'héritage historique de la Nation n'est pas une fin en soi, il est un point de départ. Il doit nous permettre de poursuivre l'aventure collective qu'est la France, en l'orientant vers une voie spécifique de construction du socialisme à l'échelle d'une Europe libérée du Capitalisme. En pratique, les formes que peuvent prendre la Nation sont appelées à se transformer pour faire face aux défis de notre époque. Les travailleurs en reprenant en mains leur destin, seront amenés à redéfinir le rôle des institutions et à remettre en cause le fonctionnement d'un Etat qui appartenait à ses ennemis de classe depuis l'origine. Pour cette raison, nous n'avons jamais idéalisé l'ancien modèle républicain jacobin et nous rejetons ses mythes, de même des nationalismes barrésien ou maurassien liés à la défense d'une « société traditionnelle » qui n'exista jamais, telle qu’ils se la représentaient et qui servit à justifier leur alliance avec les forces conservatrices et réactionnaires.

La contradiction historique entre la Nation et l'Etat se retrouvera jusqu'à nos jours, cars elle est le fruit du maintien du système capitaliste. Nous avons souvent évoqué dans Rébellion les étapes de cette lutte et l'histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire pour ne pas avoir à y revenir en détail dans cet article de synthèse.

Durant la mise en place de sa domination, la bourgeoise entreprit de mener une politique impérialiste et belliciste dans le cadre européen ou international (par exemple avec le colonialisme). Elle se drapa toujours dans le drapeau tricolore, pour mieux le trahir ensuite. Les travailleurs étant régulièrement sacrifiés sur l'autel de ses intérêts, on ne saurait les tenir pour responsables de sa folie meurtrière. Les entreprises de culpabilisation des classes populaires, menées depuis les années 1970, ne peuvent apparaître que pour ce qu'elles sont : des outils servant à désarmer, désorienter et à diviser la résistance à la véritable oppression capitaliste dans son stade mondialisé. Bien au contraire, les classes populaires maintiendront l'honneur de la France et l'attachement à ses valeurs quand l'oligarchie du capitalisme « national » passera à son extension mondialiste.

 

L'oligarchie mondialiste contre les Peuples

En effet, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les classes dirigeantes françaises ont bien compris qu'une nouvelle époque s’ouvrait pour le capitalisme (le fameux plan Marshall). Sur les ruines de notre pays, elles allaient entreprendre une vaste braderie de notre indépendance nationale. Le phénomène de mondialisation de l'économie ouvrait de nouveaux terrains à sa soif de richesse, le carcan national devait voler en éclats. L'ouverture de la France aux capitaux et aux entreprises américaines, puis la construction du Marché Commun Européen permirent à de nombreuses « entreprises familiales » françaises de s'internationaliser et de conquérir des parts de marché non négligeables (voir le cas emblématique de l’Oréal). Ce virage mondialiste allait s'accélérer dans les années 1970 et 1980, de nombreuses firmes, poussées par la quête d’un taux de profit satisfaisant, s'acharnèrent à détruire le tissu industriel français par des restructurations et délocalisations sauvages avec la complicité des gouvernements successifs. Dans cette oeuvre, le grand patronat français joua à fond son rôle et ne laissa aucune chance à des millions de travailleurs réduits au chômage ou à la précarité. Il y gagna le droit de prendre sa place au sein des quelques multinationales qui se partagent les marchés mondiaux. A l'heure actuelle, certains de ses représentants manifestent leurs talents dans l'exploitation, en se hissant aux premiers rangs de la bourgeoisie internationale. Au niveau politique, on assista au même phénomène, les institutions supranationales intégrant les dirigeants français de Droite comme de Gauche. Du FMI aux institutions « Européennes », ceux-ci surent faire preuve de servilité à l’égard des nouvelles règles et amener la France à se « moderniser » par des privatisations massives et la disparition des dernières lois sociales. Le vieil impérialisme français participa lui aussi à cette affaire, en tentant de conserver ses prés carrés (l’Afrique de l'Ouest, le Liban, la Méditerranée) et de profiter de son intégration à l'OTAN afin de concourir à la défense de l’ordre capitaliste mondial qui lui concèdera toujours quelques miettes. Pour participer à cette vaste curée, les représentants français ont intégré et fait leur, l'idéologie dominante de la globalisation des échanges marchands tous azimuts (« le monothéisme de marché »). Ils se sont parfaitement adaptés et sont totalement intégrés à ce système de domination mondiale, servant leurs propres intérêts dans un monde de concurrence effrénée et ne se sentant plus appartenir à la Nation française.

 

Ce phénomène de rupture entre, d’une part, les élites mondialisées donnant le spectacle du nomadisme au sein du village mondial consumériste et, le Peuple d’autre part, s’avère être une clé d'analyse importante afin de comprendre l'acharnement dont firent preuve les classes dirigeantes dans le musellement de la volonté populaire. La peur du retour du Peuple français, de sa prise de conscience des dysfonctionnements de la société, de ses conséquences et des ravages du capitalisme, mine la bonne conscience de nos maîtres. En s'attaquant à la souveraineté populaire et nationale, ils pensent pouvoir conserver leur régime d’aliénation et d’exploitation. Mais rien n'est moins sûr. (A suivre) ...

 

 

20/10/2008

Au-delà de la Gauche et de la Droite : Le Socialisme Révolutionnaire !

Il est toujours étonnant de constater l’attachement pour le vieux clivage Droite/Gauche de personnes se voulant en opposition avec le système. On peut comprendre que les médias et certains flics de la pensée aient besoin de classification simpliste pour enfermer tous les mouvements plus ou moins atypiques et contestataires, c’est leur rôle de réduire aux normes établies des courants échappant à leur logique idéologique.

Mais pourquoi les dissidents de ce système devraient-ils, eux aussi, reprendre le vocabulaire de leur adversaire pour se définir ? On vous répondra qu’il faut s’inscrire dans une tradition et dans un camp, qu’il est important de se situer dans l’imaginaire collectif. Mais ces arguments ne tiennent pas devant la réalité des enjeux du XXI° siècle. Plus que jamais nous sommes en dehors du jeu politique classique, par nos idées et notre action nous en sommes même la négation la plus totale.

Issu du placement des partis nés de la Révolution Française dans l’hémicycle de la Première Assemblée, ce clivage n’est pas pour nous un cadre indépassable à notre réflexion politique.  Il n’y a pas de valeurs ou d’idées appartenant de manière propre et  définitive à la  Droite ou à la Gauche. Le glissement, durant les années 1980-1990, des principaux représentants des  deux familles rivales françaises dans le consensus libéral, scellait la réconciliation  des dirigeants bourgeois des deux factions. Il offrait la possibilité d’une juteuse répartition des gains et d’une stabilité confortable du jeu politique. Le capitalisme avec la démocratie libérale a réconcilié ses diverses tendances et renforcé son emprise sur la société. Plus aucune force ne peut venir le contrôler (comme le gaullisme) ou l’abattre (dans le cas du communisme) dans cette configuration ; l’oligarchie économique, médiatique et  politique, a les mains libres pour assurer sa domination.

Notre orientation socialiste révolutionnaire laisse croire à certains que nous voulons nous rattacher à la Gauche. Nous allons les décevoir, car pour nous le terme de Gauche n’a pas de sens (même si on lui accole l’adjectif d’Extrême). Nous puisons nos références dans l’héritage du mouvement ouvrier révolutionnaire (si quelqu’un peut nous indiquer un seul texte où Marx, par exemple, se dit de gauche, nous sommes preneurs…) et dans la pensée socialiste dans sa diversité. Cette tradition n’est pas celle de la Gauche, qui en détourne des symboles pour s’en faire des oripeaux folkloriques. L’histoire de la Gauche commence dans la tradition de la bourgeoisie dite « progressiste », qui profitant de l’affaire Dreyfus fut amenée à conclure une alliance stratégique avec le monde ouvrier contre les forces réactionnaires et conservatrices pour sauver ses acquis. Elle soutient toujours le peuple comme la corde soutient le pendu, empêchant les travailleurs de mener à terme la lutte contre le capitalisme et les entrainant vers les impasses du réformisme moutonnier. L’idée de « l’Union de la gauche » apparaît toujours lorsque les travailleurs sont en situation de faiblesse et aboutit immanquablement à leur défaite et au triomphe de mesures favorables au capital, imposées par la social-démocratie. Le « gauchisme » suit pour sa part la même démarche, ajoutant juste un accent faussement révolutionnaire à la mystification. Cette dernière va recevoir un nouveau souffle avec Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne , formations adoubées par les médias. 

Notre appel  à un réveil populaire et patriotique conduit certains (de bonne ou de mauvaise foi ?) à considérer  que nous serions un nouvel avatar de la « Droite populiste ». Là encore nous allons décevoir, car nous sommes étrangers à ce courant. Pour nous, les mouvements « populistes » par leur composition hétéroclite sont immanquablement brisés ou absorbés par le système. Sans orientations politiques claires, ils retombent vite ou stagnent dans le ressentiment. Ils sont souvent traversés par des courants qui sont extrêmement ambigus dans leurs rapports au capital. Ils sont souvent nostalgiques d’une période historique passée plutôt rêvée que réelle, d’un état antérieur idéalisé du développement du capital. L’abjection actuelle du système rend rétrospectivement idyllique l’existence sociale menée par les générations antérieures.

Dans la majorité des cas, les dirigeants et cadres populistes ne rêvent que d’intégrer l’établissement qu’ils feignaient de combattre. La même constatation est à faire mutatis mutandis pour la mouvance souverainiste, capable de quelques remarques pertinentes, mais ne se donnant pas les moyens militants de lutter contre la dynamique du capital ne reconnaissant d’autre souveraineté – en dernière instance -  que celle de la valeur en procès.

Nous tendons sincèrement la main à ceux qui veulent combattre avec nous la domination capitaliste, mais nous affirmons franchement que c’est sur une ligne clairement socialiste que doit être mené le combat.

Au-delà de la Droite et de Gauche, le Socialisme  Révolutionnaire doit avant tout être combatif et pugnace, car à nos yeux il est nécessaire d’instaurer un rapport de forces avec le système. Ayons en tête que celui-ci ne s’effondrera pas tout seul, et que même si une crise profonde le traverse, il faudra le combattre directement sur le terrain et lui opposer une alternative concrète et crédible. On ne peut faire éternellement comme si le réel n’existait pas. Pour agir sur celui-ci et non s’agiter fébrilement, il est urgent que chacun s’investisse sérieusement dans la construction d’une organisation politique solide et offensive. 

10/04/2008

Les nouveaux habits ethiques du capitalisme

Développement durable, commerce équitable, investissements socialement responsable, fonds éthiques, etc. Tous ces termes positifs envahissent les chroniques économiques des médias et donnent l’impression d’une moralisation du système libéral, par une prise en compte de données extra-financières.

Tout a commencé avec l’apparition de fonds éthiques, instruments financiers créés à la demande des milieux religieux,  nommés aussi « Fonds d’exclusion » car ils rejettent certains secteurs d’investissement : tabac, alcool, armement, jeux de hasard ainsi que l’industrie liée à la pornographie. A l’origine de cette demande éthique figurent des organismes chrétiens ainsi que les banques « vertes » de la finance islamique.
Le commerce équitable est aussi un principe éthique, inventé par les hollandais et les anglais, il vise à offrir un juste prix aux producteurs café, thé, coton, etc.) afin qu’ils puissent vivre décemment, malgré les spéculations boursières et l’emprise des intermédiaires. L’exemple le plus célèbre est le café Max Havelaar,  dont on ignore souvent que le nom est le titre d’un célèbre roman de Eduard Douwes Dekker paru en Hollande en 1860, qui dénonçait les pratiques d’exploitation de la population de Java, dans la culture du café. En France, le commerce équitable est surtout représenté par Artisans du Monde, association qui vend à travers un réseau de boutiques, de l’artisanat et des produits du tiers monde, venant de coopératives.
Le concept de développement durable est beaucoup plus large, il apparaît pour la première fois en 1987 dans un rapport de la Commission Mondiale sur l’environnement, appelé rapport Brundtland ; sa définition est la suivante : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette idée de durabilité s’est s’imposée dans tous les domaines, économique, social, environnemental et culturel, d’autant que les dangers se précisent sur l’environnement : effet de serre, déforestation, crise énergétique, croissance démographique, etc. Ce concept n’est pas nouveau, mais dans les sociétés traditionnelles on n’en parlait pas, cela allait de soi.

Face à cette mobilisation en faveur de la responsabilité sociale et environnementale, le libéralisme a dû s’adapter et présenter un visage plus « éthique ». Alors pour que leurs actions boursières soient classées ISR (Investissement Socialement Responsable) et pour préserver leur image, les entreprises multiplient les publications et semblent vouloir jouer la carte de la transparence ; pour ce faire elles publient, en plus du rapport financier annuel, un rapport de développement durable, qui comprend deux volets :

1) Social : avec des infos sur différents thèmes : emplois, salaires, plans de formation, pyramide des ages, accords d’entreprises, plan d’intéressement, conditions de travail, concertation, etc.

2) Environnemental : lutte contre la pollution, diminution de la consommation d’énergie, traitement des déchets, coopération avec des associations qui oeuvrent pour la protection de l’environnement etc.

Edités sur papier glacé, rédigés par des cadres proches de la direction, ces rapports ne servent souvent qu’à maquiller la réalité et à obtenir une bonne appréciation de la part des agences de notation sociale, tel Vigéo, qui n’ont pas les moyens de vérifier les informations. Peut-on imaginer Coca-Cola, IBM ou Union Carbide dire la vérité ?

De même que les multinationales demandent aux cabinets d’audit de faire de faux rapports financiers, aux avocats d’affaires de contourner le droit, elles tentent de donner à leur course aux profits un visage éthique et en font même un argument de vente. Telle est la puissance de récupération de la société du spectacle. Faut-il pour autant abandonner le développement durable à ses ennemis ? Non, l’urgence est trop proche et notre responsabilité vis-à-vis des générations suivantes nous l’interdit. Une des solutions serait d’impliquer les salariés dans le contrôle des informations, sociales et environnementales, publiées par l’entreprise, soit par l’intermédiaires des sections syndicales, du comité d’entreprise soit par démarche individuelle. La responsabilité individuelle est très importante, par exemple, si nous avons connaissance par un document à diffusion « restreinte », que notre entreprise pollue, en France ou à l’étranger, nous avons le devoir de diffuser l’information à la presse, aux ONG et aux agences de notations sociales.

Pour défendre la planète, sauver la faune, la flore et les peuples qui y vivent, nous devons nous considérer en état de mobilisation permanente et employer tous les moyens légaux ou illégaux (comme contre les OGM) pour transmettre à nos enfants, une planète DURABLE et VIVABLE.

 

05/03/2008

Slavoj Žižek, un intello contre la Démocratie ?

zizek,rébellion

Quelle critique faites-vous à la démocratie ?

Peut-être la même que les conservateurs… Les conservateurs ont le courage d’admettre que la démocratie est dans une impasse. On s’est beaucoup moqué de Francis Fukuyama lorsqu’il a annoncé la fin de l’histoire, mais aujourd’hui, tout le monde accepte l’idée que le cadre démocratico-libéral est là pour toujours.


On se contente de réclamer un capitalisme à visage humain, comme on parlait hier d’un communisme à visage humain. Regardez la science-fiction : visiblement, il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme.


Le capitalisme, c’est la cible, derrière la critique de la démocratie ?

Soyons clair : l’Europe de l’après-guerre a connu un niveau moyen de bonheur jamais vu. Mais quatre problèmes majeurs viennent déséquilibrer le modèle démocratico-libéral.

  • 1) Les «sans-part», les sans-papiers, sans-abri, sans-emploi, ceux qui ne participent pas à la vie de la communauté, dont l’Etat ne s’occupe plus.
  • 2) La propriété intellectuelle, que le marché ne parvient plus à réguler, comme le montre le destin délirant de Bill Gates, fondateur de Microsoft.
  • 3) L’environnement, dont la régulation peut assurer le marché lorsque la pollution est mesurable, mais pas quand le risque devient incalculable - Tchernobyl, les tempêtes…
  • 4) La biogénétique : est-ce au marché de dire où commence l’humain ?


Dans ces quatre domaines, ni la démocratie libérale, ni le capitalisme global n’apportent les bonnes réponses.

Quelle alternative ?

Je ne suis pas crétin, je ne rêve pas à un nouveau parti communiste. Ma position est plus tragique. Comme tout marxiste, j’admire la productivité incroyable du capitalisme et je ne sous-estime pas l’utilité des droits de l’homme. L’arrestation de Pinochet a joué un rôle psychologique très important au Chili. Mais regardez le vénézuélien Chávez. On dit qu’il est populiste, démagogique, qu’il ne fait rien pour l’économie, que cela va mal finir. C’est peut-être vrai… Mais il est le seul à avoir inclu les pauvres des favelas dans un processus politique. Voilà pourquoi je le soutiens. Quand on critique sa tentation dictatoriale, on fait comme si, avant lui, il y avait une démocratie équilibrée. Or, c’est lui, et lui seul, qui a été le vecteur de la mobilisation populaire. Pour défendre ça, je pense qu’il a le droit d’utiliser l’appareil d’Etat - appelez cela la Terreur, si vous voulez.


Pour les penseurs libéraux, capitalisme et démocratie restent inséparables.

On l’a beaucoup dit, mais en Chine est en train de naître un capitalisme autoritaire. Modèle américain ou modèle chinois : je ne veux pas vivre dans ce choix. C’est pourquoi nous allons devoir redevenir utopiques. Le réchauffement climatique va nous amener à réhabiliter les grandes décisions collectives, celles dont les penseurs antitotalitaires disent qu’elles mènent forcément au goulag. Walter Lippmann a montré qu’en temps normal, la condition de la démocratie, c’est que la population ait confiance dans une élite qui décide. Le peuple est comme un roi : il signe passivement, sans regarder. Or, en temps de crise, cette confiance s’évapore. Ma thèse est de dire : il y a des situations où la démocratie ne fonctionne pas, où elle perd sa substance, où il faut réinventer des modalités de mobilisation populaire.


D’où votre éloge de Robespierre.

La Terreur ne se résume pas à Robespierre. Il y avait alors une agitation populaire, incarnée par des figures encore plus radicales, comme Babœuf ou Hébert. Il faut rappeler qu’on a coupé plus de têtes après la mort de Robespierre qu’avant - mais lui avait coupé des têtes de riches… En fait, il est resté très légaliste. La preuve, il a été arrêté. Ce qui m’intéresse chez lui, c’est ce que Walter Benjamin appelle «la violence divine», celle qui accompagne les explosions populaires. Je n’aime pas la violence physique, j’en ai peur, mais je ne suis pas prêt à renoncer à cette tradition de la violence populaire. Cela ne veut pas toujours dire violence sur les personnes. Gandhi, par exemple, ne s’est pas contenté d’organiser des manifestations, il a lancé le boycott, établi un rapport de force. Défendre les exclus, protéger l’environnement passera par de nouvelles formes de pression, de violence. Faire peur au capitalisme, non pour tuer, mais pour changer quelque chose. Car sinon, on risque d’aller vers une violence plus grande, une violence fondamentaliste, un nouvel autoritarisme.


Dans la perspective d’une «violence populaire», un intellectuel sert-il à quelque chose ?

A en prévenir les formes catastrophiques. A faire voir les choses autrement. Deleuze disait que s’il y a de fausses réponses, il y a aussi les fausses questions. Un conseil de philosophes ne peut pas établir un projet pour mobiliser les masses. Mais on peut jeter les idées et peut-être quelque chose sera récupéré. Les émeutes des banlieues en France sont nées d’un mécontentement non-articulé à une pensée, même de façon utopique. C’est ça, la tragédie.


Vos amis à gauche pensent-ils comme vous ?

Ce qui domine, surtout aux Etats-Unis, c’est un gauchisme libéral, tolérant, pour lequel la moindre allusion à la notion de vérité est déjà totalitaire, où il faut respecter l’histoire de chacun. Pour le philosophe Richard Rorty, ce qui définit l’homme, c’est sa souffrance et sa capacité de la raconter. Je trouve assez triste cette gauche de ressentiment et d’impuissance.
 

Les Trotskistes : ennemis de la classe ouvrière


L’élection présidentielle de 2002 avait été l’occasion pour les diverses organisations se revendiquant du trotskisme de réaliser un pic historique. Arlette Laguiller pour Lutte Ouvrière avait récolté 5,72 % (soit 1.630.045 voix), Olivier Besancenot pour la Ligue Communiste Révolutionnaire 4,25 % (1.210.562 voix) et Daniel Gluckstein pour le Parti des Travailleurs 0,47 % (132.686 voix). Au Total 10, 44 % des suffrages. Score remarquable alors que, simultanément, le PCF s’effondrait. Certes les organisations d’extrême gauche ne renouvellent pas semblable performance aux élections législatives qui suivent immédiatement (un modeste 2,71 % à elles toutes), mais l’audience de cette mouvance est marquée et ses résultats aux élections présidentielles suivantes furent suivis de prés. En particulier par la Gauche, qui les rendaient responsables de sa précédente défaite. Au final, c'est la LCR qui s'impossera comme le leader de cette mouvance en s'affirmant comme un pôle "anti-libéral".

Mais le vote pour les organisations trotskistes est-il un vote révolutionnaire ? On peut en douter fortement au regard de l’histoire d’un courant qui a toujours fait les yeux doux à la social-démocratie et entraîné les travailleurs dans les pires impasses.


On achève bien les traîtres ...

Léon Trotski est exclu du Comité Central du Parti Communiste d’URSS et mis en résidence surveillée à Alma Ata en 1927 pour son opposition à la ligne de Staline. L’homme a déjà un long passé de « révolutionnaire professionnel » lorsqu’ il rallie, in extremis, les bolcheviks après la Révolution d’Octobre 1917. Il participe activement à la mise en place de l’Armée Rouge lors de la guerre civile, ainsi qu’à la formation de l’appareil bureaucratique et de la police politique après la victoire des « Rouges ». Son efficacité dans la répression, s’est à plusieurs reprises, signalée. En Ukraine, avec l’écrasement des communes paysannes libertaires des Makhnovistes. En mars 1921, il va mener impitoyablement le siège contre la révolte des marins de Kronstadt. Revendiquant que le pouvoir revienne au Peuple et aux conseils ouvriers, les mutins (qui furent le fer de lance de la Révolution) sont liquidés de manière froide et implacable. Avant de finir victime du régime qu’il avait mis en place, Trotski s’évertuera à liquider toutes les oppositions (qu’elles soient libertaires ou socialistes révolutionnaires de gauche, ou issus du Parti Bolchevik). Mis en minorité par Staline (1), il est contraint à l’exil en 1929. Dirigé sous bonne garde vers la Turquie, il touche une rente de l’ambassade soviétique et vit sur une île du Bosphore, sous la surveillance vigilante des services secrets russes. Mais l’homme ne veut pas renoncer, il fausse compagnie à ses gardiens et commence à mettre en place un appareil politique pour lutter contre le stalinisme. La Quatrième Internationale va ainsi naître dans les péripéties de l’exil de son fondateur. Dès son origine, le courant trotskiste va devoir faire face à la prépondérance, dans le monde ouvrier, des Partis Communistes alignés sur Moscou. Extrêmement minoritaires, les fidèles de Trotski doivent se montrer discrets. Infiltrés par les agents soviétiques et pourchassés par les militants staliniens dans les années 30, ils sont quasiment isolés en France. Leur espace d’expression est réduit et ils peinent à entrer en contact direct avec le monde ouvrier encadré effi cacement par la CGT, structure syndicale contrôlée par le PCF. Pour pouvoir exister, les trotskistes français vont devoir se lier à des militants syndicaux en marge de la centrale communiste. Suivant la même logique, Trotski appellera ses fidèles français à mener un politique d’entrisme au sein des mouvements de gauche comme la SFIO (l’ancêtre du PS actuel). Profitant de la montée du Fascisme, il appelle à la constitution d’un front uni, le but avoué étant de constituer l’aile gauche de la social-démocratie. L’infiltration portera ses fruits dans le service d’ordre et les jeunesses socialistes. Mais l’opération échouera sous la pression des communistes qui, après le 6 février 1934, vont se rallier à l’antifascisme radical.

Quand, en août 1940, Ramón Mercader, sympathique agent stalinien au demeurant,dessoude à coups de piolet Léon Trotski (alors accueilli en exil au Mexique par son très maçonnique gouvernement), ses partisans ont déjà adopté un comportement militant spécifique, fait d’un culte du secret (symbolisé par l’emploi des pseudonymes au sein même des organisations), de sectarisme qui les conduisent à s’entre-déchireret d’un goût prononcé pour l’entrisme. La guerre qui éclate ne fera que renforcer cette attitude. On retrouve dans la résistance une génération de cadres qui vont faire leurs premières armes dans la clandestinité : De Daniel Korner, alias Barta, fondateur de LO à Robert Barcia, alias Hardy, qui serait le véritable dirigeant de cette organisation pour certains journalistes. Il n’est pas étonnant de retrouver Pierre Boussel, alias Pierre Lambert, dans les combats contre l’Occupation. Issu d’une famille d’immigrés juifs russes, il naît en 1920 en France. Militant des Jeunesses Communistes, il est exclu pour ses positions anti-soviétiques. Il se rapproche alors des socialistes et rencontre des militants trotskistes infiltrés dans leurs rangs. Séduit par leur discours internationaliste et leur opposition à l’URSS, il devient vite un militant reconnu durant la guerre, membre des hautes instances du comité international pour la constitution de la IV° Internationale. On le retrouvera plus tard à la tête du courant qui portera son nom : les lambertistes.


A l’assaut des appareils


Poursuivis par les nazis, les trotskistes doivent aussi faire face aux communistes qui n’enterrent nullement la hache de guerre avec eux. Eliminés physiquement dans les prisons et les maquis, ils sont confrontés à l’appareil clandestin stalinien. La Libération laisse quelques espoirs de développement aux trotskistes. Mais les années 50, les plongent dans une situation critique. Les querelles entre micro-groupuscules rendent insignifiante leur influence dans une France qui passe lentement de la reconstruction aux Trente Glorieuses. Avec l’éclatement du Parti Communiste International (la principale organisation de cette tendance de l’après guerre), les différentes tendances traversent un désert de plusieurs années. La scission de 1952 a pour origine la question de l’entrisme au sein du PCF. La majorité des membres refuse cette stratégie et est exclue de la Quatrième Internationale. Ils forment un nouveau PCI sous la conduite de Pierre Lambert. Les minoritaires sous la direction de Michel Rapatis (Pablo) puis de Pierre Franck vont tenter d’infiltrer le PCF. Avec des succès importants au sein des JC et de l’Union des Etudiants Communistes, où ils vont animer une fronde permanente contre la direction du Parti. Profitant de la position « timorée » du PCF sur la question algérienne, les « pablistes » vont accentuer le travail de tendance. Devenant le principal réseau de soutien au FLN dans le monde universitaire, ils fourniront de nombreux « porteurs de valises » aux rebelles algériens. Ravivant le vieil antifascisme militant, ils seront aussi à la pointe du combat contre l’OAS et ses soutiens étudiants (avec par exemple le fichage para policier des pro-Algérie Française). Après l’indépendance, on retrouvera certains d’entre eux parmi les « Pieds Rouges », c’està- dire les coopérants progressistes français au nouveau régime. Parmi eux, les frères Krivine se distinguent déjà.

Chez les lambertistes, la forte personnalité de leur leader va structurer ce courant autour du travail d’entrisme au sein du monde syndical. Doué d’un véritable talent d’organisateur, porteur d’un charisme indéniable auprès des militants, Lambert-Boussel s’est s’entouré de fidèles capables de naviguer dans les conjonctures politiques les plus difficiles. Extrêmement rigide au niveau de la forme révolutionnaire, il incarne pour beaucoup la continuation légitime du trotskisme. Lambert mènera en personne l’opération qui allait permettre la survie de son courant : l’entrisme à Force Ouvrière. Pourquoi les lambertistes ont-ils jeté leur dévolu sur FO ? Il n’y a pas de hasard à ce choix. La CGT-FO est née d’une scission réformiste de la CGT historique qui refusait la mainmise du PCF sur la centrale militante. Se revendiquant d’un syndicalisme libre et démocratique, FO fédéra les opposants à la politisation du monde syndical. On verra ainsi se côtoyer des anti-communistes primaires proches des milieux « d’extrême droite » et des gauchistes de toutes obédiences, chassés de la CGT.

« Heureusement que vous les avez ! » disait Chirac, au sujet des lambertistes, à André Bergeron, ancien dirigeant de FO. Mais c’est surtout son successeur, Marc Blondel qui va les utiliser pour asseoir sa domination sur le syndicat dans les années 80-90. Des postes de permanents syndicaux et de délégués auprès des institutions, liés à la co-gestion sociale vont échoir en récompense à des militants trotskistes. Il n’est dès lors pas étonnant que les lambertistes aient soutenu Jean-Claude Mailly, le dauphin désigné de Blondel. Patients et discrets, les lambertistes n’occupent pas les devants de la scène. A la différence de leurs frères ennemis « pablistes ».

Après avoir amené à la paralysie de l’UEC, les trotskystes se verront exclus par le PCF.
Les staliniens vont s’efforcer d’isoler ces éléments provocateurs. Mais les événements de Mai 68, vont leur donner une dynamique sans précédent dans le monde étudiant. Les exclus vont fonder la Jeunesse Communiste Révolutionnaire en 1965. Sous la direction d’Alain Krivine, cette organisation donnera après de multiples péripéties, naissance à la LCR. Sous les feux de l’actualité durant toutes les années 70, son audience restera pourtant extrêmement petite bourgeoise. Au contraire de Lutte Ouvrière qui s’efforcera de s’implanter dans le monde ouvrier avec des résultats mitigés jusqu’à l’apparition du phénomène médiatique Arlette.

 Un rôle contre révolutionnaire assumé

On le voit l’histoire du Trotskisme en France est assez agitée et a profondément marqué sa mentalité. Mais certains aspects peu connus sont éclairants sur le véritable rôle de ce courant. Ainsi les liens entre les services secrets américains et les trotskistes ne sont pas de purs fantasmes issus de l’Humanité de la grande époque stalinienne. A partir de 1948, avec la naissance de la Guerre Froide, la CIA ne ménage pas son aide à de potentiels alliés contre Moscou. La manne fi nancière qu’elle déverse sur la France est considérable, gigantesque même, vu qu’elle subventionne toutes les tendances anti-communistes sans distinction de partis. Par exemple dans les milieux syndicaux, des officines liées à elle et à la puissante confédération syndicale américaine AFL-CIO, alimentent en fonds secrets la toute jeune direction de FO. Par ce biais, les lambertistes sont très tôt mis en contribution. Ils participent à l’opération Project Book. En collaboration avec Radio Liberty, la CIA met en place un réseau de diffusion vers l’Est de littérature anti-stalinienne. Les réseaux lambertistes serviront ainsi à passer en URSS des milliers d’exemplaires de publications de propagande anti-communistes. En France même, certains trotskistes vont devenir des agents actifs des services américains, en particulier pour faire barrage à l’influence communiste chez les intellectuels (2). Il est certain que d’autres dossiers dorment encore dans les archives des services américains. La stratégie de la tension américaine en Europe a souvent été d’utiliser des groupuscules gauchistes pour créer une déstabilisation des régimes qui ne lui étaient pas favorable. Ainsi dans les prémisses de Mai 68 on pourrait bien retrouver la main des services US. Cela n’est pas faire le jeu du mythe du Complot que de trouver troublant le rôle des divers groupuscules d’extrême gauche dans cette crise visant à affaiblir le régime gaulliste (qui avait fait de l’indépendance nationale vis-à-vis de l’Otan un enjeu stratégique important). Ainsi que dans les diverses tentatives pour contrer l’influence du PCF dans les masses populaires.

Mais le trotskisme, ce sont aussi des idées et des méthodes qui se sont révélées nuisibles pour les luttes des travailleurs. Actuellement, pas un mouvement social ou une grève étudiante sans que l’on ne voit apparaître un représentant de ce courant. Et à chaque fois leur rôle finit par ressembler à un sabotage des initiatives révolutionnaires. Dans les années 70, les authentiques anarchistes et autonomes d’ultra-gauche ne se trompaient pas quand ils attaquaient les services d’ordres de la LCR ou de l’OCI (ancêtre du PT) à coup de cocktails molotov. A chaque fois, les diverses organisations trotskistes tentent de reprendre à leur compte les actions partant de la base. L’important, étant pour eux, de se poser en interlocuteurs sérieux des institutions et des médias, et cela en oubliant souvent les revendications à l’origine de la lutte. De même, si l’on doit faire un bilan de l’entrisme de l’extrême gauche on constate que cette méthode a parfaitement réussi. Et même trop bien réussi... En effet, en phagocytant syndicats, associations et partis modérés, les diverses tendances gauchistes s’intègrent à un système qu’elles prétendent combattre. Sans parler des désertions (la liste serait trop longue de personnalités anciennement d’extrême- gauche dans les années de l’après 68, ralliées au Capital), cette méthode entraîne obligatoirement l’absorption des éléments révolutionnaires dans le jeu du consensus libéral. Le cas d’Henri Werner éclaire par la fascination/répulsion pour le libéralisme de la génération trotskiste des années 70. Haut responsable de la LCR et futur élu du PS, il étudie sociologiquement le système de fonctionnement du CNPF (le futur MDEF). Véritablement séduit par son efficacité, il présente la confédération patronale comme modèle pour l’organisation de la Ligue à un Krivine médusé. Autre cas d’intégration des valeurs qu’ils étaient sensés combattre, la très intéressante évolution des intellectuels trotskistes new-yorkais. Passés de la lutte anti-impérialiste au néo-conservatisme dès les années 80. On retrouve ainsi ces anciens gauchistes parmi les plus fidèles soutiens à la politique d’agression de Bush et d’Israël. Si les gauchistes critiquent la bureaucratie des appareils, c’est pour mieux les concurrencer et prendre leur place. Ils deviennent ainsi des supplétifs utiles dans les querelles internes, comme les lambertistes à FO, que l’on remercie par quelques postes.

Dans le cadre strictement politique, l’action des trotskistes revient le plus souvent à renforcer la social-démocratie. En lui fournissant des cadres efficaces et en lui donnant une légitimité « radicale » dans des situations difficiles (comme lorsque la Gauche se joint à des mouvements sociaux qu’elle aurait combattus quand elle avait le pouvoir). Le rôle de l’extrême gauche est de canaliser des personnes en colère contre le système pour rendre leur révolte inoffensive. On a constaté l’effet négatif de la zizanie entretenue par la LCR lors de la tentative de formation d’une coalition de la « Gauche anti-libérale » pour les présidentielles (3). Le Parti des Travailleurs mène depuis la fi n des années 80, une démarche de séduction de la mouvance nationale républicaine. Avec des thèmes comme la défense de la République, de la Laïcité et de l’indépendance des petits maires (4), il veut récupérer une tendance qui peine à se structurer.

Au final son emprise a, le plus souvent, amené à réduire les possibilités d’action de cette « gauche nationale ». Son travail en direction des communistes « orthodoxes » poursuit la même stratégie. Le PT tente ainsi de récupérer les anciens « staliniens », pour mieux les faire disparaître et se poser comme les seuls défenseurs du Communisme. Les trotskistes veulent s’accaparer l’héritage révolutionnaire du mouvement ouvrier. N’étant jamais parvenus en entrer en synergie avec le Peuple, restant toujours marqués par leur origine petite-bourgeoise, ils en sont souvent réduits à détourner le noble discours plébéien qui fut celui du PCF avant ses reniements réformistes et révisionnistes. Mais cette manipulation ne semble pas prendre, de nombreux ouvriers préfèrent voter FN que de soutenir ces gens qui ne masquent pas leur mépris pour eux. En effet, les trotskistes ne manquent jamais une occasion de traiter les travailleurs français de tout les mots : racistes, embourgeoisés, réactionnaires... Avec leur tournant vers de « nouveaux sujets révolutionnaires » (« les sans papiers », « les homosexuels », « les femmes », « les sans-logis »), ils voient déjà en eux une relève pour la Révolution. Mais quand on gratte un peu, que constatons-nous, là aussi ? La même récupération. Voulant manipuler les revendications des minorités pour créer des foyers d’agitation, ils se posent en seule direction possible pour leurs luttes. « Les immigrés sont gentils, mais incapables de mener leur combat efficacement » sous - entend le discours paternaliste de représentants de collectifs dirigés par les trotskars. Créant partout la division, ils servent ainsi les intérêts du système. Nous pensons que de nombreux sympathisants et même, militants, de cette tendance ne se rendent pas véritablement compte du rôle qu’on leur fait jouer. Nous espérons contribuer à leur ouvrir les yeux pour qu’ils puissent rejoindre l’authentique combat des travailleurs  pour leur émancipation.


NOTES
1- Il faut en finir avec le mythe du soi-disant « Testament » de Lénine qui n’a aucune valeur politique dans la mesure où Lénine n’a jamais désiré rendre publiques ses quelques notes, rédigées alors qu’il était gravement malade, sérieusement atteint dans sa capacité de travail et se trouvant dans la nécessité d’être éloigné de la scène politique. L’opinion de Lénine sur Trotski ne fait guère de doute car il l’a exprimée à de nombreuses reprises. Ce dernier n’a cessé de louvoyer entre mencheviks et bolcheviks durant tout le début du 20° siècle. « Lénine ne manifesta à personne une telle hostilité personnelle, quel qu’ait été leur accord sur les problèmes de fond. Il le traitait selon les circonstances de phraseur bruyant, de comédien, d’intrigant, d’entremetteur et de Doux-Judas (en référence au personnage de Saltykov-Chtchedrine), ne manquant pas une occasion de proclamer que Trotski était un individu dépourvu de principes, naviguant entre différents groupes et soucieux seulement de ne pas être pris sur le fait ». Leszek Kolakowski. Histoire du marxisme. Tome 2. P.537. Ed. Fayard. 1987.
Citations de Lénine à l’appui de ces affirmations : « On ne peut pas discuter sur le fond avec Trotski, car il n’a aucune conviction. On peut et on doit lefaire avec les liquidateurs et les ostsovistes convaincus [fraction du parti bolchevik, en français les révocateurs, car ils demandaient le rappel de la douma des députés démocratiques], mais avec quelqu’un qui joue à couvrir les fautes des uns et des autres, on ne discute pas, on le démasquecomme… diplomate au petit pied » (« A propos de la diplomatie de Trotski », 21 décembre 1911, OEuvres, vol.17, p.366). « Trotski n’a jamais eu aucune « physionomie », et il n’en a aucune [comme Besancenot ?] ; il n’a à son actif que des migrations, que des désertions qui l’ont fait passer des libéraux aux marxistes et vice versa, des bribes de mots d’esprit et de phrases ronfl antes, pillés à gauche et à droite. » (« La désagrégation du bloc d’août », 15 août 1914, OEuvres, vol. 20, p.164). Ce portrait s’applique à merveille à ses disciples parcourant la planète mondialisée. Staline reviens !

2- Denis Boneau, « Quand la CIA fi nançait les intellectuels européens », long article qui détaille la mise en place d’un réseau d’intellectuels proaméricains des années 50 à nos jours. Disponible sur le site du Réseau Voltaire : www.voltairerenet.org

3- Le rôle du PCF n’étant lui aussi pas très clair dans cette affaire. Complètement vassalisé au PS, M-G Buffet semble avoir poussé à une rupture au sein d’un mouvement qui pouvait faire de l’ombre à la candidature de Royal. Contre la promesse de sièges aux législatives ? Fort probablement...

4- La candidature « indépendante », G. Schivardi, va dans ce sens. L’ancien du PS est soutenu à bout de bras par le PT.